Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
2a 2ae = Secunda Secundae
= 2ème partie de la 2ème Partie
Question
39 : Du schisme
Nous avons
maintenant à nous occuper des vices opposés à la paix et qui se rapportent à
l’action ; ce sont le schisme, la querelle, la sédition et la guerre. —
Touchant le schisme quatre questions se présentent : 1° Le schisme est-il un
péché spécial ? (On peut définir le schisme voluntaria separatio sui ipsius ab unitate Ecclesiæ.) — 2° Est-il plus grave que l’infidélité ? — 3° De la puissance
des schismatiques. — 4° De leur peine. (Au moyen âge, on appliquait aux
schismatiques et aux hérétiques une double peine, une peine spirituelle et une
peine temporelle. Saint Thomas approuve dans cet article cette législation.)
Article 1 : Le
schisme est-il un péché spécial ?
Objection N°1. Il semble que le
schisme ne soit pas un péché spécial. Car le mot schisme, comme le dit le pape Pélage (Ep ad Viat, et Pancrat.,
t. 5 Conc.), exprime une division, un
déchirement. Or, tout péché produit une division, d’après ces paroles d’Isaïe (Is.,
59, 2) : Vos péchés ont établi une
division entre vous et votre Dieu. Le schisme n’est donc pas un péché
spécial.
Réponse à l’objection N°1 : Le pécheur n’a pas en vue la
division que le péché établit entre l’homme et Dieu, mais elle arrive
contrairement à son intention, par suite de l’attachement déréglé qu’il a pour
le bien qui est changeant. C’est pourquoi sa faute n’est pas un schisme absolument
parlant.
Objection N°2. Ceux qui n’obéissent pas à l’Eglise paraissent être
des schismatiques. Or, tout péché rend l’homme désobéissant à l’égard des
préceptes de l’Eglise, parce que, d’après saint Ambroise (Lib. de Parad., chap. 8), le péché est une désobéissance aux ordres
du ciel. Tout péché est donc un schisme.
Réponse à l’objection N°2 : La résistance aux ordres de Dieu,
accompagnée d’une certaine rébellion, constitue l’essence du schisme. Je dis
accompagnée d’une certaine rébellion, puisque le schismatique méprise
opiniâtrement les ordres de l’Eglise et refuse de se soumettre à son jugement.
Tout pécheur n’agit pas ainsi ; par conséquent, tout péché n’est pas un
schisme.
Objection N°3. L’hérésie sépare l’homme de l’unité de la foi. Si
donc le mot de schisme implique une
division, il semble qu’il ne diffère pas du péché d’infidélité (Infidelitas,
contraire à la foi.), comme péché spécial.
Réponse à l’objection N°3 : L’hérésie et le schisme se
distinguent d’après les choses auxquelles ils sont l’un et l’autre opposés
directement et absolument. Car l’hérésie est opposée par elle-même à la foi,
tandis que le schisme est opposé par lui-même à l’unité de la charité de
l’Eglise. C’est pourquoi, comme la foi et la charité sont des vertus différentes,
quoique celui qui manque de foi manque aussi de charité, de même le schisme et
l’hérésie sont des vices différents, quoique tout hérétique soit schismatique,
mais non réciproquement (On peut être schismatique sans être hérétique, car on
peut croire que le pape est le chef de l’Eglise, et cependant refuser de se
soumettre à lui.). C’est ce que dit saint Jérôme (in Ep. ad Tit. 3) : Je pense, ce sont les paroles de ce docteur,
qu’il y a entre le schisme et l’hérésie cette différence, que l’hérésie a des
dogmes pervers, tandis que le schisme sépare de l’Eglise. Cependant comme la
perte de la charité mène à la perte de la foi, d’après ces paroles de l’Apôtre
(1 Tim., 1, 6) : Quelques-uns se détournant de ces vertus, c’est-à-dire de la
charité et des autres vertus semblables, se
sont égarés en de vains discours ; de même le schisme mène à l’hérésie.
