Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

2a 2ae = Secunda Secundae = 2ème partie de la 2ème Partie

Question 20 : Du désespoir

 

            Nous avons maintenant à nous occuper des vices contraires à l’espérance ; et d’abord du désespoir, ensuite de la présomption. — Touchant le désespoir quatre questions se présentent : 1° Le désespoir est-il un péché ? (Le désespoir ne se prend pas ici négativement comme l’omission d’un acte d’espérance, mais il s’agit du désespoir positif, qui consista à ne pas chercher à arriver à la béatitude, sous prétexte qu’elle est trop difficile à obtenir.) — 2° Peut-il exister sans l’infidélité ? (Cette question revient à celle-ci : la foi peut-elle exister sans l’espérance ? En la résolvant affirmativement, saint Thomas détruit l’erreur des novateurs qui dit que la foi justifie sans les œuvres.) — 3° Est-ce le plus grand des péchés ? — 4° Vient-il de la paresse ? (On traduit aussi ici par paresse le mot acedia, qui signifie proprement l’apathie ou le dégoût des choses spirituelles (Voyez Cassien, De inst. monac., liv. 10, chap. 1).)

 

Article 1 : Le désespoir est-il un péché ?

 

Objection N°1. Il semble que le désespoir ne soit pas un péché. Car tout péché consiste en ce que l’homme se tourne vers le bien qui change en se détournant du bien qui est immuable, comme le prouve saint Augustin (1. Lib. de lib. arbit., chap. ult. et liv. 2, chap. 19). Or, par le désespoir, l’homme ne se tourne pas vers un bien qui change. Ce n’est donc pas un péché.

Réponse à l’objection N°1 : Dans tout péché mortel l’homme s’éloigne du bien qui est immuable et se tourne vers le bien qui change, mais tantôt d’une manière et tantôt d’une autre. En effet, les péchés contraires aux vertus théologales, comme la haine de Dieu, le désespoir et l’infidélité, consistent principalement dans l’éloignement du bien immuable, parce que les vertus théologales ont Dieu pour objet. Ils impliquent conséquemment l’adhésion de l’homme au bien qui change, en ce sens que l’âme ayant abandonné Dieu, il est conséquemment nécessaire qu’elle se tourne vers d’autres choses. Au contraire, les autres péchés (Les péchés contraires aux vertus morales impliquent d’abord le mouvement de la volonté vers la créature, et secondairement son éloignement de Dieu ; c’est pourquoi ils sont moins graves dans leur genre que les autres.) consistent principalement en ce que l’homme se tourne vers le bien qui change, et ils consistent conséquemment en ce qu’il s’éloigne du bien qui ne change pas. Car celui qui fait une fornication n’a pas l’intention de s’éloigner de Dieu, mais de jouir du plaisir charnel d’où il résulte qu’il s’éloigne de Dieu.

 

Objection N°2. Ce qui vient d’une bonne racine ne paraît pas être un péché, parce qu’un bon arbre ne peut pas produire de mauvais fruits, comme le dit l’Evangile (Matth., 7, 18). Or, le désespoir paraît provenir d’une bonne racine, c’est-à-dire de la crainte de Dieu et de l’horreur que l’on a pour l’étendue de ses propres fautes. Il n’est donc pas un péché.

Réponse à l’objection N°2 : Une chose peut radicalement procéder d’une vertu de deux manières : 1° directement quand elle procède de la vertu elle-même, comme l’acte procède de l’habitude ; de cette manière, un péché ne peut procéder radicalement d’une vertu. Car saint Augustin a dit en ce sens (De lib. arb., liv. 2, chap. 18 et 19) que personne ne fait mauvais usage de la vertu. 2° Une chose procède d’une vertu indirectement ou par occasion. De la sorte rien n’empêche qu’un péché ne procède d’une vertu. Ainsi il y en a qui s’enorgueillissent quelquefois de leurs vertus, et c’est ce qui fait dire à saint Augustin (Epist. 221) que l’orgueil tend un piège aux bonnes œuvres pour les faire périr. C’est ainsi que le désespoir vient de la crainte de Dieu ou de l’horreur que l’on a de ses propres péchés (Ce sont là les deux sources d’où naît le désespoir. On s’exagère d’une part l’énormité de ses fautes, son néant ; d’autre part, on ne voit que la grandeur de Dieu, sa puissance, sa justice, sans songer à sa miséricorde.), parce qu’il y en a qui abusent de ces bons sentiments et qui prennent de là occasion de se désespérer.

