Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

2a 2ae = Secunda Secundae = 2ème partie de la 2ème Partie

Question 1 : De la foi

 

            A l’égard des vertus théologales, nous avons à nous occuper : 1° de la foi ; 2° de l’espérance ; 3° de la charité. — Touchant la foi il y a quatre choses à considérer : 1° la foi elle-même ; 2° les dons d’intelligence et de science qui lui correspondent ; 3° les vices qui lui sont opposés ; 4° les préceptes qui appartiennent à cette vertu. — Quant à la foi elle-même nous devons examiner : 1° son objet ; 2° son acte ; 3° l’habitude même de la foi. — Sur l’objet de la foi dix questions se présentent : 1° L’objet de la foi est-il la vérité première ? (Par vérité première il faut entendre ici Dieu tel que nous le connaissons surnaturellement. Car tout le monde avoue que l’on peut connaître Dieu naturellement par le secours seul de la raison.) — 2° L’objet de la foi est-il quelque chose de complexe ou d’incomplexe, c’est-à-dire une chose ou une proposition ? (La différence qu’il y a entre la science et la foi ne provient pas de ce que l’une s’exprime d’une façon et l’autre d’une autre, mais elle repose tout entière sur la diversité des motifs de crédibilité. La foi a pour motif l’autorité de celui qui parle, et la science a pour motif la vérité du principe dont elle tire une conséquence.) — 3° La foi peut-elles e rapporter à une chose fausse ? (La vérité de la foi est proclamée par tous les Pères et les conciles. C’est là le fondement de toute la tradition catholique. Le concile de Trente part de là pour prouver, contre Luther, qu’on n’était pas obligé de croire comme une chose de foi qu’on est en possession de la grâce (sess. VI, chap. 9) : Nullus scire valet certitudine fidei, cui non potest subesse falsum, se gratiam Dei esas(?) consecutum.) — 4° L’objet de la foi est-il quelque chose de visible ? (L’objet de la science doit être clair, parce que le motif pour lequel on admet scientifiquement une chose, c’est l’évidence. L’objet de la foi est obscur en lui-même, parce que la foi a pour motif l’autorité et la véracité de Dieu, qui nous révèle ce que nous devons croire. L’obscurité ne doit pas plus porter sur le motif de la foi que sur celui de la science ; c’est-à-dire que pour croire il faut qu’il nous soit clairement démontré que Dieu a parlé et qu’il a dit telle ou telle chose.) — 5° Peut-il être une chose sue ? (Cet article bien médité peut jeter un grand jour sur les rapports de la science et de la foi, et donner la clef de plusieurs erreurs dans lesquelles des controversistes modernes sont tombés.) — 6° Les choses que l’on doit croire doivent-elles être distinguées positivement par articles ? (Les apôtres et les conciles ont distingué divers articles de foi pour faciliter l’instruction des fidèles et pour qu’ils aient une profession de foi uniforme à opposer aux hérétiques. Le concile de Fréjus indique cette raison (chapitre 1).) — 7° La foi a-t-elle dans tous les temps compris le même nombre d’articles ? (Cet article nous montre dans quel sens il faut admettre le progrès quand il s’agit de l’enseignement de la foi. On peut voir à ce sujet le Commonitorium de saint Vincent de Lérins. Personne n’a traité cette question avec plus de clarté, de profondeur et de précision.) — 8° Du nombre des articles de foi. —cc 9° De la manière dont les articles de foi sont exprimés dans le symbole. (Les principaux symboles que tout le monde reçoit sont ceux des apôtres, de Nicée et de Constantinople.) — 10° A qui appartient-il de dresser un symbole de foi ? (Ce serait ici le lieu de parler des règles de la foi, du juge des controverses et de toutes les questions soulevées par les protestants au sujet de l’Eglise. Saint Thomas ne s’occupe pas de ces questions qui n’étaient pas de son temps ; il se contente de reconnaître l’infaillibilité du souverain pontife.)

 

Article 1 : L’objet de la foi est-il la vérité première ?

 

            Objection N°1. Il semble que l’objet de la foi ne soit pas la vérité première. Car il nous paraît que l’objet de la foi est qu’on nous propose à croire. Or, on nous propose à croire non-seulement ce qui appartient à la Divinité, qui est la vérité première, mais aussi ce qui regarde l’humanité du Christ, les sacrements de l’Eglise et la destinée des créatures. Donc il n’y a pas que la vérité première qui soit l’objet de la foi.

            Réponse à l’objection N°1 : Ce qui regarde l’humanité du Christ, les sacrements de l’Eglise et toutes les créatures est du domaine de la foi, en ce sens que toutes ces choses nous élèvent à Dieu, et que nous y croyons à cause de la vérité divine.

 

            Objection N°2. La foi et l’infidélité se rapportent au même objet, puisque ce sont deux choses opposées. Or l’infidélité peut exister à l’égard de tout ce que l’Ecriture renferme ; car l’homme passe pour infidèle, s’il nie quelques-unes de ces choses. Donc la foi a aussi pour objet tout ce qui est renfermé dans les saintes Ecritures. Et comme les Ecritures renferment beaucoup de choses sur l’homme et sur les autres créatures, il s’ensuit que l’objet de la foi n’est pas seulement la vérité première, mais encore la vérité créée.

            Réponse à l’objection N°2 : Il faut répondre de même qu’à la question précédente, à l’égard de toutes les choses qui sont renfermées dans la sainte Ecriture.

 

            Objection N°3. La foi et les charités sont les parties d’une même division, comme nous l’avons dit (1a 2æ, quest. 62, art. 3). Or, par la charité non seulement nous aimons Dieu qui est la bonté souveraine, mais nous encore le prochain. Donc l’objet de la foi n’est pas seulement la vérité première.

            Réponse à l’objection N°3 : La charité aime aussi le prochain par rapport à Dieu ; par conséquent son objet propre est Dieu lui-même, comme nous le dirons (quest. 25, art. 1).

 

            Mais c’est le contraire. Saint Denis dit (De div. nom, chap. 7) que la foi a pour objet la vérité simple qui est toujours existante. Donc l’objet de la foi est la vérité première.

 

            Conclusion Puisque la foi n’embrasse que ce qui a rapport à Dieu, la vérité première est son objet formel, c’est en vertu d’elle que nous donnons notre assentiment aux choses qui sont de foi ; mais l’objet matériel de la foi est ce que les fidèles croient.

            Il faut répondre que l’objet de toute habitude cognitive renferme deux choses : ce qui est matériellement connu ; et c’est là ce qui en est l’objet matériel ; puis le moyen par lequel on connaît, et c’est ce qu’on appelle la raison formelle de l’objet. C’est ainsi qu’en géométrie, les conséquences sont les choses qu’on sait matériellement, tandis que la raison formelle de la science sont les moyens de démonstration par lesquels on arrive à la connaissance de ces conclusions. Par conséquent, à l’égard de la foi, si nous considérons la raison formelle de l’objet, elle n’est rien autre chose que la vérité première. Car la foi dont nous parlons n’adhère à une chose que parce que Dieu l’a révélée (Ainsi le motif de la foi est l’autorité et la véracité de Dieu, qui a révélé toutes les vérités que nous croyons. L’Eglise ne fait que nous proposer ces vérités, en distinguant ce qui est révélé de ce qui ne l’est pas.). La foi repose donc sur la vérité divine elle-même, comme sur son moyen. Mais si nous considérons matériellement les choses auxquelles la foi donne son assentiment, il n’y a pas que Dieu qui soit l’objet de cette vertu, mais il y a encore beaucoup d’autres choses ; cependant elles ne sont du domaine de la foi qu’autant qu’elles se rapportent à Dieu (Dieu est l’objet premier de la foi, et elle embrasse les autres vérités révélées, en ce sens qu’elles sont toutes soumises dans l’ordre de nos perceptions et de nos connaissances à la véracité divine.), c’est-à-dire selon qu’elles viennent de la Divinité pour aider l’homme à parvenir à la béatitude. C’est pourquoi, même sous ce rapport, l’objet de la foi est en quelque sorte la vérité première, parce que la foi n’embrasse que ce qui se rapporte à Dieu. C’est ainsi que la santé est l’objet de la médecine, parce que la médecine ne s’occupe que de ce qui a rapport à la santé.

 

Article 2 : L’objet de la foi est-il quelque chose de complexe à la manière de tout ce qui fait l’objet d’une proposition ?

