Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
2a 2ae = Secunda Secundae
= 2ème partie de la 2ème Partie
Question 2 : De l’acte de foi
Après
avoir parlé de la foi, nous avons à nous occuper ensuite de l’acte de foi, et
d’abord de l’acte intérieur, puis de l’acte extérieur. — Touchant l’acte
extérieur dix questions se présentent : 1° Qu’est-ce que croire ; ou
en quoi consiste l’acte intérieur de la foi ? (Cet article a pour objet de
montrer la part que l’intelligence et la volonté ont à la formation de l’acte
de foi.) — 2° De combien de manières peut-on croire ? (Ces trois manières
de s’exprimer indiquent la matière, la forme et la fin de l’acte de foi.) — 3°
Est-il nécessaire au salut de croire quelque chose qui soit au-dessus de la
raison naturelle ? (Cet article est une réfutation des rationalistes de
tous les temps, dont le système consiste principalement à nier la nécessité de
tout ce qui est surnaturel. Dans cet article le surnaturel peut s’entendre soit
par rapport à la chose que l’on croit, soit par rapport au motif en raison
duquel on le croit, soit en raison du secours qui nous est donné pour croire.)
— 4° Est-il nécessaire de croire les choses auxquelles la raison naturelle peut
s’élever ? (En établissant la nécessité de la foi, même pour les vérités
que l’on peut connaître par des moyens naturels, saint Thomas fait ressortir
par là même tous les effets et tous les dangers de la méthode rationaliste, et
il prouve ainsi la nécessité de la méthode d’autorité.) — 5° Y a-t-il des
choses qu’il soit nécessaire de croire explicitement pour être sauvé ?
(Les théologiens distinguent ce qui est de nécessité de moyen de ce qui est
nécessité de précepte. Une chose est de nécessité de
moyen quand on ne peut pas être sauvé sans elle, que son omission soit coupable
ou non, comme le baptême. Elle est de nécessité de précepte quand elle est
commandée et que son omission volontaire est un péché qui empêche de faire son
salut. Il s’agit ici de la première espèce de nécessité. Croire explicitement
c’est croire à une proposition ou à une chose que l’on connaît en particulier,
d’après les termes dont elle se compose ; la croire implicitement c’est la
croire seulement en admettant le principe où elle est renfermée.) — 6° Tous les
hommes sont-ils tenus également à une foi explicite ? (Ceux qui sont
chargés d’instruire les autres doivent avoir une foi plus explicite, et ils
doivent être capables non seulement d’expliquer ce que l’Eglise enseigne, mais
encore de défendre sa doctrine contre les attaques des hérétiques et des
infidèles. C’est ce que le concile de Reims insinue en ces termes (can.
1) : Primò omnium institutum
est de fidei ratione, ut unisquisque juxtà intellectum suæ capacitatis, Domine largiente, disceret, et intelligeret atque operibus pleniter observaret.) — 7°
A-t-il toujours été nécessaire au salut d’avoir sur le Christ une foi
explicite ? (Croire une chose explicitement c’est la croire dans les
termes propres qui l’expriment, et la croire implicitement, c’est la croire
dans une autre plus générale qui la renferme. Ainsi croire explicitement
l’Incarnation, c’est croire que le Fils de Dieu s’est fait homme et qu’il est
homme et Dieu tout ensemble ; la croire implicitement c’est croire à la
Providence et admettre que Dieu donne à l’homme tous les moyens nécessaires
pour arriver à sa fin.) — 8° Est-il nécessaire au salut de croire explicitement
à la Trinité ? (La solution de cette question dépend de la précédente. Car
on ne peut croire explicitement el mystère de l’Incarnation qu’autant qu’on
croit explicitement celui de la Trinité.) — 9° L’acte de foi est-il
méritoire ? (Le concile de Constance s’exprime ainsi à l’égard de la
foi : Ad fidem
catholicam, quæ sola salvare potest,
sine quâ nulli veræ salutis subsidium
contingit. Il est de foi qu’un acte de foi qui
est émane du libre arbitre mû par la grâce est méritoire.) — 10° La raison
humaine diminue-t-elle le mérite de la foi ? (La science ne diminue le
mérite de la foi qu’autant qu’elle porte l’homme à croire en vertu de ses
démonstrations, et non d’après l’autorité de Dieu.)
Article 1 :
Croire est-ce penser une chose en lui donnant son assentiment ?
Objection N°1. Il semble que
croire, ce ne soit pas penser une chose, en lui donnant son assentiment. Car la
pensée implique une certaine recherche. En effet le mot latin cogitare (penser)
veut dire en quelque sorte coagitare, ou simul agitare (agiter plusieurs choses ensemble). Or, saint
Jean Damascène dit (De orth. fid., liv. 4, chap. 12)
que la foi n’est pas un assentiment qui suppose une recherche, une
délibération. Donc la pensée ne fait pas partie de l’acte de foi.
Réponse à
l’objection N°1 : La foi ne recherche pas les lumières naturelles de la
raison pour démontrer ce qu’elle croit mais elle recherche les motifs qui
portent l’homme à croire ; par exemple la parole de Dieu et les miracles.
Objection
N°2. La foi réside dans la raison comme nous le verrons (quest. 4, art. 2). Or,
la pensée est un acte de la puissance cogitative qui appartient à la partie
sensitive de l’âme, comme nous l’avons vu (1a pars, quest. 78, art.
4). Donc la pensée ne fait pas partie de la foi.
Réponse à
l’objection N°2 : Dans la définition de l’acte de foi le mot penser ne se prend pas pour l’acte de la
puissance cogitative, mais pour un acte de l’intellect, comme nous l’avons dit
(dans le corps de l’article.).
Objection
N°3. Croire est un acte de l’entendement, puisqu’il a le vrai pour objet. Or,
l’assentiment ne paraît pas être un acte de l’entendement, mais de la volonté,
ainsi que le consentement, comme nous l’avons dit (1a 2æ,
quest. 15, art. 1, réponse N°3). Donc croire ce n’est pas penser avec
assentiment.
Réponse à
l’objection N°3 : L’intellect de celui qui croit est déterminé non par la
raison, mais par la volonté. C’est pourquoi le mot assentiment se prend dans ce cas pour l’acte de l’intellect, selon
qu’il est déterminé par la volonté.
Mais c’est
le contraire. Car saint Augustin entend ainsi le mot croire dans son livre de la Prédestination des saints (chap. 2 circ. med.).
Conclusion Croire c’est penser
avec assentiment, mais la pensée ne se rapporte pas alors à la puissance
cogitative, elle n’est pas prise non plus en général pour une vue quelconque de
l’entendement, mais c’est une action de l’intelligence qui implique une
certaine recherche et le consentement de la volonté.
