Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
2a 2ae = Secunda Secundae
= 2ème partie de la 2ème Partie
Question 63 : De l’acception des personnes
Après avoir parlé
de la justice distributive et de la justice commutative, nous avons à nous
occuper des vices opposés à ces deux espèces de justice ; nous traiterons : 1°
de l’acception des personnes qui est contraire à la justice distributive ; 2°
des péchés qui sont opposés à la justice commutative. — Sur le premier point
quatre questions se présentent : 1° L’acception des personnes est-elle un péché
? (Billuart définit l’acception des personnes : Injustitia
quâ in rebus communibus ex justitiâ distribuendis, non attenditur ad proportionem meritorum vel idoneitatis eorum
quibus dantur, sed ad aliquam
causam huic rei impertinentem.) — 2°
A-t-elle lieu dans la dispensation des biens spirituels ? (Le concile de Trente
fait un devoir de choisir les hommes les plus dignes pour les élever aux
premières fonctions de l’Eglise (sess. 24, chap. 1 et 18). Voyez à cet égard le
droit canon (chap. unic., Ut ecclesiastica beneficia,
extra, liv. 3, tit. 12, num.
3).) — 3° Dans les honneurs que l’on rend ? (Cet article a pour but
l’explication de l’Epitre de saint Jacques où il s’élève contre les honneurs
rendus aux riches (chap. 2).) — 4° Dans les jugements ?
Article 1 :
L’acception des personnes est-elle un péché ?
Objection N°1. Il semble que
l’acception des personnes ne soit pas un péché ; car par le nom de la personne
on entend sa dignité. Or, il appartient à la justice distributive de considérer
la dignité des personnes. Leur acception n’est donc pas un péché.
Réponse à l’objection N°1 : Dans la justice distributive on
considère les conditions des personnes qui les rendent dignes de la chose
qu’elles doivent recevoir et qui font qu’elles y ont droit ; mais quand il y a
acception de personnes on s’arrête à des conditions étrangères à ce mérite,
comme nous l’avons dit (dans le corps de cet article.).
Objection N°2. Dans les affaires humaines les personnes sont plus
importantes que les choses, parce que les choses sont pour les personnes et non
réciproquement. Or, puisque l’acception des choses n’est pas un péché,
l’acception des personnes l’est encore moins.
Réponse à l’objection N°2 : Les personnes doivent le mérite
qui les rend dignes des faveurs qu’on leur donne, à des choses qui
appartiennent à leur condition. C’est pourquoi on doit regarder ces conditions
comme le fondement même de leurs droits. Mais quand on considère les personnes
elles-mêmes, ce ne sont pas leurs titres qu’on observe comme tels ; c’est
pourquoi il est évident que quoique les personnes soient plus dignes absolument
(L’homme est plus que la chose absolument parlant, mais c’est la chose qui le
rend digne de tel ou tel honneur. Ainsi la science est la condition essentielle
pour arriver au doctorat, quoique l’homme considéré dans sa nature soit
supérieur à la science.), elles ne le sont pas relativement.
Objection N°3. En Dieu il ne peut y avoir ni iniquité, ni péché.
Or, Dieu paraît faire acception des personnes, parce que quelquefois de deux
hommes de la même condition il élève l’un par la grâce et laisse l’autre dans
le péché, d’après celte parole de l’Evangile (Luc, 17, 34) : De deux hommes qui seront dans le même lit,
l’un sera pris et l’autre laissé. L’acception des personnes n’est donc pas
un péché.
Réponse à l’objection N°3 : Il y a deux sortes de don. L’un
appartient à la justice, et consiste à donner à quelqu’un ce qui lui est dû : à
l’égard de ces dons, il est possible qu’il y ait acception de personnes.
L’autre appartient à la libéralité, et il consiste à donner gratuitement à
quelqu’un ce qu’on ne lui doit pas. Telle est la collation des dons de la grâce
par laquelle Dieu élève les pécheurs. Dans ce cas il n’est pas possible qu’il y
ait acception de personnes ; parce que tout le monde peut donner du sien autant
qu’il veut et à qui il veut sans injustice, d’après ces paroles de l’Evangile (Matth., 20, 14-15) : Ne
m’est-il pas permis de faire c que je veux ? Prenez ce qui est à vous et allez.
Mais c’est le contraire. La loi de Dieu ne défend que ce qui est
un péché. Or, elle défend ces préférences, puisqu’il est dit (Deut., 1, 17) : Vous ne ferez aucune acception de personnes. C’est donc un péché.
Conclusion L’acception des personnes étant contraire à la justice
distributive, est nécessairement un péché.
