Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
1a = Prima Pars =
Première Partie
Question 119 : De
la génération de l’homme par rapport au corps
Après
avoir parlé de la production de l’âme nous avons maintenant à traiter de la
manière dont le corps humain se propage. — A ce sujet deux questions se
présentent : 1° Une partie des aliments se convertit-elle réellement dans
la substance humaine ? (Cette question est de pure psychologie, mais elle
a son côté théologique, parce qu’elle se rattache à la question de l’unité et
de l’identité de l’individu.) — 2° Le principe générateur est-il produit par ce
qu’il y a de superflu dans les aliments ?
Article
1 : Une partie des aliments se convertit-elle en la véritable substance de
la nature humaine ?
Objection
N°1. Il semble qu’aucune partie des aliments ne se change en la substance de la
nature humaine. Car il est dit dans saint Matthieu (15, 17) : Tout ce qui entre dans la bouche descend
dans le ventre et est ensuite rejeté au lieu secret. Or, ce qui est rejeté
ne se transforme pas dans la substance de la nature humaine. Donc aucune partie
de l’aliment ne se transforme en cette substance.
Réponse
à l’objection N°1 : Le Seigneur ne dit pas que tout ce qui entre dans la
bouche est rejeté, mais que dans toute nourriture il y a quelque chose d’impur
que le corps ne doit pas conserver. On peut dire encore que ce que l’aliment
produit peut être absorbé par la chaleur naturelle et s’échapper par les pores
de la peau, comme le dit saint Jérôme dans son commentaire sur ce passage.
Objection
N°2. Aristote (De Gen.,
liv. 1, text. 35 à 37) distingue la chair selon
l’espèce et la matière. Il dit que la chair s’accroît et passe selon la
matière, et que le produit de l’aliment s’accroît et passe aussi. Donc
l’aliment se change en un produit qui est la chair selon la matière et non la
chair selon l’espèce. Or, ce qui appartient à la véritable substance de la
nature humaine, c’est ce qui a rapport à son espèce. Donc l’aliment ne se
change pas en la véritable substance de la nature humaine.
Réponse
à l’objection N°2 : Il y a des philosophes qui ont entendu par la chair
selon l’espèce ce qui vient du générateur et ce qui a primitivement revêtu
l’espèce humaine. Ils disent que celle-ci subsiste toujours, ou du moins tant
que dure l’individu. Par la chair selon la matière ils entendent ce que la
nourriture engendre, et ils disent que celle-là ne subsiste pas toujours, mais
qu’elle se perd comme elle s’acquiert. Mais cette interprétation est contraire
à la pensée d’Aristote (loc. cit.).
Car il dit que dans la chair comme dans les êtres matériels de toute espèce,
tels que le bois et la pierre, il faut distinguer ce qui a rapport à l’espèce
et ce qui a rapport à la matière. Or, d’après l’interprétation que nous venons
d’exposer, cette distinction ne serait cependant pas applicable aux choses
inanimées qui ne se reproduisent pas séminalement et
qui ne vivent pas d’aliments. De plus, comme ce qui est produit par l’aliment
se mêle au corps que l’aliment nourrit de la même manière que l’eau se mêle avec
le vin, suivant l’exemple qu’Aristote cite lui-même (Lib. de Gen., text.
39 et 88), il ne peut se faire que ce que l’aliment produit soit d’une autre
nature que le corps auquel il s’unit, puisque par suite de leur mixtion ils ne
forment plus l’un et l’autre qu’un seul et même être. Il n’y a donc pas de
raison pour que l’un soit absorbé par la chaleur naturelle, tandis que l’autre
reste. Il faut donc dire que cette distinction d’Aristote ne se rapporte pas à
des chairs différentes, mais à la même chair considérée sous divers rapports.
Car si on considère la chair par rapport à l’espèce, c’est-à-dire d’après ce
qu’il y a de formel en elle, en ce sens elle subsiste toujours, parce que la
nature de la chair subsiste toujours ainsi que sa disposition naturelle. Mais
si on la considère par rapport à la matière, elle ne subsiste pas, mais
insensiblement elle est absorbée et réparée, comme on le voit dans le feu d’une
fournaise dont la forme subsiste tandis que la matière est peu à peu consumée
et remplacée par une autre qu’on lui substitue.