Il faut
répondre que le mot penser s’entend
de trois manières : 1° On le prend d’une manière générale pour tout acte
de l’entendement. C’est ainsi que saint Augustin l’entend quand il dit (De Trin., liv. 3, chap. 7) : J’appelle intelligence la faculté par laquelle
nous comprenons en pensant. 2° On le prend dans un sens plus propre pour cette
action de l’entendement qui se livre à des recherches avant d’être arrivé à
l’intelligence parfaite par la certitude de la vision (C’est-à-dire de
l’évidence.). C’est en ce sens que saint Augustin (De Trin., liv. 15, chap. 16) qu’on n’appelle pas le Fils de Dieu la
pensée mais le verbe de Dieu. Car, ajoute-t-il, notre pensée parvenant à ce que
nous savons et tirant de là sa forme, est notre verbe ; c’est pourquoi on
doit comprendre sans la pensée de Dieu le verbe de Dieu qui n’est en rien
susceptible d’être formé et qui ne peut être informe. En ce sens la pensée à
proprement parler, est le mouvement de l’âme qui délibère et qui n’est pas
encore arrivée à la vision pleine et entière de la vérité. Mais comme ce
mouvement de l’âme qui délibère peut avoir pour objet ou des idées générales,
ce qui regarde la partie intellective de l’âme, ou des idées particulières, ce
qui regarde la partie sensitive, il s’ensuit que la pensée se prend dans un
second pour l’acte de l’intellect qui délibère, et dans un troisième pour
l’acte de la puissance cogitative (Cette puissance cogitative est une des
facultés intérieures de l’âme ; c’est la faculté sensitive
cognitive ; ce n’est pas à elle que se rapporte l’acte de foi, mais à
l’entendement pur qui perçoit les vérités générales. Sur cette puissance de
l’âme, voyez ce que dit saint Thomas, 1a pars, quest.,
78, art. 4). — Si on prend le mot pensée d’une manière
générale et dans son premier sens, alors penser
avec assentiment ne renferme pas tout ce qu’on entend par le mot croire. Car, de cette manière, celui
qu’il considère ce qu’il sait ou ce qu’il comprend pense avec assentiment. Mais
si on prend le mot penser dans le
second sens (Comme l’acte de l’entendement ou de la raison discursive.), alors
il renferme tout ce qu’on entend par l’acte de foi. Car parmi les actes de
l’intellect, les uns produisent un assentiment ferme sans cette pensée
(C’est-à-dire il y a des choses que nous recevons et que nous savons
intuitivement sans avoir besoin de discourir à leur égard. Elles sont évidentes
pour nous, mais il n’en est pas de même des vérités de la foi qui restent
toujours obscures.), comme quand quelqu’un considère ce qu’il sait ou ce qu’il
comprend ; puisque cette considération est chez lui toute formée. Dans
d’autres actes la pensée est informe, et il n’y a pas d’assentiment ferme, soit
qu’on ne penche vers aucun parti, comme il arrive à celui qui doute, soit qu’on
penche plus d’un côté tout en s’arrêtant à des preuves légères, comme celui qui
soupçonne, soit qu’on s’arrête à un parti tout en craignant de se tromper,
comme le fait celui qui a une opinion. Or, l’acte de foi exige l’adhésion ferme
à un sentiment, et celui qui croit a cela de commun avec celui qui sait et qui
comprend ; mais la connaissance qui nous vient de la foi n’est pas
parfaite comme celle qui résulte de l’évidence, et celui qui croit a ceci de
commun avec celui qui doute, qui soupçonne, qui opine (Ce que le foi a de
commun avec la science, c’est qu’elle a la même certitude qu’elle ; ce
qu’elle a de commun de doute, l’opinion, le soupçon, c’est que son objet n’est
pas évident par lui-même.). Par conséquent le propre de celui qui croit, c’est
de penser et cela avec un ferme assentiment (Cet assentiment montre la
nécessité du concours de la volonté avec l’intellect pour former l’acte de foi.
On ne croit qu’autant qu’on le veut, dit saint Augustin, et c’est ce qui nous
explique pourquoi, parmi les juifs qui étaient témoins des mêmes miracles les
uns croyaient et les autres ne croyaient pas, et pourquoi parmi les fidèles qui
reçoivent les mêmes lumières, les uns en profitent et les autres n’en profitent
pas.). C’est pour ce motif qu’on distingue l’acte de foi de tous les actes de
l’intellect qui ont pour objet le vrai ou le faux (C’est-à-dire des actes qui
peuvent être erronés et qui par là même n’impliquent pas une certitude
complète.).
Article 2 :
Les actes de foi sont-ils convenablement distingués de cette manière :
croire à Dieu, croire Dieu et croire en Dieu ?
Objection
N°1. Il semble qu’on ait tort de distinguer de cette manière les actes de
foi : croire à Dieu, croire Dieu et croire en Dieu. Car pour une seule
habitude il n’y a qu’un seul acte. Or, la foi est une habitude unique, puisque
c’est une seule vertu. C’est donc à tort qu’on distingue plusieurs actes de
foi.
Réponse à
l’objection N°1 : Par ces trois expressions on ne désigne pas trois actes
de foi différents, mais un seul et même acte qui se rapporte de différentes
manières à l’objet de la foi.
Objection N°2. Ce qui est commun
à tout acte de foi ne doit pas être considéré comme un acte de foi particulier.
Or, croire à Dieu se trouve en général dans tout acte de foi, parce que la foi
repose sur la vérité première. Il semble donc qu’on ait tort de distinguer cet
acte de foi des autres.
Objection
N°3. Ce qui convient aussi aux infidèles ne peut être mis au nombre des actes
de foi. Or, croire que Dieu existe est une chose qui convient aux infidèles
comme à nous. Donc on ne doit pas mettre cette croyance parmi les actes de foi.
Réponse à
l’objection N°3 : Croire Dieu ne
convient pas aux infidèles dans le sens qu’on entend l’acte de foi. Car ils ne
croient pas que Dieu existe dans les conditions que la foi détermine (Leur acte
ne repose que sur des motifs naturels, et il manque par conséquent de la forme
qui spécifie l’acte de foi du chrétien.) C’est pourquoi ils ne croient pas Dieu
véritablement, parce que, comme le dit Aristote (Met., liv. 9, text. 22), dans les simples
le défaut de connaissance consiste seulement en ce qu’ils n’atteignent pas
complètement le but.
Objection
N°4. Il appartient à la volonté d’être mue vers la fin, puisqu’elle a pour
objet le bien et la fin elle-même. Or, croire n’est pas l’acte de la volonté,
mais de l’intellect. On ne doit donc pas établir une différence entre croire en Dieu et les autres actes
uniquement sur ce que cet acte implique un mouvement vers la fin.
Réponse à
l’objection N°4 : Comme nous l’avons dit (1a 2æ,
quest. 9, art. 1), la volonté meut l’intellect et les autres puissances de
l’âme vers leur fin, et c’est dans ce sens que l’on distingue l’acte de foi qui
consiste à croire en Dieu.
Mais c’est
le contraire. Saint Augustin établit lui-même cette distinction (Lib. de verb. Dom.,
serm. 61, chap. 2) (Sup. Joan. tract. 29 a méd.).
Conclusion
On distingue avec raison trois actes de foi de la part de l’objet relativement
à l’intellect ; ces actes sont : croire à Dieu, croire Dieu et croire
en Dieu.
Il faut
répondre que l’acte d’une puissance ou d’une habitude quelconque se considère
selon le rapport que la puissance ou l’habitude a elle-même avec son objet. Or,
l’objet de la foi peut se considérer de trois manières. En effet, puisque
croire appartient à l’intellect, selon qu’il est mû par la volonté pour donner
son assentiment, comme nous l’avons dit (art. préc., réponse N°3), l’objet
de la foi peut se considérer soit par rapport à l’intellect, soit par rapport à
la volonté qui la meut. Si on le considère par rapport à l’intellect, on peut
examiner dans l’objet de la foi deux choses, comme
nous l’avons dit (quest. 1, art. 1). L’une est l’objet matériel de la
foi ; et alors a lieu l’acte de foi qui consiste à croire Dieu (Croire Dieu c’est croire qu’il existe. Cet acte ne
suffit pas pour produire la vertu théologale de la foi. Il en est seulement la
matière, car on peut croire l’existence de Dieu d’après des motifs purement
humains ou naturels.), parce que, comme nous l’avons dit (ibid.), on ne nous propose aucune chose à croire qu’autant qu’elle
appartient à Dieu. L’autre est la raison formelle de l’objet qui est comme le
moyen à cause duquel on adhère à la vérité que l’on croit. Dans ce cas, l’acte
de foi consiste à croire à Dieu
(Croire à Dieu, c’est croire à lui comme à l’auteur de la révélation. C’est ce
qui fait de l’acte de foi une vertu théologale ; car pour croire une chose
d’une foi surnaturelle il faut la croire parce que Dieu l’a dite, et donner
pour fondement la véracité de Dieu même.), parce que, comme nous l’avons dit (ibid.), l’objet formel de la foi est la
vérité première à laquelle l’homme s’attache pour donner à cause d’elle son
assentiment à toutes les choses qu’on croit. — Si on considère en troisième
lieu l’objet de la foi selon que l’intellect est mû par la volonté, l’acte de
foi consiste alors à croire en Dieu (Croire
en Dieu c’est se porter vers lui comme vers notre fin dernière, ce que l’on
fait au moyen de la charité.). Car la vérité première se rapporte à la volonté,
comme étant sa fin.
La réponse
au second argument est par là même évidente.
Article 3 : Est-il nécessaire
au salut de croire quelque chose qui soit au-dessus de la raison ?
Objection N°1. Il semble qu’il ne
soit pas nécessaire au salut de croire quelque chose qui soit au-dessus de la
raison. Car pour le salut et la perfection d’une chose il ne faut que ce qui
convient à sa nature. Or, les choses qui sont de foi surpassent la raison
naturelle de l’homme, puisqu’il ne les voit pas, comme nous l’avons dit (quest.