Aussi saint Jérôme ajoute (ibid.),
qu’on peut concevoir qu’à son début le schisme diffère de l’hérésie, mais qu’il
n’y a pas de schismatique qui ne s’attache ensuite à une hérésie quelconque,
afin de paraître s’être écarté de l’Eglise avec raison (C’est pour ce motif que
Photius, pour légitimer le schisme de l’église grecque, a imaginé que l’Eglise
d’occident avait erre sur le dogme, et lui a spécialement reproché l’addition
du Filioque au symbole.).
Mais c’est le contraire. Saint Augustin (Lib. cont. Faust, liv. 20, chap. 3) distingue entre le schisme et
l’hérésie, en disant que le schismatique est celui qui croit les mêmes choses,
qui a le même culte que les autres, mais qui prend plaisir à jeter la division
dans la société religieuse, au lieu que l’hérétique a des sentiments contraires
à ceux que croit l’Eglise catholique. Le schisme n’est donc pas un péché
spécial.
Conclusion Le péché de schisme est un vice spécial opposé à la
charité, par lequel il y en a qui refusent de se
soumettre au Christ et à son vicaire et de communiquer avec les membres de
l’Eglise qui lui sont soumis.
Il faut répondre que, comme le dit saint Isidore (Etym., liv. 8, chap. 3), le mot de schisme vient de la scission des âmes.
Or, la scission est opposée à l’unité. Par conséquent on appelle schisme le
péché qui est opposé directement et par lui-même à l’unité. Car, comme dans
l’ordre de la nature ce qui existe par accident ne constitue pas une espèce, de
même dans l’ordre moral, où ce qui existe par soi est ce que l’on veut, et ce
qui existe par accident est ce qui arrive en dehors de l’intention. C’est
pourquoi le péché de schisme proprement dit est un péché spécial, parce qu’on a
par là l’intention de se séparer de l’unité produite par la charité, qui unit
non seulement une personne à une autre par le lien spirituel de l’amour, mais
qui unit encore l’Eglise entière dans le même esprit. C’est pour cette raison
qu’on appelle schismatiques proprement dits ceux qui de leur plein gré et de
propos délibéré se séparent de l’unité de l’Eglise, qui est l’unité principale.
Car l’unité particulière des individus entre eux a pour but l’unité de
l’Eglise, comme l’harmonie de chacun des membres dans le corps naturel a pour
but l’unité de tout le corps lui-même. Or, l’unité de l’Eglise se considère
sous deux rapports : elle existe dans la connexion des membres de l’Eglise
entre eux ou dans leur communication, puis dans le rapport de tous les membres
avec un seul et même chef (Il y a schisme quand on se sépare de la communion
des fidèles dans les choses qui sont de foi, ou quand on se sépare du chef de
l’Eglise ; mais à cause de l’union qu’il y a entre le chef et les membres, on
ne peut pas se séparer de l’un sans se séparer des autres.), d’après ces
paroles de l’Apôtre (Col., 2, 19),
qui dit qu’enflé par les vaines
imaginations d’un esprit charnel, celui qui trompe les autres ne demeure pas
attaché au chef duquel tout le corps de l’Eglise recevant l’influence par les
vaisseaux qui enjoignent et lient toutes les parties, s’entretient et
s’augmente par l’accroissement que Dieu lui donne. Or, le Christ est le
chef dont le souverain pontife occupe la place dans l’Eglise. C’est pour cela
qu’on appelle schismatiques ceux qui refusent d’obéir au souverain pontife et
qui ne veulent pas communiquer avec les membres de l’Eglise qui lui sont
soumis.
Article 2 : Le
schisme est-il un péché plus grave que l’infidélité ?
