Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a = Prima Pars =
Première Partie
Question 115 : De
l’action de la créature corporelle
Après
avoir parlé des êtres spirituels nous avons maintenant à nous occuper de
l’action de la créature corporelle et du destin qu’on attribue à quelques
corps. — A l’égard de l’action de la créature corporelle six questions se
présentent : 1° Un corps est-il actif ? (Les Maures, comme le
rapporte saint Thomas (Cont. Gent.,
liv. 3, chap. 69), supposaient qu’aucune chose créée n’agit, mais que c’est
Dieu seul qui produit telles ou telles actions à leur présence. Cet article a
pour but la réfutation de cette erreur.) — 2° Y a-t-il dans les corps leurs
raisons séminales ? (Dans cet article saint Thomas établit que Dieu a
donné à ses créatures des vertus actives et passives par lesquelles elles
peuvent engendrer leur semblable ou se porter naturellement vers une chose.
C’est ce que supposent les théologiens quand ils disent que les démons peuvent
faire des miracles improprement dits, en appliquant les causes actives aux
passives : applicando activa passivis.)
— 3° Les corps célestes sont-ils la cause de ce que produisent ici-bas les
corps inférieurs ? (Saint Thomas exagère ici l’influence des corps
célestes sur les êtres sublunaires, d’après Aristote ; mais ces erreurs
secondaires, qui tiennent à l’état où se trouvait la science à cette époque,
sont sans conséquence.) — 4° Sont-ils la cause des actes humains ? (Cet
article est une réfutation de l’erreur de l’astrologie judiciaire, que le pape
Sixte V a flétrie dans sa constitution de l’an 1586. Cette constitution a été
confirmée par une bulle d’Urbain VIII, du 22 mars 1631, et par une foule de
décrets portés par divers conciles particuliers.) — 5° Les démons sont-ils
soumis à leurs influences ? (Cet article est une réfutation de Ménandre,
de Carpocrate et de la plupart des hérétiques des
premiers siècles qui s’étaient exagéré l’influence de la magie et des sciences
occultes.) — 6° Les corps célestes sont-ils les causes nécessaires des effets
produits par les êtres qui leur sont soumis ?
Article
1 : Y a-t-il un corps qui soit actif ?
Objection
N°1. Il semble qu’il n’y ait pas de corps qui soit actif. Car saint Augustin
dit (De civ. Dei, liv. 5, chap. 9)
que dans les êtres on en trouve qui ont été faits et qui ne font rien comme les
corps, d’autres qui font et qui n’ont pas été faits, comme Dieu, d’autres enfin
qui font et ont été faits comme les substances spirituelles.
Réponse
à l’objection N°1 : Le mot de saint Augustin doit s’entendre de toute la
nature corporelle prise dans son ensemble ; car il n’y a pas au-dessous
d’elle de nature sur laquelle elle agisse, comme la nature spirituelle agit sur
la nature corporelle, comme la nature incréée sur la nature créée. Mais un
corps peut être inférieur à un autre dans le sens qu’il peut être en puissance
par rapport à ce qu’un autre possède en acte.
Objection
N°2. Tout agent, à l’exception du premier, a besoin pour agir d’un sujet qui
reçoive son action. Or, au-dessous de la substance corporelle il n’y a pas de
substance qui puisse recevoir son action, puisque cette substance tient le
dernier rang parmi les êtres. Donc la substance corporelle n’est pas active.
Réponse
à l’objection N°2 : Par là la réponse est évidente. Car il est à remarquer
que quand Avicébron argumente ainsi : Il y a un
être qui meut sans être mû et qui est le premier auteur de ce qui existe ;
donc il y a également un être qui est mû et qui n’est que passif ; on peut
le lui accorder. Mais cet être qui est mû et qui n’est que passif c’est la
matière première qui est une puissance pure (La matière première n’a pas par
elle-même l’existence ; elle est le sujet premier dont toutes les
substances naturelles sont faites ; comme elle n’est déterminée
relativement à aucune manière d’être, elle est indifféremment en puissance à
l’égard de toutes les formes et de toutes les espèces.). Comme Dieu est un acte
pur, tandis que les corps sont en puissance et en acte ; c’est pourquoi
ils sont actifs et passifs.
Objection
N°3. Toute substance corporelle est renfermée dans la quantité. Or, la quantité
empêche la substance de se mouvoir et d’agir, parce qu’elle la comprend et
qu’elle est plongée en elle, comme l’air nébuleux est dans l’impossibilité de
recevoir la lumière. La preuve en est que plus un corps augmente en quantité,
plus il devient pesant et difficile à mouvoir. Donc il n’y a pas de substance
corporelle qui soit active.
Réponse
à l’objection N°3 : La quantité ne prive pas la forme corporelle
absolument de toute action, comme nous l’avons dit (dans le corps de
l’article.), mais elle l’empêche d’être un agent universel, parce que la forme
s’individualise du moment qu’elle existe dans une matière soumise à la
quantité. La preuve qu’on tire de la gravité des corps ne prouve nullement la thèse
qu’on veut établir. 1° Parce que l’augmentation de la quantité n’est pas cause
de la pesanteur, comme le prouve Aristote (De
cælo et mundo, liv. 4, text. 9). 2° Parce qu’il est faux que la pesanteur rende le
mouvement plus lent. Au contraire, plus une chose est lourde, et plus elle se
meut d’un mouvement qui lui est propre. 3° Parce que l’action ne résulte pas
d’un mouvement local, comme l’a supposé Démocrite, mais elle provient de ce
qu’un être passe de la puissance à l’acte.
