Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a = Prima Pars =
Première Partie
Question 114 : Du
combat des démons
Nous
avons maintenant à nous occuper du combat des démons. — A cet égard cinq
questions se présentent : 1° Les hommes sont-ils attaqués par les démons ? (L’existence
des démons est de foi, et on ne peut nier les attaques qu’ils livrent à
l’homme, sans être hérétique.) — 2° Est-ce le propre du diable de tenter ? (L’Ecriture nous montre la tentation comme l’œuvre propre du
démon : le tentateur s’approchant
(Matth., 4, 3) ; Votre adversaire, le diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant
qui dévorer (1 Pierre, 5, 8). D’ailleurs saint Thomas précise parfaitement
dans cet article les divers sens que l’on peut attacher à ce mot.) — 3° Tous
les péchés des hommes proviennent-ils de la tentation du diable ? (Cet article
est une réfutation de l’hérésie des arméniens, qui prétendaient que l’homme ne
pécherait pas, s’il n’y avait pas de démons.) — 4° Peuvent-ils faire de vrais
miracles pour séduire ? (Cet article, tout concis qu’il est, renferme tous les
principes d’après lesquels les théologiens ont résolu cette question dans leur Traité de la religion.) — 5° Les démons
qui sont vaincus par un homme peuvent-ils l’attaquer encore ? (Sur cette
question les sentiments sont partagés ; mais l’opinion la plus commune est
celle qu’expose ici saint Thomas.)
Article
1 : Les hommes ont-ils un combat à supporter de la part des démons ?
Objection
N°1. Il semble que les hommes n’aient pas de combat à soutenir de la part des
démons. Car les anges sont envoyés par Dieu pour garder les hommes. Or, les
démons ne sont pas envoyés de Dieu, puisque leur intention est de perdre les
âmes, tandis que celle de Dieu est de les sauver. Donc les démons n’ont pas
mission d’attaquer les hommes.
Réponse à
l’objection N°1 : Les mauvais anges font la guerre aux hommes de deux
manières : 1° En les poussant au péché. En ce cas ils ne sont pas envoyés de
Dieu pour attaquer les hommes, mais Dieu dans sa justice le leur permet
quelquefois. 2° Ils les attaquent pour les punir, et dans ce cas c’est Dieu qui
les envoie. Ainsi il a envoyé l’esprit de mensonge pour punir Achab le roi
d’Israël, comme on le voit (3 Rois,
chap. 22). Car Dieu est l’auteur premier du châtiment, bien que les démons qu’il
envoie pour punir quelqu’un remplissent leur mission avec une intention opposée
à la fin pour laquelle il les envoie. Car ils punissent les hommes par haine ou
par envie, tandis que Dieu ne les punit que pour satisfaire à sa justice.
Objection N°2.
Le combat n’est plus à forces égales du moment que le faible est exposé à
combattre le fort, l’ignorant le rusé. Or, les hommes
sont faibles et ignares, tandis que les démons sont puissants et astucieux.
Dieu qui est l’auteur de toute justice ne doit donc pas permettre que l’homme
soit en butte aux attaques du démon.
Réponse à
l’objection N°2 : Pour que le combat n’ait pas lieu dans des conditions
trop inégales, l’homme reçoit une compensation principalement par le secours de
la grâce divine, et ensuite, en second lieu, par le moyen de la protection que
les anges lui accordent. C’est en ce sens qu’Elisée disait à son serviteur (4 Rois, 6, 15) : Ne craignez rien, il y en a plus avec nous qu’avec eux.
Objection N°3.
C’est bien assez pour éprouver l’homme qu’il ait à lutter contre la chair et le
monde. Or, Dieu permet que ses élus soient attaqués pour être éprouvés. Il ne
semble donc pas nécessaire qu’ils soient attaqués par les démons.
Réponse à
l’objection N°3 : Pour éprouver notre faible nature ce serait sans doute
assez des combats qu’elle a à soutenir contre la chair et le monde, mais cela
ne suffirait pas à la malice des démons qui se servent de ces deux moyens pour
nous faire la guerre. D’ailleurs la divine providence sait faire tourner toutes
ces choses à la gloire des élus.
