Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
2a 2ae = Secunda Secundae
= 2ème partie de la 2ème Partie
Question 67 : Des vices opposés à la justice commutative, et d’abord de
l’injustice du juge
Après avoir parlé
des vices opposés à la justice commutative, considérés dans les actes, nous
devons maintenant nous occuper des fautes du même genre qui consistent dans les
paroles. Nous traiterons d’abord de ce qui appartient au jugement ; ensuite des
paroles qui sont nuisibles hors de là. Sur le jugement il y a cinq choses à
considérer : 1° l’injustice du juge qui prononce la sentence ; 2° l’injustice
de l’accusateur dans son accusation ; 3° l’injustice de la partie accusée dans
sa défense ; 4° l’injustice du témoin dans sa déposition ; 5° l’injustice de
l’avocat dans sa plaidoirie. — A l’égard de la première, de ces choses cinq
questions se présentent : 1° Un juge peut-il juger justement celui qui n’est
pas sous sa juridiction ? (Celui qui juge quelqu’un qui ne lui est pas soumis
prononce un jugement usurpé et fait un péché mortel. Voyez à ce sujet le
concile de Trente (sess. 25, De reform., chap. 20 ; le droit canon, Extrà, liv. 2 , tit. 2 De foro competenti).) — 2°
Est-il permis à un juge de juger contrairement à la vérité qu’il connaît, à
cause des témoignages qu’on produit devant lui ? — 3° Un juge peut-il justement
condamner quelqu’un qui n’a pas été accusé ? (Cet article a pour but
d’expliquer cet axiome de droit général : Nemo condemnatur inauditus,
et de démontrer la légitimité de ce principe que le droit canon consacre (caus.
4, quest. 4, cap. Nullus).) — 4° Peut-il licitement affaiblir la peine ?
Article 1 :
Un juge peut-il juger justement celui qui ne lui est pas soumis ?
Objection N°1. Il semble qu’un
juge puisse juger justement celui qui ne lui est pas soumis. Car il est dit (Dan.,
chap. 13) que Daniel a condamné par son jugement les vieillards, qu’il a
convaincus de faux témoignage. Or, ces vieillards n’étaient pas soumis à Daniel ;
ils étaient même les juges du peuple : On peut donc licitement juger quelqu’un
qu’on n’a pas sous sa juridiction.
Réponse à l’objection N°1 : Daniel avait reçu, pour juger les
vieillards, un pouvoir qui lui avait été conféré en quelque sorte par l’inspiration
divine ; ce qui est indiqué par ces paroles de l’Ecriture (ibid.) : Le Seigneur suscita
l’esprit d’un jeune enfant.
Objection N°2. Le Christ n’était soumis à aucun homme, puisqu’il
était le Roi des rois et le Seigneur des
seigneurs. Cependant il s’est soumis au jugement d’un homme. Il semble donc
qu’un juge puisse juger licitement quelqu’un qu’on n’a pas pour sujet.
Réponse à l’objection N°2 : Dans les choses humaines on peut
de son propre gré se soumettre au jugement d’un autre, quoiqu’on ne l’ait pas
pour supérieur ; comme on le voit à l’égard de ceux qui s’en rapportent à des
arbitres. De là il résulte qu’un tribunal arbitral ne peut punir (C’est-à-dire
contraindre par eux-mêmes les partis à se soumettre à leur sentence. La
sentence prononcée, pour son exécution il faut avoir recours à l’autorité
publique (Voy. lib. Décrétal. passim).), parce que les arbitres,
n’étant pas des supérieurs, n’ont pas d’eux-mêmes la puissance coactive dans
toute sa plénitude. C’est ainsi que le Christ s’est soumis de son propre gré au
jugement des hommes, comme le pape Léon se soumit au jugement de l’empereur (Il
s’agit ici du pape Léon IV, qui se soumit à l’empereur Louis II, pour se
justifier des accusations dont il était l’objet (Décrétales, caus. 2,
quest. 7, chap. Nos si incompetenter).).
Objection N°3. Selon le droit on relève d’un tribunal d’après la
nature même du délit. Or, quelquefois celui qui commet un délit n’est pas
soumis à celui qui occupe le tribunal de l’endroit, comme quand il est d’un
autre diocèse ou qu’il est exempt. Il semble donc
qu’on puisse juger celui qu’on n’a pas sous sa juridiction.
