Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

2a 2ae = Secunda Secundae = 2ème partie de la 2ème Partie

Question 62 : De la restitution

 

            Nous devons maintenant nous occuper de la restitution. — A cet égard huit questions se présentent : 1° De quelle espèce de justice est-elle l’acte ? — 2° Est-il nécessaire au salut de restituer tout ce qu’on a volé ? (L’Ecriture est formelle à cet égard (Matth., 22, 21) : Rendez donc à César ce qui est à César ; (Rom., 13, 7) : Rendez donc à tous ce qui leur est dû.) — 3° Faut-il restituer plus qu’on a pris ? — 4° Doit-on restituer ce qu’on n’a pas ravi ? — 5° Faut-il restituer l’objet à celui auquel il a été ravi ? — 6° Faut-il que celui qui possède l’objet le restitue ? — 7° Y en a-t-il d’autres qui y soient tenus ? — 8° Doit-on restituer immédiatement ?

 

Article 1 : La restitution est-elle un acte de la justice commutative ?

 

Objection N°1. Il semble que la restitution ne soit pas un acte de la justice commutative. Car la justice a pour objet ce qui est dû. Or, comme la donation peut avoir pour objet ce qu’on ne doit pas, de même aussi la restitution. La restitution n’est donc l’acte d’aucune des parties de la justice.

Réponse à l’objection N°1 : Ce qu’on ne doit pas à un autre, n’est pas à lui, à proprement parler, quoiqu’il lui ait appartenu à une époque. C’est pourquoi quand on rend à un autre ce qu’on ne lui doit pas, il y a plutôt une donation nouvelle qu’une restitution. Cependant il y a là une apparence de restitution, parce que la chose est matériellement la même ; mais elle ne l’est pas selon la raison formelle que la justice a pour objet et qui consiste à rendre à chacun le sien. Il n’y a donc pas de restitution proprement dite.

 

Objection N°2. On ne peut pas restituer ce qui est passé et ce qui ne subsiste plus. Or, la justice et l’injustice ont pour objet les actions et les passions qui ne subsistent pas, mais qui passent. La restitution ne parait donc pas être l’acte d’une des parties de la justice.

Réponse à l’objection N°2 : Le mot restitution, selon qu’il implique la rentrée en jouissance, suppose l’identité de la chose. C’est pourquoi, selon la première acception de ce mot, la restitution paraît avoir lieu surtout pour les choses extérieures, qui en restant les mêmes substantiellement et par rapport au droit de propriété, peuvent passer de l’un à l’autre. Mais comme le mot de communication est passé de ces choses aux actions ou aux passions qui ont pour objet le respect ou l’injure des personnes ; ce qui leur nuit ou ce qui leur est avantageux ; de même le mot de restitution a été employé pour des choses qui, quoiqu’elles ne subsistent pas réellement, subsistent cependant dans leur effet corporel, comme quand on a été blessé par les coups qu’on a reçus, ou dans l’opinion, comme quand un homme reste diffamé par les paroles injurieuses qu’on a dites sur son compte, ou lorsqu’il a été atteint dans son honneur (Cette réparation que l’on fait à l’honneur de l’offensé est plutôt une satisfaction qu’une restitution, surtout quand on s’en acquitte en s’humiliant et en faisant ses excuses.).

 

Objection N°3. La restitution est une réparation qui a pour but de rendre ce qu’on a soustrait. Or, on peut soustraire quelque chose à un individu non seulement dans les échanges, mais encore dans les répartitions, comme quand on donne à quelqu’un moins qu’il ne doit avoir. La restitution n’est donc pas plus l’acte de la justice commutative que de la justice distributive.

Réponse à l’objection N°3 : La récompense accordée par le distributeur à quelqu’un qui a reçu de lui moins qu’il ne devait lui donner, repose sur le rapport d’une chose à une autre ; de telle sorte qu’on doit donner d’autant plus à quelqu’un qu’il a reçu moins qu’il ne devait avoir. C’est pourquoi cet acte appartient à la justice commutative (Il est rare que la justice commutative ne se trouve pas ainsi annexée à la justice distributive.)

 

Mais c’est le contraire. Restituer, c’est le contraire de ravir. Or, ravir la chose d’autrui est un acte d’injustice qui a pour objet les échanges. La restitution est donc l’acte de la justice commutative qui règle ces transactions.

 

Conclusion La restitution est un acte de la justice commutative.

Il faut répondre que restituer ne paraît être rien autre chose que de mettre de nouveau quelqu’un en possession de sa chose. Ainsi dans la restitution l’égalité de la justice se considère d’après le rapport qu’il y a d’une chose à une autre ; ce qui appartient à la justice commutative. C’est pourquoi la restitution est un acte de cette justice, quand la chose de l’un est retenue par un autre, soit volontairement comme dans le prêt ou dans le dépôt ; soit involontairement comme dans la rapine ou le vol (Les théologiens définissent la restitution : Rei acceptæ redditio, vel damni illati compensatio.).

 

Article 2 : Est-il de nécessité de salut qu’on restitue ce qu’on a dérobé ?

 

Objection N°1. Il semble qu’il ne soit pas nécessaire au salut qu’on restitue ce qu’on a dérobé. Car ce qui est impossible n’est pas de nécessité de salut. Or, il est quelquefois impossible de restituer ce qu’on a pris ; par exemple, quand on a enlevé à quelqu’un un membre ou la vie. Il ne semble donc pas qu’il soit de nécessité de salut qu’on rende à un autre ce qu’on lui a ravi.