Il faut répondre que l’acception des personnes est contraire à la
justice distributive ; car l’égalité de la justice distributive consiste à
accorder des choses différentes aux différentes personnes, proportionnellement
à leurs mérites. Si donc on considère le caractère de la personne qui fait que
ce qu’on lui accorde lui est dû, il n’y a pas acception de personne, mais de
cause. C’est ce qui fait dire à la glose (interl.), à l’occasion de ces paroles de saint Paul (Eph., chap. 6) : En Dieu il n’y
a pas acception de personnes, que Dieu est un juste juge qui discerne les
causes, mais non les personnes. Par exemple, si on donne à quelqu’un un titre
dans l’enseignement, parce qu’il a la science suffisante, dans ce cas c’est la
cause légitime, mais non la personne que l’on considère. Au contraire, si dans
l’individu auquel on accorde une faveur on considère, non le rapport qu’il y a
entre ses titres légitimes et la chose qu’on lui donne, mais qu’on ne fasse
attention qu’à l’homme lui-même, par exemple à Pierre et à Martin, alors il y a
acception de personne ; parce qu’on ne lui accorde pas une chose en raison de
ce qu’il en est digne, mais simplement parce qu’il porte tel ou tel nom. La
personne comprend ici tous les motifs qui influent sur une faveur et qui sont
étrangers au mérite de l’individu qui la reçoit ; comme quand on élève
quelqu’un à une prélature ou à une chaire, parce qu’il est riche ou parce que
c’est un parent. Dans toutes ces circonstances il y a acception de personne. —
Cependant il arrive que la condition d’une personne la rend digne par rapport à
une chose et non par rapport à une autre. Ainsi la parenté fait qu’un individu
est digne d’être institué l’héritier d’un patrimoine, mais non de recevoir un
bénéfice ecclésiastique. C’est pourquoi la même condition personnelle,
considérée dans une affaire, fait qu’il y a acception de personne, tandis qu’il
n’en est pas ainsi dans une autre. Il est donc évident que l’acception des
personnes est opposée à la justice distributive, en ce qu’elle trouble la
proportion qu’on doit observer. Et comme il n’y a que le péché qui soit opposé
à la vertu, il s’ensuit que l’acception des personnes en est un (Elle est un
péché mortel, parce que la justice distributive est plus élevée que la justice
commutative, et que d’ailleurs en péchant contre la justice distributive on
pèche toujours contre cette dernière. Cependant ce péché peut être véniel en raison
de la légèreté de sa matière.).
Article 2 : L’acception
des personnes a-t-elle lieu dans la dispensation des choses spirituelles ?
Objection N°1. Il semble que
l’acception des personnes n’ait pas lieu dans la dispensation des choses
spirituelles. Car il semble qu’il y ait acception de personnes quand on confère
une dignité ecclésiastique ou un bénéfice à quelqu’un, parce que c’est un
parent ; puisque la parenté n’est pas une cause qui rende l’individu digne
d’un bénéfice ecclésiastique. Or, il semble qu’il n’y ait pas là de péché,
puisque les prélats le font ordinairement. L’acception des personnes ne parait
donc pas avoir lieu dans la dispensation des biens spirituels.
Réponse à l’objection N°1 : A l’égard des parents d’un prélat
il faut distinguer. Car quelquefois ils sont moins dignes et absolument et par
rapport au bien général. Alors s’il les préfère à d’autres qui sont plus
dignes, il y a acception de personnes, et il pèche dans la dispensation des
biens spirituels (Quand un ecclésiastique indigne a été élevé à un poste
important, son promoteur et lui sont tenus de réparer les dommages que l’Eglise
a eu à souffrir par suite de ce mauvais choix.). L’évêque n’est pas le maître
des biens de l’Eglise pour pouvoir les donner à qui il lui plaît ; mais il en
est le dispensateur, d’après ces paroles de l’Apôtre (1 Cor., 4, 1) : Que l’on nous
considère comme les ministres du Christ, et les dispensateurs des mystères de
Dieu. D’autres fois les parents de l’évêque sont aussi dignes que les
autres ; il peut alors, sans faire acception de personnes, les préférer aux
autres licitement ; parce qu’ils lui offrent du moins cet avantage, c’est qu’il
pourra compter davantage sur eux, pour traiter d’un commun accord avec lui
toutes les affaires de l’Eglise. Cependant il devrait s’en abstenir à cause du
scandale, si d’autres s’autorisaient de cet exemple pour donner les biens de
l’Eglise à leurs parents, sans que ceux-ci en fussent dignes.