Réponse à l’objection N°3 : Quand quelqu’un fait une faute,
l’évêque du lieu où il pèche devient son supérieur en raison même du délit,
quand même il serait exempt ; à moins que le délit ne porte sur une chose
exempte, par exemple, sur l’administration des biens d’un monastère exempt.
Mais si un exempt se rend coupable d’un vol, ou d’un homicide, ou de toute
autre faute, l’ordinaire peut justement le condamner.
Mais c’est le contraire. D’après saint Grégoire (in Regist., liv.
12, ep. 31, interrog. 9, et hab. chap. Scriptum est, 6, quest. 3) : Vous ne
pouvez mettre la faux de votre jugement dans la moisson qui paraît avoir été
confiée à un autre.
Conclusion Personne ne peut juger quelqu’un s’il ne lui est soumis
par la puissance ordinaire ou par délégation.
Il faut répondre que la sentence du juge est comme une loi
particulière appliquée à un fait particulier. C’est pourquoi, comme la loi
générale doit avoir une force coactive, d’après Aristote (Eth., liv. 10, chap. ult.), de même la sentence du juge doit avoir la
même puissance pour contraindre les deux parties à l’observer : autrement le
jugement ne serait pas efficace. Or, dans les choses humaines, la puissance coactive
n’est exercée licitement que par celui qui représente l’autorité publique. Et
ceux qui sont investis de ce droit sont considérés comme supérieurs
relativement à ceux sur lesquels agit leur puissance, soit qu’ils aient une
puissance ordinaire, soit qu’ils agissent par délégation. C’est pour ce motif
qu’il est évident que personne ne peut juger quelqu’un, s’il ne lui est soumis
de quelque manière, ou par délégation, ou par un pouvoir ordinaire (Le juge
ordinaire est celui qui, d’après sa charge, a droit de prononcer sur une
affaire, comme le chef de l’Etat à l’égard de ses sujets, l’évêque à l’égard de
ses diocésains. Le juge délégué est celui qui est chargé par le juge ordinaire
de le remplacer.).
Objection N°1. Il semble qu’il
ne soit pas permis à un juge de juger contrairement à la vérité qu’il connaît,
parce qu’on lui donne des preuves opposées. Car il est dit (Deut., 17, 9) : Vous vous
adresserez aux prêtres de la race de Lévi, et à celui qui aura été établi en ce
temps-là juge du peuple, vous les consulterez et ils vous découvriront la vérité
du jugement que vous devez porter. Or, il y a quelquefois des choses que
l’on établit contrairement à la vérité, comme quand on prouve un fait par de
faux témoins. Il n’est donc pas permis à un juge de juger d’après ce qu’on lui
dit et de se baser sur des preuves opposées à la vérité qu’il connaît.
Réponse à l’objection N°1 : Auparavant il est parlé de la
question que doivent faire les juges, pour faire entendre qu’ils doivent juger
véritablement d’après les preuves qui leur ont été fournies.
Objection N°2. L’homme doit dans ses jugements se conformer au
jugement de Dieu (Deut., 1, 17). Or, le jugement de Dieu est selon la vérité, d’après saint Paul (Rom., chap. 2), et d’après Isaïe (11, 3)
qui dit du Christ : Qu’il ne jugera point
sur ce qui paraît aux yeux, qu’il ne condamnera point sur un ouï-dire, mais
qu’il jugera la cause des pauvres dans la justice et qu’il se déclarera le
juste vengeur des humbles qu’on opprime sur la terre. Le juge ne doit donc
pas juger d’après les preuves qu’on produit devant lui, et porter une sentence
contraire à ce qu’il connaît.
Réponse à l’objection N°2 : Il convient à Dieu de juger
d’après sa propre puissance. C’est pourquoi ses jugements sont conformes à la
vérité qu’il connaît. Il en est de même du Christ qui est Dieu et homme. Mais
les autres juges ne prononcent pas d’après leur propre puissance : c’est
pourquoi il n’y a pas de parité.
