Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
2a 2ae = Secunda Secundae
= 2ème partie de la 2ème Partie
Question 7 : Des effets de la foi
Après
avoir parlé de la cause de la foi, nous avons à nous occuper de ses effets. — A
ce sujet deux questions se présentent : 1° La crainte est-elle l’effet de
la foi ? — 2° La purification du cœur est-elle l’effet de la foi ?
Article 1 : La
crainte est-elle l’effet de la foi ?
Objection
N°1. Il semble que la crainte ne soit pas l’effet de la foi. Car l’effet ne
précède pas la cause. Or, la crainte précède la foi ; car il est dit (Ecclésiastique, 2, 8) : Vous qui craignez Dieu, croyez en lui.
Donc la crainte n’est pas l’effet de la foi.
Réponse à
l’objection N°1 : La crainte de Dieu ne peut pas procéder de la foi
universellement, parce que si nous ignorions complètement les récompenses et
les peines dont la foi nous a instruit, nous ne craindrions Dieu d’aucune
manière. Mais, du moment où l’on croit quelques-uns des articles de foi, par
exemple l’excellence de Dieu, il en résulte une crainte respectueuse qui amène
ensuite l’homme à soumettre son intelligence à Dieu pour croire toutes les
choses qu’il nous a promises. C’est de là que l’Ecriture conclut : Votre récompense ne sera pas vaine. (Ces
paroles achèvent le verset cité dans l’objection.)
Objection
N°2. La même chose n’est pas cause des contraires. Or, la crainte et
l’espérance sont contraires, comme nous l’avons dit (1a 2æ,
quest. 42, art. 2). Et puisque la foi engendre l’espérance, selon l’expression
de la Glose (Gloss. interl.),
il s’ensuit qu’elle n’est pas cause de la crainte.
Réponse à
l’objection N°2 : La même chose considérée sous des rapports opposés peut
être cause d’effets contraires, mais non la même chose considérée sous le même
rapport. Or, la foi engendre l’espérance selon qu’elle nous donne l’idée des
récompenses que Dieu accorde aux justes. Mais elle est cause de la crainte,
selon qu’elle nous fait envisager les peines qu’il veut infliger aux pécheurs.
Objection
N°3. Le contraire n’est pas cause du contraire. Or, l’objet de la foi est le
bien qui est la vérité première, tandis que l’objet de la crainte est le mal,
comme nous l’avons dit (1a 2æ, quest. 42, art. 1). Comme
les actes tirent leur espèce de leur objet, d’après ce que nous avons vu (1a
2æ, quest. 18, art. 2), il en résulte que la foi n’est pas cause de
la crainte.
Réponse à
l’objection N°3 : L’objet premier et formel de la foi est le bien qui est
la vérité première ; mais la foi nous propose à croire matériellement
l’existence de certains maux ; par exemple, que c’est un mal de ne pas
être soumis à Dieu, ou d’être séparé de lui ; et que les pécheurs
endureront de rudes châtiments. Sous ce rapport la foi peut être cause de la
crainte.
Mais c’est
le contraire. Saint Jacques dit (2, 19) : Les démons croient et tremblent.
Conclusion.
— Puisque la foi informe nous montre Dieu comme le juste vengeur des crimes, et
que la foi formée par la charité nous le montre comme le bien le plus profond
et le plus élevé dont la séparation est le plus grand de tous les maux,
nécessairement l’une doit produire en nous la crainte servile, l’autre la
crainte filiale.