1, art. 4). Donc il ne semble pas qu’il soit nécessaire de les croire pour être
sauvé.
Réponse à
l’objection N°1 : Comme la nature de l’homme dépend d’une nature
supérieure, la connaissance naturelle ne suffit pas à sa perfection, mais il
lui faut une connaissance surnaturelle, comme nous l’avons dit (dans le corps
de l’article.).
Objection
N°2. Il y a danger pour l’homme de donner son assentiment à des choses sur
laquelle il ne peut juger si ce qu’on lui dit est vrai ou faux, suivant ces
mots de Job (12, 11) : L’oreille ne
juge-t-elle pas des paroles. Or, l’homme ne peut ainsi juger des choses de
foi, parce qu’il ne peut les ramener aux premiers principes par lesquels nous
jugeons de tout. Il est donc dangereux d’ajouter foi à ces choses et par
conséquent il n’est pas nécessaire de les croire pour être sauvé.
Réponse à
l’objection N°2 : Comme l’homme adhère aux premiers principes par la
lumière naturelle de l’entendement ; de même l’homme vertueux juge
droitement au moyen de l’habitude d’une vertu des choses qui lui conviennent.
C’est ainsi que par la lumière de la foi que Dieu infuse en nous, nous donnons
notre assentiment aux choses qui sont de foi, mais non aux choses contraires.
C’est pourquoi ceux qui sont en Jésus-Christ et qu’il éclaire par la foi ne
courent aucun danger et ne peuvent être damnés.
Objection
N°3. Le salut de l’homme consiste en Dieu, d’après les paroles du Psalmiste (Ps. 36, 39) : Le salut des justes vient du Seigneur. Or, comme le dit l’Apôtre (Rom., 1, 20) : Ce qu’il y a d’invisible en Dieu est rendu visible par la connaissance
que ses créatures nous en donnent ; sa puissance éternelle et sa divinité
sont rendues manifestes par ses œuvres. Comme on ne croit pas les choses
qui sont visibles et manifestes, il s’ensuit qu’il n’est pas nécessaire pour
être sauvé que l’homme croie quelque chose.
Réponse à
l’objection N°3 : La foi pénètre plus profondément dans les choses
invisibles de Dieu sous plusieurs rapports que la raison naturelle qui ne le
connaît que par les créatures. C’est pourquoi il est écrit (Ecclésiastique, 3, 25) : Beaucoup de choses supérieures à
l’intelligence humaine vous ont été révélées.
Mais c’est
le contraire. Car l’Apôtre dit (Héb., 11,
6) : Sans la foi il est impossible
de plaire à Dieu (Le concile de Trente s’exprime ainsi à ce
sujet (sess. 6, can. 8) : Fides est salutis huamnæ initium, fundamentum et radix omnis justificationis,
sine quâ impossibile est placere Deo et ad filiorum ejus consortium pertenire.).
Conclusion
Puisque la perfection dernière de l’homme consiste dans la claire vision de
Dieu à laquelle la raison naturelle ne peut s’élever de son propre mouvement,
il a été nécessaire au salut qu’on proposât à l’homme des vérités qu’il doit
croire d’après les enseignements de la foi.
Il faut
répondre que dans toutes les natures subordonnées à d’autres, on trouve deux
choses qui concourent à la perfection de la nature inférieure. L’une résulte de
son propre mouvement ; l’autre provient du mouvement de la nature
supérieure. Ainsi l’eau tend de son propre mouvement vers le centre de la
terre, et d’après le mouvement que la lune lui imprime, elle se meut sur le
globe selon le flux et le reflux. De même les orbites des planètes se meuvent
de leur mouvement propre d’occident en orient, tandis qu’elles sont emportées
par le mouvement du premier orbite d’orient en
occident. Dans la nature il n’y a que la créature raisonnable qui se rapporte
immédiatement à Dieu ; parce que toutes les autres créatures n’arrivent
pas l’universel mais seulement au particulier, et elles participent à la bonté
divine, soit en recevant uniquement l’être, comme les choses inanimées, soit en
recevant la vie et la connaissance des choses particulières, comme les plantes
et les animaux. Mais l’être raisonnable par là même qu’il connaît la raison universelle
du bien et de l’être se rapporte immédiatement au principe universel de
l’existence. — La perfection de la créature raisonnable consiste donc non
seulement dans ce qui lui convient d’après sa nature, mais encore dans ce qui
lui est attribué d’après la participation surnaturelle de la bonté divine. Nous
avons dit ailleurs (1a 2æ, quest. 3, art. 8) que la
béatitude dernière de l’homme consiste dans la vision surnaturelle de Dieu à
laquelle il ne peut arriver qu’autant qu’il est instruit par Dieu (Toute cette
argumentation revient à ce principe unique : les moyens doivent être
proportionnés à la fin. La fin de l’homme étant surnaturelle, il ne peut y
parvenir que par des moyens surnaturels. Il faut donc une lumière surnaturelle
qui éclaire son intelligence, et une impulsion surnaturelle qui mette en
mouvement sa volonté.), comme le disciple par son maître, suivant ces paroles
de saint Jean (6, 45) : Quiconque a
écouté mon Père et a appris de lui qui je suis, celui-là vient de moi. Or,
l’homme ne participe pas immédiatement à cette science, mais successivement
conformément à sa nature. Celui qui apprend de la sorte doit nécessairement
croire pour arriver à la science parfaite ; car, comme le dit Aristote (Elench., liv. 1, chap. 2), il faut que le
disciple croie au maître. Par conséquent pour que l’homme parvienne à la vision
parfaite de la béatitude, il est préalablement nécessaire qu’il croie à Dieu,
comme le disciple au maître qui l’instruit.
Article 4 : Est-il nécessaire
de croire les choses que la raison naturelle peut démontrer ?
Objection
N°1. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire de croire ce que la raison
naturelle seule peut démontrer. Car il n’y a rien de superflu dans les œuvres
de Dieu, beaucoup moins encore que dans les œuvres de la nature. Or, il est
inutile, quand il ne faut qu’un sujet pour faire une chose, d’y en ajouter un
autre. Donc il serait superflu d’admettre par la foi ce qu’on peut connaître
par la raison naturelle.
Réponse à
l’objection N°1 : Les choses que la raison peut naturellement découvrir et
celles qu’elle peut démontrer ne suffisent pas pour donner au genre humain une
connaissance complète des choses divines. C’est pourquoi il n’est pas superflu
qu’elles soient l’objet de la foi.
Objection
N° 2. Il est nécessaire de croire les choses qui sont l’objet de la foi. Or, la
science et la foi n’ont pas le même objet, comme nous l’avons dit (quest. 1,
art. 4 et 5). Donc, puisque la science a pour objet toutes les choses qu’on
peut connaître par la raison naturelle, il semble qu’on ne soit pas obligé de
croire ce que la raison naturelle démontre.
Réponse à
l’objection N°2 : Dans le même individu la science et la foi ne peuvent
avoir pour objet la même chose ; mais ce qui est su par l’un peut être cru
par un autre, comme nous l’avons dit (quest. 1, art. 5).
Objection
N°3. Toutes les choses qui sont du domaine de la science paraissent être de la
même nature. Par conséquent si parmi les choses de science il y en a qui sont
proposées à la croyance de l’homme, il sera nécessaire pour le même motif de
croire toutes les autres, ce qui est faux. Donc il n’est pas nécessaire de
croire ce qu’on peut connaître par la raison naturelle.
Réponse à
l’objection N°3 : Quoique toutes les choses que nous pouvons savoir se
rapportent de la même manière à la science cependant elles ne se rapportent pas
toutes également à la béatitude. C’est pourquoi elles ne sont pas toutes
proposées également à notre croyance.
Mais c’est
le contraire. Car il est nécessaire de croire que Dieu est un et qu’il est
incorporel, ce que les philosophes démontrent par la raison naturelle.
Conclusion
Pour que les hommes arrivent plus rapidement et plus
sûrement à la connaissance de Dieu, il a été nécessaire à l’homme d’être
instruit par la foi, non seulement des choses qui sont supérieures à la raison
naturelle, mais encore de celles que les lumières naturelles peuvent découvrir.