 

            Objection N°1. Il semble que l’objet de la foi ne soit pas quelque chose de complexe à la manière de ce qui entre dans une proposition. Car l’objet de la foi est la vérité première, comme nous l’avons dit (art. préc.). Or, la vérité première est incomplexe. Donc l’objet de la foi l’est aussi.

            Réponse à l’objection N°1 : Cette raison s’appuie sur l’objet de la foi considéré par rapport à la chose qui est crue.

 

            Objection N°2. L’exposition de la foi est renfermée dans le symbole. Or, dans le symbole il n’y a pas de propositions, mais des choses. Car on ne dit pas que Dieu est tout-puissant ; mais je crois en Dieu tout-puissant. Donc l’objet de la foi n’est pas une proposition mais une chose.

            Réponse à l’objection N°2 : Dans le symbole on expose les choses qui sont de foi, selon qu’elles sont le terme de l’acte de celui qui les croit, comme on le voit d’après la manière de s’exprimer. Or, l’acte de celui qui croit n’a pas pour terme la proposition, la chose que la proposition exprime. Car nous ne formons des propositions que pour arriver à la connaissance des choses ; ce qui est vrai de la science aussi bien que de la foi (C’est ce que suppose le concile de Trente quand il dit : Fideis dogmata excussimus ; fidei expositionem sububjecimus, proposita primum ea quæ per sanctes Patres Niceæ, etc.).

 

            Objection N°3. La vision succède à la foi, d’après ces paroles de l’Apôtre (1 Cor., 13, 12) : Nous ne voyons Dieu maintenant que comme un miroir et en énigme, mais alors nous le verrons face à face ; je ne connais Dieu qu’imparfaitement, mais alors je le connaîtrai comme je suis moi-même connu. Or, la vision céleste a pour objet ce qui est incomplexe, puisqu’elle se rapporte à l’essence divine elle-même. Donc il en est de même de la foi ici-bas.

            Réponse à l’objection N°3 : La vision céleste aura pour objet la vérité première selon qu’elle existe en elle-même, d’après ces paroles de saint Jean (1 Jean, 3, 2) : Nous savons que quand il apparaîtra nous serons semblables à lui, et que nous le verrons comment il est. C’est pourquoi cette vision n’existera pas par manière de proposition, elle sera l’effet de l’intelligence pure et simple. Mais par la foi nous ne percevons pas la vérité première telle qu’elle est en elle-même. Il n’y a donc pas de parité.

 

            Mais c’est le contraire. La foi tient le milieu entre la science et l’opinion. Or, le milieu et les extrêmes sont du même genre. Donc, puisque la science et l’opinion ont pour objet des propositions, il semble qu’il en soit de même de la foi, et par conséquent, puisque l’objet de la foi se rapporte à des propositions, il est complexe.

 

            Conclusion Puisque l’entendement humain d’une manière complexe les choses qui sont simples par elles-mêmes, l’objet de la foi, quoiqu’il soit incomplexe en lui-même, est cependant par rapport à celui qui croit quelque chose de complexe, susceptible d’être exprimé par une proposition.

           Il faut répondre que les choses connues sont dans celui qui les connaît, son mode de connaissance. Or, le mode propre de l’entendement humain c’est de connaître la vérité en composant et en divisant, comme nous l’avons dit (1a pars, quest. 85, art. 5). C’est pourquoi l’entendement connaît d’une manière complexe les choses qui sont simples par elles-mêmes. Ainsi l’objet de la foi peut donc se considérer de deux manières : 1° par rapport à la chose crue ; en ce sens l’objet de la foi est quelque chose d’incomplexe, puisque c’est la chose même que l’on croit ; 2° par rapport au sujet qui croit, et alors l’objet de la foi est quelque chose de complexe à la manière de tout ce qui est susceptible d’être exprimé par une proposition. Les anciens ont donc pu soutenir avec raison ces deux sentiments, puisqu’ils sont vrais l’un et l’autre sous certains rapports.

 

Article 3 : La foi peut-elle se rapporter à une chose fausse ?

 

            Objection N°1. Il semble que la foi puisse se rapporter à une chose fausse. Car la foi, l’espérance et la charité sont les parties d’une même division. Or l’espérance peut porter sur une chose fausse, car il y en a beaucoup qui espèrent la vie éternelle qu’ils n’auront pas. Il en est de même de la charité, car il y a beaucoup d’hommes que l’on aime comme bons et qui cependant ne le sont pas. Donc la foi peut se rapporter à une chose fausse.

            Réponse à l’objection N°1 : Comme le vrai est le bien de l’intellect, mais qu’il n’est pas le bien de la puissance appétitive, il s’ensuit que toutes les vertus qui perfectionnent l’intelligence excluent totalement l’erreur. Car il est de l’essence de la vertu qu’elle ne rapporte qu’au bien. Mais les vertus qui perfectionnent la partie appétitive de l’âme n’excluent pas complètement la fausseté (Le bon étant leur objet propre, elles peuvent errer par accident à l’égard du vrai, tandis que la foi ayant le vrai pour objet propre elle ne peut pas errer par accident à son égard.). En effet on peut agir conformément à la justice ou à la tempérance, tout en ayant une opinion fausse sur la chose à l’égard de laquelle on agit. Ainsi puisque la foi perfectionne l’intellect, tandis que l’espérance et la charité perfectionnent la partie appétitive, il n’y a pas de parité à établir entre ellesToutefois l’espérance ne porte pas sur une chose fausse. Car un individu n’espère pas obtenir la vie éternelle par sa propre puissance (ce qui serait l’effet de la présomption), mais il se repose sur le secours de la grâce, et s’il persévère en elle il arrivera certainement et infailliblement à la vie éternelle. De même le propre de la charité est d’aimer Dieu partout où il se trouve. Par conséquent il n’importe pas à la charité si Dieu réside réellement dans celui qu’on aime à cause de lui.

 

            Objection N°2. Abraham a cru que le Christ naîtrait, d’après ces paroles de saint Jean (Jean, 8, 54) : Abraham votre père a désiré avec ardeur de voir mon jour ; il l’a vu et il a été comblé de joie. Or, après la mort d’Abraham Dieu pouvait ne pas s’incarner, puisqu’il n’a dépendu que de sa volonté de prendre notre chair, et par conséquent ce qu’Abraham a cru du Christ aurait été faux. Donc la foi peut avoir pour objet une chose fausse.

            Réponse à l’objection N°2 : Absolument parlant il eût été possible que Dieu ne s’incarnât pas, même après la mort d’Abraham ; mais si l’on considère l’incarnation comme ayant été l’objet de la prescience divine, elle était, sous ce rapport, nécessaire (Elle était nécessaire d’une nécessité hypothétique, mais non d’une nécessité absolue.), infaillible, comme nous l’avons dit (1a pars, quest. 14, art. 13 et 15), et c’est en ce sens qu’elle est l’objet de la foi. Par conséquent, selon que l’incarnation était l’objet de la foi, elle ne pouvait être une chose fausse.

 

Objection N°3. Les anciens not cru que le Christ naîtrait, et cette foi a été celle d’une multitude de personnes jusqu’à la prédication de l’Evangile. Or, une fois que le Christ fut né, même avant qu’il eut commencé à prêcher il était faux de croire qu’il naîtrait. Donc la foi peut avoir pour objet une chose fausse.

            Réponse à l’objection N°3 : Après la naissance du Christ, il était de foi que le Christ était né ; mais quant à la détermination de l’époque de sa naissance, sur laquelle on se trompait, ce n’était pas une chose de foi ; c’était un point que la science humaine devait décider. Car il est possible qu’un homme de foi se trompe sur les choses qui dépendent des calculs humains, mais il est impossible que la foi lui fasse croire une chose fausse.

 

            Objection N°4. Un des articles de foi c’est que l’on croie que dans le sacrement de l’autel le corps du Christ existe véritablement. Or, il peut arriver que la consécration n’ait pas été faite selon les règles, que le vrai corps du Christ ne soit pas là et qu’il y ait du pain. Donc la foi peut avoir pour objet une chose fausse.

            Réponse à l’objection N°4 : La foi de celui qui croit ne se rapporte pas à telles ou telles espèces sacramentelles en particulier, mais il croit que le corps du Christ existe véritablement sous les apparences du pain, quand la consécration a été bien faite. Par conséquent, si la consécration est mal faite, la foi ne rapporte pas cela pour une chose fausse (Il n’y a donc dans ce cas qu’une erreur de fait absolument étrangère à la question de droit.).

