Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
2a 2ae = Secunda Secundae
= 2ème partie de la 2ème Partie
Question 36 : De l’envie
Après
avoir parlé du dégoût, nous avons à nous occuper de l’envie. — Sur l’envie il y
a quatre questions à faire : 1° Qu’est-ce que l’envie ? — 2° Est-ce un péché ?
— 3° Est-ce un péché mortel ? — 4° Est-ce un vice capital et quels sont les
défauts qu’il produit ?
Article 1 : L’envie
est-elle la tristesse ?
Objection
N°1. Il semble que l’envie ne soit pas la
tristesse. Car l’objet de la tristesse est le mal, tandis que celui de l’envie
est le bien. C’est ce qui fait dire à saint Grégoire (Mor., liv. 5, chap. 31) en parlant de l’envieux que son âme est
tourmentée par la félicité d’autrui. Donc l’envie n’est pas une tristesse.
Réponse à l’objection N°1 :
Rien n’empêche que ce qui est bon pour l’un ne soit considéré comme un mal pour
un autre ; et c’est en ce sens qu’on peut s’attrister du bien, comme nous
l’avons dit (dans le corps de cette question et 1a 2æ,
quest. 39).
Objection N°2. La ressemblance
n’est pas cause de la tristesse, elle est plutôt cause de la délectation. Or,
la ressemblance est cause de l’envie. Car Aristote dit (Rhet., liv. 2, chap. 10) qu’on porte envie à ceux auxquels on ressemble
sous le rapport de la naissance, de la parenté, de l’âge, de la profession ou
de la réputation. L’envie n’est donc pas une tristesse.
Réponse à l’objection N°2 :
L’envie qu’on porte à la gloire d’un autre provenant de ce que cette gloire
diminue celle qu’on désire, il s’ensuit qu’on n’est envieux qu’à l’égard de
ceux qu’on veut égaler ou surpasser. Or, nous n’avons pas ces sentiments
relativement à ceux qui sont très éloignés de nous. Car il n’y a qu’un insensé
qui s’efforce d’égaler ou de surpasser en gloire ceux qui sont beaucoup
au-dessus de lui. Ainsi un homme du peuple ne songe pas à s’égaler à un roi, ni
un roi ne se compare pas à un homme du peuple auquel il est très supérieur.
C’est pourquoi l’homme ne porte pas envie à ceux qui sont très éloignés sous le
rapport des lieux, du temps ou des positions ; mais on porte envie à ses
proches que l’on tâche d’égaler ou qu’on veut surpasser. Car, quand ils nous
surpassent en gloire, c’est contrairement à notre volonté, et c’est ce qui nous
cause de la tristesse. La ressemblance produit au contraire de la joie, parce
qu’elle se trouve en harmonie avec ce que nous désirons.
Objection N°3. La tristesse est
produite par un défaut quelconque. Par conséquent ceux qui manquent de beaucoup
de choses sont enclins à la tristesse, comme nous l’avons dit en traitant des
passions (1a 2æ, quest. 36, et quest. 47, art. 3) ;
tandis que les envieux sont ceux qui manquent de peu, qui sont ambitieux
d’honneur et qui passent pour des sages, comme le prouve Aristote (loc. cit.). L’envie n’est donc pas la
tristesse.
Réponse à l’objection N°3 :
Personne ne s’efforce d’atteindre les choses dont il se sent très éloigné.
C’est pourquoi quand quelqu’un excelle sous ce rapport, il ne lui porte pas
envie. Mais s’il s’agit d’une chose qu’on soit près d’atteindre, il semble
qu’on puisse y parvenir, et par conséquent on tâche d’y réussir. Si les efforts
qu’on fait sont vains parce qu’on se voit dépassé par un autre, on s’attriste ;
c’est pour cela que les ambitieux sont les plus envieux. De même les
pusillanimes le sont aussi beaucoup ; parce que tout leur paraît grand, et
quelque bien qu’il arrive à un autre, ils se croient tout à fait surpassés.