Réponse à l’objection N°1 : Quand on ne peut pas rendre l’équivalent, il suffit de rendre ce qu’on peut, comme on le voit à l’égard des honneurs qui se rapportent à Dieu et aux parents, selon la remarque d’Aristote (Eth., liv. 8, chap. ult.). C’est pourquoi quand ce qu’on a ravi ne peut pas être restitué sur le pied de l’égalité, on doit faire ce qu’il est possible. Ainsi quand on a ravi à quelqu’un un membre, on doit lui faire une compensation en argent ou en dignité selon la condition des personnes, suivant l’arbitrage d’un homme de bien.

 

Objection N°2. Il n’est pas de nécessité de salut qu’on fasse un péché, parce qu’alors l’homme serait perplexe. Or, quelquefois on ne peut pas rendre à autrui ce qu’on lui a enlevé sans péché : par exemple, quand on a enlevé à quelqu’un sa réputation en disant la vérité. Il n’est donc pas de nécessité de salut qu’on rende ce qu’on a pris.

Réponse à l’objection N°2 : On peut enlever à quelqu’un sa réputation de trois manières : 1° en disant la vérité et en la disant à bon droit, comme quand on fait connaître les vices d’un individu, en observant toutes les règles qu’on doit observer en pareil cas ; et alors on n’est pas tenu à rétablir la réputation qu’on a ainsi compromise ; 2° en disant des choses fausses et en le faisant injustement. Dans ce cas on est tenu de rétablir la réputation en avouant que l’on a dit des faussetés ; 3° en disant vrai, mais injustement, comme quand on révèle les fautes d’un autre sans en avoir le droit. On est tenu alors de réparer sa réputation autant qu’on le peut, mais sans dire de mensonge (Ce serait réparer un mal par un autre mal ; ce qui n’est jamais permis.) ; par exemple, on peut dire qu’on a mal parlé, ou qu’on l’a diffamé injustement (On peut dire de lui tout le bien qu’on en sait, afin de lui faire regagner l’estime et la considération qu’on lui a ravies. Mais souvent ces moyens sont insuffisants ; ce qui prouve combien l’on doit veiller sur soi-même pour éviter la médisance, puisque cette faute peut être irréparable.). Ou bien si on ne peut rétablir sa réputation, il faut user autrement de compensation à son égard, comme nous l’avons dit pour les autres circonstances (Réponse N°1).

 

Objection N°3. Il ne peut pas se faire que ce qui a été fait ne l’ait pas été. Or, quelquefois un individu perd toute sa dignité personnelle par là même qu’il s’est laissé blâmer injustement par quelqu’un. On ne peut donc pas lui rendre ce qu’on lui a ravi, et par conséquent il n’est pas de nécessité de salut qu’on le fasse.

Réponse à l’objection N°3 : Il ne peut pas se faire que l’action de celui qui injurie n’ait pas existé ; mais il peut se faire que son effet, c’est-à-dire la perte que devait subir la dignité de la personne dans l’opinion des hommes, soit réparée par le respect qu’on lui témoigne.

 

Objection N°4. Celui qui empêche quelqu’un d’arriver à un avantage paraît le lui enlever, parce qu’une différence légère paraît être nulle, comme le dit Aristote (Phys., liv. 2, text. 56). Or, quand on empêche quelqu’un d’obtenir une prébende ou quelque autre avantage semblable, il ne semble pas qu’on soit tenu de le lui restituer, parce que quelquefois on ne le pourrait pas. Il n’est donc pas nécessaire au salut de rendre ce qu’on a pris.

Réponse à l’objection N°4 : On peut empêcher quelqu’un d’avoir une prébende de beaucoup de manières : 1° justement, si pour la gloire de Dieu ou l’utilité de l’Eglise on la fait obtenir à une autre personne qui en est plus digne, et alors on n’est tenu d’aucune manière à lui restituer ou à l’indemniser ; 2° injustement, par exemple si on a voulu nuire à l’individu par haine, par vengeance, ou de quelque autre manière. Dans ce cas si on empêche de donner la prébende à celui qui la mérite, en conseillant de ne pas la lui donner, avant qu’on ne fût bien décidé à le faire, on est tenu à une indemnité, selon la condition des personnes et de l’affaire appréciée par un homme sage. On n’est pas toutefois tenu à lui donner ce que valait la prébende, parce qu’il ne l’avait pas encore obtenue et que bien des choses pouvaient l’empêcher de l’avoir. Mais s’il était décidé qu’on donnerait une prébende à quelqu’un et que sans de justes motifs on vînt à faire révoquer cet arrêt, c’est comme si on lui ravissait la prébende elle-même ; c’est pourquoi on est tenu de lui restituer une valeur égale (Cette obligation passe aux héritiers, d’après de Lugo, Lessius, Laynann, les conférences d’Angers (Vid. saint Alphonse de Liguori, liv. 3 n° 996).), toutefois selon ses moyens.

 

Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (Ep. ad Maced. 153) : Si on peut rendre le bien d’autrui pour lequel on a péché et qu’on ne le rende pas, la pénitence n’est pas réelle, mais feinte. Si au contraire on agit sincèrement, le péché n’est remis qu’autant qu’on a restitué ce qu’on a pris, quand on peut le faire (L’obligation de restituer est de droit naturel, de droit divin et de droit humain. Elle n’est pas de nécessité de moyen pour être sauvé, mais elle est de nécessité de précepte.).

 

Conclusion Il est de nécessité de salut de restituer ce qu’on a dérobé injustement.