Il faut
répondre qu’il a été nécessaire à l’homme d’admettre par la foi non seulement
les choses qui sont supérieures à la raison, mais encore celles qui peuvent
être connues par cette faculté, et cela pour trois motifs. 1° Pour que l’homme
arrive plus promptement à la connaissance de la vérité divine. Car la science à
laquelle il appartient de prouver l’existence de Dieu et ses attributs n’est
apprise par les hommes qu’en dernier lieu, lorsqu’ils ont déjà préalablement
étudié beaucoup d’autres sciences. Par conséquent, avec la science seule
l’homme n’arriverait à la connaissance de Dieu qu’après avoir déjà passé une
grande vie de sa vie. 2° Pour que la connaissance de Dieu soit plus générale.
Car, il y a beaucoup d’individus qui ne peuvent faire de progrès dans la
science, soit à cause de leur défaut d’intelligence, soit à cause de leurs
préoccupations et des nécessités que la vie matérielle leur impose ; soit
parce qu’ils sont trop lents à s’instruire. Tous ces individus seraient
absolument privés de la connaissance de Dieu, si la foi ne venait à leur aide.
3° A cause de la certitude. Car la raison humaine est souvent défaut quand il
s’agit des choses divines. La preuve en est que les philosophes dans leurs
investigations rationnelles sur l’homme (Si les philosophes ont erré sur
l’homme, c’est-à-dire dans la connaissance de leur propre nature, à plus forte
raison ont-ils dû se tromper sur la nature divine. C’est ce qu’on appelle dans
l’Ecole un exemple a minori
ad majus.) sont tombés
dans beaucoup d’erreurs et qu’ils ont professé des sentiments tout à fait
contraires. Par conséquent pour avoir sur Dieu des notions certaines,
indubitables, il a fallu que la foi nous les transmît, comme étant la parole de
Dieu même qui ne peut mentir.
Article 5 :
L’homme est-il tenu à croire quelque chose explicitement ?
Objection
N°1. Il semble que l’homme ne soit pas tenu à croire quelque chose
explicitement. Car personne n’est tenu à une chose qui n’est pas en son
pouvoir. Or, il n’est pas au pouvoir de l’homme de croire quelque chose
explicitement. Car l’Apôtre dit (Rom.,
10, 14) : Comment croiront-ils en
lui, s’ils n’en ont point entendu parler ? Comment en entendront-ils
parler, si personne ne leur prêche ? Et comment leur prêchera-t-on, si
personne ne leur est envoyé ? Donc l’homme n’est pas tenu de croire
quelque chose explicitement.
Réponse à
l’objection N°1 : Si l’on considère ce que peut l’homme sans le secours de
la grâce, alors il arrivera qu’il est tenu à beaucoup de choses qui lui sont
impossibles sans la grâce réparatrice telles que l’amour de Dieu et l’amour du
prochain. Il en est de même pour la croyance explicite des articles de foi.
Mais il peut toutes ces choses avec le secours de la grâce qui est un don de
Dieu et un effet de sa miséricorde. Si Dieu ne la donne pas à quelques-uns,
c’est par justice, pour les punir d’une faute passée ou du moins du péché
originel comme le dit saint Augustin (Lib.
de corrept. et grat., chap. 5 et 6)
Objection
N°2. Comme par la foi nous sommes mis en rapport avec Dieu, de même aussi par
la charité. Or l’homme n’est pas tenu d’observer les préceptes de la charité,
il suffit seulement que son âme y soit préparée, comme on le voit par le précepte
du Seigneur que nous lisons en saint Matthieu (5, 36) : Si quelqu’un vous frappe sur la joue droite,
présentez-lui l’autre, et par d’autres passages semblables l’explication de
saint Augustin (Lib. de serm. Dom. in mont., chap.
19). Donc l’homme n’est pas tenu à croire explicitement quelque chose, mais il
suffit qu’il ait l’esprit préparé à croire ce que Dieu lui propose.
Réponse à
l’objection N°2 : L’homme est tenu d’aimer d’une manière déterminée les
choses qui sont l’objet propre et essentiel de la charité, comme Dieu et le
prochain. Mais l’objection s’appuie sur les préceptes de la charité qui
n’appartiennent, pour ainsi dire, que conséquemment à l’objet de cette vertu.
Objection
N°3. Le bien de la foi consiste dans une certaine obéissance, suivant cette parole
de l’Apôtre (Rom., 1, 5) : Nous avons reçu l’apostolat pour faire obéir
à la foi toutes les nations. Or, la vertu d’obéissance n’exige pas que
l’homme observe certains préceptes déterminés, mais il suffit qu’il tienne son
cœur prêt à obéir, d’après ces paroles du Psalmiste (Ps. 118, 60) : Je suis
tout prêt et je ne suis point troublé par la sévérité de votre loi, je suis
tout prêt à garder vos commandements. Il semble donc qu’il suffise pour la
foi que l’homme soit tout prêt à croire les choses que Dieu lui propose, sans
pour cela il soit obligé de croire quelque chose explicitement.
Réponse à
l’objection N°3 : La vertu d’obéissance consiste, à proprement parler,
dans la volonté ; c’est pourquoi l’acte d’obéissance n’exige que la
prompte soumission de la volonté à celui qui commande, ce qui est l’objet
propre et essentiel de l’obéissance. Mais tel ou tel précepte se rapporte
accidentellement ou conséquemment à l’objet propre et essentiel de l’obéissance
(Telle ou telle chose commandée n’est qu’un accident relativement à l’objet
propre de l’obéissance, tandis que les vérités que nous devons croire
explicitement sont essentielles et conviennent par elles-mêmes à l’objet de la
foi.).
Mais c’est
le contraire. Saint Paul dit (Héb., 11, 6) : Pour
s’approcher de Dieu, il faut croire qu’il existe et qu’il récompense ceux qui
le cherchent.
Conclusion
L’homme est tenu de croire explicitement tous les articles de foi et
implicitement tout ce que renferment les saintes Ecritures.
Il faut
répondre que les préceptes de la loi que l’homme est tenu d’accomplir regardent
les actes des vertus, qui sont un moyen d’arriver au salut. Or, l’acte vertueux
se considère, comme nous l’avons dit (quest. 60, art. 5), selon le rapport de
l’habitude avec son objet. Dans l’objet d’une vertu quelconque, on peut
considérer deux choses : d’abord ce qui est proprement et essentiellement
l’objet de la vertu et qui est nécessaire à tout acte de vertu ; ensuite
ce qui existe par accident et qui se rapporte conséquemment à la nature propre
de l’objet. Ainsi braver le péril de la mort et attaquer les ennemis malgré ce
péril dans l’intérêt du bien général, voilà un acte qui appartient proprement
et par lui-même à l’objet de la force ; au contraire, qu’on homme s’arme,
qu’il se serve de l’épée dans une guerre juste, ou qu’il fasse autre chose
semblable, ceci revient à la vérité à l’objet de la force mais par accident
(Qu’il se soit servi d’une arme, qu’il ait pris un javelot ou une épée, ce sont
des circonstances accidentelles qui ne font rien à l’essence de la chose.). La
détermination de l’acte vertueux à l’égard de l’objet propre et essentiel de la
vertu est de nécessité de précepte, comme l’acte de la vertu lui-même, mais la
détermination de l’acte vertueux à l’égard des choses qui se rapportent
accidentellement ou secondairement à l’objet propre et essentiel de la vertu
n’est pas nécessité de précepte, sinon dans certaines circonstances de temps ou
de lieu (Ainsi par exemple, les choses qui ne sont pas essentielles à la foi,
mais qui ne s’y rapportent que comme des accessoires, nous ne sommes obligés de
les croire que dans le cas où nous savons de science certaine qu’elles ont été
révélées de Dieu. Formellement et causalement.). On doit donc dire que l’objet
essentiel de la foi est ce qui mène l’homme à la béatitude (Formellement, comme
la chose dont il jouit ; causalement, comme la chose par laquelle il
arrive à sa jouissance.), comme nous l’avons vu (quest. 1, art. 8). Mais toutes
les choses que l’Ecriture sainte renferme et que Dieu nous a transmises se
rapportent accidentellement ou secondairement à l’objet de la foi ; comme
quand il est écrit qu’Abraham eut deux fils, que David fut fils d’Isaï, etc. Par conséquent relativement aux choses premières
à croire, qui sont les articles de foi, l’homme est tenu de les croire
explicitement, comme il est tenu d’avoir la foi. Pour le reste il n’est pas
tenu de le croire explicitement mais seulement implicitement ;
c’est-à-dire qu’il doit être disposé de cœur à croire tout ce que l’Ecriture
sainte renferme. Mais il n’est tenu de croire explicitement les autres vérités qu’à
mesure qu’il découvre qu’elles sont comprises dans l’enseignement de la foi.