 

            Mais c’est le contraire. Aucune des vertus qui perfectionnent l’intelligence ne se rapporte à ce qui est faux, puisque l’erreur est le mal de l’entendement, comme le prouve Aristote (Eth., liv. 6, chap. 2). Or, la foi est une vertu qui perfectionne l’intelligence, comme nous le verrons (quest. 4, art. 2 et 4). Donc elle ne peut avoir ce qui est faux pour objet.

           

Conclusion Puisque l’objet formel de la foi est la vérité première, elle ne peut avoir pour objet aucune chose fausse.

            Il faut répondre qu’aucune chose ne se rapporte à une puissance, à une habitude ou même à un acte que par l’intermédiaire de la raison formelle de l’objet : ainsi on ne peut voir la couleur que par la lumière, et on ne peut connaître une conséquence que par le moyen d’une démonstration. Or, nous avons dit (art. 1) que la raison formelle de l’objet de la foi est la vérité première ; par conséquent une chose ne peut appartenir à la foi qu’autant qu’elle appartient à la vérité première qui est incompatible avec l’erreur, comme le non-être avec l’être, le mal avec le bien. D’où il résulte que la foi ne peut avoir pour objet une chose fausse.

 

Article 4 : L’objet de la foi peut-il être une chose qu’on voit ?

 

            Objection N°1. Il semble que l’objet de la foi soit ce que l’on a vu. Car Notre Seigneur dit à Thomas (Jean, 20, 27) : Parce que vous m’avez vu, Thomas, vous avez cru. Donc la vision et la foi ont le même objet.

            Réponse à l’objection N°1 : Thomas a vu une chose et il en a cru une autre. Il a vu l’homme, et il a reconnu et proclamé la divinité du Christ en disant : Vous êtes mon Seigneur et mon Dieu.

 

            Objection N°2. L’Apôtre dit (1 Cor., 13, 12) : Nous voyons maintenant dans un miroir et en énigme. Il parle en cet endroit de la connaissance de la foi. Donc on voit ce qu’on croit.

            Réponse à l’objection N°2 : On peut considérer de deux manières les choses qui sont l’objet de la foi. 1° On peut les considérer en particulier, et alors on ne peut pas tout à la fois les voir et les croire, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.). 2° On peut les considérer en général, c’est-à-dire comme des choses qui sont dignes d’être crues, et de cette manière elles sont vues par celui qui les croit (Il ne les voit pas en elles-mêmes par une évidence intrinsèque, mais il les voit d’une évidence extrinsèque, en raison des témoignages sur lesquels elles reposent.). Car il ne les croirait pas s’il ne voyait pas qu’on doit les croire, soit à cause de l’évidence des miracles, soit pour d’autres raisons.

 

            Objection N°3. La foi est une lumière spirituelle. Or, avec une lumière on voit quelque chose. Donc la foi a pour objet ce que l’on voit.

            Réponse à l’objection N°3 : La lumière de la foi fait voir ce qu’on croit. Car, comme au moyen des habitudes des autres vertus, l’homme voit ce qui lui convient par rapport à chacune de ces habitudes, de même l’habitude de la foi porte son esprit à s’attacher à tout ce qui est conforme à la vraie foi, mais non au reste.

 

            Objection N°4. Tous les sens reçoivent le nom de vue, comme le dit saint Augustin (Lib. de verb. Dom., serm. 33, chap. 5). Or, la foi vient de ce que l’on entend, d’après cette parole de l’Apôtre (Rom., 10, 17) : La foi vient de l’ouïe. Donc la foi a pour objet les choses que l’on voit.

            Réponse à l’objection N°4 : L’ouïe se rapporte aux paroles qui expriment ce qui est de foi (L’ouïe nous fait percevoir l’objet matériel de la foi, et nous apprend ainsi quelles sont les choses que Dieu a révélées. Mais nous n’en percevons pour cela l’évidence.), mais non aux choses elles-mêmes auxquelles la foi se rapporte. Par conséquent il n’est pas nécessaire que l’on voie ces choses.

 

            Mais c’est le contraire. Saint Paul dit (Héb., 11, 1) que la foi est l’argument des choses qu’on ne voit pas.

 

            Conclusion Puisque, la foi, d’après le témoignage de l’Apôtre, se rapporte aux choses qu’on ne voit pas, il ne peut pas se faire que l’objet de la foi soit quelque chose de visible.

            Il faut répondre que la foi implique l’assentiment de l’intelligence à ce qu’on croit. Or, l’intelligence adhère à une chose de deux manières : 1° Parce qu’elle y est poussée par l’objet qui est ou connu par lui-même, comme les premiers principes auxquels se rapporte l’entendement, ou connu par un autre, comme les conclusions qui sont du domaine de la science. 2° L’intelligence adhère à une chose non parce qu’elle est mue suffisamment par son objet propre, mais par suite du libre choix de la volonté qui se porte d’un côté plutôt que d’un autre. Quand il y a doute et qu’on craint de se tromper dans le parti qu’on embrasse, il y a opinion ; mais si l’on est sûr et qu’on n’ait aucune crainte (Du moment où l’on est sûr que Dieu a révélé tel ou tel dogme, on ne peut pas se refuser de l’admettre, sous prétexte qu’on ne le comprend pas. Sa véracité nous délivre de toute crainte d’erreur ; et l’impuissance où nous sommes de comprendre sa parole accuse seulement la faiblesse de notre intelligence.), alors la foi existe. Or, nous ne voyons que les choses qui frappent par elles-mêmes notre intelligence ou nos sens et qui se font ainsi connaître. Par conséquent il est évident que ni la foi, ni l’opinion ne peuvent avoir pour objet ce que l’on voit au moyen des sens ou de l’intelligence.

 

Article 5 : Les choses qui sont de foi peuvent-elles être du domaine de la science ?

 

            Objection N°1. Il semble que les choses qui sont de foi peuvent être sues. Car les choses qu’on ne sait pas, on les ignore, puisque l’ignorance est contraire à la science. Or, les choses qui sont de foi ne sont pas ignorées ; car leur ignorance produit l’infidélité, d’après ces paroles de l’Apôtre (1 Tim., 1, 13) : J’ai fait toutes ces choses dans l’espérance, n’ayant pas la foi. Donc les choses qui sont de foi peuvent être sues.

            Réponse à l’objection N°1 : Les infidèles ignorent les choses qui sont de foi, parce qu’ils ne les voient pas en eux-mêmes et qu’ils ne savent pas qu’on doit les croire. Mais en ce sens les fidèles les connaissent non comme s’ils en avaient la démonstration, mais parce que la lumière de la foi leur montre qu’il faut les croire, comme nous l’avons dit (art. préc., réponse N°2 et 3).

 

            Objection N°2. La science s’acquiert par des raisons. Or, les saints Pères apportent des raisons pour établir les choses qui sont de foi. Donc les choses qui sont de foi peuvent être sues.

Réponse à l’objection N°2 : Les raisons que les saints Pères apportent pour prouver les choses qui sont de foi ne sont pas démonstratives, ce sont des inductions qui montrent qu’il n’y a rien d’impossible dans ce que la foi nous propose (Ils se bornent à réfuter les objections qu’on leur oppose. Pour la démonstration des vérités de foi, il ne faut pas s’écarter de ce principe établi par le concile de Trente (sess. 18 : Causas controversæ secundum sacram Scripturam, apostolicas traditiones, probata, concilia, catholica Ecclesiæ consensum et sanctorum Patrum auctoritates tractentur.), ou bien ces raisonnements s’appuient sur les principes mêmes de la foi, c’est-à-dire sur l’autorité des saintes Ecritures, comme le dit saint Denis (De div. nom., chap. 2). En partant de ces principes on fait une démonstration invincible à l’égard des fidèles (Ces arguments sont ce qu’on appelle dans l’Ecole des arguments ad hominem, et c’est là le caractère général de la controverse soutenue contre les protestants dans les traités des théologiens de Ecclesia.), comme en partant des principes qui nous sont naturellement connus, on fait une démonstration qui est reçue de tout le monde. C’est ce qui fait que la théologie est une science, comme nous l’avons dit au commencement de cet ouvrage (1a pars, quest. 1, art. 2).

 

            Objection N°3. Les choses qu’on prouve démonstrativement appartiennent à la science, parce que la démonstration est un syllogisme qui produit la science elle-même. Or, la foi renferme des choses que les philosophes démontrent, comme l’existence de Dieu, son unité, etc. Donc les choses qui sont de foi peuvent appartenir à la science.