Objection
N°4. Tout agent a la vertu d’agir selon qu’il est plus ou moins rapproché de
l’agent premier. Or, les corps sont les êtres les plus éloignés de l’agent
premier, puisque celui-ci est ce qu’il y a de plus simple, tandis que les corps
sont ce qu’il y a de plus composé. Donc aucun corps n’est actif.
Réponse
à l’objection N°4 : Le corps n’est pas l’être le plus éloigné de Dieu, car
il participe à la ressemblance divine par sa forme, mais ce qui s’éloigne le
plus de Dieu c’est la matière première qui n’est active d’aucune manière
puisqu’elle est seulement en puissance.
Objection
N°5. Si un corps est actif, son action se rapporte à une forme substantielle ou
à une forme accidentelle. Elle ne se rapporte pas à une forme substantielle,
parce que dans les corps on ne trouve pas d’autre principe que des qualités
accidentelles ; et un accident ne peut produire une forme substantielle,
puisque la cause doit toujours être supérieure à l’effet. Elle n’a pas non plus
pour but une forme accidentelle, parce que, comme le dit saint Augustin (De Trin., liv. 9, chap. 4), l’accident
ne s’étend pas au-delà de son sujet. Donc aucun corps n’est actif.
Réponse
à l’objection N°5 : Le corps est actif par rapport à la forme accidentelle
comme par rapport à la forme substantielle. Car la qualité active, comme la
chaleur, bien qu’elle soit un accident agit cependant par la vertu de la forme
substantielle à titre d’instrument. C’est pourquoi elle peut avoir action sur
la forme substantielle, comme la chaleur naturelle concourt à la génération de
la chair selon qu’elle est l’instrument de l’âme. Par rapport à ce qui est
accidentel elle agit par sa propre vertu. Car il n’est pas contraire à la
nature de l’accident qu’il s’étende au-delà de son sujet par l’action, mais
seulement sous le rapport de l’être, à moins qu’on n’imagine que l’accident que
reçoit l’être passif est numériquement que celui qui existe dans l’être actif,
à l’exemple de Démocrite qui supposait que l’action provenait de l’écoulement
ou de la transmission des atomes.
Mais
c’est le contraire. Car saint Denis dit (De
cœl. Hier., chap. 15), qu’entre autres propriétés
le feu manifeste une grande puissance d’activité.
Conclusion
Le corps étant composé de puissance et d’acte, il est actif comme il est
passif.
Il
faut répondre qu’il est évident qu’il y a des corps actifs. Mais sur l’activité
des corps les philosophes sont tombés dans trois sortes d’erreurs. Avicébron (Ce livre d’Avicébron
fut très célèbre au 13e siècle. On en attribue la direction à Gundisalvi (Voyez Amable
Jourdain, Recherches sur les traductions
d’Aristote, 2e édition, page 119).) (Lib. fontis vitæ) s’efforce de prouver par les raisons que nous
venons d’indique qu’aucun corps n’agit, mais que toutes les actions qui
paraissent provenir des corps ont pour cause une puissance spirituelle qui les
pénètre tous ; de telle sorte que, d’après lui, ce n’est pas le feu qui
échauffe, mais la vertu spirituelle qui pénètre par son intermédiaire. Ce
sentiment semble d’ailleurs emprunté à Platon. Car Platon a supposé que toutes
les formes qui sont dans la matière corporelle sont des formes participées,
déterminées et restreintes à cette matière elle-même, tandis que les formes
séparées sont absolues et en quelque sorte universelles. C’est ce qui lui
faisait dire que ces formes séparées étaient causes des formes qui existent
dans la matière. Ainsi donc en partant de ce principe que la forme qui est dans
la matière corporelle y a été individuellement annexée par la quantité, Avicébron disait que la forme corporelle est retenue et
comprimée par la quantité comme étant le principe qui l’individualise, au point
de ne pouvoir exercer aucune action sur une autre matière. Il ne reconnaissait
qu’à la forme spirituelle et immatérielle, qui n’est pas comprimée par la
quantité, le pouvoir d’étendre son action sur les autres êtres. Mais ce
raisonnement ne prouve pas que la forme corporelle ne soit pas un agent, il
prouve seulement que ce n’est pas un agent universel. Car quand on participe à
une chose, il est nécessaire qu’on participe à ce qui lui est propre. Ainsi en
participant à la lumière, on participe par là même et dans la même mesure à la
visibilité. Or, agir n’étant que faire une chose en acte, c’est par soi le
propre de l’acte considéré comme tel. De là vient que tout agent produit son
semblable. Par conséquent, si une chose est une forme qui n’est pas déterminée
à une matière spéciale que la quantité ait elle-même précisée, il s’ensuit que
c’est un agent universel et indéterminé. Mais si c’est une forme déterminée à
l’égard de telle ou telle matière, il s’ensuit que c’est un agent particulier
et restreint dans son action. D’où l’on voit que si le feu était une forme
séparée, comme le veulent les platoniciens, il serait en quelque sorte la cause
de tout ce qui brûlerait. Mais la forme particulière du feu qui existe dans tel
ou tel corps est cause de la flamme qui se passe de ce corps-là dans celui-ci.