Objection
N°3. Ce qui semble appartenir à la véritable substance de la nature humaine,
c’est l’humidité radicale, qui, quand elle est perdue, ne peut plus être
rétablie, comme disent les médecins. Elle pourrait cependant être rétablie, si
l’aliment se transformait en elle. Donc la nourriture ne se change pas en la
véritable substance de la nature humaine.
Réponse
à l’objection N°3 : Par l’humide radical on entend tout ce qui sert de
base à la vertu même de l’espèce. Quand cet élément est détruit on ne peut pas
plus le remplacer qu’on ne peut remplacer une main, un pied ou tout autre
membre après l’amputation. Mais l’humide nutritif est ce qui n’est pas encore
parvenu à recevoir parfaitement la nature de l’espèce, mais qui tend à y
arriver, comme le sang et les autres choses semblables. Par conséquent quand
ces éléments sont détruits il reste encore la vertu radicale de l’espèce qui
n’est pas pour cela anéantie.
Objection
N°4. Si un aliment se transformait en la véritable substance de la nature
humaine, il pourrait rétablir en elle tout ce qui se perd. Or, la mort n’arrive
que par la perte de l’une de ses parties. L’homme pourrait donc, en prenant des
aliments, se mettre à jamais à l’abri de la mort.
Réponse
à l’objection N°4 : Dans un corps passible toute vertu s’affaiblit par la
continuité de son action, parce que ces agents sont eux-mêmes passifs. C’est
pourquoi au début de la vie la vertu de transformation est dans l’homme si
puissante que non seulement elle peut changer en sa substance ce qu’il faut
pour réparer les pertes qu’il fait, mais encore ce qu’il faut pour accroître
son corps. Plus tard elle ne peut transformer en lui-même que ce qu’il faut
pour réparer ses pertes, et alors le corps ne se développe plus. Enfin elle ne
suffit pas à réparer ce qu’il perd, et alors il y a diminution. En dernier lieu
elle ne fonctionne plus, et c’est en ce moment que l’animal meurt. C’est ainsi,
comme le dit encore Aristote (De Gen., liv. 1, text. 88), que
le vin, en transformant l’eau qu’on y mêle, perd insensiblement de sa force
jusqu’à ce qu’il n’ait plus lui-même d’autre vertu que celle de l’eau.
Objection
N°5. Si l’aliment se transformait en la véritable substance de la nature
humaine, il n’y aurait rien dans l’homme qui ne pût s’en
aller et être réparé, parce que ce que l’aliment produirait serait toujours
soumis à ce double mouvement. Si l’homme vivait longtemps, il s’ensuivrait qu’à
la fin de sa vie il n’y aurait matériellement plus rien en lui de ce qui y
était au commencement. Ainsi, pendant toute sa vie il ne resterait pas
numériquement le même homme, parce que pour que l’individu soit numériquement
le même, il faut qu’il y ait identité de matière. Or, cette conséquence
répugne. Donc l’aliment ne se transforme pas en la véritable substance de la
nature humaine.
Réponse
à l’objection N°5 : Comme le dit Aristote (De Gen., liv. 1, text.
39), quand une matière s’enflamme par elle-même on dit alors que le feu vient
d’être nouvellement produit. Quand une matière est absorbée par un feu qui
existait déjà, on dit qu’elle le nourrit. Par conséquent quand une matière
cesse absolument d’être enflammée et qu’une autre matière prend feu, il y a
donc alors un autre feu numériquement. Mais si à mesure que le bois est brûlé
on en jette de l’autre sur la flamme et ainsi de suite jusqu’à ce que les
premiers morceaux soient absolument consumés, le feu reste toujours le même
numériquement, parce que ce qu’on y ajoute le trouve préexistant et ne sert
qu’à l’alimenter. On doit donc penser qu’il en est de même des corps vivants
chez lesquels la nourriture répare ce que la chaleur naturelle absorbe.
