Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
2a 2ae = Secunda Secundae
= 2ème partie de la 2ème Partie
Question 6 : De la cause de la foi
Après
avoir parlé du sujet de la foi, nous avons à nous occuper de sa cause. — A cet
égard deux questions se présentent : 1° La foi nous est-elle infuse par
Dieu ? (Cet article est une réfutation de l’erreur des pélagiens et des semi-pélagiens, qui voulaient que le commencement de la foi
vint de nous, et que sa consommation seule vînt de
Dieu. Le concile de Trente a ainsi condamné cette erreur (sess. 5, can.
3) : Si quis
dixerit sine præveniente Spiritus sancti inspiratione atque ejus adjutorio hominem credere, sperare ; diligere aut pœnitere
posse, sicut oportet ut ei justificationis
gratia conferatur : anathema sit.) — 2° La foi
informe est-elle un don de Dieu ? (Le concile de Trente paraît à ce sujet
conforme au sentiment de saint Thomas (sess. 6, can. 28) : Si quis dixerit, amissâ per peccatum gratiâ,
simul et fidem semper amilli ; aut fidem quæ remanet
non esse verum fidem, licet non sit viva :
aut eum qui fidem sine charitate habet non esse christianum :
anathema sit.)
Article 1 : La foi nous
est-elle infuse par Dieu ?
Objection
N°1. Il semble que la foi ne soit pas infuse à l’homme par Dieu. Car saint
Augustin dit (De Trin., liv. 14,
chap. 1) que la science fait naître en nous la foi, qu’elle la nourrit, la
défend et la fortifie. Or, les choses que la science engendre en nous
paraissent être plutôt des choses acquises que des choses infuses. La foi ne
paraît donc pas être infuse en nous par Dieu.
Réponse à
l’objection N°1 : La science engendre la foi et la nourrit, à la manière
de la persuasion intérieure qui est l’effet d’une certaine science (La science
et la persuasion sont des causes extérieures dont la grâce se sert, mais qui à
elles seules seraient insuffisantes.) ; mais la cause propre et principale
de la foi est ce qui meut intérieurement l’homme pour déterminer son
assentiment.
Objection
N°2. Ce que l’homme atteint par l’ouïe et la vue paraît être une chose qu’il
acquiert. Or, l’homme arrive à la foi en voyant les miracles et en écoutant
l’enseignement de la doctrine. Car il est écrit (Jean, 4, 53) : Le Père reconnut que c’était au moment où
Jésus lui dit : Votre fils vit ; il crut et avec lui toute sa maison.
Et l’Apôtre dit (Rom., 10, 17) :
que la foi vient de ce qu’on a entendu.
Donc la foi que l’homme possède est comme une vertu acquise.
Réponse à
l’objection N°2 : Ce raisonnement s’appuie sur la cause qui propose
extérieurement ce qui est de foi, ou qui persuade à le croire, soit par des
paroles, soit par des actions.
Objection
N°3. L’homme peut acquérir ce qui consiste dans sa volonté. Or, la foi consiste
dans la volonté de ceux qui croient, comme le dit saint Augustin (Lib. de prædest., chap. 5). Donc l’homme peut acquérir la foi.
Réponse à
l’objection N°3 : Croire consiste à la vérité dans la volonté de ceux qui
croient, mais il faut que Dieu prépare par sa grâce la volonté de l’homme à
s’élever aux choses qui sont supérieures à la nature, comme nous l’avons dit
(dans le corps de l’article et quest. 2, art. 3).
Mais c’est
le contraire. L’Apôtre dit (Eph., 2, 8) : C’est par la
grâce de Dieu que vous êtes sauvés au moyen de la foi, et en effet cela ne
vient pas de vous, de peur que quelqu’un ne s’en glorifie, mais c’est un don de
Dieu.
Conclusion.
— Puisque les choses de foi sont supérieures à la nature humaine et qu’en leur
donnant son assentiment l’homme est élevé au-dessus de sa nature, il est
nécessaire que cet assentiment vienne de Dieu qui nous meut intérieurement par
sa grâce et non de nous-mêmes.