            Réponse à l’objection N°3 : On range parmi les articles de foi des choses qu’on peut démontrer ; non parce qu’elles sont de foi purement et simplement pour tout le monde, mais parce qu’elles sont un préliminaire indispensable aux choses qui sont de foi, et qu’il faut que ceux qui ne peuvent en avoir la démonstration les admettent du moins par le moyen de la foi.

 

            Objection N°4. L’opinion et la science peuvent en quelque sorte se rapporter au même objet, comme le dit Aristote (1 Post., text. ult.). Donc la foi et la science également.

            Réponse à l’objection N°4 : Comme le dit Aristote, la science et l’opinion peuvent s’appliquer à la même chose dans des esprits différents, comme nous l’avons dit de la science et de la foi (dans le corps de l’article.). Mais le même homme peut avoir la science et la foi sur la même chose secundum quid, c’est-à-dire subjectivement, mais non sous le même rapport. En effet il peut se faire que par rapport au même objet il y ait dans un individu science pour une chose et opinion pour une autre. Ainsi, par rapport à Dieu, on peut avoir démonstrativement la science de son unité et croire à sa trinité. Mais à l’égard du même objet considéré sous le même rapport il ne peut pas y avoir simultanément dans un seul et même homme science et opinion, pas plus que science et foi (Ces états sont contradictoires : science et opinion, c’est la certitude du doute ; science et foi, c’est voir et ne pas voir.) ; ces deux choses ne peuvent exister que sous des rapports divers. Car la science ne peut exister simultanément avec l’opinion à l’égard du même objet purement et simplement ; parce qu’il est de l’essence de la science que ce qu’on sait on le considère comme ne pouvant pas être autrement, tandis qu’il est de l’essence de l’opinion que ce qu’on conçoit de la sorte, on suppose au contraire qu’il pourrait bien ne pas être ainsi. Ce qui est de foi est également irréfragable, en raison de la certitude la foi elle-même. Mais le même objet considéré sous le même rapport ne peut appartenir simultanément à la science et à la foi puisque la science embrasse les choses que l’on voit et la foi celles qu’on ne voit pas, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).

 

            Mais c’est le contraire. Saint Grégoire dit (hom. 21 in Evang.) que les choses qu’on voit ne produisent pas la foi, mais la connaissance. Par conséquent les choses qui sont de foi ne nous sont pas parfaitement connues, tandis que les choses que nous savons, nous les connaissons parfaitement. Donc la foi ne peut avoir pour objet les choses qui sont du domaine de la science.

 

            Conclusion Les choses que la foi renferme purement et simplement ne sont pas l’objet de la science, puisqu’on ne les voit point du tout.

            Il faut répondre que toute science s’acquiert au moyen de principes connus par eux-mêmes et par conséquent vus et perçus. C’est pourquoi tout ce qui est du domaine de la science doit être vu de quelque manière (Il faut pour la science une évidence intrinsèque, puisque son motif de crédibilité est l’évidence même.). Or, il n’est pas possible que l’on voie et que l’on croie tout à la fois la même chose, comme nous l’avons dit (art. préc.). Par conséquent il est impossible que le même individu sache et croie une même chose. Cependant il peut arriver que ce qui est vu ou su par l’un soit cru par un autre. En effet ce que nous croyons de la Trinité nous espérons le voir, d’après ces paroles de l’Apôtre (1 Cor., 13, 12) : Nous le voyons maintenant dans un miroir et en énigme, mais nous le verrons alors face à face. Les anges possèdent actuellement cette vision, par conséquent, ils voient ce que nous croyons. De même il peut se faire que ce qui est vu ou su par un homme ici-bas soit cru par un autre, qui n’en connaît pas la démonstration (Un philosophe sait que Dieu existe, que l’âme est spirituelle, parce qu’il possède la démonstration de ces vérités ; un homme du peuple, qui ne possède pas ses démonstrations, le croit.). Mais en général ce qu’on propose à croire à tous les hommes n’est pas du domaine de la science (Il n’est pas possible que les vérités de foi soient rendues évidentes d’une évidence intrinsèque.), et comme ce sont ces choses qui sont de foi purement et simplement, il s’ensuit que la foi et la science ne se rapportent pas au même objet.

 

Article 6 : Doit-on diviser en articles les choses qui sont de foi ?

 

            Objection N°1. Il semble qu’on ne doive pas diviser en articles les choses qui sont de foi. Car tout ce que les Ecritures renferment est de foi. Or, on ne peut réduire à un certain nombre d’articles toutes ces choses, parce qu’elles sont trop nombreuses. Il semble donc superflu de distinguer les articles de foi.

Réponse à l’objection N°1 : Il y a des choses que l’on doit croire et auxquelles la foi se rapporte par elle-même, et il y en a que la foi n’admet qu’en raison du rapport qu’elles ont avec d’autres. C’est ainsi que dans les sciences il y a des choses qu’on expose pour elles-mêmes, et d’autres qui ne servent qu’à découvrir les autres. Comme la foi a principalement pour objet les choses que nous espérons voir dans le ciel, d’après ces paroles de l’Apôtre (Héb., 11, 1) : La foi est le fondement des choses que l’on doit espérer, il s’ensuit qu’elle embrasse par elle-même les choses qui nous mettent directement en rapport avec la vie éternelle, telles que la Trinité des personnes divines, l’incarnation du Christ et les autres mystères semblables. C’est sur ces vérités que repose la distinction des articles de foi (Pour qu’une vérité forme un article de foi, il faut deux choses : la première c’est qu’elle appartienne principalement à la foi et qu’elle ne s’y attache pas comme un objet secondaire. La seconde c’est qu’elle présente une difficulté particulière, et que, par conséquent, elle ne soit pas implicitement contenue dans une autre d’une manière évidente.). Mais il y a dans l’Ecriture sainte des choses que nous devons croire et qui ne sont pas l’objet direct et principal de notre foi ; elles ne servent qu’à mettre en lumière les vérités dont nous venons de parler. Ainsi il est écrit qu’Abraham eut deux fils, qu’au contact des ossements d’Elisée un mort ressuscita, et il y a d’autres choses semblables que les livres saints rapportent pour prouver la puissance de Dieu ou pour faire connaître l’incarnation du Christ. On ne doit pas distinguer les articles de foi d’après ces vérités secondaires.

 

            Objection N°2. L’art veut qu’on omette toute division matérielle, parce qu’on peut la poursuivre à l’infini. Or, la raison formelle de l’objet de la foi est une et indivisible puisque, comme nous l’avons dit (art. 1), c’est la vérité première ; par conséquent on ne peut donc pas distinguer les choses de foi d’après leur raison formelle. Donc on ne doit pas non plus les diviser matériellement par articles.

Réponse à l’objection N°2 : La raison formelle de l’objet de la foi peut se prendre de deux manières : 1° On peut la considérer relativement à la chose crue ; dans ce sens la raison formelle de toutes les choses de foi est une, c’est la vérité première. On ne distingue donc pas les articles de foi à ce point de vue. 2° On peut la considérer par rapport à nous, et alors la raison formelle des choses qui sont de foi, c’est qu’on ne les voit pas. C’est dans ce dernier sens qu’on distingue les articles de foi comme nous l’avons vu (dans le corps de l’article.).

 

            Objection N°3. D’après quelques docteurs, un article de foi est une vérité indivisible sur Dieu qui nous force à croire (arctans ad credendum). Or, la foi est volontaire ; car, comme le dit saint Augustin (Tract. 24 in Joan.), personne ne croit qu’autant qu’il le veut. Il semble donc que ce soit à tort qu’on divise les choses de foi par articles.

Réponse à l’objection N°3 : Cette définition de l’article se rapporte à l’étymologie du mot selon qu’il dérive du latin, plutôt qu’à sa vraie signification d’après son origine grecque ; elle n’est donc pas d’un grand poids. Cependant on peut répondre que quoique personne ne soit forcé de croire par une nécessité de coaction puisque la foi est volontaire ; cependant on y est contraint par la nécessité de la fin, puisque, selon l’expression de l’Apôtre (Héb., 11, 6) : Pour arriver à Dieu il faut croire, et que sans la foi il n’est pas possible de lui plaire.

 

            Mais c’est le contraire. Saint Isidore dit : Un article est la perception de la vérité divine qui nous porte vers elle. Or, nous ne pouvons percevoir la vérité divine que d’après certaine distinction ; car ce qui est un en Dieu est multiple dans notre esprit. Donc on doit diviser les choses de foi en articles.