Objection N°2. Il semble qu’on fasse acception des personnes en
préférant le riche au pauvre, comme on le voit (Jacques, chap. 2). Or, on
dispense plus facilement les riches et les puissants que les autres du degré
défendu pour le mariage. Il ne semble donc pas que l’acception des personnes
soit une faute dans la dispensation des choses spirituelles.
Réponse à l’objection N°2 : Les dispenses de mariage sont
accordées principalement pour affermir la paix : ce qui est plus nécessaire au
bien général quand il s’agit de personnes éminentes. C’est pour ce motif qu’on
accorde plus facilement ces dispenses aux grands, sans qu’il y ait en cela
acception de personnes.
Objection N°3. D’après le droit (in Glos. in chap. Custos) il suffit de choisir ce
qui est bon, mais il n’est pas nécessaire qu’on se décide pour ce qu’il y a de
mieux. Or, quand on choisit ce qu’il y a de moins bon au lieu de ce qu’il y a
de plus élevé, il semble qu’il y ait acception de
personnes. Ce n’est donc pas un péché que de faire une acception de personnes
en matière spirituelle.
Réponse à l’objection N°3 : Pour qu’on ne puisse pas attaquer
une élection devant le tribunal ecclésiastique, il suffit que celui qui a été
élu soit homme de bien (Dans ce cas, l’élection est valide ; mais pour qu’elle
soit licite, il faut que le promoteur ait choisi celui qui est le plus digne
relativement, sinon absolument.) ; il n’est pas nécessaire qu’il soit le
meilleur ; parce que dans ce cas toute élection pourrait être contestée. Mais
pour la sécurité de la conscience de celui qui élit, il est nécessaire qu’il
choisisse celui qui est le mieux, absolument ou par rapport au bien général ;
parce que si l’on peut avoir un sujet plus méritant pour une dignité, et que
cependant on lui préfère un autre, il faut que ce soit pour un motif. Si ce
motif se rapporte à la nature de la charge, celui qui est choisi est par là
même le plus apte à la chose ; mais si on se décide par un motif étranger, il y
a évidemment acception de personnes.
Objection N°4. D’après les lois de l’Eglise (chap. Cum dilectus, de Electione),
on doit élire quelqu’un du sein de l’Eglise où il y a une place vacante. Or, il
semble qu’il y ait en cela une acception de personnes, parce que quelquefois on
trouverait ailleurs des sujets plus capables. L’acception des personnes n’est
donc pas répréhensible dans les choses spirituelles.
Réponse à l’objection N°4 : Le sujet pris dans le sein de
l’Eglise est ordinairement celui qui convient le mieux dans l’intérêt général,
parce qu’il aime davantage l’Eglise où il a été élevé, et c’est pour cette
raison qu’il est dit (Deut., 17, 18) : Vous ne pourrez prendre pour roi un homme d’une autre nation, et qui ne
soit pas votre frère.
Mais c’est le contraire. L’apôtre saint Jacques dit (2, 1) : Ne faites point d’acception de personnes,
vous qui avez la foi de la gloire de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Et à
cette occasion saint Augustin s’écrie (Epist.
ad Hier. 167) : Qui pourrait supporter qu’on élevât un riche sur le siège
d’honneur de l’Eglise au mépris d’un pauvre qui serait plus saint et plus
instruit.
Conclusion Dans les choses spirituelles, l’acception des personnes
est un péché d’autant plus grave que les biens spirituels l’emportent sur les
biens temporels.
Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc.), l’acception des personnes est un péché, selon
qu’elle est contraire à la justice. Par conséquent le péché est d’autant plus
grave que l’on transgresse la justice dans des points plus importants. Ainsi
les biens spirituels l’emportant sur les biens temporels, on pèche plus
grièvement en faisant acception des personnes dans la dispensation des choses
spirituelles que dans celle des choses temporelles (Quand on donne les
bénéfices ou les emplois ecclésiastiques à des hommes qui en sont indignes, il
peut en résulter les plus graves inconvénients : la dépravation des mœurs, la
perte de la foi, la négligence du culte, la dissipation des biens
ecclésiastiques, etc.). Comme il y a acception de personnes quand on donne à un
individu quelque chose qui n’est pas en rapport avec son mérite ou sa dignité,
il est à remarquer que l’on peut apprécier la dignité d’une personne de deux
manières : 1° Absolument et en soi. A ce point de vue celui qui est le plus
digne, c’est celui qui possède avec la plus grande abondance les dons spirituels
de la grâce. 2° Par rapport au bien général. Car il arrive quelquefois que
quelqu’un qui a moins de savoir et de sainteté peut contribuer davantage au
bien général, à cause de sa puissance ou de son habileté dans le monde, ou pour
d’autres motifs semblables. Et, parce que la dispensation des choses
spirituelles a principalement pour but l’intérêt général, d’après ces paroles
de l’Apôtre (1 Cor., 12, 7) : Les dons visibles de l’Esprit-Saint ne sont
donnés à chacun que pour l’utilité de tous, il s’ensuit que, sans qu’il y
ait acception de personnes, on préfère quelquefois dans la dispensation des
biens spirituels ceux qui sont moins parfaits absolument à ceux qui le sont
davantage ; comme Dieu accorde lui-même quelquefois les grâces gratuitement
données aux individus qui sont moins bons.