Article 6 :
Tous les hommes sont-ils tenus également à avoir une foi explicite ?
Objection
N°1. Il semble que tous les hommes soient tenus également à avoir une foi
explicite. Car tous sont tenus également aux choses qui sont de nécessité de
salut, comme on le voit par le précepte de la charité. Or, la foi explicite des
choses que l’on doit croire est de nécessité de salut, comme nous l’avons dit
(art. préc.). Donc tous les hommes sont tenus
également tenus à une foi explicite.
Réponse à
l’objection N°1 : La foi explicite est de nécessité de salut, mais non pas
également pour tous, parce que les supérieurs qui ont la charge d’instruire les
autres sont obligés de croire un plus grand nombre de choses explicitement.
Objection
N°2. On ne doit interroger personne sur ce qu’il n’est pas tenu de croire
explicitement. Or, quelquefois on interroge les ignorants sur les moindres
articles de foi. Donc tous les hommes sont tenus à croire explicitement tout ce
qui est de foi.
Réponse à
l’objection N°2 : On ne doit pas interroger les ignorants sur des
subtilités qui se rapportent à la foi, à moins qu’on ne soupçonne qu’ils
n’aient été induits en erreur par les hérétiques qui ont coutume d’user de ces
subtilités pour altérer la foi de ceux qui ne sont pas instruits. Toutefois si
l’on remarque qu’ils ne sont pas opiniâtrement attachés à ces mauvaises
doctrines, et qu’ils n’ont failli que par ignorance, ils ne sont pas coupables.
Objection
N°3. Si les ignorants ne sont pas tenus à avoir une foi explicite, mais
seulement implicite, il faut qu’ils aient implicitement la foi dans ceux qui
sont au-dessus d’eux. Or, cela paraît dangereux, parce qu’il pourrait arriver
que les supérieurs se trompent. Donc il semble que les inférieurs doivent aussi
avoir une foi explicite, et par conséquent tout le monde est tenu également à
croire explicitement.
Réponse à
l’objection N°3 : Les inférieurs n’ont pas une foi implicite dans la foi
de leurs supérieurs, et ils ne croient à eux qu’autant qu’ils croient eux-mêmes
à la parole de Dieu. C’est ce qui fait dire à l’Apôtre (1 Cor., 4, 16) : Soyez
mes imitateurs, comme je suis l’imitateur du Christ. Par conséquent ce
n’est pas la connaissance de l’homme qui est la règle de la foi, mais la vérité
divine. Si parmi les supérieurs il y en a qui s’égarent, leur faute ne
préjudicie point à la foi de leurs inférieurs qui croient qu’ils ont une vraie
foi ; à moins que ces derniers ne s’attachent opiniâtrement à leur
sentiment particulier, contrairement à la foi de l’Eglise universelle qui ne
peut défaillir, d’après ces paroles de Jésus-Christ (Luc, 22, 32) : J’ai prié pour vous, Pierre, afin que votre
foi ne défaille pas.
Mais c’est
le contraire. Job dit (1, 14) : Les
bœufs labouraient et les ânesses paissaient près d’eux ; parce que les
simples qui sont représentés par les ânesses doivent en matière de foi
s’attacher à ceux qui sont au-dessus d’eux, et qui sont représentés par les
bœufs, comme le dit saint Grégoire (Mor., liv. 2, chap. 17).
Conclusion
Puisqu’il appartient aux supérieurs d’instruire dans la foi ceux qui leur sont
soumis, il faut qu’ils aient une connaissance plus pleine des choses que l’on
doit croire et qu’ils les croient plus explicitement.
Il faut
répondre que l’explication des choses de foi se fait par la révélation divine.
Car les choses que l’on doit croire surpassent la raison naturelle. Or, la
révélation divine arrive aux inférieurs par les supérieurs
hiérarchiquement ; ainsi les anges la communiquent aux hommes et les anges
supérieurs aux anges inférieurs, comme le dit saint Denis (De cœl. hier, chap. 4 et 7). C’est
pourquoi, pour la même raison, l’explication de la foi doit se faire de manière
que les hommes supérieurs la communiquent aux inférieurs. Et, comme les anges
supérieurs qui illuminent les inférieurs ont des choses divines une
connaissance plus pleine que les autres, selon la marque de saint Denis (De cœl. hier,
chap. 12), de même les hommes supérieurs, qui ont la mission d’instruire les
autres, sont tenus à avoir une connaissance plus parfaite des choses de foi et à
les croire plus explicitement.
Article 7 :
La foi explicite au mystère de l’incarnation du Christ est-elle de nécessité de
salut pour tous ?
Objection
N°1. Il semble que la croyance explicite du mystère de l’Incarnation du Christ
ne soit pas pour tous de nécessité de salut. Car l’homme n’est pas tenu de
croire explicitement ce que les anges ignorent, parce que ce qui explique la
foi, c’est la révélation divine qui arrive aux hommes par l’intermédiaire des
anges, comme nous l’avons dit (art. préc., part. 1, quest. 111, art. 1). Or, les anges ont ignoré le
mystère de l’Incarnation. C’est pourquoi ils demandaient (Ps. 23, 8) : Quel est ce
roi de gloire ? Et dans Isaïe (63, 1) : Quel est celui qui vient d’Edom ? selon l’interprétation de saint Denis. (De cœl. hier, chap. 7). Donc les hommes
n’étaient pas tenus de croire explicitement el mystère de l’Incarnation du
Christ.
Réponse à
l’objection N°1 : Les anges n’ont pas absolument ignoré le mystère du
royaume de Dieu, comme le dit saint Augustin (Sup. Gen. ad litt.,
liv. 5, chap. 19). Mais ils ont connu plus parfaitement certaines raisons de ce
mystère une fois que le Christ le leur a révélé.
Objection
N°2. Il est constant que saint Jean Baptiste a été un des plus grands hommes et
celui qui s’est le plus rapproché du Christ, puisque le Seigneur dit de lui (Matth., 11, 11) : Parmi
les enfants des hommes il n’en a pas paru de plus grand que lui. Or, saint
Jean Baptiste ne paraît pas avoir connu explicitement le mystère de
l’Incarnation du Christ, puisqu’il a demandé à Notre-Seigneur :
Etes-vous celui qui doit venir ; en
attendons-nous un autre ? (Matth., 11, 3)
Donc les plus grands hommes n’étaient pas tenus à croire explicitement en
Jésus-Christ.
Réponse à
l’objection N°2 : Saint Jean baptiste n’a pas parlé de l’avènement du
Christ dans sa chair comme s’il l’eût ignoré, puisqu’il l’a confessé
expressément en disant : Je l’ai vu
et j’ai rendu témoignage qu’il le Fils de Dieu (Jean, 1, 34). Aussi
n’a-t-il pas dit : Est-ce vous qui êtes venu ? mais :
Est-ce vous qui devez venir ? parlant au futur et
non au passé. De même, il ne faut pas croire qu’il ait ignoré sa passion, car
il avait dit (Jean, 1, 29) : Voici
l’Agneau de Dieu, voici celui qui enlève les péchés du monde, annonçant
ainsi à l’avance son immolation future. Toutefois les autres prophètes ne
l’avaient pas ignorée non plus, mais ils l’avaient prédite longtemps
auparavant, comme on le voit dans Isaïe (chap. 53). On peut donc dire avec
saint Grégoire (hom 7 in Ev.), qu’il a demandé s’il
descendrait en personne aux enfers. Il savait bien que la vertu de sa passion
devait s’étendre jusqu’à ceux qui étaient détenus aux limbes, d’après cette
parole de Zacharie (9, 2) : Par le
sang du testament vous avez fait sortir les captifs du lac où il n’y a pas
d’eau. Mais avant l’événement il n’était pas tenu de croire explicitement
que le Christ descendrait là par lui-même. — Ou bien on peut dire avec saint
Ambroise (in Luc, chap. 7) que saint
Jean n’a pas ainsi interrogé le Christ parce qu’il doutait ou parce qu’il ne
savait pas, mais plutôt par déférence ou par amour. — Ou bien encore on peut
dire avec saint Chrysostome (In Matth., hom. 37) qu’il ne l’a
pas interrogé parce qu’il ignorait, mais pour que le Christ satisfît lui-même
ses disciples. C’est pourquoi le Christ, pour l’instruction des disciples, a
répondu en montrant ses œuvres.