Il faut répondre que la restitution, comme nous l’avons dit (art. préc.), est un acte de la justice commutative qui consiste dans une certaine égalité. C’est pourquoi pour restituer, il faut rendre la chose qu’on a injustement ravie. Car en la reproduisant on répare l’égalité qui avait été troublée. Mais si l’objet a été enlevé à juste titre, l’égalité existe ; c’est pourquoi il n’est pas nécessaire qu’il y ait restitution, puisque la justice consiste dans l’égalité. Par conséquent puisque pour être sauvé il est nécessaire d’observer la justice, il s’ensuit qu’il est nécessaire au titre même de rendre ce que l’on a pris injustement.

 

Article 3 : Suffit-il de restituer uniquement ce que l’on a pris injustement ?

 

Objection N°1. Il semble qu’il ne suffise pas de restituer simplement ce que l’on a pris injustement. Car il est dit (Ex., 22, 1) : Si on a volé un bœuf ou une brebis, et qu’on l’ait tué ou vendu, on rendra cinq bœufs pour un seul et quatre brebis pour une. Or, tout le monde est tenu d’observer les préceptes de la loi divine. Celui qui vole est donc tenu de restituer le quadruple ou le quintuple.

 

Objection N°2. Ce qui est écrit l’a été pour notre enseignement, comme le dit l’Apôtre (Rom., 15, 4). Or, Zachée dit au Seigneur (Luc, 19, 8) : Si j’ai pris quelque chose, je rends le quadruple. L’homme doit donc rendre plus qu’il n’a reçu injustement.

Réponse à l’objection N°2 : Zachée a ainsi parlé parce qu’il avait l’intention de faire des œuvres de surérogation (Ce que Zachée fit est de conseil, mais non de précepte.). C’est pourquoi il avait dit auparavant : Je donne aux pauvres la moitié de mes biens.

 

Objection N°3. On ne peut pas enlever justement à quelqu’un ce qu’il ne doit pas donner. Or, le juge fait rendre à bon droit au voleur pour l’amende plus qu’il n’a pris. On doit donc payer ce surcroit, et par conséquent il ne suffit pas de rendre simplement ce qu’on a pris.

Réponse à l’objection N°3 : Le juge peut à juste titre condamner le coupable à quelque chose de plus qu’il n’a pris, sous forme d’amende ; mais cela n’était pas dû avant qu’il n’eût porté sa condamnation.

 

Mais c’est le contraire. La restitution ramène à l’égalité ce qui a été enlevé inégalement. Or, en rendant simplement ce qu’on a reçu on revient à l’égalité. On est donc tenu seulement de restituer autant qu’on a reçu.

 

Conclusion Avant la condamnation du juge on n’est pas tenu de rendre plus qu’on a reçu, mais en punition de l’injustice qu’on a faite on est tenu de restituer conformément à sa sentence.

Il faut répondre que quand on ravit injustement le bien d’autrui, il y a là deux choses à considérer : l’une est l’inégalité de la part de la chose, qui est quelquefois sans injustice, comme on le voit à l’égard du prêt (Dans le prêt ou le dépôt, on reçoit et l’on conserve la chose d’autrui sans commettre la moindre injustice.) ; l’autre est le péché d’injustice qui peut exister, quoique l’égalité de la chose n’ait pas été troublée (Ainsi on peut avoir l’intention de ravir à un autre ce qui lui appartient. Cette intention est une faute, cependant elle ne cause au prochain aucun tort tant qu’elle n’est pas réalisée.), comme quand on cherche à faire violence à quelqu’un, mais qu’on n’y parvient pas (Mais il y a tout à la fois faute et dommage causé, quand on ravit injustement à quelqu’un ce qui lui appartient.). — On remédie à la première chose par la restitution, dans le sens qu’elle répare l’égalité. A cet égard il suffit de rendre à autrui autant qu’on en a reçu. Mais on remédie à la faute par la peine qu’il appartient au juge d’infliger. C’est pourquoi avant d’avoir été condamné par le juge, on n’est pas tenu de rendre plus qu’on a reçu (Ainsi, par exemple, s’il est défendu de vendre le blé au-delà de 3 francs, sous peine d’une amende de 200 francs, et qu’on le vende 5 francs, on ne doit restituer que 2 francs à l’acheteur. On n’est obligé à donner les 200 francs qu’autant qu’on a été trouvé en faute par le pouvoir civil et qu’on a été condamné à cette amende.), mais après la condamnation il faut subir sa peine.

La réponse à la première objection est par là même évidente, parce que cette loi qui détermine la peine que le juge doit infliger, ne doit plus être observée maintenant, puisque personne n’est tenu d’observer les préceptes judiciels depuis l’avènement du Christ, comme nous l’avons dit (1a 2æ, quest. 104, art. 3). Cependant une loi humaine peut établir la même prescription ou une prescription semblable.

 

Article 4 : Doit-on restituer ce qu’on n’a pas pris ?

 

Objection N°1. Il semble qu’on doive restituer ce qu’on n’a pas pris. Car celui qui fait du tort à quelqu’un est tenu de le réparer. Or, quelquefois on fait tort à quelqu’un au delà de ce qu’on lui a pris. Ainsi celui qui prend des semences fait tort à celui qui les a semées de toute la moisson qu’il aurait récoltée. Il semble donc que dans ce cas il soit tenu de la lui restituer et par conséquent de lui rendre ce qu’il ne lui a pas enlevé.