Objection N°3. Dans un jugement on demande des preuves pour que le
juge arrive à la connaissance de la vérité : par conséquent, pour ce qui est
notoire, on ne demande pas d’ordre judiciel, d’après ces paroles de l’Apôtre (1 Tim., 5, 24) : Il y a des personnes dont les péchés sont manifestes, et on en peut
juger avant tout examen. Si donc un juge connaît par lui-même la vérité, il
ne doit pas faire attention aux preuves, mais il doit porter sa sentence
d’après la vérité qu’il connaît.
Réponse à l’objection N°3 : L’Apôtre parle du cas où une
chose est manifeste non seulement aux juges, mais encore à tous les autres, de
manière que le coupable ne peut nier le crime d’aucune façon (comme il arrive
dans les faits notoires) ; et qu’il est immédiatement convaincu par l’évidence
même du fait. Mais si le crime est évident pour le juge et qu’il ne le soit pas
pour les autres, ou qu’il le soit pour les autres et non pour le juge, la
discussion est alors nécessaire.
Objection N°4. Le mot de conscience
implique l’application d’une science à quelque chose que l’on doit faire, comme
nous l’avons vu (1a pars, quest. 79, art. 13). Or, c’est un péché
d’agir contrairement à ce que l’on sait. Par conséquent le juge pèche s’il
vient à se prononcer d’après les allégations qu’on lui a faites contrairement à
la conscience qu’il a de la vérité.
Réponse à l’objection N°4 : L’homme, pour ce qui regarde sa
propre personne, doit former sa conscience d’après ce qu’il sait ; mais pour ce
qui appartient à la puissance publique, il doit la former d’après ce qu’il peut
apprendre au tribunal.
Mais c’est le contraire. Saint Ambroise dit (Sup. Psalt. 118, octon.
20, sect. 5) : Un bon juge ne fait rien de lui-même ; il prononce d’après le
droit et les lois. Or, c’est là juger d’après les pièces et les preuves qui
sont produites au tribunal. Par conséquent le juge doit juger de cette manière
et non d’après son propre sentiment.
Conclusion Puisque les juges doivent juger non selon leur autorité
privée, mais comme puissance publique, il faut qu’ils se prononcent non d’après
la vérité qu’ils connaissent comme simples particuliers, mais d’après ce qu’ils
savent comme personnes publiques au moyen des lois, des témoins, des pièces et
des allégations qu’ils ont recueillies à titre de preuves.
Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc. et quest. 60, art. 2 et 6), il appartient à un juge
de juger, en vertu de la puissance publique qu’il représente. C’est pourquoi il
doit former son jugement, non d’après ce qu’il connaît comme personne privée,
mais d’après ce qu’il sait comme personne publique. A ce titre il connaît une
chose en général et en particulier. Il la connaît en général au moyen des lois
publiques, divines, ou humaines contre lesquelles il ne doit admettre aucune
preuve. Dans une affaire particulière il s’instruit au moyen des pièces du
procès, des témoins, et de tous les autres documents légitimes. C’est plutôt
d’après cela qu’il doit former son jugement que d’après ce qu’il connaît comme
individu. Cependant il peut s’aider de ces dernières connaissances, pour
discuter avec plus de soin les preuves qu’on produit et pour chercher à en
découvrir le défaut. Que s’il ne peut juridiquement les repousser, il doit,
comme nous l’avons dit (hic sup.), y
conformer son jugement (Ce qui nous paraît donner beaucoup plus de force à ce
sentiment, c’est qu’en jugeant contre les preuves, le juge s’expose à
discréditer sa propre sentence, à perdre la confiance et l’estime publiques, et
à produire par conséquent un très grand scandale. Ces considérations peuvent
suffire pour l’aider à former sa conscience, de manière qu’il n’agisse pas
contre elle, tout en se prononçant contre ce qu’il sait de science privée.).
Article 3 :
Un juge peut-il condamner quelqu’un, quoiqu’il n’ait point d’accusateur ?
Objection N°1. Il semble qu’un
juge puisse condamner quelqu’un, quoiqu’il n’ait pas d’accusateur. Car la
justice humaine vient de la justice divine. Or, Dieu juge les pécheurs,
quoiqu’il n’y ait personne pour les accuser. Il semble donc que l’homme puisse
dans un jugement condamner quelqu’un, quand même il n’y aurait pas d’accusateur.