C’est ce qui fait que cette action se produit par le contact de deux corps.
Toutefois l’opinion d’Avicébron va beaucoup plus loin
que celui de Platon. Car ce dernier supposait seulement les formes
substantielles séparées. Quant aux accidents, il les ramenait aux principes
matériels qui sont le grand et le petit, qu’il regardait comme les
premiers contraires, tandis que d’autres croyaient que c’était la rareté et la densité. C’est pourquoi Platon et Avicenne qui le suivait en
certains points admettaient que les agents corporels agissent selon leurs
formes accidentelles en préparant la matière à recevoir la forme substantielle,
mais que celle-ci, qui était le complément et la perfection de l’être,
provenait du principe immatériel (Avicenne donnait à ce principe immatériel le
nom d’intelligence, et plaçait en lui toutes les formes substantielles.). Telle
est la seconde opinion que les philosophes ont soutenue sur l’activité des
corps. Nous en avons parlé en traitant de la création (quest. 45, art. 8). La
troisième opinion fut celle de Démocrite. Il voulait que l’activité des corps
fût l’effet de l’écoulement des atomes qui s’échappaient du corps agissant, et que
leur passivité résultât de la réception de ces mêmes atomes dans les pores du
corps qui subissait l’action. Aristote combat cette opinion (De Gen., liv.
1, text. 75-76). Car il suivrait de là que le corps
passif ne le serait pas totalement et que le corps actif diminuerait de
quantité à mesure qu’il agirait ; ce qui est manifestement faux. Il faut
donc dire qu’un corps agit sur un autre selon que le premier est en acte et le
second en puissance.
Article
2 : La matière corporelle renferme-t-elle quelques raisons
séminales ?
Objection
N°1. Il semble que dans la matière corporelle il n’y ait pas de raisons
séminales. Car une raison implique une certaine manière d’être spirituelle, et
dans la matière corporelle rien n’existe spirituellement, tout est corporel,
c’est-à-dire conforme à la manière d’être du sujet lui-même. Donc dans la
matière corporelle il n’y a pas de raisons séminales.
Réponse
à l’objection N°1 : Les vertus actives et passives des êtres naturels,
quoiqu’on ne puisse leur donner le nom de raisons
selon qu’elles existent dans la matière corporelle, peuvent cependant recevoir
ce nom relativement à leur origine, puisqu’elles viennent des raisons idéales
qui sont dans le Verbe de Dieu.
Objection
N°2. Saint Augustin dit (De Trin.,
liv. 3, chap. 8) que les démons produisent certaines œuvres en employant par
des mouvements cachés les semences et les principes actifs qu’ils savent
exister dans les éléments. Or, ce sont les corps et non les raisons qu’on met en usage par le
mouvement local. C’est donc à tort qu’on dit que les raisons séminales existent
dans la matière corporelle.
Réponse
à l’objection N°2 : Ces vertus actives ou passives résident dans certaines
parties du corps que les démons transportent d’un lieu à un autre pour produire
certains effets (C’est de cette manière que s’opère la plupart des prodiges
qu’on attribue aux démons ou aux anges.), et alors on dit qu’ils emploient les
puissances ou les raisons séminales des êtres.
Objection
N°3. La semence est le principe actif. Or, dans la matière il n’y a pas de
principe actif, puisqu’il n’est pas dans la nature de la matière d’agir, comme
nous l’avons dit (art. préc.). Donc dans la matière
corporelle il n’y a pas de raisons séminales.
Réponse
à l’objection N°3 : La semence du mâle est le principe actif dans la
génération de l’animal. On peut aussi donner le nom de semence à ce qui vient
de la femelle qui est le principe passif. On peut donc comprendre par le mot semence les puissances actives et
passives.
Objection
N°4. Dans la matière corporelle on appelle raisons
causales ce qui paraît capable de produire les choses. Or, les raisons séminales sont différentes des raisons causales, puisque les miracles
se font en dehors des premières et non en dehors des secondes. C’est donc à
tort qu’on dit que les raisons séminales existent dans la matière corporelle.
Réponse
à l’objection N°4 : D’après ce que dit saint Augustin des raisons
séminales, on voit assez que les raisons séminales sont aussi des causes, comme
la semence est elle-même une cause. Car il dit (De Trin., liv. 3, chap. 9) que comme les mères portent leurs
petits, de même le monde porte en lui-même les causes de tous les êtres qui
naissent. Néanmoins on peut dire que les raisons idéales peuvent être appelées
des causes sans qu’on puisse, à proprement parler, leur donner le nom de
raisons séminales, parce que la semence n’est pas un principe séparé. Et on
n’appelle pas miracle ce qui se fait en dehors de ces raisons idéales, ni ce
qui s’opère en dehors des vertus passives que Dieu a mises dans les créatures
et qui déterminent les effets qu’il est possible d’en tirer. Mais on appelle
miracle ce qui se fait en dehors des vertus actives naturelles et des
puissances passives qui s’y rapportent directement ; ce qui arrive quand
une chose se fait contre l’ordre et le cours ordinaire des vertus séminales.