C’est ce qui fait dire à Job (Job, 5, 2) : L’envie
tue le plus petit. Saint Grégoire ajoute (Mor., liv. 5, chap. 31) que nous ne pouvons porter envie qu’à ceux
que nous croyons supérieurs à nous sous certain rapport.
Objection N°4. La tristesse est
contraire à la délectation. Or, les contraires n’ont pas la même cause. Par
conséquent puisque la mémoire des biens qu’on a possédés est la cause de la
délectation, comme nous l’avons dit (1a 2æ, quest. 32,
art. 3), elle n’est pas cause de la tristesse. Cependant elle est cause de
l’envie ; car Aristote dit (Rhet., liv. 2, chap.
10) que les hommes portent envie à ceux qui possèdent ou qui ont possédé ce qui
leur convenait ou ce qu’ils possédaient eux-mêmes autrefois. L’envie n’est donc
pas la tristesse.
Réponse à l’objection N°4 :
Le souvenir des biens passés produit de la joie, quand on les considère comme
des choses qu’on a possédées, mais il produit la tristesse, quand on les
envisage comme perdus, et il a pour effet l’envie quand on les voit dans les
mains des autres ; parce que c’est là ce qui paraît le plus déroger à notre
propre gloire. C’est pourquoi Aristote dit (Rhet., liv. 2, cap. 10) que les vieillards portent envie aux jeunes
gens ; et que ceux qui se sont donné beaucoup de peine pour recueillir quelque
chose, portent envie à ceux qui ont obtenu les mêmes avantages sans de grands
efforts. Car ils gémissent de perdre leurs biens et de voir que d’autres les
possèdent.
Mais c’est le contraire. Saint
Jean Damascène (De fid.
orth., liv. 2), fait de l’envie une
espèce de tristesse, et il dit que c’est une tristesse que l’on conçoit à
l’occasion du bien des autres.
Conclusion L’envie consiste à
s’attrister du bien du prochain comme s’il diminuait le nôtre et qu’il nous fit
du mal.
Il faut répondre que l’objet de
la tristesse est le mal qu’on éprouve. Or, il arrive que l’on peut considérer comme son propre mal le bien qui arrive à un
autre et pour ce motif en concevoir de la tristesse. Il en est ainsi dans deux
circonstances : 1° Quand on s’attriste du bien de quelqu’un, parce qu’il en
résulte pour soi-même le danger d’un dommage éminent ; comme quand un homme
s’attriste de l’élévation de son ennemi parce qu’il craint qu’il ne lui nuise.
Cette tristesse n’est pas de l’envie, c’est plutôt un effet de la crainte,
selon la remarque d’Aristote (Rhet., liv. 2, chap.
9). 2° Nous considérons le bien d’un autre comme notre propre mal, parce qu’il
diminue notre gloire ou notre supériorité ; c’est ainsi que l’envie s’attriste
du bien des autres. C’est pourquoi les hommes sont surtout envieux des biens
dans lesquels consiste la gloire et dont ils aiment à être loués et honorés par
leurs semblables, comme le dit le philosophe (Rhet., liv. 2, chap. 10).
Article 2 : L’envie
est-elle un péché ?
Objection
N°1. Il semble que l’envie ne soit pas un
péché. Car saint Jérôme (epist. 1) dans sa lettre à Læta sur
l’éducation de sa fille dit : Qu’elle ait des compagnes avec lesquelles elle
apprenne, auxquelles elle porte envie et dont les louanges la stimulent. Or, on
ne doit exciter personne au péché. L’envie n’est donc pas un péché.
Réponse à l’objection N°1 :
L’envie se prend ici pour le zèle, par lequel on doit s’exciter à progresser
avec ceux qui sont les plus avancés.
Objection N°2. L’envie est une
tristesse qu’on a du bien qui arrive à autrui, comme le dit saint Jean
Damascène (De fid.
orth., liv. 2, chap. 14). Or, ce
sentiment est louable quelquefois, car il est dit (Prov., 29, 2) : Quand les
impies se seront emparés du pouvoir, le peuple gémira. L’envie n’est donc
pas toujours un péché.
