Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
2a 2ae = Secunda Secundae
= 2ème partie de la 2ème Partie
Question 5 : De ceux qui ont la foi
Après
avoir parlé de la vertu de la foi, nous avons à nous occuper de ceux qui la
possèdent. — A ce sujet, quatre questions se présentent : 1° L’ange ou
l’homme aurait eu la foi dans sa condition primitive ? (Saint Paul indique
la solution de cette question quand il dit (Hébr.,
chap. 2) : Sine fide
impossibile est placere
Deo.) — 2° Les démons ont-ils la foi ? — 3° Les hérétiques qui errent
sur un article de foi ont-ils la foi sur d’autres articles ? (Le sentiment
de saint Thomas sur cette question est le plus communément suivi par les
théologiens.) — 4° Parmi ceux qui ont la foi les uns ont-ils une foi plus
grande que d’autres ? (Non seulement la foi peut être plus grande dans un
individu que dans un autre, mais elle peut varier dans la même personne en
raison de la manière dont elle correspond à la grâce. C’est pour ce motif que
l’Eglise nous fait dire : Da nobis fidei, spei,
charitatis augmentum (Dom. 13 post Pentecost.).)
Article 1 : L’ange et l’homme
ont-ils eu la foi dans leur état primitif ?
Objection
N°1. Il semble que l’ange et l’homme n’aient pas eu la foi dans leur état
primitif. Car Hugues de Saint-Victor dit (De
Sac., part. 10, liv. 1, chap. 2) que parce que l’homme n’a pas l’œil de la
contemplation ouvert, il ne peut voir Dieu et les choses qui sont en lui. Or,
l’ange dans son état primitif, avant sa confirmation de la gloire ou sa chute,
eut l’œil de la contemplation ouvert : car il voyait les choses dans le
Verbe, comme le dit saint Augustin (Sup. Gen. ad litt., liv. 2, chap.
8). De même le premier homme dans l’état d’innocence semble avoir eu lieu de la
contemplation ouvert. Car Hugues de Saint-Victor dit (De Sac., liv. 1, part. 6, chap. 4) que l’homme dans l’état primitif
a connu son Créateur, non de cette connaissance qui nous vient du dehors par
l’ouïe, mais de celle qui nous est communiquée intérieurement par
l’inspiration ; non de cette connaissance que la foi donne maintenant à
ceux qui croient Dieu sans le voir, mais de cette connaissance qui se
manifestait plus vivement, parce que l’esprit avait présent l’objet de sa
contemplation. Donc dans l’état primitif l’homme ou l’ange n’a pas eu la foi.
Réponse à
l’objection N°1 : Quoique les paroles de Hugues de Saint-Victor aient
beaucoup de poids et fassent autorité, cependant on peut dire que la
contemplation qui détruit la nature de la foi est la contemplation céleste, par
laquelle nous voyons la vérité surnaturelle dans son essence. L’ange n’a pas eu
cette contemplation, avant sa confirmation dans la gloire, ni l’homme avant son
péché. Mais leur contemplation était plus élevée que la nôtre, et par là même
qu’ils approchaient plus près de Dieu, ils pouvaient connaître sur les actions
et sur les mystères divins plus de choses manifestement que nous n’en pouvons
connaître. Par conséquent ils n’avaient pas cette foi qui nous fait chercher
Dieu comme étant loin de nous ; car il leur était plus présent qu’à nous par
la lumière de sa sagesse, quoiqu’il ne leur fût pas présent comme il l’est aux
bienheureux par la lumière de sa gloire.
Objection
N°2. La connaissance de la foi est énigmatique et obscure, d’après ces paroles
de l’Apôtre (1 Cor., 13, 12) : Nous voyons maintenant dans un miroir et en
énigme. Or, dans l’état primitif il n’y eut point d’obscurité dans l’homme,
ni dans l’ange, parce que les ténèbres sont la peine du péché. Donc dans l’état
primitif la foi n’a pu exister ni dans l’homme, ni dans l’ange.