 

Objection N°2. Celui qui retient l’argent d’un créancier au-delà du terme fixé, paraît lui faire tort de tout ce qu’il aurait pu gagner avec cet argent, et cependant il ne le lui enlève pas. Il semble donc qu’on soit tenu de restituer ce qu’on n’a pas enlevé.

 

Objection N°3. La justice humaine vient de la justice divine. Or, on doit rendre à Dieu plus qu’on en a reçu, d’après ces paroles (Matth., 25, 26) : Vous saviez que je moissonne où je n’ai pas semé, et que je recueille où je n’ai rien mis. Il est donc juste de rendre à un homme ce qu’on n’en a pas reçu.

Réponse à l’objection N°3 : Dieu n’exige pas de l’homme autre chose que le bien qu’il a semé en nous. C’est pourquoi cette parole doit s’entendre selon l’opinion fausse du serviteur paresseux qui prétendait n’avoir rien reçu de personne ; ou bien elle signifie que Dieu exige de nous les fruits de ses dons qui sont de lui et de nous, quoiqu’il nous accorde ses dons sans nous.

 

Mais c’est le contraire. La restitution appartient à la justice dans le sens qu’elle produit l’égalité. Or, si on restituait ce qu’on n’a pas reçu, il n’y aurait pas d’égalité. Par conséquent il n’est pas juste que cette restitution se fasse.

 

Conclusion On n’est pas tenu de restituer ce qu’on n’a pas enlevé.

Il faut répondre que celui qui fait du tort à quelqu’un semble lui enlever l’objet sur lequel porte le dommage qu’il lui cause ; car il y a perte par là même qu’on a moins qu’on ne doit avoir, d’après Aristote (Eth., liv. 5, chap. 4). C’est pourquoi on est tenu à restituer le dommage qu’on a causé à quelqu’un. Or, on nuit ainsi à quelqu’un de deux manières : 1° parce qu’on lui enlève ce qu’il possédait actuellement. Cette perte doit toujours être réparée par une compensation égale. Par exemple, si on a fait tort à quelqu’un en renversant sa maison, on est tenu à lui en rendre la valeur. 2° On peut faire tort à quelqu’un en l’empêchant d’acquérir ce qu’il était en voie de posséder. Cette perte ne doit pas être compensée par une valeur égale, parce que posséder une chose virtuellement c’est moins que de la posséder en acte. Or, celui qui est en voie d’obtenir une chose ne la possède que virtuellement ou en puissance. C’est pourquoi si on lui rendait de quoi posséder la même chose en acte, on ne lui restituerait pas simplement ce qu’on lui a ravi, mais davantage, ce qui n’est pas nécessaire à la restitution, comme nous l’avons dit (art. préc.). On est tenu cependant à une indemnité proportionnée à la condition des personnes et des affaires (Dans ce cas, il faut s’en rapporter au jugement des personnes prudentes et probes pour faire apprécier la somme que l’on doit restituer.).

La réponse à la première et à la seconde objection est par là même évidente. Car celui qui a ensemencé un champ ne possède pas encore la moisson en acte (Celui qui couperait ou qui foulerait des grains encore en herbes ne devrait donc pas rendre le prix qu’ils auraient produit au temps de la moisson.), il ne l’a que virtuellement. De même celui qui a de l’argent, n’a pas encore en acte le profit qu’il en espère, il ne l’a qu’en puissance ; et ces deux choses peuvent ne pas réussir pour une foule de motifs.

 

Article 5 : Faut-il toujours restituer à celui dont on a reçu quelque chose ?

 

Objection N°1. Il semble qu’il ne faille pas restituer à celui dont on a reçu quelque chose. Car nous ne devons nuire à personne. Or, quelquefois on nuirait à un individu, si on lui rendait ce qu’on a reçu de lui, ou l’on nuirait aux autres ; par exemple si l’on rendait à un furieux le glaive qu’il a mis en dépôt. On ne doit donc pas toujours restituer à quelqu’un ce qu’on en a reçu.

Réponse à l’objection N°1 : Quand la chose que l’on doit restituer paraît être gravement nuisible à celui auquel on doit la rendre ou à un autre (Ainsi on ne pourrait pas sans injustice rendre à quelqu’un de l’argent qu’on en a reçu, si l’on savait qu’il doit l’employer à faire de l’usure ou de la simonie, à moins qu’en refusant de le lui rendre on ne soit exposé à quelques dangers, ou que l’on n’y soit contraint par les voies judiciaires.), on ne doit pas alors la lui remettre ; parce que la restitution se fait dans l’intérêt de celui auquel on restitue, puisque tout ce qu’on possède revient à l’utile. Cependant celui qui retient la chose d’autrui ne doit pas se l’approprier, mais il doit ou la mettre en réserve pour la rendre dans le temps convenable, ou la remettre à un autre pour qu’elle soit plus en sûreté.

 

Objection N°2. Celui qui a donné quelque chose illicitement ne mérite pas de le recouvrer. Or, quelquefois on donne illicitement ce qu’un autre reçoit de même ; comme on le voit à l’égard de celui qui donne et de celui qui reçoit quelque chose par simonie. On ne doit donc pas toujours restituer à celui dont on a reçu.