Mais c’est le
contraire. Car saint Paul dit (Eph., 6, 12) : Nous n’avons pas à combattre contre la chair
et le sang, mais contre les princes et les puissances, contre les guides de ce
monde de ténèbres, contre les esprits de malice répandus dans l’air.
Conclusion Les
démons font la guerre aux hommes par suite de leur propre malice, mais c’est
Dieu lui-même qui leur permet de les combattre.
Il faut
répondre qu’à l’égard de la guerre que les démons font aux hommes il y a deux
choses à considérer, le combat lui-même et l’ordre d’après lequel il se livre.
Le combat est l’effet de la malice même du démon, qui par envie s’efforce
d’empêcher l’homme d’être parfait, et qui par orgueil veut ressembler à la
puissance divine, en envoyant des suppôts destinés à attaquer l’homme comme
Dieu envoie ses anges avec des fonctions déterminées pour le garder. Mais
l’ordre du combat ou la fin dernière à laquelle il se rapporte vient de Dieu
qui sait toujours se servir des mauvaises créatures pour porter les autres au
bien. Mais il n’en est pas de même des bons anges. La protection qu’ils
exercent sur les hommes et l’ordre auquel cette protection est soumise se rapportent à Dieu comme à leur premier auteur.
Article
2 : La tentation est-elle l’œuvre propre du diable ?
Objection
N°1. Il semble que la tentation ne soit pas l’œuvre propre du diable. Car on
dit que Dieu tente d’après ces paroles de la Genèse (22, 1) : Dieu tenta Abraham. D’ailleurs la chair
et le monde tentent aussi. On dit même que l’homme tente Dieu ainsi que ses
semblables. La tentation n’est donc pas l’œuvre du démon.
Objection
N°2. Il n’y a que les ignorants qui tentent. Or, les démons savent tout ce qui
se passe à l’égard des hommes. Donc les hommes ne tentent pas.
Réponse à
l’objection N°2 : Les démons savent ce qui regarde les hommes
extérieurement, mais il n’y a que Dieu qui sache ce qui se passe au-dedans
d’eux et qui connaisse par conséquent s’ils ont plus d’inclination pour un vice
que pour un autre. C’est pourquoi le diable tente l’homme en sondant ses
dispositions intérieures pour savoir quel est le vice auquel il est le plus
enclin.
Objection
N°3. La tentation mène au péché, et le péché réside dans la volonté. Puisque
les démons ne peuvent pas agir sur la volonté de l’homme, comme nous l’avons
prouvé (quest. 111, art. 2), il semble qu’il ne leur appartienne pas de tenter.
Réponse
à l’objection N°3 : Si le démon ne peut pas changer la volonté, il peut
cependant, comme nous l’avons dit (quest. 111, art. 3 et 4), avoir quelque
influence sur les facultés inférieures de l’homme, qui ne violentent pas à la
vérité la volonté, mais qui l’inclinent vers une chose plutôt que vers une
autre.
Mais
c’est le contraire. Car saint Paul dit (1
Thess., 3, 5) : De peur que le tentateur ne vous eût tentés, c’est-à-dire le diable
dont l’office est de tenter, dit la glose.
Conclusion
La tentation qui a pour but de nuire à l’homme en le précipitant dans le péché
est tellement l’œuvre propre du diable, qu’elle ne convient à l’homme qu’autant
qu’il est le ministre du diable.
Il
faut répondre que tenter c’est à proprement parler mettre quelqu’un à
l’épreuve. Or, on met quelqu’un à l’épreuve pour en apprendre quelque
chose ; c’est pourquoi la science est toujours la fin
prochaine du tentateur, mais on peut se servir de cette science tantôt pour une
bonne fin, tantôt pour une mauvaise. Ainsi la fin est bonne quand on veut
savoir où en est un individu sous le rapport de science comme sous le rapport
de vertu, afin de l’élever à une dignité quelconque. La fin est mauvaise quand
on veut savoir la pensée de quelqu’un pour le tromper ou l’induire en erreur.