Mais
c’est le contraire Saint Augustin dit (Lib.
de verâ relig., chap. 40) : Les aliments
digérés perdent leur forme et deviennent par ce changement le tissu organique
de nos membres. Or, le tissu organique de nos membres appartient à la réalité
de notre nature. Donc les aliments se transforment réellement en notre
substance.
Conclusion
Pour réparer ce que la substance humaine perd par l’effet de sa chaleur
naturelle, il faut nécessairement qu’une partie de l’aliment se change en cette
substance.
Il
faut répondre que, d’après Aristote (Met.,
liv. 2, text. 4), tout ce qui concourt à l’être d’une
chose concourt à sa vérité. Par conséquent, tout ce qui entre dans la
constitution d’une chose appartient à sa vérité. Mais la nature peut se
considérer sous deux aspects : 1° d’une manière générale, et alors on la
considère selon l’espèce ; 2° d’une manière particulière, et alors on la
considère dans l’individu. La vérité de la nature considérée dans l’espèce
comprend la forme et la matière prises en général ; et la vérité de la
nature considérée dans l’individu comprend la matière individuelle et la forme
que cette matière individualise. Ainsi, la nature humaine, considérée dans
l’espèce, comprend l’âme et le corps en général, et quand on la considère dans
Pierre, dans Martin, elle comprend leur âme et leurs corps respectifs. Mais il
y a des êtres dont les formes ne peuvent subsister que dans une seule matière qui
leur est désignée. La forme du soleil, par exemple, ne peut exister que dans la
matière qu’elle renferme en elle actuellement. Selon cette hypothèse il y a des
philosophes qui ont pensé que la forme humaine ne pouvait subsister que dans la
matière primitive dont le corps du premier homme a été formé dès le
commencement (Ce sentiment est celui de Pierre Lombard ; mais toute grave
que soit son autorité, il a été complètement abandonné sur ce point.), de telle
sorte que tout ce que nous acquérons en dehors de ce qu’Adam a transmis à ses
descendants n’appartient pas à la véritable nature humaine, parce qu’elle n’en
revêt réellement pas la forme. La matière dont le premier homme fut formé se
multiplia donc en elle-même, et la multitude des corps humains qui ont existé
est sortie du corps d’Adam. D’après ce sentiment, les aliments ne se changent
point en la véritable substance de la nature humaine. Ils servent seulement,
suivant ces philosophes, de tempérament à l’activité de la chaleur naturelle
qui sans cela consumerait les humeurs constitutives, comme le plomb ou l’étain
s’allie à l’argent pour l’empêcher d’être consumé par le feu. Mais ce sentiment
est déraisonnable pour plusieurs raisons : 1° Parce que si une forme peut
se détacher de la matière qui lui est propre elle peut au même titre s’attacher
à une autre matière ; c’est pour ce motif que tous les êtres engendrés
sont corruptibles et réciproquement. Or, il est évident que la forme humaine
peut se détacher de la matière qui est son sujet, autrement le corps humain ne
serait pas corruptible. Il s’ensuit donc qu’elle peut s’attacher à une autre
matière, et par conséquent qu’un nouvel élément peut entrer dans la substance
véritable de la nature humaine. 2° Parce que dans tous les êtres dont la
matière est comprise tout entière sous un seul individu, il n’y a que cet
individu dans l’espèce, comme on le voit pour le soleil, la lune, etc. Dans
cette hypothèse il ne devrait y avoir dans l’espèce humaine qu’un seul
individu. 3° Parce qu’on ne peut considérer la multiplication de la matière que
sous le rapport de la quantité exclusivement, comme il arrive dans les corps
raréfiés, dont la matière reçoit des dimensions plus grandes, ou sous le
