Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
2a 2ae = Secunda Secundae
= 2ème partie de la 2ème Partie
Question 3 : De l’acte extérieur de la foi
Après
avoir parlé de l’acte intérieur de la foi, nous avons maintenant à nous occuper
de son acte extérieur qui consiste à la confesser publiquement. — A ce sujet,
deux questions se présentent : 1° La confession extérieure est-elle un
acte de foi ? (Il s’agit ici de
démontrer que la confession extérieure n’est pas seulement un acte commandé par
la foi, mais que c’est un acte qui émane de cette vertu même, comme on peut le
voir dans la réponse que saint Thomas fait (ad
tertium arg.).) — 2° La
confession de la foi est-elle nécessaire au salut ? (Cet article est une
réfutation des hérétiques qui, d’après Eusèbe (Hist., liv. 6, chap. 51), prétendaient que dans la persécution, on
pouvait nier de bouche, pourvu qu’on crût de cœur. Les priscillianistes étaient
de ce sentiment et s’appliquaient cet axiome : Jura, perjura, secretum,
prodere noli ; et il y a eu aussi des hérétiques
modernes qui ont été de ce sentiment.)
Article 1 : La
confession extérieure est-elle un acte de foi ?
Objection
N°1. Il semble que la confession extérieure ne soit pas un acte de foi. Car le
même acte n’appartient pas à différentes vertus. Or, la confession appartient à
la pénitence dont elle est une partie. Donc elle n’est pas un acte de foi.
Réponse à
l’objection N°1 : Il y a trois sortes de confession dont l’Ecriture fait
mention. La première est la confession des choses qui sont de foi (On donnait
primitivement pour ce motif le nom de confesseurs
à tous ceux qui souffraient pour la foi.) ; celle-là est l’acte de foi
proprement dit, puisqu’elle se rapporte à la fin de la foi, comme nous l’avons
dit (dans le corps de l’article.). La
seconde est la confession de l’action de grâce ou de la louange ; elle est
un acte de lâtrie, car elle a pour but de rendre
extérieurement gloire à Dieu, ce qui est la fin du culte de lâtrie
((Ps. 99, 4) : Franchissez ses portes en chantant des
louanges, ses parvis en chantant des hymnes.). La troisième est la
confession des péchés, et elle se rapporte à la rémission des fautes qui est la
fin de la pénitence ; par conséquent elle appartient à ce sacrement ((Ps. 31, 6) : Je confesserai au Seigneur contre moi-même mon injustice.).
Objection
N°2. L’homme est quelquefois empêché par la crainte ou une sorte de confusion
de confesser sa foi. C’est pourquoi l’Apôtre demande (Eph., 6, 19) qu’on prie pour lui, afin que Dieu lui donne la force de faire connaître avec confiance le mystère
de l’Evangile. Or, il appartient à la force qui modère l’audace et la
crainte de nous empêcher de nous écarter du bien par confusion ou par crainte.
Il semble donc que la confession ne soit pas un acte de foi, mais plutôt un
acte de force ou de constance.
Réponse à
l’objection N°2 : Ce qui écarte un obstacle n’est pas cause directe, mais
cause par accident, comme le dit Aristote (Phys.,
liv. 8, text. 32). Par conséquent la force qui
éloigne ce qui empêche la confession extérieure de la foi, comme la crainte ou
la honte, n’est pas la cause propre et directe de la confession, mais la cause
accidentelle.
Objection
N°3. Comme la ferveur de la foi porte un individu à la confesser
extérieurement ; de même elle le porte à faire d’autres bonnes œuvres extérieures.
Car saint Paul dit (Gal., 5,
6) : que la foi opère par l’amour.
Or, les autres bonnes œuvres extérieures ne sont pas des actes de foi. Donc la
confession non plus.
Réponse à
l’objection N°3 : La foi intérieure produit, par l’intermédiaire de la
charité et des autres vertus, tous les actes extérieurs qui correspondent à ces
mêmes vertus en les commandant, mais non en les tirant de son propre fonds.
Quant à la confession extérieure, elle la produit comme son acte propre, sans
avoir recours à l’intermédiaire d’aucune autre vertu.
Mais c’est
le contraire. Sur ces paroles de l’Apôtre : Et opus fidei in virtute
(2 Thess., 1), la glose dit : qu’il s’agit
là de la confession qui est à proprement parler l’œuvre de la foi.
Conclusion.
— Comme le concept intérieur des choses qui sont de foi est, à proprement
parler, un acte de foi, de même la confession extérieure de ces mêmes choses
est l’œuvre de cette vertu.
Il faut
répondre que les actes extérieurs d’une vertu sont, à proprement parler, les
actes qui se rapportent dans leurs espèces aux fins de cette même vertu. Ainsi
le jeûne se rapporte dans son espèce à la fin de l’abstinence, qui consiste à
mortifier la chair ; c’est pourquoi il est un acte d’abstinence. Or, la
confession des choses qui sont de foi se rapporte dans son espèce à ce qui est
de foi comme à sa fin, d’après ces paroles de l’Apôtre (2 Cor., 4, 13) : Ayant
le même esprit de foi nous croyons… et c’est pour cela que nous parlons.
Car la parole extérieure a pour but d’exprimer ce que l’on pense au fond du
cœur. Par conséquent comme la pensée intérieure des choses qui sont de foi est,
à proprement parler, un acte de foi, de même aussi la confession extérieure.
Article 2 : La confession de la
foi est-elle nécessaire au salut ?