Il faut
répondre que la foi exige de deux choses : 1° qu’on propose à l’homme
certaines vérités à croire, ce qui est nécessaire pour qu’il croie
explicitement quelque chose ; 2° il faut l’assentiment de celui qui croit
aux choses qui lui sont proposées. Quant à la première de ces deux choses il
est nécessaire que la foi vienne de Dieu. Car les choses qui sont de foi
surpassent la raison humaine, par conséquent l’homme ne peut les connaître
qu’autant que Dieu les lui révèle. Il les a révélées immédiatement à
quelques-uns comme aux apôtres et aux prophètes ; aux autres il les a
communiquées par le moyen des prédicateurs qu’il leur envoie, d’après ces
paroles de saint Paul (Rom., 10,
15) : Comment prêcheront-ils s’ils
ne sont envoyés ? — Quant à la seconde, c’est-à-dire quand
l’assentiment que donne l’homme aux choses de foi, on peut distinguer deux
sortes de cause : l’une extérieure, comme un miracle qu’on voit, ou la
persuasion que produit un discours. Mais aucune de ces causes n’est suffisante.
Car parmi ceux qui voient le même miracle et ceux qui entendent la même
prédication, les uns croient et les autres ne croient pas. C’est pourquoi il
faut admettre une autre cause intérieure qui porte l’homme à donner son
assentiment aux choses qui sont de foi. Les pélagiens supposaient que cette
cause était uniquement le libre arbitre de l’homme. C’est ce qui leur faisait
dire que le commencement de la foi vient de nous, en ce sens que c’est à nous à
nous préparer à donner notre assentiment aux choses qui sont de foi ;
mais, disaient-ils, la consommation de la foi vient de Dieu, parce que c’est
lui qui nous propose que nous devons croire. Cette opinion est fausse, parce
que l’homme, en donnant son assentiment aux choses de foi étant élevé par là
même au-dessus de sa nature, il faut que son assentiment soit produit en lui
par un principe surnaturel qui le meut intérieurement, et ce principe est Dieu.
C’est pourquoi, quant à l’assentiment qui est l’acte principal de la foi, la
foi vient de Dieu qui meut l’homme intérieurement par la grâce.
Article 2 : La foi informe
est-elle un don de Dieu ?
Objection
N°1. Il semble que la foi informe ne soit pas un don de Dieu. Car il est dit (Deut., 32, 4) que les œuvres de Dieu sont parfaites. Or, la foi informe est une chose
imparfaite. Donc la foi informe n’est pas l’œuvre de Dieu.
Réponse à
l’objection N°1 : La foi informe, quoiqu’elle ne soit pas parfaite de
cette perfection absolue qu’exige la vertu, est néanmoins parfaite d’une
perfection qui suffit à son essence (Elle est parfaite dans son essence ou sa
nature, quoiqu’elle n’ait pas reçu de la charité le complément qui rend sa
perfection absolue.).
Objection
N°2. Comme on dit qu’un acte est difforme, parce qu’il n’a pas la forme qu’il
doit avoir, de même on doit dire que la foi est informe pour le même motif. Or,
l’acte difforme du péché n’est pas l’œuvre de Dieu, comme nous l’avons dit (1a
2æ, quest. 79, art. 2, réponse N°2). Donc la foi informe n’est pas
non plus son œuvre.
Réponse à
l’objection N°2 : La difformité de l’acte est de l’essence de l’espèce de
l’acte lui-même, selon qu’il est un acte moral, comme nous l’avons dit (1a
2æ, quest. 71, art. 6). Car l’acte est déformé par la privation de
la forme intrinsèque qui consiste dans la juste proportion de ses
circonstances. C’est pourquoi on ne peut pas dire que Dieu, qui n’est pas la
cause de la difformité, soit la cause d’un acte difforme, bien qu’il soit la
cause de l’acte considéré comme tel. — On peut répondre encore que la
difformité implique non seulement la privation de la forme que l’acte doit
avoir, mais encore une disposition contraire. Ainsi la difformité est à l’acte
ce que la fausseté est à la foi ; c’est pourquoi comme l’acte difforme ne
vient pas de Dieu de même la foi fausse n’en vient pas non plus. Et comme la
foi informe vient de Dieu, de même les actes qui sont bons de leur nature,
quoiqu’ils ne soient pas animés par la charité, tels que la plupart de ceux des
pécheurs, en viennent aussi (Toute cette réponse roule sur la différence qu’il
y a entre l’informité et la difformité de la foi. La foi informe est la foi
imparfaite, qui est bonne en elle-même, comme tout acte moralement bon ;
au lieu que la foi difforme est la foi fausse dont Dieu ne peut pas plus être
l’auteur qu’il ne peut être l’auteur du péché.).