Réponse à l’objection N°1 : Dieu, dans son jugement, se sert
de la conscience du pécheur comme d’un accusateur, d’après ces paroles de
l’Apôtre (Rom., 2, 15) : Leur conscience leur rend témoignage par la
diversité des réflexions et des pensées qui les accusent ou qui les défendent,
ou bien il se repose sur l’évidence du fait qui éclate à ses yeux, d’après ces
mots de la Genèse (4, 10) : La voix du
sang de votre frère Abel crie vers moi de la terre.
Objection N°2. Dans un jugement il faut un accusateur pour qu’il
défère le crime au juge. Or, quelquefois la connaissance d’un crime peut
arriver au juge autrement que par l’accusation ; par exemple, il peut le
connaître par une dénonciation, ou par l’infamie, ou enfin il peut l’avoir vu
commettre lui-même. Le juge peut donc condamner quelqu’un sans accusateur.
Réponse à l’objection N°2 : L’infamie publique tient lieu
d’accusateur (Manifesta accusatione non indiget
(caus. 2, quest. 1, chap. Manifesta).).
Ainsi, à l’occasion de ces paroles de la Genèse (4, 10) : La voix du sang de votre frère, la glose dit (interl.) : L’évidence du crime qui a été commis n’a pas besoin
d’accusateur. Dans la dénonciation (Il s’agit ici de la dénonciation que l’on
fait par charité et non de la dénonciation juridique.), comme nous l’avons dit
(quest. 33, art. 7), on n’a pas l’intention de punir celui qui pèche, mais de
l’améliorer. C’est pourquoi on n’agit pas contre, mais pour celui qui est
l’auteur du péché ; c’est ce qui fait qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait là
un accusateur. Si l’on porte une peine contre celui qui se révolte à l’égard de
l’Eglise, c’est parce qu’il y a là une faute manifeste qui remplace
l’accusation. Enfin, quant au crime que le juge voit, il ne peut le juger que
conformément au droit, ce qui suppose un accusateur.
Objection N°3. L’Ecriture rapporte les actions des saints comme
des modèles que nous devons imiter. Or, Daniel fut à la fois le juge et
l’accusateur des iniques vieillards dont il a raconté l’histoire (Dan., chap. 13). Par conséquent il n’est
pas contraire à la justice qu’en condamnant quelqu’un on soit tout à la fois
son juge et son accusateur.
Réponse à l’objection N°3 : Dieu, dans son jugement, procède
d’après sa connaissance propre de la vérité, mais il n’en est pas de même de
l’homme (Quand on n’entend qu’une partie, souvent on croit l’affaire certaine,
et quand on a entendu l’autre, elle devient douteuse.), comme nous l’avons dit
(art. préc.). C’est pourquoi l’homme ne peut pas être
tout à la fois accusateur, témoin et juge, comme Dieu. Mais Daniel fut
simultanément accusateur et juge, et pour ainsi dire exécuteur de l’arrêt de
Dieu, parce qu’il était mû par son inspiration, comme nous l’avons dit (art. 1,
réponse N°1).
Mais c’est le contraire. A l’occasion de ces paroles de l’Apôtre :
Et vous êtes enflés d’orgueil (1 Cor., 5, 2), saint Ambroise dit que le
juge ne doit pas condamner sans accusateur, et que le Seigneur n’a point rejeté
Judas, quoiqu’il fût un voleur, parce qu’il n’y avait personne pour l’accuser.
Conclusion Un juge ne peut juger, ni condamner personne, sans un
accusateur, puisque, comme interprète de la justice, il ne peut prononcer
qu’entre deux individus.
Il faut répondre que le juge est l’interprète de la justice. Ce
qui fait dire à Aristote (Eth., liv. 5, chap.
4) : Les hommes ont recours au juge comme à la justice personnifiée. Or, la
justice, comme nous l’avons dit (quest. 58, art. 2), ne consiste pas dans le
rapport de l’homme avec lui-même, mais avec un autre. C’est pourquoi il faut
que le juge se prononce entre deux ; ce qui a lieu quand l’un est accusateur et
l’autre accusé (C’est d’ailleurs ce qui découle de l’article précédent. Car,
d’après cet article, le juge doit se prononcer d’après ce qu’il sait
publiquement ; ce qu’il sait de la sorte, lui est découvert par les accusateurs
et les témoins.). Par conséquent un juge ne peut pas condamner quelqu’un pour
un crime, s’il n’a un accusateur, d’après ces paroles (Actes, 25, 16) : Ce n’est
point la coutume des Romains de livrer un homme à la mort avant que l’accusé ait
les accusateurs présents devant lui, et qu’on lui ait donné la liberté de se
justifier du crime dont on l’accuse.