Objection N°1. Il semble que le
schisme soit un péché plus grave que l’infidélité. Car les péchés les plus
graves sont punis par les plus grands châtiments, d’après ces paroles de la loi
(Deut., 25, 2) : Les coups se mesurent d’après l’étendue du péché. Or, on trouve le
péché du schisme puni plus sévèrement que le péché d’infidélité ou d’idolâtrie.
Car nous lisons (Ex., chap. 32) que
pour le péché d’idolâtrie, il y a eu des hommes mis à mort par le glaive ; et à
l’égard du schisme l’Ecriture dit (Nom.,
16, 30) : Si le Seigneur a fait un
prodige nouveau, de sorte que la terre, ouvrant ses abîmes, les ait engloutis
avec tout ce qui leur appartient, et qu’ils soient descendus vivants dans
l’enfer, vous saurez qu’ils ont blasphémé le Seigneur leur Dieu. Les dix
tribus que le schisme a séparées du royaume de David ont été aussi punies de la
manière la plus grave, comme on le voit (4
Rois, chap. 17). Le péché du schisme est donc plus grave que le péché
d’infidélité.
Réponse à l’objection N°1 : La loi prouvait manifestement au
peuple qu’il n’y avait qu’un Dieu, qu’il n’en devait pas adorer d’autres, et il
y avait une foule de preuves qui établissaient cette vérité à ses yeux. C’est
pourquoi il n’était pas nécessaire que ceux qui péchaient contre cette foi par
l’idolâtrie subissent une peine inouïe, il suffisait d’un châtiment général.
Mais ils ne connaissaient pas si clairement que Moïse devait être toujours leur
chef. C’est pourquoi il fallait que ceux qui étaient rebelles à sa puissance
fussent punis par des châtiments miraculeux et extraordinaires. — Ou bien on
peut dire que le schisme est quelquefois puni plus sévèrement chez les Juifs,
parce qu’ils y étaient enclins. Car nous lisons (1 Esd., 4, 15) : Cette cité se révolte contre les rois depuis les temps les plus
anciens, et il s’élève dans son sein des guerres et des séditions. Or,
quelquefois on inflige un châtiment plus grave pour les péchés d’habitude,
comme nous l’avons vu (1a 2æ, quest. 105, art. 2 ad 9).
Car les peines sont des remèdes qui éloignent l’homme du péché. C’est pourquoi,
quand on est porté davantage au péché, il faut employer une peine plus sévère.
Quant aux dix tribus, elles n’ont pas été punies seulement pour leur schisme,
mais encore pour leur idolâtrie, comme on le voit au même endroit de
l’Ecriture.
Objection N°2. Le bien de la multitude est plus grand et plus
divin que le bien d’un seul, comme le prouve Aristote (Eth., liv. 1, chap. 2). Or, le schisme est contraire au bien de la
multitude, c’est-à-dire à l’unité de l’Eglise, au lieu que l’infidélité est
contraire au bien particulier d’un seul, qui est la foi de l’individu. Il
semble donc que le schisme soit un péché plus grave que l’infidélité.
Réponse à l’objection N°2 : Comme le bien de la multitude est
supérieur au bien d’un seul individu qui en fait partie, de même ce bien de la
multitude est moindre que le bien extrinsèque qu’elle a pour but. C’est ainsi
que l’armée est au-dessous du général. Par conséquent, le bien de l’unité dans
l’Eglise, auquel le schisme est opposé, est inférieur au bien de la vérité
divine, auquel l’infidélité est contraire (Ou plus simplement, l’Eglise est
au-dessous de Dieu, et par conséquent l’hérésie qui attaque la vérité divine
est un péché plus grave que le schisme qui attaque l’unité de l’Eglise.).
Objection N°3. Le plus grand bien est opposé au plus grand mal,
comme le dit Aristote (Eth., liv. 8, chap. 10). Or, le schisme est
opposé à la charité, qui est une vertu plus grande que la foi, à laquelle
l’infidélité est contraire, comme on le voit d’après ce que nous avons dit
(quest. 10, art. 2, et quest. 23, art. 6). Le schisme est donc un péché plus
grave que l’infidélité.