 

            Conclusion Puisque les choses de foi se divisent en un certain nombre de parties qui ont entre elles un rapport d’unité et qui sont crues pour des raisons spéciales, il est convenable qu’on les ait divisées en un certain nombre d’articles.

            Il faut répondre que le mot article semble venir du grec. Car en grec le mot ᾄρθρον, qu’on traduit en latin par le mot articulus, exprime la liaison de parties distinctes. C’est pourquoi les parties du corps qui sont unies les unes aux autres reçoivent le nom d’articulation. De même les Grecs ont donné dans la grammaire le nom d’article à certaines parties du discours qu’ils ajoutent aux autres noms pour exprimer leur genre, leur nombre ou leur cas. En rhétorique, on donne aussi le nom d’article à l’agencement de certaines parties de la phrase. Ainsi Cicéron dit (Rhet. lib. ad Heren., 4) : qu’on appelle articles les petites divisions qui coupent la phrase et qui la suspendent à chaque mot, comme dans l’exemple suivant : Par votre véhémence, par votre voix, par votre visage vous avez épouvanté vos adversaires. Ainsi on distingue les choses de foi en articles en ce sens qu’elles sont divisées en parties qui ont du rapport entre elles. Or, la foi a pour objet ce que l’on ne voit pas dans les choses divines, comme nous l’avons dit (art. 4). C’est pourquoi il y a autant d’articles particuliers qu’il y a de choses qui sont connues ou qui ne le sont pas pour la même raison, on ne distingue pas plusieurs articles. Ainsi par là même que la difficulté qui nous empêche de voir que Dieu a souffert diffère de celle qui nous empêche de voir qu’il est ressuscité après sa mort, il s’ensuit que l’article de la résurrection est distinct de l’article de la passion ; mais comme avoir souffert, être mort et avoir été enseveli présentent une seule et même difficulté, de telle sorte que l’une de ces choses étant admise, il n’est pas difficile d’admettre les autres, on les a comprises toutes dans un seul et même article.

 

Article 7 : Les articles de foi se sont-ils augmentés par la succession des temps ?

 

            Objection N°1. Il semble que les articles de foi ne se soient pas accrus par la succession des temps. Car, comme le dit l’Apôtre (Héb., 11, 1) : La foi est le fondement des choses que l’on doit espérer. Or, on a dû en tout temps espérer les mêmes choses. Donc on a dû croire également les mêmes choses.

            Réponse à l’objection N°1 : Les hommes ont toujours dû espérer du Christ les mêmes choses ; cependant comme ils sont parvenus à cette espérance que par le Christ, plus l’espace de temps qui les séparait du Christ était considérable et plus ils étaient éloignés d’obtenir ce qu’ils espéraient. C’est ce qui fait dire à l’Apôtre (Héb., 11, 13) : Tous ces saints sont morts dans la foi, n’ayant point reçu les biens qui leur étaient promis, mais les voyant et comme les saluant de loin. Or, plus on voit une chose de loin et moins on la voit distinctement. C’est pourquoi ceux qui ont été plus rapprochés de la venue du Christ ont connu plus distinctement les biens qu’ils devaient espérer.

 

            Objection N°2. Dans les sciences humaines, s’il y a progrès dans la suite des temps, ceci provient de l’imperfection des connaissances de ceux qui les ont d’abord découvertes, comme le dit Aristote (Met., liv. 2, text. 1 et 2). Or, les enseignements de la foi ne sont pas d’inventio humaine ; mais c’est Dieu qui nous les a transmis : C’est un don de Dieu, dit l’Apôtre (Eph., 2, 18). Par conséquent puisqu’en Dieu la science n’est point imparfaite, il semble que dès le commencement la connaissance des choses de foi ait été parfaite et qu’elle ne se soit pas développée selon la marche des temps.

            Réponse à l’objection N°2 : La connaissance progresse de deux manières : 1° Par rapport à celui qui enseigne ; qu’il soit seul ou non, il profite avec le temps, et c’est ainsi que se développent les sciences que la raison humaine a découvertes. 2° Par rapport à celui qui apprend. Ainsi un maître qui connaît un art complètement, ne le transmet pas immédiatement et dès le principe à son disciple, parce que celui-ci ne pourrait le saisir, mais il le lui communique graduellement en condescendant à sa capacité. C’est de cette manière que les hommes ont progressé dans la connaissance de la foi à mesure que le temps que les temps se sont écoulés. Ainsi l’Apôtre (Gal., chap. 3) compare l’état de l’Ancien Testament à l’enfance.

 

            Objection N°3. L’opération de la grâce ne procède pas moins régulièrement que l’opération de la nature. Or, la nature commence toujours par quelque chose de parfait, comme le dit Boëce (De consol., liv. 33, pros. 10). Il semble donc que l’opération de la grâce ait commencé aussi par la perfection et que ceux qui les premiers nous ont transmis la foi l’aient parfaitement connue.

            Réponse à l’objection N°3 : La génération naturelle exige préalablement deux causes : l’agent et la matière. Par rapport à l’agent ce qui est naturellement antérieur est ce qu’il y a de plus parfait. En ce sens la nature commence par le parfait, parce que les choses imparfaites ne sont menées à leur perfection que par d’autres choses parfaites préexistantes. Mais par rapport à la cause matérielle le commencement est ce qu’il y a de plus imparfait, et en ce sens la nature procède de l’imparfait au parfait. Or, dans la manifestation de la foi Dieu est comme l’agent qui possède la science parfaite de toute éternité ; tandis que l’homme est comme la matière qui reçoit l’action de Dieu qui agit sur lui. C’est pour ce motif qu’il a fallu que dans l’homme la connaissance de la foi allât de l’imparfait au parfait. Quoique parmi les hommes il y en ait eu quelques-uns qui aient été comme des causes agissantes, puisqu’ils furent les docteurs de la foi, cependant l’Esprit Saint ne leur a été manifesté que pour l’utilité générale, comme le dit l’Apôtre (1 Cor., chap. 12). C’est pour ce motif que les Pères qui étaient les docteurs de la foi, ont reçu autant de connaissance qu’il en fallait au peuple à l’époque où ils lui parlaient, soit ouvertement, soit en figure.

 

            Objection N°4. Comme la foi du Christ nous est arrivée par les apôtres ; de même la connaissance de la foi sous l’Ancien Testament est arrivée aux générations postérieures par les patriarches qui les ont précédées, d’après ces paroles de la loi (Deut., 32, 17) : Interrogez votre père et il vous instruira. Or, les apôtres ont été pleinement instruits des mystères ; car, comme ils les ont reçus avec les autres, ils les ont aussi connus plus abondamment, comme le dit la glose (interl.) à l’occasion de ces paroles de saint Paul (Rom., 7, 23) : Nous possédons les prémices de l’esprit. Il semble donc que la connaissance des choses à croire ne soit pas augmentée par la suite des temps.

            Réponse à l’objection N°4 : Le Christ a opéré la consommation dernière de la grâce, et c’est ce qui a fait appeler son arrivée le temps de la plénitude (Gal., chap. 4). C’est pourquoi ceux qui ont été les plus rapprochés de lui, soit qu’ils l’aient précédé, comme saint Jean-Baptiste, soit qu’ils l’aient suivi, comme les apôtres, ont connu plus pleinement les mystères de la foi (Les apôtres et les évangélistes ont eu une connaissance du Christ plus explicite que tous les membres de l’Eglise à cette époque, mais l’Eglise d’aujourd’hui a une connaissance plus développée des mystères de la foi que l’Eglise dans ce temps-là.). Car nous voyons que pour la constitution de l’homme sa perfection est dans la jeunesse, et l’homme est d’autant plus parfait qu’il se rapproche davantage de cette époque de la vie, soit qu’on le considère avant ou après.

 

            Mais c’est le contraire. Saint Grégoire dit (Hom. 16 in Ezech.) : La science des anciens Pères a crû avec le temps, et plus ils ont été rapprochés de l’arrivée du Sauveur, plus ils ont connu pleinement les mystères du salut.

 

            Conclusion Les articles de foi se sont augmentés avec la succession des temps, non quant à la substance, mais quant à leur développement à leur profession expresse ; car les choses que les générations subséquentes ont crues explicitement et en plus grand nombre, ont été crues implicitement et en moins grand nombre par leurs ancêtres.