Mais
c’est le contraire. Car saint Augustin dit (loc.
cit.) que dans les éléments corporels
de ce monde sont cachés les semences occultes de toutes les choses qui naissent
corporellement et visiblement.
Conclusion
Les puissance séminales qui sont les principes actifs
et passifs de la génération et du mouvement des êtres naturels existent d’une
foule de manières dans la matière corporelle.
Il
faut répondre que toute dénomination est prise ordinairement de l’être le plus
parfait, comme le prouve très bien Aristote (De animâ, liv. 2, text.
49). Or, les plus parfaits de tous les corps qui existent dans la nature, ce
sont les corps vivants ; c’est ce qui fait dire que le mot nature a été
emprunté aux choses vivantes pour désigner en général tous les êtres qui
existent. Car le mot nature, comme le
dit Aristote (Met., liv. 5, text. 5), a d’abord été employé pour exprimer la génération
des êtres vivants, c’est-à-dire leur naissance.
Ensuite les êtres vivants étant engendrés par un principe avec lequel ils sont
unis, comme le fruit l’est à l’arbre, le fœtus à la mère, on a conséquemment
étendu le mot de nature à tout le principe du mouvement qui existe en celui qui
est mû. Or, il est évident que le principe actif et le principe passif de la
génération des êtres vivants sont les semences qui les engendrent. C’est
pourquoi saint Augustin donne le nom de raisons
séminales à toutes les vertus actives et passives qui sont les principes de
la génération et du mouvement des êtres naturels. Ces vertus actives et
passives peuvent se considérer sous plusieurs rapports. En effet, comme le dit
saint Augustin (Sup. Gen
ad litt., liv. 6, chap. 10 et 18), 1° elles
existent principalement et originellement dans le Verbe même de Dieu, selon
leurs raisons idéales ; 2° elles existent dans les éléments du monde où
elles ont été simultanément produites dès le principe, comme dans leurs causes
universelles ; 3° elles existent dans les choses que les causes universelles
produisent successivement, comme telle ou telle plante, tel ou tel animal,
elles existent là comme dans leurs raisons particulières ; 4° elles
existent dans les semences que les animaux ou les plantes produisent et qui
sont aux autres effets particuliers ce que les causes primordiales universelles
sont aux effets premiers qui en résultent.
Article
3 : Les corps célestes sont-ils la cause de ce qui se passe dans les corps
inférieurs ici-bas ?
Objection
N°1. Il semble que les corps célestes ne soient pas cause de ce qui arrive
ici-bas parmi les corps inférieurs. Car saint Jean Damascène dit (De fid. orth., liv. 2, chap. 7) : Pour
nous, nous disons que les corps célestes ne sont pas la cause des choses qui
arrivent ; ils ne corrompent pas les êtres qui sont corruptibles, mais ils
sont plutôt les signes de la pluie et des changements de l’atmosphère.
Réponse
à l’objection N°1 : Cette parole de saint Jean Damascène signifie que les
corps célestes ne sont pas la cause première de la génération et de la
corruption des êtres inférieurs, comme le prétendaient ceux qui en faisaient
des dieux.
Objection
N°2. Pour faire une chose il suffit d’un agent qui agisse et de la matière qui
reçoive son action. Or, dans les corps inférieurs on trouve une matière qui est
passive et des agents qui sont contraires, comme le chaud, le froid, etc. Donc
il n’est pas nécessaire pour indiquer la cause des phénomènes terrestres de
remonter aux corps célestes pour les leur attribuer.
Réponse
à l’objection N°2 : Il n’y a pas dans les corps inférieurs d’autres
principes actifs que les qualités actives des éléments, telles que le froid, le
chaud, etc. S’il était vrai que les formes substantielles des corps inférieurs
ne fussent diversifiées que par ces accidents auxquels les anciens philosophes
ont assigné pour principes la rareté et la densité, il ne serait pas nécessaire
d’admettre un principe actif supérieur à ces corps, parce qu’ils suffiraient
eux-mêmes à l’explication de tous les phénomènes. Mais en observant avec soin
les choses on remarque que ces accidents sont en quelque sorte les dispositions
matérielles qui préparent les formes substantielles des corps naturels. Mais
comme la matière ne suffit pas pour déterminer l’action, il en résulte
qu’au-dessus de ces dispositions matérielles il faut reconnaître un principe
actif. C’est ce qui a porté les platoniciens à supposer des espèces séparées
dont la participation détermine les formes substantielles des corps inférieurs.
Mais leur système n’est pas plausible, parce que leurs espèces séparées auraient
toujours la même manière d’être, puisqu’ils les croient immobiles. Il
résulterait donc de là qu’il n’y aurait aucune diversité à l’égard de la
génération et de la corruption des corps inférieurs, ce qui est évidemment
faux. Il est donc nécessaire, d’après Aristote (De Gen., liv. 2, text.
56 et suiv.), d’admettre un principe actif mobile, qui par sa présence et son
absence produise de la variété à l’égard de la génération et de la corruption
des corps inférieurs, et ce sont les corps célestes qui remplissent ce rôle.
C’est pourquoi tout ce qui engendre et perpétue l’espèce dans les êtres
inférieurs est en quelque sorte l’instrument des corps célestes, selon cette
expression d’Aristote (Phys., liv. 2,
text. 26) : L’homme
engendre l’homme ainsi que le soleil.