Objection
N° 3. Une foule de gentils ont été sauvés par le ministère des anges, comme le
dit saint Denis (De cœl.
hier, chap. 4 et 9). Or les gentils n’ont eu dans le Christ ni foi
explicite, ni foi implicite, puisqu’aucune révélation
ne leur a été faite. Il semble donc qu’il n’ait pas été nécessaire à tous pour
être sauvés de croire explicitement le mystère de l’Incarnation du Christ.
Réponse à
l’objection N°3 : Le Christ a été révélé à une foule de gentils, comme on
le voit par les choses qu’ils ont prédites. Car Job (19, 25) dit : Je sais que mon Rédempteur vit. La
sibylle a aussi fait des prophéties sur le Christ (La plupart des Pères des
premiers siècles ont cru à l’authenticité des oracles sybillins.
Mais aujourd’hui il est généralement admis que ce recueil est apocryphe (Voyez
à ce sujet la Patrologie de Mœhler.), comme le dit saint Augustin (Contr. Faust., liv. 13, chap. 15). Dans l’histoire romaine, on lit aussi
que du temps de Constantin et d’Hélène sa mère, on découvrit un sépulcre dans
lequel se trouvait un homme ayant sur sa poitrine une lame d’or sur laquelle on
avait écrit : Le Christ naîtra de la Vierge, et je crois en lui. O
soleil ! tu me verras de nouveau à l’époque de
Constantin et d’Hélène (Hélène pour Irène. On peut voir ce fait dans Baronius, qui le rapporte d’après Théophane (ad an. 780).).
D’ailleurs s’il y en a qui ont été sauvés sans avoir connu la révélation, ils
ne l’ont pas été sans la foi du Médiateur, parce que, quoiqu’ils n’aient pas eu
la foi explicite, ils ont eu du moins la foi implicite dans la providence divine
(D’après saint Thomas lui-même, la foi implicite a suffi pour ceux qui avant la
prédication de l’Evangile n’ont pas entendu parler du Messie. Il nous semble
que les nations polythéistes actuelles sont précisément dans cet état et que
par conséquent, pour elles la foi implicite suffit.), en croyant que Dieu
délivre les hommes de la manière qu’il lui plaît et selon que l’Esprit l’a
révélé à ceux qui connaissent la vérité, suivant ces paroles de Job (35,
11) : C’est Dieu qui nous rend plus
éclairés que les animaux de la terre.
Mais c’est
le contraire. Saint Augustin dit (De corrept. et grat., chap. 7 et Ep. 190) : Elle est saine la foi par laquelle nous croyons
qu’aucun homme jeune ou vieux n’est délivré de la contagion de la mort et du
lien du péché que par le médiateur unique de Dieu et des hommes, Jésus-Christ.
Conclusion
Puisqu’il a été décidé de toute éternité que par le mystère de l’Incarnation
les hommes arriveraient au salut, il a fallu qu’en tout temps on crût
explicitement de quelque manière ce mystère.
Il faut
répondre que, comme nous l’avons dit (art. 5 et quest. 1, art. 1), ce qui
appartient proprement et essentiellement à l’objet de la foi, c’est ce qui fait
arriver l’homme à la béatitude, c’est le mystère de l’Incarnation et de la
passion du Christ. Car il est écrit (Actes,
4, 12) : Aucun autre nom n’a été
donné aux hommes par lequel nous devions être sauvés. C’est pourquoi il a
fallu que le mystère de l’Incarnation du Christ fût cru (Soit implicitement,
soit explicitement.) de tout le monde en tout temps, mais de différentes
manières, selon la diversité des temps et des personnes. En effet avant l’état
du péché, l’homme eut une foi explicite dans l’Incarnation du Christ, comme
moyen d’arriver à la consommation de la gloire, mais non comme moyen d’être
délivré du péché par la passion et la résurrection, parce que l’homme n’eut pas
la prescience de la faute qu’il devait commettre. Mais il paraît avoir eu la
prescience de l’Incarnation du Christ (L’homme a eu la prescience de cet effet
sans avoir la prescience de sa cause. Car, d’après saint Thomas, si l’homme
n’eût pas de péché, le Fils de Dieu ne se serait pas incarné (Voir 3a
pars, quest. 1, art. 3), d’après ces paroles : L’homme laissera son père et sa mère et s’attachera à sa femme (Gen., 2, 24). Ce que l’Apôtre appelle (Eph., 5, 32) un grand sacrement dans le Christ et l’Eglise. Il n’est pas
croyable que le premier homme ait ignoré ce sacrement. — Après le péché, le
mystère de l’Incarnation du Christ fut cru explicitement, non seulement par rapport
à l’incarnation, mais encore par rapport à la passion et à la résurrection qui
ont délivré le genre humain du péché et de la mort. Autrement on n’aurait pas
figuré à l’avance la passion du Christ par certains sacrifices avant la loi et
sous la loi. Les plus savants connaissent explicitement la signification de ces
sacrifices ; les autres, croyant sous le voile de ces sacrifices que
toutes ces choses se rapportaient au Christ que devaient venir, en avaient en
quelque sorte une connaissance qui était elle-même voilée (Cette connaissance
que le peuple possédait n’était qu’implicite. C’est ce que saint Thomas dit
positivement (In 3 dist. 25, quest. 2, art. 2 et quest. 3 (?)). Et comme
nous avons dit (quest. 1, art. 7), plus ils se sont rapprochés du Christ, plus
ils ont connu distinctement ce qui concerne ces mystères. — Depuis la loi de
grâce les grands comme les petits sont tenus de croire explicitement les
mystères du Christ (Tous les théologiens ne sont pas à ce sujet du sentiment de
saint Thomas. Il y en a qui nient que la foi explicite dans l’Incarnation et la
Trinité soit nécessaire au salut. D’autres cherchent à soutenir son sentiment
en adoucissant, autant que possible, celui des thomistes.), surtout par rapport
aux choses qui sont dans toute l’Eglise l’objet des solennités publiques qui
sont proposées à la croyance de chacun, comme les articles de l’incarnation
dont nous avons parlé (quest. 1, art. 8). Mais il y a sur ces mêmes articles
d’autres points plus subtils que l’on est tenu de croire lus ou moins
explicitement, comme il convient à l’état et à la charge de chacun.
Article 8 : Est-il nécessaire
au salut de croire explicitement la Trinité ?
Objection
N°1. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire au salut de croire explicitement la
Trinité. Car l’Apôtre dit (Héb., 11, 6) : Il faut que celui qui s’approche de Dieu croie qu’il existe et qu’il
récompense ceux qui le recherchent. Or, on ne peut croire cela sans croire
à la Trinité. Donc on n’est pas obligé de croire explicitement ce mystère.
Réponse à
l’objection N°1 : Il a été nécessaire en tout temps et pour tout le monde
de croire explicitement sur Dieu ces deux choses, mais cela ne suffit pas pour
tous les temps et pour tous les individus.
Objection
N°2. Jésus-Christ dit (Jean, 17, 6) : Mon
Père, j’ai manifesté votre nom aux hommes. Saint Augustin explique ainsi ce
passage (Tract. 106 in Joan.) : Votre nom ce n’est pas celui par lequel
vous êtes appelé Dieu, mais celui par
lequel vous êtes appelé Mon Père.
Puis il ajoute : Dieu, comme l’auteur de ce monde, a été connu de toutes
les nations ; comme l’être unique qui ne devait pas être adoré avec les
faux dieux il a été connu en Judée ; comme le Père du Christ par lequel il
efface les péchés du monde, ce nom fut d’abord caché aux hommes, mais le Christ
le leur a maintenant manifesté. Par conséquent avant l’arrivée du Christ on ne
savait pas qu’il y a en Dieu paternité et filiation. Donc la Trinité n’était
pas crue explicitement.