Objection
N°1. Il semble la confession de la foi ne soit pas nécessaire au salut. Car le
salut ne semble exiger que ce qu’il faut à l’homme pour atteindre la fin de la
vertu. Or, la fin propre de la foi est l’union de
l’âme humaine avec la vérité divine, ce qui peut avoir lieu sans la confession
extérieure. Donc la confession de la foi n’est pas nécessaire au salut.
Réponse à
l’objection N°1 : La fin de la foi, comme celle des autres vertus, doit se
rapporter à la fin de la charité qui est l’amour de Dieu et l’amour du
prochain. C’est pourquoi, quand l’honneur de Dieu ou l’intérêt du prochain
l’exige, l’homme ne doit pas se contenter d’être uni à la vérité divine par sa
foi, mais il doit encore la confesser extérieurement.
Objection
N°2. Par la confession extérieure de la foi l’homme manifeste à un autre homme
sa croyance. Or, ceci n’est nécessaire que pour ceux qui sont chargés
d’instruire les autres. Il semble donc que les inférieurs ne soient pas tenus
de confesser leur foi.
Réponse à
l’objection N°2 : Dans le cas de nécessité, lorsque la foi est en péril,
chacun est tenu de manifester sa croyance aux autres pour instruire les autres
fidèles et les affermir ou pour réprimer les attaques des incrédules ;
mais dans d’autres temps il n’appartient pas à tous les fidèles d’instruire
leurs semblables sur la foi (On doit laisser ce soin à ceux qui sont chargés de
cette mission.).
Objection
N°3. Ce qui peut tourner au scandale et à la perturbation des autres n’est pas
nécessaire au salut. Car l’Apôtre dit (1
Cor., 10, 32) : Ne soyez une
occasion de scandale ni pour les Juifs, ni pour les gentils, ni pour l’Eglise
de Dieu. Or, la confession de la foi excite quelquefois les infidèles au
trouble. Donc elle n’est pas nécessaire au salut.
Réponse à
l’objection N°3 : Si la confession publique de la foi jette le trouble
parmi les infidèles, sans aucun avantage pour la foi ou les fidèles eux-mêmes,
on ne doit pas dans cette circonstance la confesser publiquement. C’est
pourquoi le Seigneur dit (Matth., 7, 6) : Ne donnez pas les choses saintes aux chiens
et ne jetez point vos perles devant les pourceaux, de peur que ne se tournant
contre vous ils ne vous déchirent. Mais si l’on espère que la confession
extérieure sera utile à la foi ou qu’il y ait nécessité, alors on doit la faire
publiquement, sans s’inquiéter du trouble que l’on cause parmi les infidèles.
C’est pour ce motif que l’Evangile rapporte (Matth.,
15, 12) que les disciples ayant dit au Seigneur que les pharisiens avaient été
scandalisés de la parole qu’ils venaient d’entendre de sa bouche, le Seigneur
leur répondit : Laissez-les,
c’est-à-dire laissez-les se troubler, ce
sont des aveugles qui conduisent des aveugles.
Mais c’est
le contraire. L’Apôtre dit (Rom., 10, 10) : Il faut
croire de cœur pour être justifié, mais il faut confesser la foi par ses
paroles pour être sauvé.
Conclusion.
— La confession de la foi n’est pas nécessaire au salut en tout temps et en
tout lieu, mais seulement en certain temps et en certain lieu ; par
exemple, quand son omission serait contraire à l’honneur dû à Dieu ou pourrait
être nuisible au prochain.
Il faut
répondre que les choses qui sont nécessaires au salut sont l’objet des
préceptes de la loi de Dieu. La confession de la foi étant une chose
affirmative, ne peut tomber que sous un précepte affirmatif. Par conséquent
elle est nécessaire au salut de la même manière et au même titre qu’elle peut
tomber sous le précepte affirmatif de la loi divine. Or, les préceptes
affirmatifs, comme nous l’avons dit (1a 2æ, quest. 71,
art. 5, réponse N°3, et quest. 88, art. 1, réponse N°2), n’obligent pas en tout
temps, quoiqu’ils soient toujours obligatoires (Le précepte qui nous oblige de
confesser notre foi est toujours obligatoire, en ce sens qu’on ne peut jamais
la nier ni par parole, ni par action.) ; mais ils obligent selon les temps
et les lieux, conformément aux autres circonstances d’après lesquelles l’acte
humain doit être limité pour être un acte de vertu. Ainsi donc la confession de
la foi n’est pas toujours, ni en tout lieu nécessité de salut ; mais en
certain temps et en certain lieu ; comme quand, en omettant de confesser
la foi, on retire à Dieu l’honneur qui lui est dû et qu’on ne rend pas au
prochain le service qu’il doit attendre de nous (On peut partir de ces deux
idées générales pour résoudre toutes les questions particulières qu’on peut
faire à ce sujet. Le précepte affirmatif oblige chaque fois qu’en s’abstenant
de confesser sa foi, il en résulte pour Dieu quelque chose d’injurieux ou pour
le prochain quelque scandale.) ; par exemple, si
l’on interrogeait quelqu’un sur la foi et qu’il gardât la silence (Innocent XI
a condamné cette proposition : Si de
potestate publicâ quis interrogetur, fidem tanquam confiteri,
ut Deo et fidei gloriosum consulo, tacere ui prævaricosum non damno.), on croirait par là ou qu’il n’a pas la foi ou
que sa foi n’est pas sincère, et d’autres pourraient être portés à perdre la
foi par suite de ce silence. Car dans ces circonstances la confession de la foi
est nécessité de salut.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques,
par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à
Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de
Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du
père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé
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