Réponse à l’objection N°3 : La charité a deux objets : un
objet principal, qui est la bonté divine, et un objet secondaire, qui est la
bonté du prochain. Le schisme et les autres péchés qu’on commet contre le
prochain sont opposés à la charité quant au bien secondaire, qui est un bien
moindre que l’objet de la foi, qui est Dieu lui-même. C’est pourquoi ces péchés
sont moindres que l’infidélité. Mais la haine de Dieu, qui est contraire à la
charité quant à son objet principal, n’est pas un péché moindre. Toutefois,
parmi les péchés qu’on fait contre le prochain, le schisme paraît être le plus
grand, parce qu’il est opposé au bien spirituel de la multitude.
Mais c’est le contraire. Ce qui s’ajoute à une chose l’emporte en
bien ou en mal. Or, l’hérésie s’ajoute au schisme ; car elle ajoute à la
scission une doctrine perverse, comme on le voit d’après saint Jérôme (loc. cit., art. préc.,
réponse N°3). Le schisme est donc un péché moindre que l’infidélité.
Conclusion Puisque le péché d’infidélité est opposé à Dieu et à la
vérité première sur laquelle repose la foi, tandis que le schisme répugne à
l’unité qui n’est que le bien divin, il est évident que l’infidélité est dans
son genre un péché plus grave que le schisme.
Il faut répondre que la gravité du péché peut se considérer de
deux manières : 1° selon son espèce ; 2° selon les circonstances. Parce que les
circonstances particulières sont infinies, elles peuvent varier à l’infini. Par
conséquent, quand on demande en général, à l’égard de deux péchés, lequel est
le plus grave, la gravité du péché doit s’apprécier d’après le genre. Or, le
genre ou l’espèce du péché se considère suivant l’objet, comme on le voit
d’après ce que nous avons dit (1a 2æ, quest. 72, art. 1,
et quest. 74, art. 1, 2 et 4). C’est pourquoi le péché qui est contraire au
bien le plus grand est le plus grave dans son genre. Ainsi le péché contre Dieu
est plus grave que le péché contre le prochain. — Or, il est évident que
l’infidélité est un péché contre Dieu lui-même, considéré en soi comme la
vérité première sur laquelle la foi repose. Le schisme est au contraire opposé
à l’unité de l’Eglise, qui est un bien par participation et qui est moindre que
Dieu lui-même. D’où il est manifeste que le péché d’infidélité est plus grave
dans son genre que le péché de schisme, quoiqu’il puisse arriver qu’un
schismatique pèche plus grièvement qu’un infidèle, soit parce qu’il affecte
plus de mépris, soit parce qu’il est plus dangereux, soit pour tout autre motif
(Il peut, par exemple, produire un plus grand scandale et entraîner un plus
grand nombre de personnes dans sa chute.).
Article 3 : Les
schismatiques ont-ils des pouvoirs ?
Objection N°1. Il semble que
les schismatiques aient quelque pouvoir. Car saint Augustin dit (Lib. contra Don., liv. 1, chap. 1) :
Comme on ne rebaptise pas ceux qui retournent à l’Eglise, et qui ont été
baptisés avant de s’en séparer, de même on n’ordonne pas de nouveau ceux qui
reviennent, et qui ont été ordonnés avant leur retour. Or, l’ordre est un
pouvoir. Les schismatiques ont donc des pouvoirs, puisqu’ils conservent l’ordre.
Objection N°2. Saint Augustin dit (De bapt. cont. Don., liv. 6, chap. 5) : Celui qui est séparé peut administrer un
sacrement, comme il peut le recevoir. Or, la puissance d’administrer les
sacrements est la plus grande puissance. Donc les schismatiques qui ont été
séparés de l’Eglise ont une puissance spirituelle.