Objection
N°3. L’agent produit son semblable. Or, nous voyons que tout ce qui se passe
ici-bas provient de ce que les corps sont échauffés, refroidis, humectés,
desséchés, et qu’ils subissent d’autres impressions analogues qui n’existent
pas dans les corps célestes. Donc les corps célestes ne sont pas la cause des
phénomènes qui se produisent au milieu de nous.
Réponse
à l’objection N°3 : Les corps célestes ne sont pas semblables sous le
rapport de l’espèce aux corps inférieurs, mais ils comprennent dans leur vertu
universelle tout ce que les corps inférieurs produisent par voie de génération.
C’est dans le même sens que nous disons que tous les êtres ressemblent à Dieu.
Objection
N°4. Comme le dit saint Augustin (De civ.
Dei, liv. 5, chap. 6), il n’y a rien de plus corporel que la différence des
sexes. Or, cette différence ne provient pas des corps célestes. La preuve en
est que de deux individus nés sous une seule et même constellation, l’un est
mâle et l’autre femelle. Donc les corps célestes ne sont pas la cause des
choses corporelles qui se passent ici-bas.
Réponse
à l’objection N°4 : Les actions des corps célestes sont diversement reçues
dans les corps inférieurs en raison des diverses dispositions de la matière.
C’est cette diversité de disposition qui produit la diversité des sexes. Aussi
saint Augustin (De civ. Dei, liv. 5,
chap. 6), pour rejeter la divination qui se faisait au moyen des astres,
montre-t-il que leurs effets mêmes varient dans les choses corporelles selon la
disposition diverse de la matière.
Mais
c’est le contraire. Car saint Augustin dit (De
Trin., liv. 3, chap. 4) que les corps les plus épais et les plus faibles
sont régis par les plus subtils et les plus puissants. Et saint Denis affirme (De div. nom., chap. 4) que la lumière du soleil
concourt à la génération des corps sensibles, les fait vivre, les nourrit, les
augmente et les perfectionne.
Conclusion
Les corps célestes n’étant pas susceptibles de recevoir un autre mouvement que
le mouvement local, ils sont la cause de tout ce qui se passe dans les corps
inférieurs et de toutes leurs variations.
Il
faut répondre que toute multiplicité procède de l’unité, et que ce qui est
immobile n’a qu’une manière d’être, tandis que ce qui est mû en a une
foule ; il s’ensuit que dans toute la nature tout mouvement procède d’un
être immobile. Par conséquent plus les êtres sont immobiles et plus ils sont la
cause de ceux qui se meuvent le plus. Or, d’entre tous les corps les corps
célestes sont les plus immobiles, puisqu’ils n’ont pas d’autre mouvement que le
mouvement local. C’est ce qui fait que les mouvements des corps terrestres qui
sont très divers et qui changent beaucoup de formes se rapportent au mouvement
des corps célestes comme à leur cause.
Article
4 : Les corps célestes sont-ils la cause des actions de l’homme ?
Objection
N°1. Il semble que les corps célestes soient la cause des actes de l’homme. Car
les corps célestes étant mus par les substances spirituelles, comme nous
l’avons dit (quest. 110, art. 1 et 3), agissent par leur puissance comme des
instruments. Or, ces substances spirituelles sont supérieures à nos âmes. Il
semble donc qu’elles puissent avoir de l’influence sur elles, et par conséquent
être cause de nos actes.
Réponse
à l’objection N°1 : Les substances spirituelles qui meuvent les corps
célestes agissent sur les choses matérielles par l’intermédiaire des corps
célestes eux-mêmes, mais elles agissent immédiatement sur l’entendement en
l’éclairant. Quant à la volonté nous avons vu qu’elles ne pouvaient la changer
(quest. 111, art. 2).
Objection
N°2. Tout ce qui a plusieurs formes se rapporte à un principe d’une forme
unique. Or, les actes des hommes sont divers et de formes multiples. Il semble
donc qu’ils se rapportent aux mouvements uniformes des corps célestes comme à
leurs principes.
Réponse
à l’objection N°2 : Comme la variété des mouvements des corps inférieurs
se rapporte à l’uniformité des mouvements célestes qui en est le principe, de
même la variété des actes qui procèdent de l’intellect et de la volonté se
rapporte à un principe unique qui est l’intellect et la volonté de Dieu.
Objection
N°3. Les astrologues annoncent souvent la vérité sur les événements de la
guerre et sur les autres actes humains qui ont l’intellect et la volonté pour
principes, ce qui ne pourrait pas avoir lieu si les corps célestes n’étaient la
cause des actes de l’homme. Donc ils en sont la cause.
Réponse
à l’objection N°3 : La plupart des hommes suivent les passions qui
résultent des mouvements de l’appétit sensitif, et auxquelles les corps
célestes peuvent coopérer ; tandis que le nombre des sages qui résistent à
ces mêmes passions est très restreint. C’est ce qui fait que les astrologues
disent vrai en beaucoup de circonstances (D’après saint Augustin, si les astrologues
disent vrai quelquefois, Dieu le permet pour que ceux qui les consultent
s’engagent toujours de plus en plus dans l’erreur (De doct. christ., chap. 23 ; De Gen. ad litt.,
liv. 2, chap. 17).), et peuvent prédire certains événements en général ;
mais ils ne le peuvent en particulier, parce que rien n’empêche l’homme de
résister à la passion par soin libre arbitre. Aussi les astrologues disent-ils
que l’homme sage règne sur les astres ; ce qui signifie qu’il règne sur
ses passions.