Réponse à l’objection N°2 :
Ce raisonnement repose sur la tristesse que l’on a du bien des autres dans le
premier sens (C’est-à-dire sur cette tristesse qui est l’effet de la crainte.).
Objection N°3. L’envie désigne un
certain zèle. Or, le zèle est une bonne chose, d’après ces paroles du Psalmiste
(Ps. 68, 1) : Le zèle de votre maison me consume. L’envie n’est donc pas toujours
un péché.
Réponse à l’objection N°3 :
L’envie diffère du zèle, comme nous l’avons dit (dans le corps de cette
question). Par conséquent le zèle peut être bon, mais l’envie est toujours
mauvaise.
Objection N°4. La peine se divise
par opposition à la faute. Or, l’envie est une peine, car saint Grégoire dit (Mor., liv. 5, chap. 31) : Quand l’envie
a corrompu de son venin le cœur qu’elle a subjugué, il y a des signes
extérieurs qui indiquent quels ravages cette passion produit dans l’âme. Car la
couleur est effacée par la pâleur, les yeux se dépriment, l’esprit s’enflamme,
les membres se refroidissent, la pensée devient furieuse, les dents se
contractent. Donc l’envie n’est pas un péché.
Réponse à l’objection N°4 :
Rien n’empêche qu’un péché ne soit une peine en raison de ce qui lui est
annexé, comme nous l’avons dit en traitant des péchés (1a 2æ,
quest. 87, art. 2).
Mais c’est le contraire.
Il est dit (Gal., 5, 26)
: Ne devenons pas désireux de la vaine gloire, nous provoquant les uns les
autres et nous portant mutuellement envie.
Conclusion La tristesse que l’on
conçoit parce que le prochain excelle dans un bien quelconque est contraire à
l’amour qu’on doit avoir pour lui ; d’où il suit que l’envie, qui est une
tristesse de cette nature, est toujours un péché.
Il faut répondre que, comme nous
l’avons dit (art. préc.), l’envie est une tristesse
que l’on éprouve au sujet du bien des autres. Or, cette tristesse peut se
produire de quatre manières : 1° Quand quelqu’un gémit du bien d’un autre,
parce qu’il craint qu’il ne lui nuise à lui-même ou qu’il ne soit funeste à
d’autres personnes vertueuses. Cette tristesse n’est pas l’envie, comme nous
l’avons dit (art. préc.) (Elle est seulement un effet
de la crainte.), et elle peut exister sans péché. C’est ce qui fait dire à
saint Grégoire (Mor., liv. 22, chap.
6) qu’il arrive souvent que sans perdre la charité, la ruine d’un ennemi nous
réjouit, et que sans pécher par envie nous nous attristons de sa gloire,
lorsque nous croyons que sa chute relève les bons et lorsque nous craignons que
sa prospérité ne soit la cause injuste de l’oppression de plusieurs. 2° On peut
s’attrister du bien d’un autre, non parce qu’il possède ce bien, mais parce que
nous n’avons pas ce qu’il possède. Ce sentiment est le zèle proprement dit,
comme l’observe Aristote (Rhet., liv. 2, chap.