rapport de la substance matérielle. Or, tant que la même substance matérielle reste
seul on ne peut pas dire qu’elle soit multipliée. Car le même être ne constitue
pas à l’égard de lui-même la multiplicité, puisque toute multitude est
nécessairement le produit de la division. Il faut donc qu’une autre substance
s’ajoute à la matière, soit par la création, soit par la transformation d’une
autre substance en elle. D’où il résulte qu’une matière ne peut être multipliée
que par la raréfaction, comme quand avec de l’eau on produit de l’air, ou par
l’addition, comme quand on multiplie le feu en y jetant du bois ; ou par
la création d’une matière nouvelle. Il est évident que la matière ne peut se
multiplier dans les corps humains par la raréfaction, puisque dans ce cas les
corps des hommes mûrs seraient plus imparfaits que ceux des enfants. Elle ne se
multiplie pas non plus par la création d’une matière nouvelle, puisque, d’après
saint Grégoire (Mor., liv. 32, chap. 9), tous les corps ont
été créés en même temps pour ce qui est de la substance de la matière,
quoiqu’ils n’aient pas été formés en même temps chacun dans leur espèce. Ainsi,
le corps humain ne se multiplie donc qu’autant que l’aliment qu’il reçoit ne se
transforme dans la réalité de sa substance. 4° L’homme ne différant pas des
animaux et des plantes sous le rapport de l’âme végétative, il s’ensuivrait que
les corps des animaux et des plantes ne se multiplieraient pas par la
transformation des aliments qu’ils reçoivent, mais par un procédé qui ne
pourrait être naturel, puisque la matière ne s’étend naturellement que jusqu’à
une certaine limite, et qu’une chose ne peut croître au-delà qu’autant qu’on la
raréfie ou qu’elle transforme en elle-même d’autres êtres. Ainsi l’œuvre de la
génération et celle de la nutrition, qui sont des
œuvres naturelles, seraient un miracle constant, ce qui répugne absolument. —
D’autres ont dit que la forme humaine peut à la vérité se produire de nouveau
dans une autre matière, si on considère la nature de l’homme en général, mais
qu’il n’en est pas ainsi si on la considère dans l’individu. Car, disent-ils,
la forme humaine reste fixe dans la matière particulière à laquelle elle s’est
attachée lorsque l’individu a été engendré, de telle sorte qu’elle ne
l’abandonne plus jusqu’au dernier terme de la corruption organique. A leur sens
voilà la matière qui appartient véritablement à la quiddité ou l’essence de la
nature humaine. Mais comme cette matière ne suffit pas au développement que le
corps doit prendre, il faut qu’une autre matière vienne s’adjoindre à elle par
la transformation de l’aliment en la substance de celui qui s’en nourrit. Ils
prétendent que cette matière nouvelle n’appartient que secondairement à la
véritable substance de la nature humaine, parce qu’elle n’est pas nécessaire
pour la formation de l’être primitif de l’individu, mais seulement pour son
accroissement. Si l’aliment produit autre chose, ce qu’il produit n’appartient
pas à la vérité de la nature humaine, à proprement parler. Mais cette thèse
n’est pas plus soutenable que la première : 1° Parce qu’elle juge des
corps vivants de la même manière que des corps inanimés qui ont la vertu
d’engendre des êtres qui leur ressemblent selon l’espèce, mais non selon
l’individu. Il n’y a que les êtres organiques qui aient ce privilège, et ils le
doivent à leur faculté nutritive. La nutrition n’ajouterait donc rien aux corps
organiques, si les aliments ne pouvaient être convertis en leur substance. 2°
Parce que la vertu active qui est dans la semence génératrice est une
impression qui dérive de l’âme du générateur, comme nous l’avons dit (quest. préc., art.