Objection N°3. Le pape Urbain II dit (Conc. Placent., can. 10) : Nous ordonnons de recevoir avec miséricorde
ceux qui ont été consacrés par des évêques ordonnés catholiquement, mais
séparés de l’Eglise romaine et vivant dans le schisme, et s’ils reviennent à
l’unité de l’Eglise, de leur conserver leur propre rang, pourvu qu’ils soient
recommandables par leur vie et par leur science. Or, il n’en serait pas ainsi,
si les schismatiques n’avaient pas une puissance spirituelle. Donc ils en ont
une.
Mais c’est le contraire. Saint Cyprien dit (Ep. 52) que celui qui n’observe ni l’unité de l’esprit, ni l’union
de la paix, et qui se sépare de l’Eglise et de l’assemblée des prêtres, ne peut
avoir ni la puissance, ni la dignité épiscopale.
Conclusion Quoique les schismatiques puissent avoir le pouvoir
d’ordre, ils sont néanmoins privés de celui de juridiction.
Il faut répondre qu’il y a deux sortes de puissance spirituelle :
le pouvoir d’ordre et le pouvoir de juridiction. Le pouvoir d’ordre ou le
pouvoir sacramentel est celui qui est conféré par l’ordination ou la
consécration. Toutes les consécrations de l’Eglise sont immuables tant que dure
la chose consacrée, comme on le voit quand il s’agit des objets inanimés. Ainsi
un autel, une fois qu’il a été consacré, ne se consacre pas de nouveau, à moins
qu’il n’ait été détruit (Le concile de Florence s’exprime ainsi : Inter hæc
sacramenta, tria sunt, Baptismus, Confirmatio
et Ordo, quæ characterem imprimunt
in anima indelebilem. Undè
in eadem personâ non reiterentur.).
C’est pourquoi la puissance que l’homme a obtenue par la consécration subsiste
essentiellement en lui pendant toute sa vie, soit qu’il tombe dans le schisme,
soit qu’il tombe dans l’hérésie. Mais parce qu’une puissance inférieure ne doit
agir qu’autant qu’elle est mue par une puissance supérieure, comme on le voit
dans l’ordre de la nature, il s’ensuit que ceux qui sont ordonnés perdent
l’usage de leur puissance du moment qu’il ne leur est plus permis de s’en
servir. Néanmoins, s’ils s’en servent, leur puissance produit son effet dans
les choses sacramentelles (Ils agissent illicitement mais validement.), parce
que, dans ce cas, l’homme n’agit que comme l’instrument de Dieu. Par
conséquent, les effets du sacrement ne sont pas annulés par la faute de celui
qui le confère, quelle que soit son étendue. — La puissance de juridiction est
celle qui est conférée par la simple injonction de l’homme. Cette puissance ne
s’attache pas d’une manière immuable à celui qui la reçoit. Elle n’existe donc
pas chez les schismatiques et les hérétiques (Il ne s’agit ici que des
hérétiques et des schismatiques connus pour tels ; car les hérétiques et les
schismatiques occultes conservent leur juridiction.) ; par conséquent, ils ne
peuvent ni absoudre, ni excommunier, ni accorder des indulgences, ni rien faire
de semblable. S’ils font ces choses, elles sont nulles. Ainsi, quand on dit que
les schismatiques et les hérétiques n’ont pas de puissance spirituelle, on doit
entendre par là la puissance de juridiction. Ou si on
rapporte ces paroles à la puissance d’ordre, on ne doit pas les entendre de
l’essence même de la puissance, mais de son légitime usage.
La réponse aux objections est par là même évidente.
Article 4 : L’excommunication
est-elle une peine qui convienne aux schismatiques ?
Objection N°1. Il semble qu’il
ne soit pas convenable de porter contre les schismatiques la peine de
l’excommunication. Car l’excommunication sépare principalement l’homme de la
communion des sacrements. Or, saint Augustin dit (Lib. cont. Don., liv. 6, chap. 5) qu’on peut recevoir le baptême
d’un schismatique. Il semble donc que l’excommunication ne soit pas une peine
qui convienne aux schismatiques.