Réponse à
l’objection N°2 : Dans l’état primitif de l’homme ou de l’ange, il n’y
avait pas l’obscurité qui a été l’effet de la faute ou du châtiment, mais il y
avait dans l’intelligence de l’homme et de l’ange une certaine obscurité
naturelle (Cette obscurité est celle qui résulte de l’imperfection et de la
faiblesse de leur nature, qui est nécessairement bornée.), en ce sens que toute
créature est ténèbres comparée à l’immensité de la lumière divine. Cette
obscurité suffit à l’essence de la foi.
Objection N°3.
L’Apôtre dit (Rom.,
10, 17) que la foi vient de ce qu’on
a entendu ou qu’on entend, parce que la parole de Dieu est prêchée. Or, il
n’y a pas eu de prédication dans l’état primitif de l’ange ou de l’homme, et il
n’y avait pas lieu d’entendre. Donc la foi n’existait en cet état, ni dans
l’homme, ni dans l’ange.
Réponse à
l’objection N°3 : Dans l’état primitif on n’entendait pas l’homme parler
extérieurement, mais on entendait Dieu, qui parlait intérieurement ; comme
les prophètes l’entendaient eux-mêmes, d’après cette parole du Psalmiste (Ps. 84, 9) : J’écouterai ce que le Seigneur mon Dieu dit en moi.
Mais c’est
le contraire. L’Apôtre dit (Héb., 11, 6) que celui qui
s’approche de Dieu doit croire qu’il existe et qu’il récompense ceux qui le
cherchent. Or, l’ange et l’homme dans leur condition primitive étaient en
état de s’approcher de Dieu. Ils avaient donc besoin de la foi.
Conclusion.
— Puisque l’ange avant sa confirmation dans la gloire et l’homme avant son
péché n’ont pas eu cette béatitude par laquelle on voit Dieu dans son essence,
il a été nécessaire, puisqu’ils étaient dans la grâce de Dieu, qu’ils eussent
la foi.
Il faut
répondre qu’il y a des auteurs qui disent que les anges avant leur confirmation
dans la gloire et leur chute et que l’homme avant son péché n’avaient
pas la foi, parce qu’ils jouissaient alors de la claire contemplation des
choses divines. Mais puisque la foi est
l’argument des choses qu’on ne voit pas, selon l’expression de l’Apôtre (Héb., 11, 1), et que par la foi on croit ce
qu’on ne voit pas, comme le dit saint Augustin (Tract. 40 in Joan.), l’essence de la foi n’est détruite que par la
manifestation qui rend évident ou visible son objet principal. Or, l’objet principal
de la foi est la vertu première, dont la vision produit les bienheureux et
succède à la foi. Par conséquent, puisque l’ange avant sa confirmation dans la
gloire et l’homme avant son péché n’ont pas eu cette béatitude par laquelle on
voit Dieu dans son essence, il est évident qu’ils n’ont pas eu cette connaissance
manifeste qui détruirait l’essence de la foi. Ainsi il ne peut pas se faire
qu’ils n’aient pas eu cette foi, à moins que ce ne soit parce que l’objet de la
foi leur était absolument inconnu (Mais cette hypothèse est insoutenable. Car
du moment qu’on admet que l’ange et l’homme ont été créés dans la grâce, il est
nécessaire qu’ils aient connu l’objet de la foi, et c’est ce que démontre
l’argument qui suit.). Si l’homme et l’ange avaient été créés dans l’état de
pure nature, comme le disent quelques-uns, on pourrait soutenir que la foi n’a
pas existé dans l’ange avant sa confirmation, ni dans l’homme avant son péché.
Car la connaissance de la foi est supérieure à la connaissance naturelle qu’a de Dieu non seulement l’homme, mais encore l’ange. Mais
comme nous avons prouvé (1a pars, quest. 62, art. 3, et quest. 95,
art. 1) que l’homme et l’ange ont été créés avec le don de la grâce, il est
donc nécessaire d’admettre qu’au moyen de la grâce qu’ils ont reçue et qui
n’était pas encore consommée, il y eut en eux un commencement de la béatitude
qu’ils espéraient. Ce commencement est produit dans la volonté par l’espérance
et la charité, et dans l’intellect par la foi, comme nous l’avons dit (quest.