 

Objection N°3. Si le désespoir était un péché, c’en serait un pour les damnés de se désespérer. Or, on ne leur impute pas leur désespoir comme une faute, mais plutôt comme un effet de leur damnation. Donc on ne l’impute pas non plus à faute à ceux qui sont sur la terre, et par conséquent il n’est pas un péché.

Réponse à l’objection N°3 : Les damnés ne sont pas en état d’espérer, puisqu’ils sont dans l’impossibilité de revenir à la béatitude ; c’est pourquoi leur désespoir ne leur est pas imputé à faute, mais il fait partie de leur damnation. De même, ici-bas, si quelqu’un désespérait d’une chose qu’il n’est pas capable d’obtenir ou qu’il ne doit pas avoir, il ne ferait pas un péché ; comme quand un médecin désespère de la cure d’un malade ou que l’on désespère de devenir riche.

 

Mais c’est le contraire. Ce qui porte les hommes au péché paraît être non seulement un péché, mais encore un principe de péchés. Or, tel est le désespoir ; car saint Paul dit (Eph., 4, 19) que ceux qui désespèrent se sont abandonnés à la dissolution et plongés avec une ardeur insatiable dans toutes sortes d’impuretés. Donc le désespoir n’est pas seulement un péché, mais c’est encore le principe d’une foule d’autres fautes.

 

Conclusion. — Le désespoir, qui est un mouvement de la volonté, provenant de ce que l’on pense que Dieu refuse de pardonner au pécheur pénitent, est un péché.

Il faut répondre que, d’après Aristote (Eth., liv. 6, chap. 2), ce qui est dans l’intellect affirmation ou négation, est dans l’appétit recherche et fuite ; et ce qui dans l’intellect est vrai ou faux est dans l’appétit bon ou mauvais. C’est pourquoi tout mouvement de l’appétit qui est conforme à l’intellect vrai est bon en lui-même, tandis que tout mouvement de l’appétit qui est conforme à l’intellect faux est mauvais en lui-même et produit un péché. Ainsi à l’égard de Dieu l’intellect est dans le vrai, quand il pense que c’est de lui que provient le salut de l’homme et le pardon des péchés, suivant cette parole du prophète (Ez., 18, 23) : Je ne veux pas la mort du pécheur, mais je veux qu’il se convertisse et qu’il vive. Mais il est dans le faux, s’il pense que Dieu refuse au pécheur pénitent son pardon ou qu’il ne l’attire pas à lui par la grâce sanctifiante. C’est pourquoi comme le mouvement de l’espérance, qui est conforme à un sentiment vrai, est un mouvement louable et vertueux ; de même le mouvement contraire ou le mouvement du désespoir, qui est conforme à une opinion fausse que l’on se fait de Dieu, est vicieux et coupable (Le désespoir considéré en lui-même, indépendamment des circonstances qui peuvent en changer l’espèce, est un péché mortel.).

 

Article 2 : Le désespoir peut-il exister sans l’infidélité ?

 

Objection N°1. Il semble que le désespoir ne puisse pas exister sans l’infidélité. Car la certitude de l’espérance découle de la foi. Or, tant que la cause subsiste, l’effet n’est pas détruit. Donc on ne peut perdre la certitude de l’espérance par le désespoir, à moins qu’on ne perde la foi en même temps.

Réponse à l’objection N°1 : L’effet est détruit non seulement quand on enlève la cause première, mais encore quand on enlève la cause seconde (Surtout si le concours de ces deux causes est nécessaire pour produire l’effet, comme dans l’hypothèse actuelle.). Par conséquent le mouvement de l’espérance peut être arrêté, non-seulement quand on enlève l’idée générale de la foi, qui est comme la cause première de la certitude de l’espérance, mais encore quand on enlève l’idée particulière qui en est comme la cause seconde.

 

Objection N°2. Supposer sa propre faute plus grande que la bonté ou la miséricorde divine, c’est nier l’infinité de la miséricorde ou de la bonté de Dieu, ce qui est l’effet de l’infidélité. Or, celui qui désespère, croit sa faute supérieure à la miséricorde ou à la bonté de Dieu, suivant cette expression de l’Ecriture (Gen., 4, 13) : Mon iniquité est trop grande pour que j’en obtienne le pardon. Donc celui qui désespère est infidèle.