D’après cela on peut voir en quels sens divers on peut entendre le mot tenter
et comment il est possible de l’appliquer à divers individus. L’homme, par
exemple, tente quelquefois uniquement pour savoir. C’est pourquoi on dit que
tenter Dieu est un péché, parce que l’homme cherche à faire l’épreuve de la
puissance de Dieu comme s’il en doutait. D’autres fois l’homme tente pour venir
en aide ; dans d’autres circonstances il a l’intention de nuire. Mais le
diable tente toujours pour nuire à l’homme en le précipitant dans le péché, et
dans ce sens on dit que la tentation est son office propre. Car si l’homme
tente quelquefois de la sorte, il n’agit alors que comme le ministre du diable.
On dit aussi Dieu que tente les hommes, non pour savoir ce qu’ils pensent, mais
pour le faire connaître aux autres. Ainsi il est dit dans le Deutéronome (12,
3) : Votre Seigneur vous tente, afin
que l’on voit ouvertement si vous l’aimez. Enfin on dit que la chair et le
monde tentent, c’est-à-dire qu’ils sont les causes instrumentales et
matérielles de la tentation, parce qu’on peut connaître quel est l’homme, selon
qu’il obéit ou qu’il résiste aux concupiscences de la chair, et selon qu’il
méprise la prospérité et l’adversité ; le diable se sert aussi de ces
choses pour le tenter.
Par
là la réponse à la première objection est évidente.
Article
3 : Tous les péchés proviennent-ils de la tentation du diable ?
Objection
N°1. Ils semblent que tous les péchés proviennent de la tentation du diable.
Car saint Denis dit (De div. nom., chap. 4)
que la multitude des démons est cause de tous les maux. Saint Jean Damascène
dit aussi (De fid.
orth., liv. 2, chap. 4) que toute malice
et toute corruption ont été imaginées par le démon.
Objection
N°2. On pourrait dire de tout pécheur ce que le Seigneur dit aux Juifs (Jean,
8, 44) : Vous avez le diable pour
père ; ce qui signifie qu’ils péchaient en faisant ce que le démon
leur suggérait. Donc tous les péchés viennent des suggestions du démon.
Réponse à
l’objection N°2 : Si nous commettons des péchés sans l’intervention du
démon, ces péchés ne nous rendent pas moins ses enfants, parce qu’ils sont une
imitation de la faute qu’il a commise le premier.
Objection
N°3. Comme les anges sont délégués pour protéger les hommes, de même les démons
ont pour but de les combattre. Or, toutes les bonnes actions que nous faisons
sont inspirées par les bons anges, puisque c’est par leur entremise que les
dons de Dieu nous arrivent. Donc tout ce que nous faisons de mal nous est
suggéré par le du démon.
Réponse à
l’objection N°3 : L’homme peut par lui-même tomber dans le péché, mais il
ne peut mériter qu’à l’aide des secours que Dieu lui accorde par le ministère
de ses anges. C’est ce qui fait que les anges coopèrent à toutes nos bonnes
actions, tandis qu’il n’est pas nécessaire que toutes nos fautes proviennent de
la suggestion du démon, bien qu’il n’y ait aucune espèce de péché auquel le
démon ne nous porte quelquefois.
Mais
c’est le contraire. Nous lisons (lib. De
Eccles. dogm., chap.
82) : Toutes nos mauvaises pensées ne nous sont pas inspirées par le
démon, elles sont quelquefois produites par les mouvements de notre libre
arbitre.
Conclusion
Tous les péchés des hommes ont pour cause indirecte le démon et pour cause
directe le libre arbitre.