4, art. 7). C’est pourquoi il est nécessaire de dire que l’ange avant sa
confirmation dans la gloire a eu la foi ainsi que l’homme avant son péché. —
Toutefois il faut observer que dans l’objet de la foi il y a quelque chose de
formel ; c’est la vérité première (Cette vérité première n’est rien autre
chose que Dieu.) qui est supérieure à toute connaissance naturelle d’une
créature, et quelque chose de matériel, ce sont les choses (Ce qu’il y a de
matériel, ce sont les choses qui nous sont proposées à croire.) auxquelles nous
adhérons en nous attachant à cette vérité première. Quant à la première de ces
choses, la foi existe de même manière dans tous ceux qui connaissent Dieu par
leur adhésion à la vérité première et qui ne sont pas encore arrivés à la
béatitude future. Mais par rapport aux choses qui sont matériellement proposées
à notre croyance, il y en a qui sont crues par les uns et qui sont sues
manifestement par les autres, même dans l’état présent, comme nous l’avons dit
(quest. 1, art. 5, et quest. 2, art. 4, réponse N°2). En ce sens on peut dire
que l’ange avant sa confirmation et l’homme avant le péché, ont connu d’une
manière manifeste quelques-uns des divers mystères que nous ne pouvons plus
maintenant connaître que par la foi (Cette différence est analogue à celle
qu’il y a entre la foi du savant et de celle de l’ignorant.).
Article 2 : Les démons ont-ils
la foi ?
Objection
N°1. Il semble que les démons n’ont pas la foi. Car saint Augustin dit (De Præd. sanct., chap. 5) que la foi consiste dans
la volonté de ceux qui croient. Or, la volonté que l’on a de croire à Dieu est
bonne. Donc puisqu’il n’y a pas dans les démons une volonté délibérée qui soit
bonne, comme nous l’avons dit (quest. 64, art. 2, réponse N°5), il semble que
les démons n’aient pas la foi.
Réponse à
l’objection N°1 : La foi des démons est en quelque sorte contrainte (Billuart fait remarquer que saint Thomas ne dit pas que
leur volonté est absolument contrainte, parce qu’il n’y a que l’évidence
intrinsèque qui soit absolument irrésistible et qu’ils ne l’ont pas.) par
l’évidence des preuves ; c’est pourquoi elle n’est pas une marque de la
bonne disposition de leur volonté.
Objection
N°2. La foi est un don de la grâce divine, d’après ces paroles de l’Apôtre (Eph., 2, 8) : C’est par la grâce de Dieu que vous avez été sauvés par la foi ;
car c’est un don de Dieu. Or, les démons ont perdu les dons gratuits par le
péché, comme le dit la glose (Ord. hier.)
sur ces paroles d’Osée (3, 1) : tandis
qu’ils se tournent vers des dieux étrangers. La foi n’est donc pas restée
dans les démons après le péché.
Réponse à
l’objection N°2 : La foi qui est un don de la grâce porte l’homme à croire
en raison de l’affection qu’il a pour le bien, quoiqu’elle soit informe. Par
conséquent la foi qui est dans les démons n’est pas un don de la grâce (Elle ne
peut pas être en eux une vertu infuse, puisqu’ils sont absolument dépouillés de
tous les dons gratuits.), mais ils sont plutôt forcés à croire par la
pénétration de leur entendement naturel.
Objection
N°3. L’infidélité paraît être le plus grave des péchés, comme le dit saint
Augustin (Tract. 89 in Joan.) à
l’occasion de ces paroles de l’Evangile (Jean,
chap. 15) : Si je n’étais pas venu
et que je ne leur eusse pas parlé ils ne seraient pas coupables ;
maintenant leur péché est sans excuse. Or, il y a des hommes qui sont
coupables du péché d’infidélité. Si donc les démons avaient la foi, il y aurait
des hommes qui feraient un péché plus grave que celui des démons, ce qui semble
répugner. Donc la foi n’existe pas dans les démons.
Réponse à
l’objection N°3 : Les démons trouvent leur déplaisir à voir que les
preuves de la foi sont si évidentes qu’elles les forcent à croire. C’est
pourquoi leur foi ne diminue en rien la malice de leur cœur.
Mais c’est
le contraire. Saint Jacques dit (2, 19) : Les démons croient et ils tremblent.
Conclusion.