Réponse à l’objection N°2 : Si quelqu’un pensait en général que la miséricorde de Dieu n’est pas infinie il serait infidèle ; mais ce n’est pas là ce que pense celui qui désespère ; il croit seulement que dans son état, à cause de certaine disposition particulière, il ne doit pas espérer dans la miséricorde divine.

 

Objection N°3. Quiconque tombe dans une hérésie condamnée est infidèle. Or, celui qui désespère paraît tomber dans une hérésie condamnée, dans celle des novatiens qui disent qu’on ne remet pas les péchés après le baptême. Il semble donc que quiconque désespère soit infidèle.

Réponse à l’objection N°3 : Les novatiens nient en général que l’Eglise remette les péchés (Quoique le désespoir puisse exister sans l’infidélité, cependant il est quelquefois accompagné de pensées contraires à la foi. Ainsi on peut croire qu’il est impossible d’accomplir les commandements, que l’Eglise ne peut remettre les péchés, que les bonnes œuvres ne sont pas nécessaires au salut, etc. Dans ce cas on doit déclarer cette circonstance en confession, parce qu’elle change l’espèce du péché.).

 

Mais c’est le contraire. En écartant ce qui suit on ne détruit pas ce qui précède. Or, l’espérance est postérieure à la foi, comme nous l’avons dit (quest. 17, art. 7). Donc tout en perdant l’espérance on peut conserver la foi, par conséquent tous ceux qui désespèrent ne sont pas infidèles.

 

Conclusion. — Le désespoir peut exister sans l’infidélité comme les autres péchés.

Il faut répondre que l’infidélité appartient à l’intellect, tandis que le désespoir appartient à la puissance appétitive. L’intellect a pour objet l’universel, tandis que la puissance appétitive se rapporte aux choses particulières. Car le mouvement appétitif part de l’âme et s’arrête aux choses qui sont particulières en elles-mêmes. Or, il arrive que celui qui a une opinion juste en général, n’a pas toujours le mouvement appétitif bien réglé, parce qu’il se trompe quand il juge des choses en particulier. Car il est nécessaire qu’on arrive d’une opinion générale au désir d’une chose en particulier par l’intermédiaire d’une opinion particulière, selon la remarque d’Aristote (De animâ, liv. 3, text. 58) ; comme on ne tire d’une proposition universelle une conclusion particulière qu’en employant une proposition particulière. De là il résulte que celui qui a la foi saine en général, s’égare dans le rapport de son mouvement appétitif avec le bien particulier, parce que son opinion se trouve faussée en particulier par l’habitude ou par la passion. Ainsi celui qui fait une fornication, en choisissant la fornication comme son bien présent, a une opinion fausse sur cet objet en particulier, bien qu’il conserve une opinion générale conforme à la foi et qu’il pense que la fornication soit un péché mortel. De même tout en conservant en général une opinion conforme à la foi, c’est-à-dire tout en admettant que l’Eglise peut remettre les péchés, on peut cependant se désespérer et croire que dans l’état où l’on est il n’y a pas de pardon à obtenir (Dans ce cas le pécheur ne doute, ni de la miséricorde infinie de Dieu, ni de la puissance illimitée de l’Eglise, mais il croit que ces secours ne sont pas applicables à son âme, à cause des difficultés qu’il éprouve à faire le bien ; il peut croire, par exemple, qu’il n’est pas prédestiné, que Dieu l’a délaissé, etc., etc.), et alors on a une opinion fausse sur ce sujet en particulier. De cette manière le désespoir peut exister sans l’infidélité aussi bien que les autres péchés mortels.

 

Article 3 : Le désespoir est-il le plus grand des péchés ?

Objection N°1. Il semble que le désespoir ne soit pas le plus grand des péchés. Car le désespoir peut exister sans l’infidélité, comme nous l’avons dit (art. préc., quest. 5, art. 3, et quest. 14, art. 3). Or, l’infidélité est le plus grand des péchés, parce qu’elle renverse par ses fondements l’édifice de la vie spirituelle. Donc le désespoir n’est pas le plus grand des péchés.

 

Objection N°2. Au bien le plus grand est opposé le plus grand mal, comme le prouve Aristote (Eth., liv. 8, chap. 10). Or, la charité l’emporte sur l’espérance, d’après saint Paul (1 Cor., chap. 13). Donc la haine est un péché plus grand que le désespoir.