11). Et si ce zèle a pour objet ce qui est honnête, il est louable, d’après ces
paroles de l’Apôtre (1 Cor., 14, 1) :
Ayez du zèle pour les choses
spirituelles. Mais s’il se rapporte aux choses temporelles il peut être
coupable, comme il peut ne l’être pas (Il est coupable s’il est immodéré, mais
il ne l’est pas, s’il est conforme à la raison.). 3° On s’attriste du bien d’un
autre, parce qu’on le croit indigne des succès qu’il obtient. Cette tristesse
ne peut résulter des biens honnêtes qui rendent l’homme juste ; mais,
comme le dit Aristote (Rhet., liv. 2, chap. 9), elle porte sur les
richesses et sur les biens que peuvent posséder ceux qui en sont dignes et ceux
qui en sont indignes. Le philosophe donne à cette tristesse le nom de némésis (Cette
vertu, dans la classification d’Aristote, a pour contraires l’envie et la
malveillance.) (indignation) et il en fait une
puissance morale. Il parle ainsi parce qu’il considérait les biens temporels en
eux-mêmes, selon l’importance qu’ils peuvent avoir aux yeux de ceux qui ne font
pas attention aux biens éternels. Mais d’après l’enseignement de la foi, les
biens temporels qui sont entre les mains d’hommes qui en sont indignes, sont
ainsi dispensés par le juste jugement de Dieu, soit pour leur correction, soit
pour leur damnation (Ceux qui attaquent cette sorte de répartition pèchent,
parce qu’ils paraissent s’en prendre à la Providence elle-même.) ; et ces biens
ne sont rien comparativement aux biens futurs qui sont réservés aux bons. C’est
pourquoi l’Ecriture condamne cette tristesse d’après ces paroles du Psalmiste (Ps. 36, 1) : Gardez-vous de porter envie aux méchants, n’ayez point de jalousie
contre ceux qui commettent l’iniquité. Et ailleurs (Ps. 72, 2) : Mes pieds ont
presque failli parce que j’ai eu de l’indignation contre la prospérité des
méchants, et en voyant la paix des pécheurs. 4° On s’attriste du bien de
quelqu’un quand il surpasse le nôtre. C’est ce qui constitue l’envie proprement
dite ; ce sentiment est toujours mauvais, comme le dit Aristote (Rhet., liv. 2, chap. 10), parce que l’on
s’attriste d’une chose dont on devrait se réjouir, c’est-à-dire du bien du
prochain.
Article 3 : L’envie
est-elle un péché mortel ?
Objection
N°1. Il semble que l’envie ne soit pas un
péché mortel. Car, par là même que l’envie est une tristesse, elle est une
passion de l’appétit sensitif. Or, dans la région des sens, il n’y a pas de
péché mortel, il n’y en a que dans la raison, comme le dit saint Augustin (De Trin., liv. 12, chap. 12). L’envie
n’est donc pas un péché mortel.
Réponse à l’objection N°1 :
Le mouvement de l’envie, considéré comme une passion sensible, est quelque
chose d’imparfait dans le genre des actes humains, dont la raison est le
principe. Par conséquent, cette envie n’est pas un péché mortel. On doit
raisonner de même sur l’envie des petits enfants qui n’ont pas l’usage de la
raison.
Objection N°2. Il ne peut pas y
avoir de péché mortel dans les enfants, mais il peut y avoir de l’envie. Car
saint Augustin dit (Conf., liv. 1, chap. 7) : J’ai vu moi-même
un petit enfant encore à la mamelle devenir tout pâle de la jalousie que lui
causait un autre enfant qui tétait la même nourrice que lui, et ne le regarder
qu’avec des yeux remplis de haine et de courroux. L’envie n’est donc pas un
péché mortel.
Objection N°3. Tout péché mortel
est contraire à une vertu quelconque. Or, l’envie n’est pas contraire à une
vertu, mais elle est contraire à la némésis, qui est une passion d’après Aristote (Rhet., liv. 2, chap. 9). Elle n’est donc pas un
péché.
Réponse à l’objection N°3 :
L’envie, d’après Aristote (Rhet., liv. 2,
chap. 9), est opposée à l’indignation (némésis) et à la miséricorde, mais sous des rapports
différents. En effet elle est directement opposée à la miséricorde, parce que
leur objet principal est contraire. Car l’envieux s’attriste du bien du
prochain, tandis que le miséricordieux s’attriste du mal qui lui arrive ; par
conséquent les envieux ne sont pas miséricordieux, ni réciproquement. Mais
l’envie est opposée à l’indignation par rapport au bien dont l’envieux
s’attriste. Car celui qui s’indigne s’attriste du bien de ceux qui se
conduisent mal, d’après ces paroles du Psalmiste (Ps. 72, 3) : J’ai eu de
l’indignation contre la prospérité des méchants, en voyant la paix des
pécheurs. L’envieux au contraire s’attriste du bien de ceux qui sont dignes
de réussir. D’où il est évident que la première contrariété est plus directe
que la seconde, et comme la miséricorde est une vertu et l’effet propre de la
charité, il s’ensuit que l’envie est contraire à la miséricorde et à la
charité.