— Quoique les démons n’aient pas cette foi à laquelle l’intellect est porté à
donner son assentiment par l’empire d’une volonté qui tend au bien, ils ont
cependant cette foi contrainte qui les oblige, en raison de leur pénétration naturelle
et de l’évidence des preuves, à croire que la doctrine de l’Eglise est l’œuvre
de Dieu.
Il faut
répondre que, comme nous l’avons dit (quest. 2, art. 1, et quest. 1, art. 2),
l’intellect de celui qui croit adhère à la chose qui est crue, non parce qu’il
la voit en elle-même ou dans ses rapports avec les premiers principes qui sont
évidents par eux-mêmes, mais parce que l’autorité divine le porte à donner son
assentiment à ce qu’il ne voit pas, et qu’il est mû par l’action de la volonté.
Or, il peut se faire de deux manières que la volonté porte l’intellect à donner
son assentiment. 1° Elle l’y porte, parce qu’elle tend au bien (Car Dieu qui
est l’objet de la foi est aussi la fin de la volonté.) ; dans ce cas la
foi est un acte digne d’éloges. 2° Elle l’y porte, parce que la conviction
oblige l’intellect à penser qu’il doit croire les choses qu’on dit, bien qu’il
n’en voie pas l’évidence ; comme si un prophète annonçait sur la parole de
Dieu qu’un événement arrivera, et qu’en preuve de ce qu’il avance il ressuscite
un mort. Ce miracle convaincrait celui qui verrait que c’est manifestement Dieu
qui parle, et il croirait la chose qui aurait été prédite, bien qu’elle ne fût
pas évidente en elle-même (Dans ce cas on croit d’après des preuves extérieures
qui produisent l’évidence extrinsèque.). C’est pourquoi l’essence de la foi ne
serait pas par là détruite. Il faut donc dire que dans les fidèles, la foi
existe de la première manière et qu’elle est méritoire, mais elle n’existe pas
ainsi dans les démons ; elle n’y est que de la seconde manière (Ils n’ont
par conséquent qu’une foi naturelle qui n’a rien de méritoire.). Car ils ont
beaucoup de preuves évidentes (Le châtiment des infidèles et des pécheurs qui
tombent tous les jours dans l’enfer sont pour eux une preuve évidente de la
vérité des choses que l’Eglise enseigne.) qui leur montrent que la doctrine de
l’Eglise vient de Dieu ; quoiqu’ils ne voient pas eux-mêmes les choses que
l’Eglise enseigne, par exemple, que Dieu est trine et un, et d’autres mystères
semblables.
Article 3 : Celui qui ne croit
pas un article de foi peut-il avoir la foi informe à l’égard des autres ?
Objection
N°1. Il semble qu’un hérétique qui nie un article de foi puisse avoir la foi
informe sur les autres articles. Car l’intelligence naturelle d’un hérétique
n’est pas plus puissante que celle d’un catholique. Or, l’intelligence d’un
catholique a besoin du don de la foi pour croire un article de foi quelconque.
Il semble donc que les hérétiques ne puissent pas croire quelques articles de
foi sans le don de la foi informe.
Réponse à
l’objection N°1 : L’hérétique n’admet pas les articles sur lesquels il
n’erre pas, de la même manière que le fidèle, c’est-à-dire en s’attachant
absolument à la vérité première à laquelle l’homme ne peut s’élever que par
l’habitude de la foi ; mais il admet les choses qui sont de foi d’après sa
propre volonté et son propre jugement (Il n’a à leur égard qu’une foi purement
humaine.).
Objection
N°2. Comme la foi renferme beaucoup d’articles, de même une science, telle que
la géométrie, renferme beaucoup de conséquences. Or, un homme peut avoir la
science de la géométrie à l’égard de quelques conséquences et ignorer les
autres. Donc un homme peut avoir la foi sur certains articles de foi sans
croire les autres.
Réponse à
l’objection N°2 : Pour les différentes conséquences d’une même science il
y a divers moyens de démonstration et on peut connaître l’un sans l’autre.
Ainsi le même homme peut avoir certaines conclusions d’une même science et
ignorer les autres. Mais la foi adhère à tous les articles que l’on doit croire
par un seul et même moyen, qui est la vérité première que les saintes Ecritures
nous proposent, suivant la doctrine de l’Eglise qui en a la véritable
intelligence. C’est pourquoi celui qui s’écarte de ce moyen manque totalement
de foi.