Objection N°1. Il semble qu’on
ne puisse pécher en faisant acception de personnes par un témoignage d’honneur
et de respect. Car l’honneur ne parait pas être autre chose que le respect
qu’on manifeste pour quelqu’un en témoignage de sa vertu, comme on le voit (Eth., liv. 1, chap. 5 et 12). Or, on doit
honorer les prélats et les princes, même quand ils sont méchants, aussi bien
que les parents dont il est dit (Ex.,
20, 12) : Honorez votre père et votre
mère. Les maîtres doivent être également honorés par leurs serviteurs,
quand même ils seraient vicieux, d’après cette parole de l’Apôtre (1 Tim., 6, 1) : Que tous ceux qui sont sous le joug de la servitude sachent qu’ils sont
obligés de rendre toute sorte d’honneurs à leurs maîtres. Il paraît donc
que l’acception des personnes ne soit pas un péché, quand on rend des hommages
aux autres.
Objection N°2. La loi dit (Lév., 19, 32) : Levez-vous devant celui qui a les cheveux
blancs, et honorez la personne du vieillard. Or, il semble qu’il y ait en
cela acception de personnes ; puisque quelquefois les vieillards ne sont pas
vertueux, suivant ces mots du prophète (Dan.,
8, 15) : L’iniquité est sortie des
vieillards qui étaient juges et qui paraissaient conduire le peuple.
L’acception de personnes n’est donc pas un péché quand on rend à un autre un
hommage.
Objection N°3. Sur ces paroles de l’apôtre saint Jacques (chap. 2)
: Ne faites pas acception de personnes,
etc., saint Augustin dit (Glos. ord. ex Ep. 167
ad Hieron.) : que si l’on entend des réunions
quotidiennes ces mots de ce même apôtre : Quand
un homme ayant un anneau d’or entre dans votre assemblée, quel est celui
qui ne pèche pas, s’il y a péché en cela ? Or, c’est une acception de personnes
que d’honorer les riches pour leurs richesses ; car saint Grégoire dit (Hom. 28 in Ev.) : Notre orgueil est
humilié, parce que dans les hommes, ce n’est pas leur nature faite à l’image de
Dieu, mais ce sont leurs richesses que nous honorons. Et puisque les richesses
ne sont pas un motif légitime pour honorer quelqu’un, il y a en cela acception
de personnes. Donc, en pareil cas, l’acception de personnes n’est pas
répréhensible.
Mais c’est le contraire. A l’occasion de ce passage de saint
Jacques (2, 1) : Ne faites point
d’acception de personnes, etc., la glose dit (interl.), que celui qui honore un riche à cause de ses richesses, pèche,
et il en est de même si l’on honore quelqu’un pour d’autres causes qui ne le
rendent pas digne d’honneur ; ce qui appartient à l’acception de personnes.
Donc à l’égard des honneurs que l’on rend, l’acception de personnes est une
faute.
Conclusion Quand il s’agit de rendre hommage à quelqu’un,
l’acception de personnes est coupable, et elle a lieu s’il n’y a pas dans
l’individu un mérite qui justifie l’honneur qu’on lui fait.
Il faut répondre que l’honneur est un témoignage rendu à la vertu
de celui qui en est l’objet ; c’est pourquoi il n’y a que la vertu qui soit une
cause légitime pour honorer quelqu’un. Cependant il faut observer qu’un
individu peut être honoré non seulement pour sa propre vertu, mais encore pour
celle d’un autre. C’est ainsi qu’on honore les princes et les prélats
quoiqu’ils soient mauvais, parce qu’ils tiennent la place de Dieu et de la
société à la tête de laquelle ils sont préposés, d’après ce mot du Sage (Prov., 26, 8) : Celui qui rend des honneurs à un insensé est comme celui qui jette une
pierre dans le monceau amassé en l’honneur de Mercure (Mercure était
autrefois le dieu des chemins, on y dressait sa statue, et les voyageurs
jetaient des pierres en monceau au pied de cette image. Le Sage dit que honorer
un insensé, c’est faire comme ceux qui honorent ce dieu qui préside aux chemins
sans pouvoir marcher : c’est lui donner une autorité dont il est incapable.).