            Il faut répondre que les articles de foi sont, par rapport à l’enseignement de la foi, ce que les principes évidents sont par rapport à la science que l’on acquiert naturellement au moyen de la raison. Parmi ces principes, on découvre un certain ordre qui fait que les uns sont implicitement compris dans les autres. Ainsi tous les principes reviennent à celui-ci, comme au premier de tous : On ne peut nier et affirmer tout à la fois la même chose, comme le prouve Aristote (Met., liv. 4, text. 9). De même tous les articles de foi sont implicitement contenus dans quelques vérités premières, telles que la foi dans l’existence de Dieu et dans sa providence par rapport au salut des hommes, d’après ces paroles de l’Apôtre (Héb., 11, 6) : Il faut que celui qui s’approche de Dieu croie qu’il existe et qu’il récompense ceux qui le cherchent. En effet, l’existence de Dieu implique toutes les choses que nous croyons exister éternellement en lui et qui constituent notre béatitude. La foi en la Providence implique toutes les choses que Dieu a temporellement accordées aux hommes pour leur salut, et qui sont un moyen d’arriver à la félicité éternelle. De cette manière parmi les articles subséquents il y en a qui sont renfermés dans d’autres, comme la foi dans la rédemption du genre humain comprend implicitement l’incarnation du Christ, sa passion et tous les autres mystères qui s’ensuiventPar conséquent il faut dire que quant à la substance des articles de foi leur nombre n’a pas augmenté avec la succession des temps ; parce que tout ce que les générations postérieures ont cru était compris dans les générations antérieures, quoique implicitement (Selon l’expression de saint Augustin (in Ps. 30) : Tempora variata sunt, non fides.). Mais le nombre des articles a augmenté explicitement, parce que ceux qui sont venus les derniers ont connu d’une manière explicite ce que ne connaissaient pas de la même manière ceux qui les ont précédés (En comparant ensemble les professions de foi données par les premiers conciles généraux, on peut voir ce que les plus récents ont ajouté aux autres.). Ainsi le Seigneur dit à Moïse (Exode, 6, 2) : Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, le Dieu de Jacob, et je ne leur ai pas indiqué mon nom qui est Adonaï. David dit (Ps. 118, 100) : J’ai mieux compris que les vieillards. Et l’Apôtre dit (Eph., 3, 5) : Le mystère du Christ n’a pas été connu des autres générations, comme il a été révélé aujourd’hui à ses saints apôtres et aux prophètes.

 

Article 8 : Les articles de foi sont-ils convenablement énumérés ?

 

            Objection N°1. Il semble que les articles de foi ne soient pas convenablement énumérés. Car les choses qu’on peut savoir par voie de démonstration n’appartiennent pas à la foi et ne sont pas proposés aux hommes comme des articles à croire, ainsi que nous l’avons dit (art. 5). Or, on peut savoir par démonstration que Dieu est un : ainsi Aristote le prouve (Met., liv. 12, text. 52), et beaucoup d’autres philosophes le démontrent également. Donc on ne doit pas faire de l’unité de Dieu un article de foi.

            Réponse à l’objection N°1 : La foi nous apprend sur Dieu beaucoup de choses que les philosophes n’ont pu découvrir avec les lumières naturelles de la raison, par exemple, relativement à sa providence, à sa toute-puissance, à la nature de son culte : toutes ces choses sont renfermées dans l’article qui exprime l’unité de Dieu (D’ailleurs, quoique l’existence de Dieu et de ses attributs soit connue scientifiquement par les philosophes elle ne l’est pas de cette manière par le vulgaire, qui est obligé de croire ce que les autres savent.).

 

            Objection N°2. Comme il est de nécessité de foi que nous croyions Dieu tout-puissant, de même il faut aussi que nous croyions qu’il sait tout et qu’il pourvoit à tout ; car il y en a qui sont tombés dans l’erreur sur ces deux points. On aurait donc dû parmi les articles de foi faire mention de la sagesse et de providence divine aussi bien que de sa toute-puissance.

            Réponse à l’objection N°2 : Le nom de la Divinité implique une certaine providence, comme nous avons dit (1a pars, quest. 13, art. 8). Or, dans les êtres intelligents la puissance n’opère que d’après la volonté et la connaissance ; c’est pourquoi la toute-puissance de Dieu implique en quelque sorte la science et la providence de toutes choses. Car il ne pourrait pas faire des êtres inférieurs tout ce qu’il veut, s’il ne les connaissait pas et si sa providence ne s’étendait pas à eux (Bossuet fait voir parfaitement que tous les attributs de Dieu sont renfermés dans le symbole (Voyez Instruction sur les Etats d’oraison, liv. 2, chap. 18.).

 

            Objection N°3. La connaissance du Père et Fils est la même, d’après ces paroles de saint Jean (Jean, 14, 9) : Celui qui me voit, voit aussi mon Père. Donc on n’aurait dû ne faire qu’un même article pour le Père et le Fils et aussi le Saint-Esprit par la même raison.

            Réponse à l’objection N°3 : La connaissance du Père, du Fils et du Saint-Esprit est une, quant à l’unité d’essence qui est l’objet du premier article, mais quant à la distinction des personnes qui repose sur les relations d’origine la connaissance du Fils est renfermée d’une certaine manière dans la connaissance du Père ; car le Père n’existerait pas, s’il n’avait pas de Fils, et l’Esprit-Saint est le lien des deux. Sous ce rapport ceux qui n’ont fait qu’un article pour les trois personnes ont donc eu raison. Mais parce que sur chaque personne il y a des choses à observer qui peuvent être une source d’erreur, on a pu pour ce motif faire autant d’articles qu’il y a de personnes. Ainsi Arius a cru le Père tout-puissant et éternel mais il n’a pas cru le Fils égal et consubstantiel au Père ; c’est pourquoi il a été nécessaire d’ajouter un article pour déterminer ce point de doctrine. Pour la même raison, il a fallu ajouter contre Macédonius un troisième article sur la personne de l’Esprit-Saint. De même la conception du Christ et sa naissance, ainsi que la résurrection et la vie éternelle, peuvent être sous un rapport comprises dans un seul et même article, en ce sens qu’elles se rapportent à une même chose ; mais à un autre point de vue on peut les distinguer, parce que ces vérités offrent chacune leurs difficultés spéciales (Il y a des auteurs qui prétendent que le symbole a été divisé en douze articles par les apôtres et qui attribuent un article à chaque apôtre. On voit combien cette opinion est peu fondée, puisque cette division n’est admise universellement que depuis le concile de Trente. Saint Thomas explique et justifie la division en quatorze articles, loin de la condamner.).

 

            Objection N°4. La personne du Père n’est pas moindre que celle du Fils et du Saint-Esprit. Or, il y a plusieurs articles qui se rapportent à la personne de l’Esprit-Saint, comme il y en a plusieurs qui se rapportent à la personne du Fils. On aurait dû donc aussi en faire plusieurs pour la personne du Père.

            Réponse à l’objection N°4 : Il convient au Fils et au Saint-Esprit d’être envoyé pour sanctifier la créature, et à cet égard, il y a plusieurs choses à croire. C’est pourquoi il y a plus d’articles sur la personne du Fils et du Saint-Esprit que sur celle du Père, qui n’est jamais envoyée, comme nous l’avons vu (1a pars, quest. 43, art. 4).

 

            Objection N°5. Comme il y a des choses qu’on approprie à la personne du Père et à la personne du Saint-Esprit, de même il y en a qu’on approprie à la personne du Fils selon sa divinité. Or, dans les articles de foi on rapporte une œuvre qu’on approprie au Père, celle de la création, et il y en a une aussi qu’on approprie à l’Esprit-Saint : c’est qu’il a parlé par les prophètes. Donc parmi les articles de foi on aurait dû approprier au Fils comme Dieu quelque œuvre particulière.

            Réponse à l’objection N°5 : La sanctification de la créature par la grâce et sa consommation par la gloire est l’effet du don de charité qui est approprié au Saint-Esprit, et du don de sagesse qui est approprié au Fils. C’est pourquoi ces œuvres appartiennent l’une et l’autre au Fils et au Saint-Esprit par appropriation mais sous des rapports différents.

 

            Objection N°6. Le sacrement de l’Eucharistie offre une difficulté spéciale comparativement à une foule d’autres articles. On aurait donc dû lui consacrer un article particulier. Par conséquent il semble que les articles du symbole ne soient pas suffisamment énumérés.