Objection
N°3. Comme l’homme obéit à Dieu pour croire les articles de foi, de même pour
observer les commandements de la loi. Or, l’homme peut être soumis à l’égard de
certains commandements, sans l’être à l’égard des autres. Par conséquent, il
peut avoir la foi sur certains articles sans l’avoir sur d’autres.
Réponse à
l’objection N°3 : Les divers préceptes de la loi peuvent se rapporter ou à
divers motifs prochains, et alors on peut observer l’un sans l’autre (Ainsi on
peut pécher contre le troisième commandement de Dieu, tout en observant le
septième.) ; ou à un seul motif premier qui consiste à obéir parfaitement
à Dieu. On s’écarte de ce dernier par la transgression d’un seul précepte,
selon l’expression de saint Jacques (2, 10) : Celui qui viole la loi en un point est coupable, comme s’il avait
violée tous les autres.
Mais c’est
le contraire. Comme le péché mortel est contraire à la charité, de même le
défaut de foi sur un article est contraire à la foi. Or, la charité ne subsiste
pas dans l’homme après qu’il ait fait un seul péché mortel. Donc la foi
n’existe plus également quand il a nié un des articles du symbole.
Conclusion.
— Il est impossible que la foi, même informe, subsiste dans celui qui ne croit
pas un article de foi, quoiqu’il confesse la vérité de tous les autres.
Il faut
répondre que dans un hérétique qui nie un article de foi, il n’y a plus ni foi
formée (Par la foi formée on entend la foi que la charité anime, et par la foi
informe, celle qui existe sans cette vertu.), ni foi informe. La raison en est
que l’espèce d’une habitude quelconque dépend de la raison formelle de son
objet ; du moment où cette raison formelle est détruite, l’espèce de
l’habitude ne peut plus subsister. Or, l’objet formel de la foi est la vérité
première, selon qu’elle est manifestée dans les saintes Ecritures et dans
l’enseignement de l’Eglise qui procède de la vérité première elle-même. Par
conséquent, quiconque n’adhère pas à l’enseignement de l’Eglise qui procède de
la vérité première manifestée dans les saintes Ecritures, comme à la règle
divine et infaillible, celui-là n’a pas l’habitude de la foi ; mais il
possède les choses qui sont de foi d’une autre manière que par la foi. Comme
celui qui a dans son esprit une conséquence sans connaître le moyen qui la
démontre n’a pas évidemment la science, il n’a que
l’opinion. Or, il est manifeste que celui qui s’attache à la doctrine de
l’Eglise, comme à la règle infaillible, adhère à tout ce que l’Eglise
enseigne ; autrement si parmi les choses que l’Eglise enseigne il admet
celles qu’il veut et qu’il rejette celles qu’il ne veut pas, il n’adhère pas à
la doctrine de l’Eglise, comme à la règle infaillible, mais à sa propre volonté
(C’est ce que disait saint Augustin aux manichéens (cont. Faust., liv. 17, chap. 5) : Qui in Evangelio quod vultis
creditis, quod vultis non creditis, vobis potius quam Evangelio
creditis.). Ainsi il est évident que l’hérétique
qui nie opiniâtrement un article de foi n’est pas disposé à suivre en tout la
doctrine de l’Eglise. Car s’il ne niait pas obstinément il ne serait pas
hérétique, il serait seulement dans l’erreur. D’où il est clair que celui qui
est hérétique sur un article n’a pas la foi à l’égard des autres, mais
seulement une opinion conforme à sa volonté.
Article 4 : La foi peut-elle
être plus grande dans un individu que dans un autre ?
Objection
N°1. Il semble que la foi ne puisse pas être plus grande dans un individu que
dans un autre. Car la quantité de l’habitude s’apprécie d’après les objets. Or,
quiconque a la foi croit toutes les choses qui sont de foi, parce que celui qui
en rejette une perd la foi totalement, comme nous l’avons dit (art. préc.). Il semble donc que la foi ne puisse pas être plus
grande dans un individu que dans un autre.