Réponse à l’objection N°2 : On donne quelque chose illicitement de deux manières : 1° Parce que le don lui-même est illicite et contraire à la loi, comme cela est évident pour celui qui fait un don simoniaque. Dans ce cas on mérite de perdre ce qu’on a donné. Il n’y a donc pas de restitution à faire envers le donateur. Et parce que celui qui a reçu, l’a fait contre la loi, il ne doit rien conserver pour lui, mais il doit tout employer en bonnes œuvres. 2° On donne illicitement, parce qu’on donne pour une chose qui est défendue, quoique le don ne le soit pas lui-même ; comme quand on donne à une femme publique en vue du crime. La femme peut conserver pour elle ce qu’on lui a donné ; mais si elle avait extorqué quelque chose de plus par le dol ou par la fraude, elle serait tenue.de le restituer.

 

Objection N°3. Personne n’est tenu à l’impossible. Or, il est quelquefois impossible de restituer à celui dont on a reçu, soit parce qu’il est mort, soit parce qu’il est trop éloigné, soit parce qu’il est inconnu. On ne doit donc pas toujours restituer à celui auquel on a pris quelque chose.

Réponse à l’objection N°3 : Si celui auquel on doit restituer est absolument inconnu, on doit restituer comme on le peut, c’est-à-dire en faisant des aumônes pour son salut (Soto et quelques autres théologiens prétendent que l’on peut conserver l’objet et le considérer comme une chose abandonnée, mais les théologiens suivent en général le sentiment de saint Thomas.) (qu’il soit mort ou vivant), mais on a dû auparavant s’informer avec soin et rechercher la personne à laquelle on doit faire la restitution. Si cette personne est morte, on doit restituer à ses héritiers qui sont considérés comme ne formant qu’une même personne avec elle. Si elle est très éloignée, on doit lui faire passer ce qu’on lui doit, surtout si c’est une chose d’une grande valeur et qu’on puisse facilement la lui transmettre ; autrement on doit déposer cet objet dans un lieu sûr pour qu’on le lui conserve et indiquer à qui il appartient.

 

Objection N°4. L’homme doit une plus grande récompense à celui dont il a reçu un plus grand bienfait. Or, l’homme a reçu des autres personnes, par exemple de ses parents, un bienfait plus grand que de celui qui lui a fait un prêt ou un dépôt. On doit donc quelquefois secourir une autre personne plutôt que de restituer à celle dont on a reçu.

Réponse à l’objection N°4 : On doit de préférence avec son propre bien soutenir ses parents, ou ceux dont on a reçu les plus grands bienfaits ; mais on ne doit pas soulager un bienfaiteur avec l’argent d’autrui ; ce qui arriverait si ce que l’on doit à l’un, on le restituait à un autre ; il n’y a d’exception que pour le cas de nécessité extrême où 1’on pourrait et l’on devrait employer l’argent d’autrui pour secourir son père (Dans ce cas, on devrait se borner à lui procurer le strict nécessaire, et faire tous les efforts possibles pour ne pas le laisser ainsi à la charge des autres.).

 

Objection N°5. Il est inutile de restituer ce qui reviendra par la restitution dans la main de celui qui restitue. Or, si un prélat a soustrait quelque chose injustement à l’Eglise et qu’il le lui restitue, l’objet restitué reviendra dans ses mains, parce qu’il est le conservateur des biens ecclésiastiques. Il ne doit donc pas restituer à l’Eglise qu’il a frustrée, et par conséquent on ne doit pas toujours restituer à celui qu’on a dépouillé.

Réponse à l’objection N°5 : Un prélat peut enlever le bien de l’Eglise de trois manières : 1° S’il prend une chose qui ne lui est pas destinée et qu’il s’en empare ; par exemple si l’évêque venait à prendre ce qui appartient au chapitre. Alors il est évident qu’il doit restituer, en remettant cette chose dans les mains de ceux auxquels elle appartient de droit. 2° S’il transfère une chose qui est confiée à sa garde sous le domaine d’un autre, d’un parent ou d’un ami, par exemple : dans ce cas il doit la restituer à l’Eglise et avoir soin qu’elle passe à son successeur. 3° Le prélat peut ravir les biens de l’Eglise par son intention seule, dès qu’il commence à avoir la pensée de les posséder comme siens, et non au nom de l’Eglise. Alors il doit restituer, en quittant cette intention.

 

Mais c’est le contraire. L’Apôtre dit (Rom., 13, 7) : Rendez à chacun ce qui lui est dû, le tribut à qui vous devez le tribut, l’impôt à qui vous devez l’impôt.

 

Conclusion On doit toujours restituer à celui dont on a reçu, puisque ce qu’on en a reçu est à lui.

Il faut répondre que par la restitution on revient à l’égalité de la justice commutative qui consiste dans l’égalité des choses, comme nous l’avons dit (art. 2 et quest. 58, art. 10). Cette égalité ne peut exister qu’autant qu’on ajoute ce qui manque à celui qui a moins que le sien. Et pour y ajouter, il est nécessaire qu’on lui restitue ce qu’on en a reçu.

 

Article 6 : Celui qui a reçu est-il toujours tenu de restituer ?

 

Objection N°1. Il semble que celui qui a reçu ne soit pas toujours tenu de restituer. Car par la restitution on répare l’égalité de la justice qui consiste à retirer à celui qui a plus et à donner à celui qui a moins. Or, il arrive quelquefois que celui qui soustrait une chose à quelqu’un ne l’a pas, mais qu’elle passe aux mains d’un autre. Ce n’est donc pas celui qui a reçu la chose, mais c’est celui qui la possède qui est tenu de restituer.