Il faut
répondre que la crainte est un mouvement de la puissance appétitive, comme nous
l’avons dit (1a 2æ, quest. 42, art. 1). Le principe de
tous les mouvements appétitifs étant le bien ou le mal qu’on perçoit, il faut
donc que le principe de la crainte et de tous les mouvements appétitifs soit
une perception quelconque. Or, la foi nous fait percevoir les maux que la
justice divine inflige à titre de châtiments. De cette manière la foi est cause
de la crainte qui nous fait redouter les châtiments de Dieu et qui est une
crainte servile. — Elle est aussi cause de la crainte filiale, qui fait que
nous craignons d’être séparés de Dieu, et qui nous empêche de nous comparer à lui, par suite du respect que nous lui portons. Car la foi
nous montre Dieu comme le bien infini, souverain, dont la perte est le plus
grand mal et auquel il n’est pas permis de vouloir s’égaler. La foi informe est
cause de la première crainte, c’est-à-dire de la crainte servile ; la foi
formée est cause de la seconde c’est-à-dire de la crainte filiale (La crainte
servile est produite par la foi informe ou imparfaite, parce qu’elle ne se
rapporte qu’au châtiment. Mais quand on a la charité, on ne craint plus Dieu de
cette même crainte, on le craint d’une crainte filiale, c’est-à-dire que
l’amour fait que l’on est plus sensible à la pensée de la séparation qu’à celle
de la punition.), qui fait que l’homme adhère à Dieu et lui est soumis par la
charité.
Article 2 : La purification du
cœur est-elle un effet de la foi ?
Objection
N°1. Il semble que la purification du cœur ne soit pas un effet de la foi. Car
la pureté du cœur consiste principalement dans l’affection (Ou la volonté.),
tandis que la foi réside dans l’intellect. Donc la foi ne produit pas la
purification du cœur.
Réponse à
l’objection N°1 : Les choses qui sont dans l’intellect sont les principes
de celles qui sont dans l’affection ou la volonté, car c’est le bien perçu qui
meut la volonté.
Objection
N°2. Ce qui produit la purification du cœur ne peut exister simultanément avec
l’impureté. Or, la foi peut exister simultanément avec l’impureté du péché,
comme on le voit dans ceux qui ont la foi conforme. Donc la foi ne purifie pas
le cœur.
Réponse à
l’objection N°2 : La foi informe exclut l’impureté qui lui est opposée,
c’est-à-dire l’impureté de l’erreur qui résulte de ce que l’entendement humain
s’attache déréglément aux choses qui sont au-dessous
de lui, quand il veut par exemple, apprécier les choses divines d’après la
nature des choses sensibles ; mais quand la foi est formée par la charité,
alors il n’y a pas de souillure qui soit compatible avec elle, parce que la charité couvre toutes les fautes, selon
l’Ecriture (Prov., 10, 12).
Objection N°3. Si la foi
purifiait le cœur de l’homme d’une certaine manière elle purifierait surtout
son intelligence. Or, elle ne purifie pas l’intelligence de l’obscurité,
puisqu’elle est une connaissance énigmatique. Donc la foi ne purifie le cœur
d’aucune manière.
Réponse à l’objection N°3 :
L’obscurité de la foi n’est pas un effet de la souillure que le péché imprime,
mais elle tient plutôt au défaut naturel de l’entendement humain, tel qu’il est
en cette vie (La foi ne délivre donc pas l’entendement de cette
obscurité ; elle le purge seulement de l’impureté de l’erreur, qui est
opposée à la vraie foi.).
Mais c’est
le contraire. Saint Pierre dit (Actes,
15, 9) : Dieu avait purifié leurs
cœurs par la foi.
Conclusion.
— Puisque l’homme s’attache à Dieu et aux choses divines par la foi, il
s’ensuit qu’elle le purifie de ses péchés, et cela d’autant plus parfaitement
que le fidèle est animé d’une charité plus grande.
Il faut
répondre que l’impureté d’une chose consiste en ce qu’elle est mêlée avec des
choses plus viles qu’elle. Car on ne dit pas que l’argent est impur quand il
est mêlé avec l’or qui lui donne plus de prix, mais quand il s’allie avec le
plomb ou l’étain. Or, il est évident que la créature raisonnable est plus noble
que toutes les créatures temporelles et corporelles ; c’est pourquoi elle
devient impure du moment où elle se soumet à elles par amour. Elle est purifiée
de cette impureté par un mouvement contraire, c’est-à-dire qu’elle tend vers ce
qui est au-dessus d’elle, vers Dieu. Or, le premier principe de ce mouvement
est la foi. Car il faut croire pour
s’approcher de Dieu, comme le dit l’Apôtre (Héb., 11, 6). C’est pourquoi le premier principe de la purification du
cœur, c’est la foi qui purifie la souillure de l’erreur, et qui produit la
pureté parfaite, quand elle est perfectionnée par la charité.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
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