Réponse à
l’objection N°1 : Celui qui nie opiniâtrement quelqu’une des choses qui
sont de foi, n’a pas l’habitude de la foi que possède celui qui ne croit pas
tout explicitement, mais qui est disposé à tout croire. Mais par rapport à
l’objet l’un a une foi plus grande qu’un autre, parce qu’il croit explicitement
plus de choses, comme nous l’avons dit (dans le corps de l’article.).
Objection
N°2. Les choses qui sont souveraines ne sont susceptibles ni de plus, ni de
moins. Or, l’essence de la foi est ce qu’il y a de plus élevé ; car il est
nécessaire à la foi que l’homme s’attache à la vérité première par-dessus tout.
Donc la foi n’est susceptible ni de plus, ni de moins.
Réponse à
l’objection N°2 : Il est l’essence de la foi que l’on mette la vérité
première au-dessus de tout. Mais parmi ceux qui la mettent ainsi au-dessus de
tout, les uns s’y soumettent avec plus de certitude et de dévotion que
d’autres ; et c’est en ce sens que la foi est
plus grande dans l’un que dans l’autre.
Objection
N°3. La foi est pour la connaissance gratuite ce que l’intelligence des
principes est pour la connaissance naturelle ; parce que les articles de
foi sont les premiers principes de la connaissance gratuite, comme le voit
d’après ce que nous avons dit (quest. 1, art. 7). Or, l’intelligence des
principes est égale dans tous les hommes. Donc la foi est aussi égale chez tous
les fidèles.
Réponse à
l’objection N°3 : L’intelligence des principes est une conséquence de la
nature humaine qui existe également chez tout le monde ; mais la foi est
une conséquence du don de la grâce qui n’est pas égale dans tous les fidèles,
comme nous l’avons dit (1a 2æ, quest. 112, art. 4). Il
n’y a donc pas de parité. D’ailleurs une intelligence connaît plus ou moins
qu’une autre la vérité des principes, selon qu’elle est plus ou moins capable.
Mais c’est
le contraire. Ce qui est petit et grand est susceptible de plus et de moins.
Or, la foi est petite et grande ; car le Seigneur dit à Pierre (Matth., 14, 31) : Homme
de peu de foi, pourquoi avez-vous douté ? Et il dit à une femme (Matth., 15, 28) : Femme,
votre foi est grande. Donc la foi peut être plus grande dans un individu que
dans un autre.
Conclusion.
— La foi peut être plus grande dans un individu que dans un autre, non seulement
parce qu’elle peut produire une certitude, une fermeté et une ferveur de
dévotion plus grande, mais encore ce que l’un croit explicitement plus de
choses qu’un autre.
Il faut
répondre que, comme nous l’avons dit (1a 2æ, quest. 52,
art. 1 et 2, quest. 112, art. 4), la quantité de l’habitude peut s’apprécier de
deux manières : 1° d’après l’objet ; 2° selon la participation du
sujet. L’objet de la foi peut se considérer sous deux rapports :
relativement à sa raison formelle et relativement aux choses qui sont proposées
matériellement à notre croyance. L’objet formel de la foi est un et simple
c’est la vérité première comme nous l’avons dit (quest. 1, art. 1) ; sous
ce rapport la foi ne varie pas dans ceux qui croient, mais elle est
spécifiquement la même dans tous, comme nous l’avons vu (quest. 4, art. 6).
Quant aux choses qui sont matériellement opposées à notre croyance et qui sont
multiples, elles peuvent être connues plus ou moins explicitement, et dans ce
sens un homme peut croire explicitement plus de choses qu’un autre (Un savant a
une foi plus explicite qu’un homme du peuple qui n’a pas fait une étude
spéciale des vérités de la religion.). Par conséquent la foi peut-être plus
grande dans l’un que l’autre, selon qu’elle est plus ou moins développée. Mais
si on considère la foi selon la participation du sujet, il y a ici deux choses
à observer. Car l’acte de foi procède de l’intellect et de la volonté, comme
nous l’avons dit (quest. 4, art. 2, et quest. 2, art. 1 et 2). La foi peut donc
être plus grande dans un individu, ou sous le rapport de l’intellect, parce
qu’elle produit en lui une certitude et une fermeté plus grande, ou sous le
rapport de la volonté, parce qu’elle excite en lui plus de ferveur, de dévotion
ou de confiance.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques,
par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à
Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de
Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du
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