Réponse à l’objection N°1 : La restitution n’a pas principalement pour but de retrancher quelque chose à celui qui a plus qu’il ne doit avoir ; mais elle a lieu pour suppléer à celui qui a moins. Par conséquent à l’égard des choses que l’un peut recevoir d’un autre, sans faire tort à ce dernier, la restitution n’est pas applicable ; comme quand on reçoit la lumière du flambeau d’un autre. C’est pourquoi, bien que celui qui a ravi l’objet ne l’ait plus ou qu’il soit passé entre les mains d’un autre ; cependant parce que le possesseur est privé de son bien, ils sont tenus tous les deux de le lui rendre. Celui qui a pris l’objet y est tenu en raison de l’injure qu’il lui a faite, et celui qui le possède en raison de la chose elle-même.

 

Objection N°2. Personne n’est tenu de découvrir son crime. Or, quelquefois en faisant une restitution on découvre son crime, comme on le voit à l’égard du vol. Celui qui a enlevé une chose n’est donc pas toujours tenu de la restituer.

Réponse à l’objection N°2 : Quoique l’homme ne soit pas tenu de découvrir son crime à ses semblables, il est cependant tenu de le découvrir à Dieu dans la confession ; par conséquent il peut restituer au moyen du prêtre auquel il a fait l’aveu de sa faute.

 

Objection N°3. On ne doit pas restituer la même chose plusieurs fois. Or, quelquefois il y a beaucoup d’individus qui ont pris ensemble une chose et l’un d’eux l’a rendue intégralement. Celui qui a reçu n’est donc pas toujours tenu de restituer.

Réponse à l’objection N°3 : La restitution ayant principalement pour but de réparer la perte de celui qui a été injustement lésé ; il s’ensuit que quand l’un a fait une restitution suffisante, les autres ne sont plus tenus de restituer ; mais ils doivent plutôt dédommager celui qui a restitué ; toutefois ce dernier peut les en dispenser.

 

Mais c’est le contraire. Celui qui a péché est tenu à satisfaire. Or, la restitution appartient à la satisfaction. Celui qui a enlevé une chose est donc tenu de la rendre.

 

Conclusion Celui qui a reçu injustement la chose d’un autre ou qui la retient contre le gré du maître, est toujours tenu à restituer ; mais celui qui a reçu la chose d’un autre sans lui faire injure et non pour son utilité, n’est point tenu de la rendre, si elle lui a été ravie sans qu’il y ait de sa faute.

Il faut répondre qu’à l’égard de celui qui a reçu ce qui est à autrui il y a deux choses à considérer : l’objet que l’on a reçu et son acceptation. Relativement à la chose, on est tenu de la rendre tant qu’on la possède (Si on n’a pas l’objet même, on doit rendre sa valeur.), parce que ce qu’on a au delà de ce qu’on doit avoir, on est tenu de l’abandonner pour qu’on le donne à celui qui n’a pas ce qu’il lui faut, selon les règles de la justice commutative. Quant à la réception ou à l’acceptation de la chose d’autrui, elle peut avoir lieu de trois manières. En effet : 1° elle est quelquefois injurieuse, c’est-à-dire contraire à la volonté de celui qui est le maître de l’objet, comme dans le vol et la rapine. On est tenu alors à la restitution non seulement en raison de la chose, mais encore en raison de l’injure qui a été faite (Saint Thomas suppose ici que la faute est mortelle. Quand la faute est vénielle, parce qu’elle n’est pas parfaitement volontaire, il y a controverse parmi les théologiens. Saint Alphonse de Liguori, Navarre, Sanchez, de Lugo, Lessius, Azor, Vogler, Roncaglia, Sa, Viva, Sales, etc., croient qu’on n’est tenu à rien ; Billuart, Sylvius, Soto, pensent le contraire.), quand même on ne serait plus possesseur de ce qu’on a pris. Car comme celui qui frappe quelqu’un est tenu de l’indemniser pour l’injure qu’il lui a faite, quoiqu’il n’en ait retiré aucun profit ; de même celui qui fait un vol ou une rapine, est tenu de compenser le tort qu’il cause, quand même il n’aurait retiré de ces actes aucun avantage ; et il doit même être puni ultérieurement pour l’injure qu’il a faite. 2° On reçoit la chose d’autrui pour son avantage personnel sans injure, c’est-à-dire du consentement même du maître, comme on le voit à l’égard du prêt. Alors celui qui l’a reçue est tenu à la restituer à celui de qui il la tient, non seulement en raison de la chose elle-même, mais en raison de l’acceptation (Dans ce cas, il y a un contrat, et l’emprunteur, en vertu de l’engagement qu’il a pris, doit rendre ce qu’il a emprunté.), s’il vient à la perdre. Car on est tenu de récompenser celui qui accorde une faveur ; ce qui n’aurait pas lieu, s’il venait à subir une perte. — 3° On reçoit le bien d’un autre sans lui faire injure, mais sans en tirer aucun avantage, comme on le voit à l’égard des dépôts. Celui qui l’a reçu à ce titre n’est tenu à rien en raison de son acceptation, et même en le recevant il fait un acte de complaisance. Mais il est obligé de le rendre en raison de la chose elle-même. C’est pourquoi si la chose vient à lui être ravie sans qu’il y ait de sa faute, il n’est pas tenu de la restituer ; mais il en serait autrement, s’il perdait l’objet qu’il a reçu en dépôt et que ce fût absolument par sa faute (Le dépositaire doit soigner la chose qui lui a été confiée, comme si elle lui appartenait. Il devrait même la soigner davantage s’il avait reçu de l’argent pour la garder.).

 

Article 7 : Ceux qui n’ont pas reçu sont-ils tenus à restituer ?