Il
faut répondre qu’on distingue deux sortes de causes : la cause directe et
la cause indirecte. La cause indirecte existe quand un agent rend une chose
apte à produire un effet. On dit qu’il est la cause occasionnelle et indirecte
de cet effet ; par exemple, le bûcheron qui coupe le bois est la cause
indirecte de sa combustion. En ce sens nous devons dire que le diable est la
cause de tous nos péchés, parce qu’il a porté le premier homme au mal, et que
par suite de cette première faute le genre humain tout entier est porté à faire
toute sorte de péchés (Le diable est cause indirecte du péché, parce qu’il a
dépouillé l’homme, par une première victoire, de tous les secours surnaturels
qui l’éloignaient du mal, et que d’ailleurs le libre arbitre a été affaibli par
cette chute primitive.).C’est de cette manière qu’il faut entendre les paroles
de saint Denis et de saint Jean Damascène. La cause directe d’un effet est
celle qui le produit immédiatement. En ce sens le diable n’est pas cause de
tous nos péchés. Car le diable n’est pas l’instigateur de tous les péchés qui
se commettent ; il y en a qui sont le fruit du libre arbitre et de la
corruption de la chair (C’est ce que supposent ces paroles de l’apôtre saint
Jacques (1, 14) : Mais chacun est
tenté par sa propre concupiscence, qui l’emporte et le séduit.). En effet,
comme le dit Origène (Periarch., liv. 3, chap. 2), quand le diable
n’existerait pas, les hommes n’en auraient pas moins le goût de la table et de
tous les plaisirs de la chair, et l’on sait, surtout avec une nature corrompue
comme la nôtre, de combien de désordres ces appétits sont la source, si la
raison n’était là pour les contenir. Or, c’est au libre arbitre à régler et à
réfréner ces appétits. Il n’est donc pas nécessaire d’attribuer à l’action du
démon toutes nos fautes, son influence n’a d’autre effet, dit saint Isidore (De sum. bon.,
liv. 3, chap. 5) que de nous tromper par des flatteries analogues à celle qui
lui a réussi près de nos premiers parents.
La
réponse à la première objection est par là même donnée.
Article
4 : Les démons peuvent-ils séduire les hommes en faisant des
miracles ?
Objection
N°1. Il semble que les démons ne puissent pas séduire les hommes par de vrais
miracles. Car la puissance des démons se manifestera surtout dans les œuvres de
l’Antechrist qui doit venir, d’après saint Paul (2 Thess., 2,
9), accompagné de la puissance de Satan,
avec toutes sortes de miracles, de signes et de prodiges trompeurs. Donc, à
plus forte raison les démons ne font-ils dans les autres temps que de faux
miracles ou des signes trompeurs.
Réponse
à l’objection N°1 : Comme le dit saint Augustin (De civ. Dei, liv. 20, chap. 19) on peut appeler les œuvres de l’Antechrist des signes menteurs, soit parce qu’il fera
illusion à ceux qui le verront en paraissant faire ce qu’il ne fait pas
réellement, soit parce que s’il fait de vrais prodiges ils entraîneront dans
l’erreur ceux qui y croiront.
Objection
N°2. Les vrais miracles supposent une modification, un changement dans les
corps. Or, les démons ne peuvent faire changer un corps de nature. Car saint
Augustin dit (De civ. Dei, liv. 18,
chap. 18) : Rien ne me ferait croire que les démons ont l’art ou la
puissance de changer le corps de l’homme en celui d’une bête. Donc les démons
ne peuvent pas faire de vrais miracles.
Réponse
à l’objection N°2 : Comme nous l’avons dit (quest. 110, art. 2), la
matière corporelle n’obéit pas à volonté aux bons ou aux mauvais anges, au point
que les démons puissent par leur puissance faire passer une matière d’une forme
dans une autre. Mais ils peuvent pour produire des effets de cette nature
employer les principes producteurs qui existent dans les éléments de ce monde
(Ils peuvent, comme disent les théologiens, applicando activa passivis, produire des faits
merveilleux, par exemple, exciter tout à coup un incendie.), comme le dit saint
Augustin (De Trin., liv. 3, chap. 8).
C’est pourquoi il faut reconnaître que les démons peuvent opérer toutes les
transformations des êtres matériels qui peuvent être l’effet d’une vertu
naturelle et qui sont produites par les principes producteurs dont nous venons
de parler, pourvu qu’ils mettent en œuvre ces principes eux-mêmes. Ainsi ils
peuvent transformer certaines choses en serpents ou en grenouilles parce que
ces animaux peuvent être engendrés par la corruption (Il est plus probable, à
notre avis, que ces phénomènes étaient de simples substitutions. Car ces
animaux ne peuvent être produits par la corruption seule, comme on l’a cru
d’après Aristote.). Mais pour les transformations des êtres matériels qui ne
peuvent être produites par une cause naturelle, les démons sont absolument dans
l’impuissance de les opérer en réalité ; ainsi ils ne peuvent changer le
corps d’un homme en celui d’une bête, ni ressusciter un mort. Et si quelquefois
l’œuvre d’un démon paraît semblable à un fait de cette nature, il n’y a pas là
de réalité, ce n’est qu’une apparence. Cette illusion peut avoir deux
causes : 1° Elle peut être produite au-dedans de nous parce que le démon a
le pouvoir d’agir sur l’imagination et même sur les sens au point de faire voir
les choses autrement qu’elles ne sont, comme nous l’avons dit (quest. 101, art.