 

Objection N°3. Dans le péché de désespoir il n’y a qu’un éloignement déréglé de Dieu. Or, dans les autres péchés il n’y a pas seulement un éloignement déréglé de Dieu, mais il y a encore un attachement déréglé pour les créatures. Donc le péché de désespoir n’est pas le plus grave, mais il est au contraire moins grave que les autres.

 

Mais c’est le contraire. Le péché qu’on ne peut guérir paraît être le plus grave, d’après ces paroles du prophète (Jérém., 30, 12) : Votre blessure est incurable, c’est la plus terrible de toutes les plaies. Or, le péché de désespoir est incurable, suivant le même écrivain sacré (15, 18) : Ma plaie est désespérée, elle refuse de se guérir. Donc le désespoir est le péché le plus grave.

 

Conclusion. — Quoique les péchés d’infidélité et de haine contre Dieu qui détournent l’homme de Dieu soient plus graves en eux-mêmes que le désespoir, cependant par rapport à nous le désespoir est une faute plus grave et nous expose à de plus grands dangers.

Il faut répondre que les péchés qui sont contraires aux vertus théologales sont plus graves dans leur genre que les autres péchés. En effet, les vertus théologales ayant Dieu pour objet, les péchés qui leur sont opposés impliquent directement et principalement l’éloignement de l’homme par rapport à Dieu. Or, dans tout péché mortel la raison principale du mal et sa gravité proviennent de ce que l’homme s’éloigne de Dieu. Car si l’on pouvait se tourner vers le bien qui change sans s’éloigner de Dieu, quoique ce mouvement fût déréglé, il ne serait pas un péché mortel. C’est pourquoi ce qui détourne directement et par soi-même l’homme de Dieu est le plus grave de ; tous les péchés mortels. L’infidélité, le désespoir et la haine de Dieu sont des péchés opposés aux vertus théologales. Parmi ces péchés, si l’on compare la haine et l’infidélité au désespoir, on trouve qu’en eux-mêmes, c’est-à-dire d’après la nature de leur propre espèce, ils sont plus graves. Car l’infidélité provient de ce que l’homme ne croit pas la vérité de Dieu elle-même ; la haine de Dieu résulte de ce que la volonté humaine est en opposition avec la bonté divine, tandis que le désespoir provient de ce que l’homme n’espère pas participer à la bonté de Dieu. D’où il est manifeste que l’infidélité et la haine de Dieu sont contraires à Dieu considéré en lui-même, au lieu que le désespoir ne lui est contraire qu’en raison de ce que nous participons à sa bonté. Par conséquent c’est un péché plus grand, absolument parlant, de ne pas croire la vérité de Dieu ou de haïr Dieu, que de ne pas espérer obtenir de lui la gloire. — Mais si l’on compare le désespoir aux deux autres péchés par rapport à nous, alors il est plus dangereux, parce que l’espérance nous éloigne du mal et nous porte à faire le bien. C’est pourquoi, quand nous l’avons perdue, nous nous précipitons d’une manière effrénée dans tous les vices et nous nous éloignons de toutes les bonnes œuvres. A l’occasion de ces paroles de l’Ecriture (Prov., 24, 10) : Si vous vous abattez au jour de l’affliction en perdant la confiance, votre force en sera affaiblie ; la glose dit : Rien n’est plus exécrable que le désespoir ; celui qui y tombe perd la constance dans les peines générales de la vie, et ce qu’il y a de pis, dans les combats de la foi. Et saint Isidore dit (Lib. de summ. bon., liv. 2, chap. 14) : Faire un crime, c’est la mort de l’âme ; mais désespérer, c’est tomber dans l’enfer.

La réponse aux objections est par là évidente.

 

Article 4 : Le désespoir vient-il du dégoût ?

 

Objection N°1. Il semble que le désespoir ne vienne pas du dégoût. Car le même effet n’est pas produit par des causes différentes. Or, le désespoir du siècle futur procède de la luxure, comme le dit saint Grégoire (Mor., liv. 31, chap. 17). Il ne provient donc pas du dégoût.

 

Objection N°2. Comme le désespoir est contraire à l’espérance, de même le dégoût est contraire à la joie spirituelle. Or, la joie spirituelle provient de l’espérance, d’après cette parole de l’Apôtre (Rom., 12, 12) : Nous nous réjouissons dans l’espérance. Donc le dégoût, provient du désespoir et non réciproquement.