 

Objection N°1. Il semble que ceux qui n’ont pas reçu ne soient pas tenus à restituer. Car la restitution est le châtiment de celui qui reçoit. Or, on ne doit être puni qu’autant qu’on a péché. Il n’y a donc que celui qui a reçu qui doive restituer.

Réponse à l’objection N°1 : Non seulement celui qui exécute le péché est coupable, mais encore celui qui en est cause de quelque façon, soit par ses conseils, soit par ses ordres, soit de toute autre manière (Pour savoir si l’on est tenu à restituer, il faut voir si l’on a été de quelque manière cause influente et efficace du dommage. Tout repose sur ce principe : Tenentur omnes illi qui, quoquo modo, sunt causa influens et efficax damni illati ; ac qui ex officio et obligatione justitiæ obligati cavere damnum, non caverunt. Mgr Bouvier, Vogler, Sanchez, etc.).

 

Objection N°2. La justice n’oblige pas quelqu’un à augmenter le bien d’un autre. Or, si on obligeait à restituer non seulement celui qui a reçu, mais encore ceux qui ont coopéré à son action, celui qui a été volé y gagnerait, soit parce qu’on lui restituerait plusieurs fois la même chose, soit parce qu’il y en a qui travaillent à voler une chose à quelqu’un sans y réussir. Les autres ne sont donc pas tenus à la restitution.

Réponse à l’objection N°2 : Celui qui a le plus de part à l’action est celui qui est tenu principalement à restituer. Ainsi, c’est d’abord celui qui ordonne, ensuite celui qui exécute, puis les autres par ordre ; mais quand l’un a restitué à celui qui a souffert le dommage, un autre n’est pas tenu de restituer au même. Ceux qui ont pris le plus de part à l’action et qui ont participé à la chose doivent restituer à ceux qui ont fait la restitution. Si quelqu’un ordonne de prendre quelque chose injustement et qu’on ne le fasse pas, il ne doit pas restituer, puisque la restitution a principalement pour but de rétablir dans la possession de sa chose celui qui a subi une perte injustement.

 

Objection N°3. Personne n’est tenu de s’exposer à un péril pour sauver le bien d’un autre. Or, quelquefois en faisant connaître un voleur ou en lui résistant, on s’exposerait au danger de mort. On n’est donc pas tenu à la restitution, parce qu’on ne fait pas connaître le voleur ou qu’on ne lui résiste pas.

Réponse à l’objection N°3 : On n’oblige pas toujours à restituer celui qui ne fait pas connaître le voleur, ni celui qui ne s’oppose pas à lui ou qui ne le reprend pas ; on n’y oblige seulement que ceux qui en sont chargés par devoir, comme les princes de la terre, qui peuvent le faire d’ailleurs sans grand péril ; parce qu’on leur a mis les forces publiques en main pour qu’ils soient les gardiens de la justice.

 

Mais c’est le contraire. L’Apôtre dit (Rom., 1, 32) : Ils sont dignes de mort non seulement ceux qui agissent, mais encore ceux qui consentent à l’action. Donc, pour la même raison, ceux qui consentent à recevoir sont tenus de restituer.

 

Conclusion Non seulement ceux qui ont ravi le bien d’autrui, mais encore ceux qui ont été cause qu’on l’a reçu injustement de quelque manière, sont tenus de le restituer, quoiqu’ils ne l’aient pas reçu.

Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc.), un individu est tenu à restituer non-seulement en raison de la chose étrangère qu’il a reçue, mais encore en raison de l’injure qu’il a faite en la recevant. C’est pourquoi quiconque est cause de l’acceptation injuste d’une chose est tenu de la restituer ; ce qui arrive de deux manières : directement et indirectement. Directement, quand on porte un autre à recevoir ; et cela de trois façons : 1° de la part de la réception, en l’excitant à recevoir, ce qui se fait principalement en ordonnant, en conseillant, en y consentant expressément et en le louant comme un homme habile d’avoir reçu ce qui est à autrui ; 2° de la part de celui qui reçoit, parce qu’on le recèle ou qu’on lui prête secours de quelque manière ; 3° de la part de la chose reçue, en participant au vol ou à la rapine, comme étant complice du méfait. — Indirectement, quand on n’empêche pas lorsqu’on pourrait et qu’on devrait empêcher, soit qu’on ne donne ni ordre ni conseil pour empêcher le vol et la rapine, soit qu’on ne donne pas le secours qu’il faudrait pour pouvoir résister au mal, soit qu’on cache le fait après qu’il est commis. Toutes ces circonstances ont été renfermées dans les vers suivants :

Jussio, consilium, consensus, palpo, recursus,

Participans, mutus, non obstans, non manifestans.