Mais
c’est le contraire. Car saint Jean Damascène dit (De fid. orth., liv. 2, chap.
7) que les corps célestes ne sont point du tout la cause des actes de l’homme.
Conclusion
Puisque l’intellect et la volonté qui sont les principes des actes de l’homme
ne sont point du tout dépendants des organes corporels, les corps célestes ne
peuvent pas être la cause directe des actes humains, ils en sont la cause
indirecte, en agissant par eux-mêmes sur les corps qui servent à l’exercice de
ces deux puissances.
Il
faut répondre que les corps célestes agissent directement et par eux-mêmes sur
les corps inférieurs ; ils agissent aussi sur les facultés de l’âme, qui sont les actes des organes corporels, non d’une manière
directe, mais par accident. Car ces puissances sont nécessairement entravées
dans leurs actes par les entraves que subissent les organes eux-mêmes. C’est
ainsi que l’œil, quand il soit la trouble, ne voit pas bien. Par conséquent si
l’intellect et la volonté étaient des puissances dépendantes des organes
corporels, comme quelques philosophes l’ont prétendu en soutenant que
l’intellect ne diffère pas des sens, il s’ensuivrait nécessairement que les
corps célestes seraient la cause des déterminations et des actes de l’homme. Il
en résulterait aussi que l’homme serait porté par son instinct naturel à agir,
comme le sont les autres animaux qui n’ont d’autres facultés que celles qui
dépendent des organes du corps. Sa spontanéité naturelle serait l’effet de
l’influence des corps célestes ; il n’y aurait donc plus en lui de libre arbitre,
et ses actions seraient déterminées comme le sont celles de tous les êtres qui
existent dans la nature. Ce qui est évidemment faux et contraire à la dignité
humaine. On doit cependant reconnaître (Cette concession est une conséquence de
ce que saint Thomas a établi dans l’article précédent, et elle se ressent de
l’extension qu’il a donnée à son principe.) que les corps célestes exercent
indirectement et par accident une certaine influence sur l’intellect et la
volonté, parce que ces deux facultés reçoivent l’une et l’autre quelque chose
des organes corporels. Mais à cet égard l’intellect et la volonté ne se
conduisent pas de la même manière. Car l’intellect est nécessairement obligé de
percevoir les objets que les puissances inférieures lui présentent. D’où il
vient que quand l’imagination, la pensée ou la mémoire sont troublées, l’action
intellectuelle l’est nécessairement aussi. Mais la volonté ne suit pas
nécessairement l’inclination de l’appétit sensitif. Quoique les passions qui
sont dans l’appétit irascible et dans l’appétit concupiscible aient une
certaine pensée sur elle, néanmoins il est toujours en sa puissance de les
suivre ou d’y résister. C’est pourquoi l’action des corps célestes qui peut
modifier les puissances inférieures de l’âme atteint moins la volonté qui est
la cause prochaine des actes de l’homme que l’intellect. Il n’ay donc que ceux
qui disent que l’intellect ne diffère pas des sens qui puissent admettre que
les corps célestes sont la cause des actes humains. Quelques-uns d’entre eux ont
même ajouté que la volonté est dans les humains, telle que veut qu’elle soit
tous les jours le père des dieux et des hommes (Cette citation est d’Homère (Odyssée, liv. 18, v. 135 et 136). Les
interprètes sont partagés sur le sens de ce passage. Il y en a qui prétendent
que Homère a voulu dire que la situation de l’esprit de l’homme était à la
merci des influences de l’air désignés ici sous le nom de Jupiter. D’après Eustathe, ces vers signifient que l’esprit de l’homme
dépend des événements.). Mais comme il est constant que l’intellect et la
volonté ne sont pas les actes des organes corporels, il est impossible que les
corps célestes soient la cause des actions humaines.
Article
5 : Les corps célestes peuvent-ils exercer de l’influence sur les démons
eux-mêmes ?
Objection
N°1. Il semble que les corps célestes puissent avoir influence sur les démons
eux-mêmes. Car les démons, selon les phases croissantes de la lune, tourmentent
certains individus, qu’on appelle pour cela lunatiques, comme on le voit en saint
Matthieu (chap. 4 et 17). Or, il n’en serait pas ainsi s’ils n’étaient soumis à
l’action des corps célestes. Donc ils y sont soumis.
Réponse
à l’objection N°1 : Si les démons tourmentent quelques hommes selon les
mouvements de la lune, on peut en donner deux raisons. La première, que donnent
saint Jérôme (in cap. 4 Matth.) et saint Chrysostome
(Hom. 58 in Matth.),
c’est qu’ils paraissent vicier par là l’action de la lune qui est une créature
de Dieu. La seconde, c’est que comme ils ne peuvent agir que par le moyen des
vertus naturelles, comme nous l’avons dit (quest. préc., art. 4 et quest. 110,
art. 4), ils considèrent avant de faire une chose si les corps qu’ils vont
employer sont parfaitement aptes à produire l’effet qu’ils désirent. Or, il est
évident que le cerveau est l’organe le plus humide du corps. C’est pourquoi il
est le plus soumis à l’action de la lune qui a par elle-même la propriété de
mouvoir les humeurs. Et comme les puissances animales fonctionnent au moyen de
cet organe, il arrive que les démons profitent des phases croissantes de la
lune pour troubler l’imagination de l’homme, parce que c’est dans ce moment que
le cerveau se prête le mieux à l’action.