Car, comme les gentils attribuaient le calcul à Mercure, le monceau de Mercure
désigne le tas du marchand dans lequel il jette quelquefois une petite pierre (Ces
petites pierres avaient une valeur de convention, comme des jetons ; elles
aidaient à faire les calculs. Ce sens que donne saint Thomas à ce texte est
celui de Hugues de Saint-Victor, de Nicolas de Lyra.)
au lieu de cent marcs. — Ainsi on honore l’insensé qui
tient la place de Dieu et qui représente la société entière. Pour la même
raison on doit honorer les parents et les maîtres, parce qu’ils participent à
la dignité de Dieu qui est le Père et le Seigneur de tous. On doit honorer les
vieillards, parce que la vieillesse est l’indice de la vertu ; quoique cet
indice soit quelquefois trompeur. C’est ce qui fait dire au Sage (Sag., 4, 8) que ce qui rend la vieillesse vénérable ce n’est pas la longueur de la vie,
ni le nombre des années ; mais que la prudence de l’homme lui tient lieu de
cheveux blancs, et la vie sans tache est une heureuse vieillesse. On doit
honorer les riches, parce qu’ils occupent dans la société une place plus
importante. Mais si on les honore uniquement en vue de leurs richesses (Le
péché est mortel s’il est accompagné de mépris pour les pauvres, autrement il
est véniel, d’après Billuart.), il y a acception de personnes et péché.
La réponse aux objections est par là même évidente.
Article 4 : Le
péché d’acception de personnes a-t-il lieu dans les jugements ?
Objection N°1. Il semble que le
péché d’acception de personnes n’ait pas lieu dans les jugements. Car
l’acception de personnes est contraire à la justice distributive, comme nous
l’avons dit (art. 1). Or, les jugements paraissent appartenir surtout à la
justice commutative. L’acception de personnes n’a donc pas lieu dans les
jugements.
Réponse à l’objection N°1 : On peut considérer le jugement de
deux manières : 1° Quant à la chose même que l’on juge ; le jugement se
rapporte ainsi en général, à la justice commutative et à la justice
distributive. Car le jugement peut déterminer de quelle manière on doit
distribuer à plusieurs ce qui est commun à tous, et comment un individu doit
restituer à un autre ce qu’il en a reçu. 2° On peut le considérer quant à sa
forme elle- même, c’est-à-dire selon que le juge, dans la justice commutative
elle-même, ôte à l’un pour donner à l’autre ; et ceci appartient à la justice
distributive. C’est ainsi que dans tout jugement quel qu’il soit, il peut y
avoir acception de personnes.
Objection N°2. Les peines sont infligées d’après un jugement. Or,
dans les peines on fait acception des personnes sans péché ; parce qu’on punit
plus sévèrement ceux qui font injure aux personnes des princes qu’aux autres
individus. L’acception de personnes n’a donc pas lieu dans les jugements.
Réponse à l’objection N°2 : Quand on punit quelqu’un plus
sévèrement, parce qu’il a injurié un plus grand personnage, il n’y a pas
acception de personnes ; parce que la diversité de la personne produit à cet
égard la diversité de la chose, comme nous l’avons dit (quest. 58, art. 10, et
quest. 61, art. 2, réponse N°3).
Objection N°3. Il est dit (Ecclésiastique,
4, 10) : Soyez miséricordieux pour
l’orphelin dans vos jugements. Or, il semble qu’il y ait là acception de la
personne du pauvre. L’acception des personnes dans les jugements n’est donc pas
un péché.
Réponse à l’objection N°3 : L’homme doit en jugement ménager
le pauvre autant que possible, mais sans blesser la justice ; autrement ce
passage de l’Ecriture serait sans application (Ex., 23, 3) : Vous n’aurez
point égard au pauvre dans les jugements.
Mais c’est le contraire.
Il est écrit (Prov., 28, 5) : Il
n’est pas bon d’avoir égard à la personne dans les jugements.
Conclusion L’acception des personnes dans le jugement est un
péché, puisqu’elle pervertit et corrompt le jugement lui-même.
Il faut répondre
que, comme nous l’avons dit (quest. 60, art. 1), le jugement est un acte de
justice, dans le sens que le juge ramène à l’égalité de la justice ce qui peut
produire une inégalité contraire. L’acception des personnes produisant une
inégalité, puisqu’on attribue à un individu quelque chose qui s’écarte de la
proportion dans laquelle consiste l’égalité de la justice, il s’ensuit
évidemment que cet acte fausse le jugement.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
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