Objection
N°3. Celui que le Seigneur guérit l’est totalement. Car il dit (Jean, 7,
23) : Si un homme reçoit la
circoncision le jour du sabbat sans que la loi soit violée pourquoi vous mettez-vous
en colère contre moi, parce que j’ai guéri un homme dans tout son corps le jour
du sabbat ? Or, la foi guérit l’homme de l’infidélité. Par conséquent
quiconque reçoit de Dieu le don de la foi est en même temps guéri de tous ses
péchés. Et comme cet effet ne peut être produit que par la foi formée, il en
résulte qu’il n’y a que cette foi qui soit un don de Dieu et que la foi informe
n’en est pas un.
Réponse à
l’objection N°3 : Celui qui reçoit de Dieu la foi sans la charité, n’est
pas absolument guéri de l’infidélité, parce qu’elle n’écarte pas la faute de
l’infidélité antérieure ; elle ne le guérit que sous un rapport, en
faisant cesser cette espèce de péché. Or, il arrive souvent que quelqu’un cesse
de faire un péché, et par suite de ce que Dieu opère en lui, sans pour cela
s’abstenir d’un autre péché que lui suggèrent ses propres passions. De cette
manière Dieu donne quelquefois à l’homme la foi sans lui donner la charité,
comme il donne aussi à quelques-uns le don de prophétie, ou tout autre don
semblable sans cette vertu.
Mais c’est
le contraire. La Glose dit (1 Cor.,
chap. 13) que la foi qui est sans la charité est un don de Dieu. Or, cette foi
est informe. Donc la foi informe est un don.
Conclusion.
— Puisque l’informité de la foi n’appartient pas à l’essence de la foi
elle-même, il s’ensuit que la cause de la foi informe est la même que la cause
de la foi proprement dit, c’est-à-dire Dieu, et que par conséquent la foi
informe est un don de Dieu aussi bien que la foi formée.
Il faut
répondre que l’informité est une privation. Or, il est à remarquer que la
privation appartient quelque fois à l’essence de l’espèce et que quelquefois
elle n’y appartient pas, mais elle survient (Elle est pour elle un accident.) à
une chose qui possède déjà son espèce propre. Ainsi la privation de l’équilibre
des humeurs est de l’essence de l’espèce de la maladie, tandis que la non-transparence n’est pas de l’essence d’un corps
diaphane, mais elle lui survient. Par conséquent comme en assignant la cause
d’une chose, on entend assigner sa cause selon qu’elle existe dans sa propre
espèce, il s’ensuit que ce qui n’est pas cause de la privation ne peut pas être
pris pour la cause de la chose à laquelle la privation appartient, comme étant
de l’essence de cette espèce ; car on ne peut pas prendre pour la cause la
maladie ce qui n’est pas cause de l’inégalité proportionnelle des humeurs. Mais
on peut prendre une chose pour cause de la transparence quoiqu’elle ne soit pas
cause de la non-transparence qui n’est pas de
l’essence de l’espèce des corps diaphanes. Or, l’informité de la foi
n’appartient pas à l’essence de l’espèce de la foi elle-même, puisqu’on dit que
la foi est informe parce qu’elle manque d’une certaine forme extérieure
(L’informité de la foi n’est rien autre chose que la privation de la charité,
qui n’est pas de l’essence de la foi, comme nous l’avons vu.), comme nous
l’avons dit (quest. 4, art. 4). C’est pourquoi ce qui est cause de la foi
absolument parlant est aussi cause de la foi informe. Et puisque c’est Dieu,
comme nous l’avons dit (art. préc.), il s’ensuit que
la foi informe est un de ses dons.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
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