Réponse à l’objection N°1 : Il n’est permis de recevoir des
schismatiques le baptême que dans l’extrême nécessité ; parce qu’il vaut mieux
sortir de cette vie avec le signe du Christ, — peu importe par qui il soit
donné, que ce soit par un juif ou par un païen, — que de mourir sans ce signe,
qui nous est conféré par le baptême.
Objection N°2. Il appartient aux fidèles du Christ de ramener ceux
qui sont dispersés. C’est ce qui fait dire au prophète (Ez., 34, 4) : Vous n’avez pas
ramené ce qui était égaré, vous n’avez pas cherché ce qui périssait. Or,
les schismatiques sont ramenés plus facilement par ceux qui communiquent avec
eux. Il semble donc qu’ils ne doivent pas être excommuniés.
Réponse à l’objection N°2 : L’excommunication n’interdit pas
les rapports au moyen desquels on peut, par des avertissements salutaires,
ramener à l’unité de l’Eglise ceux qui en sont séparés ; puisque la séparation
elle-même les ramène en quelque sorte, parce qu’après en avoir été confus, ils
reviennent quelquefois d’eux-mêmes à la pénitence.
Objection N°3. On n’inflige pas deux sortes de peine pour le même
péché, d’après ces paroles du prophète (Nah., 1, 9) :
Dieu n’exerce pas deux fois sa justice
sur la même chose. Or, il y a des schismatiques qui sont punis par des
peines temporelles (23, quest. 5, chap. quali nos). Les
lois de Dieu et les lois du monde, dit le droit, ont établi que ceux qui sont
séparés de l’unité de l’Eglise et qui troublent sa paix seraient réprimés par
les puissances séculières. On ne doit donc pas les punir par l’excommunication.
Réponse à l’objection N°3 : Les peines de la vie présente
sont médicinales. C’est pourquoi, quand une peine ne suffit pas pour contenir
l’homme dans le devoir, on en ajoute une seconde. C’est ainsi que les médecins
emploient différents remèdes matériels, quand un seul n’est pas assez efficace.
De même l’Eglise a recours au bras séculier, quand l’excommunication ne suffit
pas pour réprimer certains individus. Mais si une seule peine suffit, on ne doit
pas avoir recours à une seconde.
Mais c’est le contraire. Il est écrit (Nom., 16, 26) : Eloignez-vous
des tentes des hommes impies, c’est-à-dire de ceux qui ont fait un schisme,
et ne touchez pas à ce qui leur
appartient, de peur que vous ne soyez enveloppés dans leurs péchés.
Conclusion Puisque les schismatiques se séparent volontairement de
l’unité de l’Eglise et qu’ils ne veulent pas se soumettre à la puissance
spirituelle, il est convenable qu’ils soient punis, non seulement par la
sentence d’excommunication, mais il faut encore qu’ils soient réprimés par la
puissance temporelle.
Il faut répondre
qu’on doit être puni par où l’on pèche, comme le dit la Sagesse (11, 17). Or,
le schismatique pèche de deux manières, ainsi que nous l’avons vu (art. 1). Il pèche
d’abord en ce qu’il se sépare de la communion des membres de l’Eglise, et sous
ce rapport il est convenable que les schismatiques soient soumis à la peine de
l’excommunication. Il pèche ensuite, parce qu’il refuse d’obéir au chef de
l’Eglise. C’est pourquoi, comme il ne veut pas se soumettre à la puissance
spirituelle de l’Eglise, il est juste qu’il soit réprimé par la puissance
temporelle (Le pouvoir temporel avait intérêt à défendre le pouvoir spirituel,
parce que la société civile reposait directement sur la société religieuse, et
que l’unité de foi était la première garantie d’ordre cl de stabilité dans les
Etats chrétiens.).
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
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