Mais c’est le contraire. Il est
dit (Job, 5, 2) : L’envie tue le plus
petit. Or, il n’y a que le péché mortel qui tue spirituellement. L’envie
est donc un péché mortel.
Conclusion L’envie est un péché
mortel, puisqu’elle est absolument contraire à la charité du prochain.
Il faut répondre que l’envie est
un péché mortel dans son genre. — Le genre du péché se considère d’après son
objet. Or, l’envie selon la nature de son objet est contraire à la charité qui
est la cause de la vie spirituelle de l’âme, d’après ces paroles de l’Apôtre (1
Jean, 3, 14) : Nous reconnaissons à l’amour
que nous avons pour nos frères, que nous sommes passés de la mort à la vie.
L’objet de la charité et celui de l’envie est donc le bien du prochain, mais
considéré d’une manière opposée. Car la charité se réjouit du bien du prochain,
tandis que l’envie s’en attriste, comme on le voit (art. 1). D’où il est
évident que l’envie est un péché mortel dans son genre. Mais, comme nous
l’avons dit (quest. 35, art. 4, et 1a 2æ, quest. 72, art.
5, réponse N°1), en tout genre de péché mortel, il y a des mouvements
imparfaits qui existent dans la sensibilité et qui sont des péchés véniels.
Tels sont, par exemple, dans le genre de l’adultère,
le premier mouvement de la concupiscence, et dans le genre de l’homicide, le
premier mouvement de la colère. De même dans le genre de l’envie, il y a des
mouvements premiers qui se trouvent quelquefois dans ceux qui sont parfaits et
qui sont des péchés véniels.
La réponse au second argument est
par là même évidente.
Article 4 : L’envie
est-elle un vice capital ?
Objection
N°1. Il semble que l’envie ne soit pas un vice
capital. Car les vices capitaux, se distinguent des défauts qui en naissent.
Or, l’envie est fille de la vaine gloire puisque Aristote dit (Rhet., liv. 2, chap. 10) que ceux qui aiment
les honneurs et la gloire sont les plus envieux. L’envie donc n’est pas un vice
capital.
Réponse à l’objection N°1 :
Comme le dit saint Grégoire (Mor.,
liv. 31, chap. 17), les vices capitaux sont si étroitement unis que quelquefois
l’un est produit par l’autre. Car le premier vice issu de l’orgueil est la
vaine gloire, qui en corrompant l’esprit qu’elle oppresse produit l’envie ;
parce que quand on désire la puissance d’un vain nom, on sèche dans la crainte
qu’un autre ne puisse l’obtenir. Il n’est donc pas contraire à l’essence du
vice capital de naître d’un autre vice ; ce qui lui serait contraire, ce serait
de ne pas produire de lui-même une foule de péchés de divers genres. Toutefois
parce que l’envie vient manifestement de la vaine gloire, elle n’est considérée
comme un vice capital, ni par saint Isidore (De sum. bon.,
liv. 2), ni par Cassien (Malgré le sentiment de ces deux auteurs, l’envie est
placée dans la classification des péchés capitaux qui est actuellement admise.
Cassien compte huit péchés capitaux : la gourmandise, la luxure, l’avarice, la
colère, la tristesse, le dégoût, la vaine gloire et l’orgueil.) (De inst. cænob., liv. 5, chap. 1).
Objection N°2. Les vices capitaux
paraissent être moins graves que ceux qui en découlent. Car saint Grégoire dit
(Mor., liv. 31, chap. 17) : Les
premiers vices qui se glissent dans l’âme la trompent par une certaine
apparence de raison, mais ceux qui viennent ensuite, par là même qu’ils
l’entraînent à toute espèce de folie, la confondent par une sorte de clameur
bestiale. Or, l’envie paraît être le péché le plus grave, puisque le même
docteur ajoute (Mor., liv. 5, chap.