Objection
N°2. Les nécromanciens observent certaines constellations pour invoquer les
démons. Or, on ne devrait pas invoquer les démons au moyen des corps célestes
s’ils ne leur étaient soumis. Donc les démons sont soumis à l’influence de ces
corps.
Réponse
à l’objection N°2 : Les démons invoqués sous certaines constellations
répondent à cette invocation pour deux raisons : 1° pour faire croire aux
hommes qu’il y a dans les astres une divinité et les faire tomber dans
l’erreur ; 2° parce qu’ils savent que sous certaines constellations la
matière qu’ils emploient est plus apte à produire les effets pour lesquels ils
sont invoqués.
Objection
N°3. Les corps célestes ont plus de vertu que les corps inférieurs. Or, il y a
des démons qu’on repousse au moyen de quelques-uns de ces derniers corps :
par exemple, par des herbes, des pierres, des animaux, des sons, des voix, des
figures et des simulacres, selon le témoignage de Porphyre cité par saint
Augustin (De civ. Dei, liv. 10, chap.
11). Donc à plus forte raison les démons sont-ils soumis à l’influence des
corps célestes.
Réponse
à l’objection N°3 : Comme le dit saint Augustin (De civ. Dei, liv. 21, chap. 6), les démons sont attirés par les
divers genres de pierres, d’herbes, de bois, d’animaux, de chants, de rits, non comme les animaux le sont par la nourriture, mais
comme les esprits le sont par les signes ; parce qu’on ne produit toutes
ces choses à leur égard qu’en signe des honneurs divins qu’on leur remet, et
qu’ils sont d’ailleurs très ambitieux de cette sorte de gloire.
Mais
c’est le contraire Car dans l’ordre de la nature les démons sont supérieurs aux
corps célestes ; puisque, comme le dit saint Augustin (Sup. Gen. ad litt., liv. 12, chap. 16), l’agent est au-dessus du
patient. Donc ils ne sont pas soumis à l’action de ces corps.
Conclusion
Les démons étant des substances intellectuelles qui ne sont point du tout unies
aux corps, ils ne peuvent être d’aucune manière soumis à l’action des corps
célestes.
Il
faut répondre qu’à l’égard des démons il y a trois opinions différentes. La
première est celle des péripatéticiens (On voit que saint Thomas ne craint pas
de s’écarter des doctrines péripatéticiennes quand elles sont en désaccord avec
ce qu’il considère comme l’enseignement traditionnel de la théologie.) qui
soutenaient que les démons n’existaient pas, et que ce qu’on attribuait aux
démons dans la nécromancie était l’effet de la puissance des corps célestes.
C’est ce que saint Augustin rapporte d’après Porphyre (De civ. Dei, liv. 10, chap. 11), qui fait dire à ces philosophes
que les hommes avaient imaginé des puissances capables de produire les divers
effets que produisent les astres. Mais ce système est évidemment faux. Car
l’expérience est là pour nous apprendre que les démons font beaucoup de choses
que la vertu des corps célestes ne pourrait jamais faire. Ainsi les astres pourraient-ils
faire parler à quelqu’un une langue inconnue, des vers ou des passages
d’auteurs qu’il n’a a jamais lu, ou faire parler et mouvoir des statues comme
le font les nécromanciens ? D’après ces faits les platoniciens ont été
forcés de reconnaître l’existence des démons, et ils en ont fait des animaux
dont le corps est aérien et l’âme passive. Saint Augustin rapporte encore ce
sentiment qui était celui d’Apulée (De
civ. Dei, liv. 8, chap. 16). Suivant cette opinion on pourrait dire que les
démons sont soumis aux corps célestes de la même manière que les hommes (art. préc.). Mais elle est fausse, comme nous l’avons prouvé
(quest. 51, art. 1). Pour nous, nous disons que les démons sont des substances
intellectuelles qui ne sont pas unies aux corps. D’où il est manifeste qu’ils
ne sont pas soumis à l’action des corps célestes, ni par eux-mêmes, ni par
accident, ni directement, ni indirectement.
Article
6 : Les corps célestes rendent-ils nécessaires les effets de toutes les
causes soumises à leur action ?
Objection
N°1. Il semble que les corps célestes rendent nécessaires les effets de toutes
les causes soumises à leur influence. Car, du moment que l’on pose une cause
capable de produire un effet, il est nécessaire que l’effet s’ensuive. Or, les
corps célestes sont une cause de cette nature. Par conséquent, dès qu’ils
existent avec leurs dispositions et leurs mouvements, tous les effets qu’ils
doivent produire arrivent nécessairement.
Réponse
à l’objection N°1 : Les corps célestes produisent les effets inférieurs au
moyen de causes particulières inférieures aussi, et qui peuvent être entravées
dans leur action par d’autres causes.