3 et 4). Quelquefois on dit même que cela arrive par la vertu des choses
corporelles. 2° Elle peut être produite extérieurement. Car puisque le démon
peut se former un corps aérien de telle forme et de telle figure qu’il lui
plaît et se rendre visible par ce moyen, il peut pour la même cause donner à tout
être matériel la forme qu’il veut et le faire passer pour une chose d’une autre
espèce. C’est la pensée de saint Augustin qui dit (De civ. Dei, liv. 18, chap. 18) que les imaginations que l’homme se
forme dans la réflexion ou le sommeil et qui varient à l’infini se montrent aux
sens d’un autre comme incorporée à une figure de bête (Cette citation de saint
Augustin a été tronquée, et elle en est devenue obscure. L’illustre docteur
veut seulement dire qu’il peut se faire que l’homme prenne pour une réalité ce
qui n’est qu’un songe fantastique, et qu’en songe il soit dupe des illusions
les plus singulières.). Il ne faut pas entendre par là que l’imagination de
l’homme et son espèce qui ne fait qu’un numériquement avec elle se présente aux
sens d’une autre personne, mais que le démon qui forme dans l’esprit de l’un
une image peut en offrir une semblable aux sens de
l’autre.
Objection
N°3. Un argument qui prouve le pour et le contre n’a pas de valeur. Si donc les
démons peuvent faire de vrais miracles pour persuader l’erreur, les miracles ne
peuvent plus être employés comme moyens de preuve pour établir la vérité de
notre foi, ce qui n’est pas admissible puisqu’il est dit dans saint Marc (16,
20) que le Seigneur agissait et qu’il
appuyait sa parole par les prodiges qu’ils faisaient.
Répondre
à l’objection N°3 : Comme le dit saint Augustin (Quæst., liv. 83, quest. 9, 79), quand les magiciens font les mêmes
choses que les saints ils ont une fin différente (La fin ou le but pour lequel
on fait un miracle doit toujours être pur, moral et religieux ; autrement
il ne peut être l’œuvre de Dieu.) et n’agissent pas d’après le même pouvoir
(Quand divers miracles sont faits pour des fins opposées, ceux qui sont les
plus éclatants doivent l’emporter sur les autres. C’est ainsi que les mages de
Pharaon furent vaincus par Moïse ; les prophètes de Baal par Elie et Simon
le Magicien par saint Pierre.). Car les uns cherchent leur propre gloire et les autres la gloire de Dieu ; les premiers agissent
d’après un pacte privé, les seconds en vertu d’une puissance publique et de
l’ordre de Dieu auquel toutes les créatures sont soumises.
Mais
c’est le contraire. Car saint Augustin dit (Quæst., liv. 83, quest. 79) que les magiciens font des miracles qui
ressemblent pour la plupart du temps à ceux qu’opèrent les serviteurs de Dieu.
Conclusion
La puissance des démons étant limitée comme celle de toute créature, ils ne
peuvent faire des miracles proprement dits ; si cependant par miracle on
entend tout ce qui surpasse les facultés de l’homme, ils peuvent faire de ces
sortes de prodiges dans un but de séduction.