31), que quoique tous les vices que l’on commet répandent dans le cœur de
l’homme le poison de son ancien ennemi, néanmoins dans le péché d’envie le
serpent réunit tout ce que ses entrailles peuvent distiller de venin et vomit
cette peste affreuse. L’envie n’est donc pas un vice capital.
Réponse à l’objection N°2 :
Ces paroles ne prouvent pas que l’envie soit le plus grand des péchés, mais que
quand le diable produit dans l’homme ce vice, il verse dans son âme son
principal sentiment, parce que, comme il est dit au même endroit : C’est par l’envie du diable que la mort est
entrée dans l’univers (Sag., 2, 24). Il y
a cependant une envie que l’on range parmi les péchés les plus graves ; c’est
celle qui a pour objet la grâce fraternelle et qui fait que nous nous
affligeons non seulement du bien du prochain, mais encore de l’augmentation de
la grâce de Dieu en lui. C’est ce qui constitue le péché contre l’Esprit-Saint,
parce que par ce vice l’homme porte envie en quelque sorte à l’Esprit-Saint qui
est glorifié dans ses œuvres.
Objection N°3. Il semble que
saint Grégoire détermine mal les vices qui naissent de l’envie, quand il dit (Mor., liv. 31, chap. 17) que de l’envie
naissent la haine, les murmures, les détractions, la joie qu’on éprouve du mal
arrivé au prochain et l’affliction que l’on a de sa prospérité. Car la joie
qu’on éprouve du mal du prochain et l’affliction que l’on ressent de sa
prospérité paraissent être la même chose que l’envie,
comme on le voit d’après ce que nous avons dit (art. préc.).
On ne doit donc pas considérer ces fautes comme issues de l’envie.
Réponse à l’objection N°3 :
On peut se rendre compte du nombre des vices qui naissent de l’envie, en
considérant que dans les efforts que ce vice suppose, il y a un commencement,
un milieu et un terme. Le début consiste à diminuer la gloire des autres, soit
secrètement et alors il y a murmure, soit manifestement et on tombe dans la
détraction. Le milieu, c’est quand quelqu’un s’est appliqué à diminuer la
gloire d’un autre ; s’il y réussit, il est dans l’allégresse en voyant le
malheur de son rival ; s’il n’y réussit pas, il s’afflige de sa prospérité. Le
terme se trouve dans la haine elle-même, parce que, comme le bien qui délecte
produit l’amour, de même la tristesse produit la haine, comme nous l’avons dit
(quest. 34, art. 6). — Quant à l’affliction qu’on éprouve de la prospérité du
prochain, elle est dans un sens l’envie elle-même. Ainsi elle se confond avec
elle, quand on s’attriste de la prospérité des autres, parce qu’ils ont une
certaine gloire. Dans un autre sens elle est un effet de l’envie. Il en est
ainsi, quand le prochain prospère contrairement aux efforts de l’envieux qui
tâche de lui nuire. Mais la joie que l’on ressent du malheur des autres n’est
pas directement la même chose que l’envie ; elle en est la conséquence. Car
c’est la tristesse que l’on a du bien du prochain, et qui n’est rien autre
chose que l’envie, qui est cause de la joie que l’on ressent du mal qui lui
arrive.
Mais c’est le contraire. Saint
Grégoire (loc. cit.) fait de l’envie
un vice capital et lui assigne la progéniture que nous avons énumérée.
Conclusion Le péché de l’envie
est un vice capital duquel naissent la haine, le murmure, la médisance, la joie
qu’on éprouve des maux du prochain et l’affliction qu’on ressent de sa
prospérité.
Il faut répondre que, comme le dégoût est une tristesse
qu’on éprouve à l’occasion du bien spirituel divin, de même l’envie est une
tristesse que l’on conçoit au sujet du bien du prochain. Or, nous avons dit
(quest. préc., art. 4) que le dégoût est un vice capital par la raison
qu’il pousse l’homme à faire quelque chose, soit pour éviter la tristesse, soit
pour la satisfaire. Donc, pour la même raison, l’envie est aussi un vice
capital.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
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l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
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