            Réponse à l’objection N°6 : Dans le sacrement de l’Eucharistie on peut considérer deux choses. La première c’est que l’Eucharistie est un sacrement et qu’à ce titre elle rentre dans les autres effets de la grâce sanctifiante. La seconde c’est que le corps du Christ est renfermé dans ce sacrement miraculeusement, et en ce sens l’Eucharistie est comprise dans la toute-puissance divine comme les autres miracles qu’on lui attribue.

 

            Mais l’autorité de l’Eglise qui a composé le symbole est là pour établir le contraire (Voy. Etiam, chap. Qui episcopus, dist. 23).

 

            Conclusion L’Eglise a distingué avec raison douze ou quatorze articles de foi dont les uns regardent la foi dans la divinité et les autres la foi dans l’humanité du Christ.

            Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. 4 et 5), la foi embrasse par elle-même les choses dont nous aurons la vision dans la vie éternelle et celles qui sont des moyens pour nous y conduire. Or, dans ce ciel nous verrons deux choses : le secret de la Divinité dont la vue nous rendra heureux, et le mystère de l’humanité du Christ par lequel nous arrivons à la gloire des enfants de Dieu, comme le dit l’Apôtre (Rom., chap. 5). Ce qui fait dire à saint Jean (Jean, 17, 1) : La vie éternelle consiste à vous connaître, vous vrai Dieu, et Jésus-Christ que vous avez envoyé. C’est pourquoi la première distinction à faire dans les choses de foi, c’est que les unes regardent la majesté de Dieu, et les autres le mystère de l’humanité du Christ, que saint Paul appelle un sacrement d’amour (1 Tim., chap. 4)Touchant la majesté divine, on nous propose trois choses à croire : la première, c’est l’unité de Dieu, qui fait l’objet du premier article ; la seconde, c’est la trinité des personnes, et elle forme autant d’articles qu’il y a de personnes ; la troisième embrasse les œuvres propres à la Divinité. La première de ces œuvres se rapporte à l’existence de la nature, et c’est ce qu’exprime l’article de la création ; la seconde regarde l’état de grâce, et l’on a renfermé dans un même article tout ce qui concerne la sanctification du genre humain ; la troisième appartient à l’état de gloire, et c’est ce que comprend l’article où il s’agit de la résurrection de la chair et de la vie éternelle. Ainsi il y a sept articles qui regardent la Divinité. De même on en a aussi compté sept qui ont rapport à l’humanité du Christ. Le premier porte sur son incarnation ou sa conception ; le second sur sa naissance d’une vierge ; le troisième sur sa passion, sa mort et sa sépulture ; le quatrième sur sa descente aux enfers ; le cinquième sur sa résurrection ; le sixième sur son ascension ; le septième sur son avènement au jour du jugement. Il y a donc en tout quatorze articlesIl y a des auteurs qui n’en distinguent que douze, dont six se rapportent à la Divinité et six à l’humanité. Ils comprennent en un seul les trois articles qui expriment les trois personnes, parce que la connaissance des trois personnes est la même, et à l’égard de l’œuvre de la glorification ils font deux articles, l’un pour la résurrection de la chair et l’autre pour la vie glorieuse de l’âme. De même ils comprennent la naissance et la conception du Christ dans un même article (Le catéchisme du concile de Trente ne distingue que douze articles, et c’est cette division qui a prévalu.).

 

Article 9 : Les articles de foi sont-ils convenablement rédigés dans le symbole ?

 

            Objection N°1. Il semble que les articles de foi ne soient pas convenablement rédigés dans le symbole. Car l’Ecriture sainte est la règle de foi à laquelle il n’est pas permis ni d’ajouter, ni de retrancher, puisqu’il est écrit (Deut., 4, 2) : Vous n’ajouterez rien à la parole que je vous dis, et vous n’en retrancherez rien. Donc après avoir reçu l’Ecriture sainte, il n’était plus permis de dresser un autre symbole pour règle de foi.

            Réponse à l’objection N°1 : La vraie foi est renfermée dans l’Ecriture sainte avec diffusion, de différentes manières, obscurément même dans certains endroits, de sorte que pour l’en extraire, il faut une longue étude, et une expérience à laquelle ne peuvent parvenir tous ceux qui sont obligés de connaître les vérités de la foi ; la plupart d’entre eux ne pouvant se livrer à l’étude, parce qu’ils en sont distraits par d’autres préoccupations (C’est pour ces raisons que l’Ecriture ne peut servir de règle de foi, comme veulent les protestants.).

            C’est pourquoi il a été nécessaire de recueillir sommairement de l’Ecriture les vérités les plus éclatantes et de les proposer à la croyance de tous les fidèles ; ce qui n’est pas une addition, mais plutôt un emprunt fait aux saintes Ecritures.

 

            Objection N°2. Comme le dit l’Apôtre (Eph., 4, 5) : La foi est une. Or, un symbole est une profession de foi. Donc c’est à tort qu’on a fait plusieurs symboles.

           Réponse à l’objection N°2 : Tous les symboles enseignent la même foi. Mais il faut que le peuple soit instruit avec plus de soin de certaines vérités dès que l’erreur les attaque, afin que la foi des simples ne soit pas altérée par les hérétiques. C’est pour ce motif qu’il a été nécessaire de publier plusieurs symboles qui ne diffèrent d’ailleurs qu’en ceci ; c’est que l’un explique plus complètement ce que l’autre renferme implicitement, suivant que les subtilités des hérétiques l’ont exigé (Ainsi le symbole de Nicée a développé celui des apôtres à l’occasion de l’erreur d’Arius ; et celui de Constantinople, à l’occasion de l’erreur de Macédonius.).

 

            Objection N°3. La profession de foi qui est renfermée dans le symbole appartient à tous les fidèles. Or, il ne convient pas à tous les fidèles de croire en Dieu, mais seulement à ceux qui ont la loi formée. C’est donc à tort que le symbole commence par ces paroles : Je crois en Dieu.

            Réponse à l’objection N°3 : La profession qui existe dans le symbole est mise dans la bouche de l’Eglise entière considérée comme une personne. Or, la foi de l’Eglise est la foi formée. Car cette foi se trouve dans tous ceux qui sont numériquement et méritoirement de l’Eglise. C’est pourquoi la profession de foi qui existe dans le symbole se rapporte à la foi formée, afin que, s’il y a des fidèles qui n’aient pas encore cette foi, ils s’efforcent de l’acquérir.

 

            Objection N°4. La descente aux enfers est un article de foi, comme nous l’avons dit (art. 8). Or, il n’en est pas fait dans le symbole des anciens Pères (de Nicée). Il semble donc que ce symbole soit insuffisant.

            Réponse à l’objection N°4 : La descente aux enfers n’avait été l’objet d’aucune erreur de la part des hérétiques. C’est pourquoi il n’a pas été nécessaire de donner à ce sujet quelque explication, et c’est aussi pour cette raison que les Pères de Nicée ne l’ont pas répétée, mais qu’ils l’ont supposée comme ayant été préalablement établie dans le symbole des apôtres. Car le symbole qui suit n’abolit pas celui qui précède, mais il l’explique plutôt, comme nous venons de le dire en répondant au second argument.

 

            Objection N°5. Comme le dit saint Augustin expliquant ces paroles de saint Jean (Jean, 14, 1) : Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi (Tract. 39 in Joan.) : Nous croyons à Pierre ou à Paul mais aussi disons que nous ne croyons qu’en Dieu. Par conséquent puisque l’Eglise catholique est une créature purement et simplement, il semble qu’on ait tort de dire : Je crois en l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique.

            Réponse à l’objection N°5 : Si l’on dit : Je crois en la sainte Eglise catholique, il faut entendre cette proposition en ce sens que notre foi se rapporte à l’Esprit-Saint qui sanctifie l’Eglise et alors elle signifie : Je crois au Saint-Esprit sanctifiant l’Eglise. Mais il est mieux et plus conforme à l’usage de ne pas mettre ici le mot en et de dire simplement, comme le fait le pape saint Léon (Rufin. in expos. symb. int. op. Cypriani: Je crois la sainte Eglise catholique (C’est le passage adopté par Bossuet et dont on n’aurait pas dû s’écarter. Voyez Bossuet (Hist. des variations, liv. 15, n° 74).

 

Objection N°6. Le symbole nous a été transmis pour être notre règle de foi. Or, une règle de foi doit être proposée à tous et publiquement. Par conséquent on devrait chanter à la messe tous les symboles, comme on chante celui de Nicée. Il ne semble donc pas que cette promulgation des articles de foi soit convenable.