Objection
N°2. L’effet d’un agent se produit nécessairement dans la matière quand la
vertu de l’agent est si grande qu’elle peut se soumettre toute la matière
elle-même. Or, toute la matière des corps inférieurs est soumise éminemment à
la vertu des corps célestes. Donc les effets des corps célestes se produisent
nécessairement dans la matière corporelle.
Réponse
à l’objection N°2 : La vertu d’un corps céleste n’est pas infinie. Il faut
donc, pour produire son effet, qu’elle trouve la matière sur laquelle elle agit
convenablement disposée sous le rapport de la distance locale comme sous tous
les autres rapports. Ainsi, la distance peut être un obstacle à l’action d’un
corps céleste. Le soleil, par exemple, n’a pas la même chaleur dans la Dacie
que dans l’Egypte. La grossièreté de la matière, le froid, le chaud, etc.,
peuvent aussi être des obstacles qui gênent l’action d’un corps céleste.
Objection
N°3. Si l’effet d’un corps céleste n’était pas nécessaire, c’est qu’il y aurait
une cause qui l’empêcherait de se produire. Or, tous les corps qui pourraient
empêcher l’effet d’un corps céleste se rapportent nécessairement à un principe
céleste quelconque, puisque les corps célestes sont cause de tous les
phénomènes qui se produisent ici-bas. Par conséquent, ce principe céleste étant
nécessaire lui-même, il s’ensuit qu’il doit nécessairement empêcher l’effet de
l’autre corps céleste qui est par là même entravé ; de telle sorte que
tout ce qui arrive est toujours soumis à la loi de la nécessité.
Réponse
à l’objection N°3 : Quoique la cause qui entrave l’action d’une autre se
rapporte elle-même à un corps céleste comme à son principe, cependant le
concours de ces deux causes étant accidentel, on ne peut le rapporter à une
cause céleste, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).
Mais
c’est le contraire. Car Aristote dit (De Somn. et Vig., chap. 2) qu’un
grand nombre des choses qui se produisent ici-bas et qui sont les effets des
corps célestes, comme les pluies et les vents pourraient bien ne pas arriver.
Donc tous les effets des corps célestes ne sont pas nécessaires.
Conclusion
Tout ce que les corps célestes produisent dans ce monde sublunaire n’arrive pas
nécessairement.
Il
faut répondre que cette question est en partie résolue par ce que nous avons
dit précédemment, mais qu’elle offre cependant encore quelque difficulté. Car
nous avons montré (art. 4) que quoique l’action des corps célestes produise
dans la nature matérielle certaines inclinations, la volonté n’est pas pour
cela contrainte de les suivre, et par conséquent il peut se faire que par son
action propre elle empêche l’effet des corps célestes, non seulement dans
l’homme lui-même, mais encore dans les autres choses auxquelles l’action de
l’homme s’étend. Mais parmi les êtres qui existent dans la nature on ne trouve
aucun principe semblable qui ait la liberté de suivre ou de ne pas suivre
l’influence des corps célestes. D’où il semble résulter qu’au moins dans la
nature tout ce qui arrive est nécessaire selon le raisonnement des anciens
philosophes qui supposaient que tout ce qui existe a
une cause, et que quand on pose la cause l’effet s’ensuit nécessairement. Ce qui
leur faisait conclure que tout arrive nécessairement. Mais Aristote réfute
cette opinion (Met., liv. 6, text. 5), précisément en combattant les deux principes
qu’on lui donnait pour appuis. En effet 1° il n’est pas vrai que du moment où
l’on pose la cause l’effet s’ensuit nécessairement. Car il y a des causes qui
ne produisent pas nécessairement leurs effets, mais qui le plus souvent sont
entravées en partie. Mais comme elles sont entravées que par une autre cause
qui leur fait obstacle, il semble qu’on devrait toujours regarder ces effets
comme nécessaires, puisque l’obstacle qui empêche la cause de se produire agit
lui-même nécessairement. C’est pourquoi il faut observer en second lieu que
tout ce qui existe par soi a une cause, mais ce qui existe par accident n’en a
point, parce que ce n’est pas véritablement un être puisqu’il n’est pas
véritablement un. Car la blancheur a une cause aussi bien que la musique ;
mais une musique blanche n’a pas de cause, parce que ce n’est pas un être
véritable, une chose qui soit réellement une. Or, il est évident qu’une cause
qui empêche l’action d’une autre qui était destinée à produire un effet
déterminé, ne lui est unie que par accident ; d’où il résulte que ce
concours n’étant qu’accidentel n’a pas de cause proprement dite. C’est pourquoi
l’effet qui en résulte ne se rapporte pas à une cause préexistante d’où il
découle nécessairement. Ainsi qu’un corps terrestre embrasé soit produit dans
la partie supérieure de l’air et qu’il tombe ensuite sur cette terre, il a pour
cause la puissance céleste qui l’a engendré. De même, qu’à la surface de la
terre il y ait une matière combustible, on peut la ramener à quelque corps
céleste comme à son principe. Mais si du feu vient à tomber, qu’il rencontre
telle ou telle matière et qu’il la brûle, cet effet est accidentel et il n’a
pas pour cause un corps céleste. Il est donc évident que tous les effets des
corps célestes ne sont pas nécessaires.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
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puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
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évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de
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