Il
faut répondre que, comme nous l’avons dit (quest. 105, art. 8 et quest. 110,
art. 4), en prenant le mot miracle
dans son acception propre, il n’y a que Dieu qui puisse en faire ; les
démons ainsi que toutes les créatures en sont incapables. Car le miracle
proprement dit est une dérogation à l’ordre de toute la nature, et toute
puissance créée est nécessairement comprise dans cet ordre et soumises à ses
lois. Cependant on donne quelquefois dans un sens large le nom de miracle à ce
qui dépasse les forces humaines sous le rapport de l’intelligence et de la
volonté. Les démons peuvent en ce sens faire des miracles qui étonnent les
hommes, parce qu’ils ont plus de connaissances et de puissance qu’eux. Car
quand un homme fait quelque chose qui surpasse les talents et l’intelligence
d’un autre, ce dernier est rempli d’admiration pour son œuvre qu’il est tenté
de considérer comme une chose miraculeuse. Mais il faut savoir que quoique les
œuvres de cette nature produites par les démons ne soient pas, comme elles nous
le paraissent, de véritables miracles, cependant elles ont leur réalité (Parmi
les œuvres merveilleuses dont le démon est l’auteur, il y en a qui sont
purement illusoires, comme le dit saint Thomas dans sa réponse à la première
objection, mais il y en a d’autres qui sont réelles. Ce sont alors des
substitutions ou des altérations.). Ainsi les mages de Pharaon ont produit par
la vertu des démons de vrais serpents, de véritables grenouilles. Et quand le
feu est tombé du ciel, il a consumé réellement la famille de Job avec tous ses
troupeaux, et la tempête qui a fondu sur sa maison a tué en réalité ses
enfants. Toutes ces œuvres furent produites par Satan et, comme le dit saint Augustin
(De civ. Dei, liv. 20, chap. 19),
elles n’étaient pas de simples illusions.
Article
5 : Le démon qu’un homme a vaincu est-il mis pour ce motif hors de
combat ?
Objection
N°1. Il semble que le démon qui est vaincu par quelqu’un ne soit pas mis pour
cela hors de combat. Car le Christ a vaincu très efficacement son tentateur.
Cependant il l’a encore attaqué en excitant les Juifs à le faire mourir. Il
n’est donc pas vrai que le diable cesse ses attaques après sa défaite.
Objection
N°2. Infliger un châtiment à celui qui succombe dans un combat c’est l’exciter
à combattre plus vivement ensuite. Or, la miséricorde de Dieu ne doit pas agir
ainsi. Donc les démons après leur défaite ne sont pas mis hors de combat.
Mais
il y a de contraire, ce qu’il est dit (Matth., 4,
11) : Alors le diable le laissa,
c’est-à-dire qu’il laissa le Christ victorieux.
Conclusion
Le démon quand il a été vaincu cesse, non pour toujours, mais pour un temps, de
tenter l’auteur de sa défaite.
Il
faut répondre qu’il y a des auteurs qui prétendent que le démon qui s’est
laissé vaincre ne peut plus tenter personne à l’égard d’aucun péché (Ce
sentiment est celui d’Origène (Hom. 15 in Josue). Il croyait que chaque démon était affecté à un
vice particulier ; qu’il y avait le démon de la colère, le démon de
l’avarice, etc., et qu’une fois qu’un homme s’était rendu maître d’une passion,
le démon de cette passion ne le tentait plus. Mais l’expérience est là pour
prouver qu’en pareille matière il n’y a pas de victoire définitive.). D’autres
disent qu’il ne peut plus tenter celui qui l’a vaincu, mais qu’il peut en
tenter d’autres. Ce sentiment paraît plus probable, en limitant toutefois le
temps pendant lequel le démon ne peut pas tenter celui qui a triomphé de lui
(Par cette restriction, saint Thomas tient à ne pas avoir l’air de se séparer
des Pères qui ont soutenu ce second sentiment.). Ainsi il est dit dans Luc
(chap. 4) qu’après avoir épuisé tous les moyens de tentation, le diable
s’éloigna du Christ pour un temps. On peut donner deux raisons à l’appui de ce
sentiment. La première est tirée de la clémence divine ; car comme le dit
saint Chrysostome (Cet ouvrage n’est pas de saint Chrysostome.) (Hom. 5, Sup. Matth.
Sup. illud, Vade retrὸ,
Satana), le diable ne tente pas les hommes autant qu’il veut, mais autant
que Dieu le lui permet. Quoiqu’il lui permette de le tenter un peu, il l’écarte
néanmoins par condescendance pour notre faiblesse. La seconde raison se prend
de l’astuce même du démon. Suivant saint Ambroise (In Luc, chap. 4), le diable
craint de multiplier ses attaques parce qu’il ne veut pas donner à l’homme
l’occasion de multiplier ses triomphes. Au reste nous trouvons dans saint
Matthieu la preuve que le démon retourne à celui qu’il a abandonné. Car il est
écrit (Matth., 12, 44) : Je retournerai dans ma maison d’où je suis sorti.
Par là la réponse aux objections est
évidente.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous
puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune
évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de
la morale catholique et des lois justes.