Réponse à
l’objection N°2 : Avant l’arrivée du Christ la foi de la Trinité était
cachée dans la foi des prophètes et des docteurs, mais le Christ et les apôtres
l’ont manifestée au monde.
Objection
N°3. Nous sommes tenus de croire explicitement en Dieu ce qui est l’objet de la
béatitude. Or, l’objet de la béatitude est la bonté souveraine qu’on peut
comprendre en Dieu sans la distinction des personnes. Il n’a donc pas été
nécessaire de croire explicitement la Trinité.
Réponse à
l’objection N°3 : La bonté souveraine de Dieu peut être comprise sans la
Trinité des personnes, comme nous la comprenons maintenant par ses
effets ; mais pour qu’on la comprenne en Dieu lui-même telle que les
bienheureux la voient, on ne peut la comprendre la Trinité des personnes.
D’ailleurs c’est la mission elle-même des personnes divines qui nous conduit à
la béatitude.
Mais c’est
le contraire. Dans l’Ancien Testament la Trinité des personnes se trouve
exprimée de plusieurs manières. Ainsi dès le commencement de la Genèse (1, 26)
il est dit pour exprimer la Trinité : Faisons
l’homme à notre image et à notre ressemblance. Donc dès le commencement il
a été nécessaire au salut de croire explicitement la Trinité.
Conclusion
Comme les anciens ont cru le mystère de l’Incarnation du Christ, ainsi ils ont
dû croire le mystère de la Trinité ; mais depuis la prédication de
l’Evangile, tout le monde est tenu de croire explicitement ce dernier mystère.
Il faut
répondre qu’on ne peut pas croire explicitement le mystère de l’Incarnation du
Christ, si l’on ne croit pas à la Trinité. Car le mystère de l’Incarnation du
Christ suppose que le Fils de Dieu a pris un corps, qu’il a renouvelé le monde
par la grâce de l’Esprit-Saint, et que de plus il a
été conçu du Saint-Esprit. C’est pourquoi, comme le mystère de l’Incarnation du
Christ fut cru explicitement avant le Christ par les plus instruits et d’une
manière implicite et confuse par ceux qui l’étaient moins, de même le mystère
de la sainte Trinité. Mais sous la loi de grâce (Il nous semble que si avant la
prédication de l’Evangile le peuple n’était pas tenu de croire explicitement le
mystère de la sainte Trinité, parce qu’il n’avait pas reçu les lumières
suffisantes à cet égard, on ne doit pas croire que les infidèles qui existent
maintenant, et qui n’ont jamais entendu parler du Christ et de la trinité des personnes
divines soient tenus à croire explicitement ces dogmes. L’Incarnation
n’aurait contribué qu’à leur rendre le salut plus difficile, en leur imposant
une obligation qu’auparavant ils n’avaient pas.) tous les
hommes (C’est-à-dire tous ceux auxquels l’Evangile a été annoncé, comme on le
voit d’après le contexte, mais non les infidèles) sont tenus de croire
explicitement le mystère de la sainte Trinité ; et tous ceux qui
renaissent dans le Christ obtiennent cette grâce par l’invocation de la
Trinité, selon ces paroles de l’Evangile (Matth.,
chap. ult. 19) : Allez, enseignez
toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
Article 9 : L’acte de foi
est-il une chose méritoire ?
Objection
N°1. Il semble qu’un acte de foi ne soit pas méritoire. Car le principe du
mérite c’est la charité, comme nous l’avons dit (1a 2æ,
quest. 114, art. 4). Or, la foi est une prédisposition à la charité, comme la
nature. Par conséquent comme un acte naturel n’est pas méritoire, puisque nous
ne méritons pas par les facultés de notre nature, de même un acte de foi ne
l’est pas non plus.
Réponse à
l’objection N°1 : La nature qui est le principe du mérite est à la charité
ce que la matière est à la forme. Mais la foi est par rapport à la charité
comme la disposition qui précède la forme dernière. Or, il est évident que le
sujet ou la matière ne peut agir qu’en vertu de la forme ; et la
disposition qui précède n’agit pas non plus avant que la forme n’arrive. Mais
quand la forme existe, le sujet aussi bien que la disposition antérieure agit
en vertu de la forme qui est le principal principe de l’action. C’est ainsi que
la chaleur du feu agit en vertu de sa forme substantielle. Par conséquent ni la
nature, ni la foi ne peuvent sans la charité produire un acte méritoire ;
mais une foi que la charité survient l’acte de foi est rendu méritoire par la
charité de la même manière que l’acte de la nature et l’acte naturel du libre
arbitre (L’acte de foi n’est méritoire, comme tous les autres actes, qu’autant
qu’il est produit par la charité ; mais sans la charité on peut faire un
acte moralement bon, bien que cet acte soit imparfait. C’est pourquoi on a
condamné cette proposition de Quesnel : Fides non operatur nisi per charitatem (pro. 51).).
Objection
N°2. La foi tient le milieu entre l’opinion et la science ou la contemplation
des choses que l’on sait. Or, les considérations scientifiques ne sont pas
méritoires, et l’opinion ne l’est pas davantage. Donc la foi ne l’est pas non
plus.
Réponse à
l’objection N°2 : Dans la science on peut considérer deux choses :
l’assentiment de celui qui sait la chose sue, et l’application de l’esprit à la
même chose. L’assentiment en matière scientifique n’est pas soumis au libre
arbitre, parce que celui qui sait est forcé par l’efficacité de la
démonstration à donner son assentiment ; c’est pourquoi l’acquiescement à
la science n’est pas méritoire. Mais la contemplation ou l’application actuelle
de l’esprit à la chose qu’on sait dépend du libre arbitre. Car il est au pouvoir
de l’homme de s’appliquer ou de ne pas s’appliquer à une chose. C’est pourquoi
cette application peut être méritoire, si on la rapporte à la fin de la
charité, c’est-à-dire à l’honneur de Dieu ou à l’utilité du prochain. En
matière de foi ces deux choses (L’assentiment et l’application de l’esprit.)
sont soumises au libre arbitre ; c’est pourquoi sous ce double rapport
l’acte de foi peut être méritoire. Mais l’opinion n’a pas la fermeté de
l’assentiment ; car c’est quelque chose de débile et d’infirme, comme le dit
Aristote (Post., liv. 1, text. 44). Elle ne paraît donc pas émaner d’une volonté
parfaite, et par conséquent sous le rapport de l’assentiment elle ne paraît pas
méritoire, mais relativement à l’application actuelle elle peut l’être
(C’est-à-dire par rapport à la peine qu’on se donne en y réfléchissant et en
s’efforçant par tous les moyens possibles à arriver au vrai.).
Objection
N°3. Celui qui donne son assentiment à une chose en la croyant, a une cause
suffisante qui le porte à croire ou non. S’il a une cause suffisante qui le
porte à la croire, il ne semble que sa foi soit méritoire, parce qu’il ne lui
est pas libre de croire et de ne pas croire. Si d’un autre côté il n’a pas de
motif suffisant pour croire, il ne croit que par légèreté, d’après cette parole
de l’Ecriture (Ecclésiastique, 19,
14) : Celui qui croit rapidement est
léger de cœur ; et dans ce cas son acte ne paraît pas méritoire. Donc
en aucune circonstance la foi n’est méritoire.
Réponse à
l’objection N°3 : Celui qui croit a un motif suffisant pour croire ;
car il est porté à croire par l’autorité de la science divine conformée par les
miracles, et ce qui est plus puissant encore par l’instinct intérieur de Dieu
qui l’y invite. Il ne croit donc pas légèrement. Cependant il n’a pas de raison
évidente qui lui donne la science des choses qu’il croit (Il croit d’après une
évidence extrinsèque en s’appuyant sur la véracité de Dieu, mais il n’a pas
l’évidence intrinsèque. C’est pourquoi ce qu’il croit a toujours quelque chose
d’obscur, ce qui est une des causes qui rendent son acte méritoire.), et c’est
pour ce motif que son acte n’en est pas moins méritoire.
Mais c’est
le contraire. Saint Paul dit (Héb., 11,
33) : Que les saints ont par la foi
reçu l’effet des promesses éternelles ; ce qui ne serait pas, s’ils n’eussent
mérité en croyant. Donc la foi est méritoire.