1). Elle ne peut donc pas avoir en agissant plus de vertu que l’âme elle-même
dont elle dérive. Par conséquent, si la vertu séminale donne réellement à une
matière la forme de la nature humaine, l’âme peut à plus forte raison, par le
moyen de ses facultés nutritives, transformer l’aliment en la véritable
substance de l’homme. 3° Parce que le corps n’a pas seulement besoin de
nourriture pour se développer, autrement la nourriture ne serait plus
nécessaire une fois qu’il serait arrivé à son parfait développement, mais il en
a encore besoin pour réparer ce qu’il perd par l’action de la chaleur naturelle
(Le chaud et le froid, le sec et l’humide sont les quatre qualités naturelles
d’après lesquelles Hippocrate explique toute l’organisation humaine. Aristote
en a fait des applications très ingénieuses dans son petit traité De la longévité et de la brièveté de la vie,
chap. 5). Or, cette réparation n’aurait pas lieu si ce que l’aliment produit ne
se substituait aux pertes que le corps fait. Ainsi, comme ce qui a
primitivement existé appartient à la véritable substance de la nature humaine,
de même ce que l’aliment produit y appartient également. Il faut donc dire avec
les autres philosophes que les aliments se changent véritablement dans la
substance de la nature humaine, en ce sens qu’ils peuvent devenir chair, os,
etc. C’est la pensée qu’exprime Aristote quand il dit (De animâ, liv. 2, text.
46), que l’aliment nourrit parce qu’il
est chair en puissance.
Article
2 : La semence est-elle produite par ce qu’il y a de superflu dans les
aliments ?
Objection
N°1. Il semble que la semence n’est pas produite par ce qu’il y a de superflu
dans les aliments, mais de la substance du générateur. Car saint Jean Damascène
dit (De fid. orth., liv. 1, chap. 8) que la génération
est l’ouvrage de la nature, qui produit, à partir de la substance du
générateur, ce qui est engendré. Or, ce qui est engendré est produit depuis la
semence. Par conséquent la semence est produite par ce qu’il y a de superflu
dans les aliments.
Réponse
à l’objection N°1 : La génération provient de la substance du générateur
dans les animaux et les plantes, étant donné que la semence doit sa vertu à la
forme du générateur, et dans la mesure où elle est en potentialité dans la
substance.
Objection
N°2. Le fils est comme son père, en ce qui concerne ce qu’il reçoit de lui. Or,
si la semence qui génère quelque chose est produite par ce qu’il y a de
superflu dans les aliments, un homme ne recevrait rien de son grand-père ni de
ses ancêtres dans lesquels la nourriture n’a jamais existé. Un homme ne serait
donc pas plus semblable à son grand-père ou à ses ancêtres qu’à un homme
quelconque.
Réponse
à l’objection N°2 : La similitude du générateur dans l’engendré ne
provient pas de la matière, mais de la forme de l’agent qui engendre ce qui lui
ressemble. C’est pour cette raison que, afin qu’un homme soit comme son
grand-père, il n’y a nul besoin que la matière séminale corporelle se soit
trouvée dans le grand-père, mais qu’il y ait dans la semence une vertu dérivant
de l’âme du grand-père par le père.
Objection
N°3. La nourriture du générateur est quelquefois la chair des vaches, des
cochons et autres animaux de ce genre. Par conséquent, si la semence était
produite par ce qu’il y a de superflu dans les aliments, l’homme généré par une telle semence ressemblerait plus à la vache
et au cochon qu’à son père et aux autres membres de sa famille.
Réponse
à l’objection N°3 : On peut répondre de la même manière que pour la
réponse précédente, car la parenté n’est pas en relation avec la matière, mais
elle dérive plutôt des formes.
Objection
N°4. Saint Augustin dit (Sup. Gen. ad litt.,
liv. 10, chap. 20) que « nous étions en Adam, non seulement par la vertu
séminale, mais aussi dans la substance même du corps ». Or, ce ne serait
pas le cas si la semence était produite par ce qu’il y a de superflu dans les
aliments. La semence n’en est donc pas produite.
Réponse
à l’objection N°4 : Ces mots de saint Augustin ne doivent pas être compris
comme si la vertu séminale immédiate, ou la substance corporelle de laquelle
l’individu a été formé, était vraiment en Adam ; mais afin que les deux
furent présentes en Adam comme son principe. Car même la matière corporelle,
qui a pour origine la mère, et qu’il nomme la substance corporelle est dérivée
originellement d’Adam ; et il en est de même de la puissance séminale
active du père, qui est la vertu séminale immédiate de cet homme. Or, on dit
que le Christ a été présent en Adam selon la substance corporelle, et non selon
la vertu séminale, parce que la matière d’où son corps a été formé et qui a
pour origine la Vierge Mère, était dérivée d’Adam ; tandis que la vertu
active n’en provenait pas, car son corps n’a pas été formé par la vertu
séminale d’un homme, mais par l’opération du Saint-Esprit. Car une telle
naissance était digne de lui, qui est au-dessus de tout dieu ; qu’il soit
béni à jamais pour les siècles des siècles. Amen.