Il est à remarquer que dans cinq de ces cas on est toujours tenu à la restitution. On y est obligé : 1° par l’ordre (Que l’ordre soit explicite ou implicite, il oblige également à restituer.), parce que celui qui ordonne est le moteur principal ; il est, par conséquent, tenu principalement à la restitution ; 2° par le consentement, lorsqu’il porte sur une chose sans laquelle le vol n’aurait pu avoir lieu (Pour que le consentement oblige à restituer, il faut qu’il soit la cause efficace du dommage. Celui qui ne fait qu’applaudir à une mesure injuste n’est pas tenu à la restitution. Les théologiens examinent si dans une assemblée où l’on vote une chose injuste, celui qui donne sa voix après le nombre suffisant de suffrages est tenu à restituer. Saint Alphonse de Liguori, de Lugo, Lessius, Laymann, Sylvius, Vasquez, Vogler, disent qu’il n’y est pas tenu ; Hennot, Billuart, Habert, Collet, Dens, pensent le contraire.) ; 3° par la protection, quand on recèle un voleur et qu’on le patrone ; 4° par la participation, quand on participe au crime du voleur et à son butin (Quand on a reçu simplement une portion du butin, on est tenu seulement à rendre la portion qu’on a reçue. Si on participe à un crime en aidant à le commettre, on est coupable en raison de l’influence que la coopération a eue sur l’action.) ; 5° par le défaut d’opposition, quand on ne résiste pas, quoiqu’on y soit tenu (La loi civile rend les parents responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs, les instituteurs et les artisans de ce que font les élèves ou apprentis placés sous leur surveillance (Cod. civ. 1384).). Ainsi, les princes qui sont chargés de faire respecter la justice sur la terre sont tenus de restituer, si, par leur faute, les voleurs se multiplient ; parce que les revenus qu’on leur fait sont une espèce de solde qui a été établie pour qu’ils fissent observer la justice dans les contrées soumises à leur juridiction. Dans les autres cas, la restitution n’est pas toujours obligatoire ; car le conseil ou l’adulation, ou les autres circonstances, ne sont pas toujours une cause efficace de rapine. Par conséquent, le conseiller et le flatteur ne sont tenus à restituer que quand on peut penser probablement qu’ils ont été la cause d’une action injuste.

 

Article 8 : Est-on tenu de restituer immédiatement ou si l’on peut différer la restitution ?

 

Objection N°1. Il semble qu’on ne soit pas tenu de restituer immédiatement, mais qu’on peut plutôt différer licitement la restitution ; car les préceptes affirmatifs n’obligent pas à toujours (ad semper). Or, c’est un précepte affirmatif qui nous force à restituer ; par conséquent, on n’est pas obligé de le faire immédiatement.

Réponse à l’objection N°1 : Le précepte de la restitution, quoiqu’il soit affirmatif dans la forme, implique cependant en lui-même un précepte négatif (Ce qu’il y a de négatif, c’est qu’il nous ordonne de ne pas retenir ce qui est à autrui.) qui nous empêche de retenir ce qui est à autrui.

 

Objection N°2. Personne n’est tenu à l’impossible. Or, quelquefois on ne peut pas restituer immédiatement. On n’est donc pas tenu de le faire aussitôt.

Réponse à l’objection N°2 : Quand on ne peut pas restituer immédiatement, l’impuissance (Les théologiens distinguent l’impuissance physique ou absolue et l’impuissance morale, qui consiste dans une grande difficulté de certitude. Celle-ci excuse également quand on ne peut restituer sans tomber dans une extrême nécessité, sans perdre son honneur et sans exposer sa famille aux plus grands désastres.) même délivre de l’obligation de le faire à l’instant, comme on en est quitte absolument si on ne le peut pas du tout ; cependant on doit demander, par soi-même ou par un autre, un délai ou la remise de la dette à celui auquel on doit.

 

Objection N°3. La restitution est un acte de vertu ou de justice. Or, le temps est une des circonstances que les actes de vertu requièrent. Par conséquent, puisque les autres circonstances ne sont pas déterminées dans les actes de vertu, mais que c’est à la prudence à le faire, il semble que le temps ne soit pas non plus déterminé pour la restitution, et qu’on ne soit pas tenu de la faire immédiatement.

Réponse à l’objection N°3 : L’omission d’une circonstance étant contraire à la vertu, on doit regarder comme une chose déterminée la nécessité où l’on est d’observer cette circonstance. Et parce qu’en différant la restitution on retient injustement le bien d’autrui, ce qui est contraire à la justice, il s’ensuit qu’il faut que le temps soit déterminé pour que la restitution se fasse immédiatement.

 

Mais c’est le contraire. Il semble qu’on doive suivre la même ligne de conduite pour toutes les restitutions qui sont à faire. Or, celui qui loue des mercenaires ne peut pas différer de leur rendre ce qui leur est dû, comme on le voit par ces paroles de la loi (Lévit., 19, 13) : Vous ne devez pas conserver près de vous le travail du mercenaire jusqu’au matin. On ne doit donc pas non plus différer les autres restitutions, mais on est obligé de les faire immédiatement.

 

Conclusion Celui qui a reçu une chose doit la rendre immédiatement, s’il le peut, ou bien il doit demander un délai à celui qui peut lui en accorder l’usage.

Il faut répondre que comme c’est un péché contraire à la justice de recevoir le bien d’autrui, de même c’en est un de le retenir ; parce que par là même qu’on retient le bien d’autrui malgré son maître, on l’empêche d’en faire usage, et par conséquent on lui fait injure (Si en différant la restitution il en résultait pour celui qui a été volé un dommage grave, il y aurait péché mortel à la différer ; autrement le péché n’est que véniel.). D’ailleurs il est évident qu’on ne peut rester dans le péché, même pendant un temps court, mais qu’on est tenu de le quitter immédiatement (Cette expression doit s’entendre dans un sens moral, c’est-à-dire qu’on est tenu de restituer le plus tôt possible.), d’après ces paroles de l’Ecriture (Ecclésiastique, 21, 1) : Fuyez le péché comme à la vue du serpent. C’est pourquoi on est tenu de restituer immédiatement, si on le peut, ou de demander un délai à celui qui peut accorder l’usage de la chose (Si on a besoin d’un délai, on le ferait demander par un tiers, car on n’est pas obligé de se diffamer.).

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

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