Réponse à l’objection N°2 : D’après Aristote (Rhet., liv. 1, chap. 11), comme l’espérance produit la délectation, de même les hommes quand ils sont dans la délectation sentent leur espérance grandir. C’est ainsi que ceux qui sont dans la tristesse tombent plus aisément dans le désespoir, d’après cette parole de l’Apôtre (2 Cor., 2, 7) : De peur qu’il ne soit accablé par un excès de tristesse. Toutefois l’objet de l’espérance étant le bien vers lequel tend de lui-même l’appétit et dont il ne s’éloigne pas naturellement, mais par suite d’un obstacle qui survient (Cet obstacle nous montre le bien comme étant impossible.), il s’ensuit que la joie naît de l’espérance plus directement, tandis que le désespoir naît au contraire de la tristesse.

 

Objection N°3. Les causes des contraires sont opposées. Or, l’espérance à laquelle le désespoir est opposé paraît provenir de la considération des bienfaits de Dieu et surtout de l’Incarnation. Car saint Augustin dit (De Trin., liv. 13, chap. 10) : Rien n’a été aussi nécessaire pour exciter notre espérance que de nous démontrer combien Dieu nous aimait. Et quelle preuve plus manifeste pouvait-il nous en donner que de laisser son Fils s’unir à notre nature ? Le désespoir provient donc plutôt de l’oubli de cette considération que de l’apathie spirituelle.

Réponse à l’objection N°3 : Si l’on néglige de méditer les bienfaits de Dieu, c’est déjà un effet de l’apathie. Car l’homme en proie à une passion considère principalement ce qui appartient à cette passion. Par conséquent l’homme qui est dans l’abattement ne pense pas facilement à des choses qui soient grandes et agréables, mais seulement à des choses tristes (C’est ainsi que ses réflexions le mènent au désespoir.), à moins que par un violent effort il ne se délivre de sa tristesse.

 

Mais c’est le contraire. Saint Grégoire (Mor., liv. 31, chap. 31) place le désespoir au nombre des choses qui proviennent de la paresse.

 

Conclusion. — Le péché de désespoir provient quelquefois de la luxure qui inspire à l’homme charnel du dégoût pour toutes les choses divines ; d’autres fois il provient de l’apathie spirituelle qui affaiblit et terrasse tellement le courage de l’homme qu’il regarde comme impossible le bien difficile qu’il aurait à faire.

Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (quest. 17, art. 1, et 1a 2æ, quest. 40, art. 1 et 2), l’objet de l’espérance est le bien difficile, mais possible à obtenir par soi ou par un autre. On peut donc désespérer d’obtenir la béatitude de deux manières : 1° parce qu’on ne la considère pas comme un bien difficile ; 2° parce qu’on ne croit pas possible de l’obtenir par soi ou par un autre. Si nous ne considérons pas les biens spirituels comme des biens ou s’ils ne nous paraissent pas d’un grand prix, nous sommes amenés là principalement parce que nous sommes attachés surtout aux jouissances corporelles, parmi lesquelles les délectations sensuelles tiennent le premier rang. Car il résulte de l’amour de ces plaisirs que l’homme prend à dégoût les biens spirituels et qu’il ne les espère pas comme des biens très élevés ; et c’est ainsi que le désespoir est l’effet de la luxure. — Ce qui fait qu’on ne considère pas la béatitude comme un bien difficile qu’on peut acquérir par soi ou par les autres, c’est l’excès de l’abattement qui, en dominant sur la volonté de l’homme, le porte à croire qu’il ne pourra jamais s’élever à un bien quelconque. Et comme le dégoût est une tristesse qui déprime l’âme, il s’ensuit que le désespoir naît aussi de ce défaut. — D’ailleurs l’objet propre de l’espérance étant le possible (Ainsi la luxure est opposée à l’espérance, parce qu’elle enlève à la béatitude son caractère de chose ardue, élevée, tandis que l’apathie lui est opposée, en ce qu’elle empêche de la considérer comme une chose possible. Et parce que le possible est l’objet propre de l’espérance, il s’ensuit que le désespoir vient surtout de l’apathie.), puisque le bien et le difficile appartiennent aussi aux autres passions, il s’ensuit que le désespoir vient plus spécialement de l’apathie spirituelle, quoiqu’il puisse aussi naître de la luxure pour la raison que nous avons donnée (dans le corps de l’article.).

La réponse au premier argument est par là même évidente.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

 

 

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