Mais
c’est le contraire Aristote prouve de diverses façons (De Gen. anim., liv. 1, chap.
18) que « la semence provient de ce qu’il y a de superflu dans les
aliments ».
Conclusion
Comme la semence est ce qui est engendré depuis les aliments qui sont convertis
dans la substance des membres, il est dit à bon droit que la semence provient
de ce qu’il y a de superflu dans les aliments et qu’elle ne provient pas
nécessairement d’une partie des aliments.
Il
faut répondre que cette question dépend d’une certaine manière de ce qui a été
dit plus haut (art. 1 et quest. 118, art. 1). Car si la nature humaine a une
vertu pour la communication de sa forme à une matière étrangère non seulement
en une autre, mais aussi en son propre sujet ; il est manifeste que la
nourriture, qui lui est dissemblable au commencement, lui devient similaire sur
la durée par la forme qui lui est communiquée. Or, il appartient à l’ordre
naturel qu’une chose passe d’une potentialité au fait d’agir graduellement.
Ainsi, dans les choses générées, nous observons qu’au commencement chacune est
imparfaite et se perfectionne par la suite. Cependant il est évident que le
commun est au propre et au déterminé ce que l’imparfait est au parfait ; nous
voyons donc que dans la génération d’un animal, l’animal est engendré en
premier, puis l’homme ou le cheval. Ainsi et par conséquent, la nourriture reçoit
avant tout une certaine puissance commune en ce qui concerne toutes les parties
du corps, laquelle puissance détermine ultérieurement telle ou telle partie. Or,
il n’est pas possible que la semence soit une espèce de solution de ce qui a
déjà été transformé dans la substance des membres. Pour cette solution, si elle
ne garde pas la nature du membre d’où elle e a été prise, ce ne serait plus la
nature du générateur, et cela entraînerait un processus de corruption ; et
par conséquent elle n’aurait plus la puissance de transformer quelque chose
d’autre en la ressemblance de cette nature. Mais si elle gardait la nature du
membre d’où elle a été prise, alors, puisqu’elle serait limitée à une certaine
partie du corps, elle n’aurait pas la puissance de produire la nature complète,
mais seulement la nature de cette partie. A moins que quelqu’un soutienne que
la solution soit prise de toutes les parties du corps, et qu’elle garde la
nature de chaque partie. De cette manière, la semence serait un petit animal en
acte ; et la génération de l’animal depuis l’animal serait une simple
division, comme la boue est engendrée de la boue, et comme les animaux qui
continuent à vivre après avoir été coupés en deux. Ceci est inadmissible. Il
nous reste donc à dire que la semence n’est pas séparée de ce qui était
auparavant un tout ; ou seulement en potentialité, ayant la puissance et
provenant de l’âme du générateur, afin de produire le corps entier, comme nous
l’avons dit (art. 1). Or, ce qui est en potentialité dans le tout, est ce qui
est engendré par la nourriture, avant d’être transformé dans la substance des
membres. Par conséquent, la semence en est prise. Dans ce sens, on dit que la
puissance nutritive sert la puissance génératrice : parce que ce qui a été
transformé par la puissance nutritive est employée en tant que semence par la
puissance génératrice. C’est pourquoi, selon Aristote (De Gen. anim., liv. 1, chap.
18), les animaux de grande taille, qui ont besoin de beaucoup de nourriture,
ont une petite semence par rapport à la taille de leur corps, et sont rarement
engendrés ; il en est de même avec les hommes qui sont gros, pour la même
raison.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous
puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune
évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de
la morale catholique et des lois justes.