            Réponse à l’objection N°6 : Le symbole des Pères de Nicée étant le développement du symbole des apôtres et ayant été composé lorsque la foi se montrait au grand jour et que l’Eglise avait obtenu la paix, pour ce motif on le chante publiquement à la messe. Mais le symbole des apôtres, qui fut composé dans le temps de la persécution, lorsque la foi se cachait encore dans les catacombes, on le récite à voix basse, à Prime et à Complies, comme une sauvegarde contre les ténèbres des erreurs passées et futures.

 

            Mais c’est le contraire. L’Eglise universelle ne peut errer, parce qu’elle est gouvernée par l’Esprit-Saint qui est l’esprit de vérité. C’est ce que le Seigneur a promis à ses disciples en disant : (Jean, 16, 13) : Quand l’esprit de vérité sera venu, il vous enseignera toute vérité. Or le symbole a été promulgué par l’autorité de l’Eglise universelle. Il ne doit donc rien renfermer qui ne soit convenable.

 

            Conclusion Les articles de foi proposés à la croyance des hommes ont été convenablement résumés et très clairement expliqués par l’Eglise, qui les a réunis dans un symbole ou abrégé comme dans un même faisceau.

            Il faut répondre que, comme le dit l’Apôtre (Héb., 11, 6), pour arriver à Dieu il faut croire. Or, un individu ne peut croire qu’autant qu’on lui propose une vérité qui soit l’objet de sa foi. C’est pourquoi il a été nécessaire de résumer en seul corps les enseignements de la foi pour qu’on pût les propose plus facilement à la croyance de tout le monde et pour empêcher que par croyance on ne s’écartât de la vérité révélée. Et c’est à ce résumé des enseignements de la foi qu’on a donné le nom de symbole (Le mot symbole vient du grec et signifie deux choses : une réunion de plusieurs choses en une seule, et la marque par laquelle un soldat se distingue d’un autre. Il a ici cette double signification, puisque les Apôtres et les Pères ont exprimé en un seul corps de doctrine ce que chacun d’eux pensait, et que ce corps de doctrine a servi de marque distinctive entre les fidèles et les infidèles.).

 

Article 10 : Appartient-il au souverain pontife de dresser un symbole de foi ?

 

            Objection N°1. Il semble qu’il n’appartienne pas au souverain pontife de dresser un symbole de foi. Car la publication d’un nouveau symbole est nécessaire pour expliquer les articles de foi, comme nous l’avons dit (art. préc.). Or, dans l’Ancien Testament les articles de foi s’expliquaient de plus en plus à mesure que l’on avançait dans les temps, parce que la vérité de la foi se manifestait avec d’autant plus d’éclat qu’on approchait davantage de l’arrivée du Christ, comme nous l’avons dit (art. 1 et 7, réponse N°1). Sous la loi nouvelle cette cause n’existant plus, les articles de foi ne doivent pas ainsi aller en se développant avec le temps. Par conséquent il ne semble pas qu’il appartienne à l’autorité du souverain pontife.

            Réponse à l’objection N°1 : Le Christ et ses apôtres ont suffisamment expliqué dans leurs enseignements la vérité de foi ; mais, parce qu’il s’est souvent rencontré des méchants qui ont altéré, pour leur propre perdition, selon l’expression de saint Pierre (2 Pierre, chap. 3.), la doctrine des apôtres, les saintes Ecritures et tous les autres enseignements, il a été nécessaire dans la suite des temps d’expliquer la foi pour détruire les erreurs qui s’élevaient.

 

            Objection N°2. Ce que l’Eglise universelle a défendu sous l’anathème ne peut être soumis à la puissance d’aucun homme. Or, l’Eglise universelle a défendu sous peine d’anathème de faire un nouveau symbole. Car nous voyons dans les actes du premier concile d’Ephèse, qu’après avoir lu le symbole de Nicée, le concile décida qu’il n’était permis à personne de professer, d’écrire ou de composer une autre profession de foi que celle qui a été définie par les Pères rassemblés à Nicée avec l’Esprit-Saint ; et cela sous peine d’anathème. On retrouve la même chose dans les actes du concile de Chalcédoine. Il semble donc qu’il n’appartienne pas à l’autorité du souverain pontife de faire un nouveau symbole.

            Réponse à l’objection N°2 : La défense et le décret du concile s’adressent aux particuliers qui n’ont pas le droit de définir les choses de foi. Car cette sentence du concile général n’a pas enlevé au concile suivant le pouvoir de faire une nouvelle promulgation du symbole, renfermant à la vérité la même foi que la précédente, mais plus développée. Au contraire tout concile a eu soin d’ajouter quelque chose au symbole arrête par le concile précédent, pour détruire par cette addition les hérésies naissantes. Par conséquent ce pouvoir appartient au souverain pontife, puisque c’est à lui à convoquer les conciles généraux et à confirmer leurs décisions.

 

            Objection N°3. Saint Athanase ne fut pas souverain pontife, mais patriarche d’Alexandrie. Néanmoins il a fait un symbole qu’on chante à l’Eglise. Il semble donc qu’il n’appartienne pas plus au souverain pontife qu’aux autres de faire un nouveau symbole.

            Réponse à l’objection N°3 : Saint Athanase n’a pas composé son exposition de la foi à la manière d’un symbole (Retramne, Hincmar, Abbon de Fleury et la plupart des auteurs du moyen âge ont cru que le symbole attribué à saint Athanase était vraiment de lui mais il est plus probable qu’il n’a été mis sous son nom que parce qu’il renferme sa doctrine. Car aucun des écrivains contemporains de ce grand docteur n’en parle ; saint Cyrille d’Alexandrie et saint Léon n’auraient pas manqué d’en faire mention, et d’ailleurs il est si explicite à l’égard des erreurs de Nestorius et d’Eutychès, qu’il n’a dû être composé qu’après la condamnation de ces hérésiarques. On croit que Virgile de Tapse en est le véritable auteur.), mais plutôt sous la forme d’un enseignement particulier, comme on voit évidemment d’après la manière dont il s’exprime ; mais parce que son enseignement renfermait en peu de mots une exposition exacte et complète de la foi, le souverain pontife l’a adoptée et l’a fait admettre comme une règle de foi.

 

            Mais c’est le contraire. Le symbole a été fait dans un concile général. Or, c’est au souverain pontife seul qu’il appartient de réunir un concile général, comme le dit le droit canon (dist. 17 in decret., chap. 4 et 5). Donc il appartient à l’autorité du souverain pontife de faire un symbole.

            Conclusion Puisque le souverain pontife a été établi par le Christ pour être à la tête de toute l’Eglise c’est à lui seul qu’il appartient de publier un symbole de foi, comme il n’appartient qu’à lui de rassembler un concile général.

 

            Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc.), il est nécessaire de publier un nouveau symbole pour éviter les erreurs qui s’élèvent. Celui qui a l’autorité de faire ce symbole c’est celui peut finalement déterminer les choses qui sont de foi et qui doivent être crues inébranlablement par tous. Or, cette puissance appartient au souverain pontife, c’est à lui que se rapportent les questions les plus graves et les plus difficiles qui s’élèvent dans l’Eglise, comme on le voit (Decret. dist. 17) (C’est aussi ce que proclame le concile de Trente (sess. 4, can. 7 : Merítò pontifices maximi pro supremâ potestate sibi in Ecclesiâ universa iradita, causas aliqua nimium graviores suo poterant peculiari judicio reservare.). Aussi le Seigneur a dit à Pierre (Luc, 22, 32) qu’il a établi souverain pontife : J’ai prié pour vous, Pierre, afin que votre foi ne défaille point ; lors donc que vous aurez été converti, affermissez vos frères. La raison en est qu’il ne doit y avoir qu’une même foi pour toute l’Eglise, d’après ces paroles de l’Apôtre (1 Cor., 1, 10) : Il faut que vous disiez tous la même chose, et qu’il n’y ait pas de schismes parmi vous ; ce qui ne pourrait se maintenir, si les questions de foi qui s’élèvent n’étaient décidées par celui qui est à la tête de l’Eglise entière, de telle sorte que son sentiment doive être soutenu inébranlablement par l’Eglise elle-même. C’est pourquoi il n’y a que le souverain pontife qui ait le pouvoir de faire un nouveau symbole, comme il n’y a que lui qui puisse faire toutes les autres choses qui regardent l’Eglise entière, telles que la convocation d’un concile œcuménique et d’autres choses semblables (Cet article résume toute la doctrine des ultramontains sur l’infaillibilité du souverain pontife.).

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

 

 

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