Conclusion
Puisque la foi est l’acte de l’entendement qui adhère à la vérité divine sous
l’empire de la volonté mue par la grâce il est évident que cet acte est
méritoire.
Il faut
répondre que, comme nous l’avons dit (1a 2æ, quest. 114,
art. 3 et 4), nos actes sont méritoires selon qu’ils procèdent du libre arbitre
mû de Dieu par la grâce. Par conséquent tout acte humain qui est soumis au
libre arbitre, s’il se rapporte à Dieu, peut être méritoire. Or, la foi est un
acte de l’entendement qui adhère à la vérité divine sous l’empire de la volonté
mue de Dieu par la grâce. Ainsi cet acte est soumis au libre arbitre par
rapport à Dieu, et il peut donc être méritoire.
Article 10 : La raison qui nous
porte à croire les choses qui sont de foi diminue-t-elle le mérite de la
foi ?
Objection
N°1. Il semble que la raison qui nous porte à croire les choses qui sont de foi
diminue le mérite de la foi. Car saint Grégoire dit (hom.
26 in Ev.) : que la foi n’a pas
de mérite quand la raison humaine quand la raison humaine lui fournit l’appui
de l’expérience. Si donc la raison humaine produit en faveur de la foi des
preuves suffisantes, elle exclue totalement son mérite. Par conséquent il
semble que toute raison, quelle qu’elle soit, diminue le mérite de la foi, si
elle nous porte à croire les choses que la foi enseigne.
Réponse à
l’objection N°1 : Saint Grégoire parle en cet endroit de l’homme qui n’a
pas la volonté de croire les choses qui sont de foi, à moins que la raison ne
l’y porte. Mais quand l’homme a la volonté de croire les choses qui sont de foi
sur la seule autorité divine, quoiqu’il connaisse la démonstration de
quelques-unes de ces vérités, telles que l’existence de Dieu ; le mérite
de la foi n’est pour cela ni détruit, ni diminué.
Objection
N°2. Tout ce qui diminue la nature de la vertu diminue la nature du mérite,
puisque la félicité est la récompense de la vertu, comme le dit Aristote (Eth., liv. 1, chap. 9). Or, la raison
humaine semble diminuer la nature de la vertu de la foi elle-même, parce qu’il
est dans la nature qu’elle ait pour objet qu’on ne voit pas, comme nous l’avons
dit (quest. préc., art. 4 et 5). Et plus nous avons des raisons qui nous
portent à croire une chose, moins cette chose est cachée pour nous. Donc la
raison humaine en venant à l’appui des choses qui sont de foi affaiblit le
mérite de la foi.
Réponse à
l’objection N°2 : Les raisons qui viennent à l’appui de la foi ne sont pas
des démonstrations capables de donner à l’intelligence humaine l’évidence de
ces vérités. C’est pourquoi elles n’empêchent pas ces vérités de n’être pas
manifestes, mais elles écartent les obstacles de la foi en montrant que les
choses qu’on nous propose à croire ne sont pas impossibles. Par conséquent ces
raisons ne diminuent ni le mérite de la foi, ni sa nature. Quant aux raisons
démonstratives qui établissent les vérités qui servent d’introduction à la foi,
mais non les articles de foi eux-mêmes, quoiqu’elles diminuent la nature de la
foi en rendant évident ce qu’elle propose à croire, elles ne diminuent
cependant pas la nature de la charité qui rend la volonté prête à croire ces
mêmes choses quand elle n’en verrait pas l’évidence. C’est pourquoi elles
n’affaiblissent pas la nature du mérite.
Objection
N°3. Les causes des contraires sont contraires. Or, ce qui nous éloigne de la
foi en augmente le mérite, soit qu’il s’agisse d’une persécution qui nous force
à apostasier, soit que la raison nous porte à le faire. Donc la raison qui
vient au secours de la foi en diminue le mérite.
Réponse à l’objection N°3 :
Les choses qui sont contraires à la foi, soit que l’homme les trouve en
lui-même, soit qu’il soit persécuté extérieurement, augmentent d’autant plus le
mérite de la foi que la volonté se montre plus prompte et plus ferme dans sa
croyance. C’est pourquoi les martyrs ont mérité davantage par leur foi, pour ne
l’avoir point abandonnée pendant les persécutions. Les savants ont aussi un
plus grand mérite quand ils ne se laissent point ébranler par les raisonnements
que font les philosophes et les hérétiques contre la foi. Mais les choses qui
sont d’accord avec la foi (C’est-à-dire les choses qui sont d’accord avec les
dogmes de foi ou qui sont conformes à ses décrets, d’après le jugement de la
raison.) n’affaiblissent pas toujours la bonne disposition de la volonté qui
nous porte à croire ; c’est pourquoi elles ne diminuent pas toujours le
mérite de la foi.
Mais c’est
le contraire. Saint Pierre dit (1 Pierre, 3, 15) : Soyez toujours prêts à répondre pour votre défense à tous ceux qui vous
demanderont compte de votre foi et de votre espérance. Or, l’Apôtre
n’engageait pas à se rendre ainsi raison de sa foi, si par là on en diminuait
le mérite. Donc la raison ne diminue pas le mérite de la foi.
Conclusion
Si on apporte des raisonnements humains à l’appui des choses divines pour que
nous adhérions par la foi, ils détruisent complètement tout le mérite ;
mais si on les apporte, non pas pour que nous croyions, mais pour que nous nous
attachions de plus en plus fermement aux choses qui sont de foi, ils ne
diminuent pas le mérite.
Il faut
répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc.),
l’acte de foi peut être méritoire selon qu’il dépend de la volonté non
seulement quant à l’usage ou l’application, mais encore quant à l’assentiment.
Or, la raison humaine qui nous porte à croire les choses qui sont de foi peut
se rapporter de deux manières à la volonté de celui qui croit. 1° Antécédemment ; par exemple, quand
quelqu’un n’a pas la volonté de croire, ou que sa volonté n’y est disposée
qu’autant que la raison humaine l’y porte. Dans ce cas la raison diminue le
mérite de la foi (Car dans ce cas, c’est la science humaine qui se substitue à
l’autorité divine, et la foi perd alors son caractère surnaturel et devient un
fait purement scientifique ou rationnel.). C’est ainsi que nous avons dit (1a
2æ, quest. 24, art. 3, réponse N°1, et quest. 77, art. 6, réponse N°6)
que la passion qui précède l’élection, quand il s’agit des vertus morales,
diminue le mérite d’un acte vertueux. Car comme l’homme doit produire les actes
des vertus morales par raison et non par passion ; de même il doit croire
les choses qui sont de foi, non à cause de la raison humaine, mais à cause de
l’autorité divine. 2° La raison humaine peut se rapporter conséquemment (Billuart fait observer que ces mots employés par saint
Thomas n’indiquent pas une idée d’antériorité ou de postériorité ; ils
expriment tout bonnement un rapport de causalité. Ainsi dans le premier cas la
raison tend à produire elle-même la foi ; dans le second cas, c’est au
contraire la foi qui excite l’activité de la raison, puisqu’alors
on ne réfléchit, on ne raisonne que pour affermir la foi elle-même sur sa
propre base, qui est l’autorité de Dieu et sa véracité.) à
la volonté de celui qui croit. Car quand l’homme a la volonté disposée à
croire, il aime la vérité qu’il croit, il y réfléchit, et il embrasse toutes
les raisons qu’il peut trouver à son appui. Sous ce rapport la raison humaine
n’exclut pas le mérite de la foi, mais elle est le signe d’un mérite plus
considérable (Toute la pensée de saint Thomas revient ici à ce mot de saint
Anselme, qui dit que le disciple du Christ n’apprend pas pour croire, mais
qu’il croit pour savoir. Quand la science est ainsi conséquente relativement à la foi, elle ne fait qu’en augmenter le
mérite.). C’est ainsi que dans les vertus morales, la passion conséquente est
le signe d’une volonté meilleure, comme nous l’avons dit (1a 2æ,
quest. 24, art. 3, réponse N°1). C’est ce que signifie le discours que les
Samaritains adressèrent à la femme, qui représente la raison humaine, en lui
disant (Jean, 4, 42) : Ce n’est pas
sur vos paroles que nous croyons.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
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