Article 4 : Le
juge peut-il licitement adoucir la peine ?
Objection
N°1. Il semble qu’un juge puisse licitement
adoucir la peine ; car il est dit (Jacques, 2, 13) : Que celui qui ne fait pas miséricorde sera jugé sans miséricorde.
Or, on n’est pas puni parce qu’on ne fait pas ce qu’on ne peut faire
licitement. Un juge peut donc licitement faire miséricorde en adoucissant la
peine.
Réponse à l’objection N°1 :
Le juge peut être miséricordieux dans ce qui est laissé à son libre arbitre.
Dans ce cas, il appartient à l’homme de bien de diminuer les peines, comme le
dit Aristote (Eth., liv. 5, chap. 10). Mais il ne lui
appartient pas de faire de la miséricorde à l’égard de ce qui est déterminé par
la loi divine ou humaine.
Objection N°2. L’homme doit
imiter dans ses jugements le jugement de Dieu. Or, Dieu remet à ceux qui se
repentent leur peine, parce qu’il ne veut pas la mort du pécheur, selon
l’expression du prophète (Ez., chap. 18). Le
juge peut donc licitement remettre une partie de la peine à celui qui se repent.
Réponse à l’objection N°2 :
Dieu a le pouvoir suprême de juger, et c’est de lui que relèvent toutes les
fautes que l’on fait contre quelqu’un. C’est pourquoi il est libre de remettre
la peine, surtout quand on considère que la peine est due principalement au
péché, qui est une offense contre lui. Cependant il ne la remet qu’autant qu’il
convient à sa bonté, qui est la source de toutes les lois.
Objection N°3. Il est permis à
chacun de faire ce qui est utile à quelqu’un et qui ne nuit à personne. Or, il
est utile à un coupable de lui remettre sa peine, et cela ne fait de mal à qui
que ce soit. Un juge peut donc licitement faire au criminel la remise de sa
peine.
Réponse à l’objection N°3 :
Si le juge remettait la peine sans y regarder, il nuirait à la société, parce
qu’il importe que les malfaiteurs soient punis pour faire éviter les fautes.
C’est pourquoi, après avoir déterminé le châtiment du séducteur, la loi ajoute
(Deut., 13, 11) : C’est afin que tout Israël, entendant cet exemple, soit saisi de
crainte, et qu’il ne se trouve plus personne qui ose rien entreprendre de
semblable. Il nuirait aussi à la personne qui a reçu l’injure ; car elle
trouve un dédommagement à ce qu’elle a souffert dans la peine infligée à celui
qui l’a injuriée.
Mais c’est le contraire. Il est
dit (Deut., 13, 8) de celui qui cherche à entraîner
les autres au culte des dieux étrangers : Que
la compassion ne vous porte point à l’épargner ou à lui donner raison ; mais
tuez-le aussitôt. Il est dit aussi de l’homicide (Deut., 19, 12) : Il mourra, et
vous n’aurez pas compassion de lui.
Conclusion Un juge supérieur peut
adoucir la peine due au coupable, si celui qui a reçu l’injure veut la
remettre.
Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. 2 et 3 préc.), il y a deux choses à considérer à l’égard du juge :
l’une, c’est qu’il doit prononcer entre l’accusateur et le criminel ; l’autre,
c’est qu’il ne porte pas sa sentence d’après sa propre puissance, mais d’après
l’autorité publique. Par conséquent, il y a deux raisons qui l’empêchent de
faire au coupable la remise de sa peine : 1° de la part de l’accusateur, qui a
quelquefois un droit strict à ce que le criminel soit puni, comme quand il en a
reçu une injure. Il n’est pas au pouvoir du juge de faire la remise de cette
injure, parce que tout juge est tenu de rendre à chacun ce qui lui appartient.
2° Il en est empêché par la puissance publique, qu’il représente, et dont le
bien exige que les malfaiteurs soient punis. Cependant, sous ce rapport, il y a
une différence entre les juges inférieurs et le juge suprême, c’est-à-dire le
prince auquel la puissance publique a été pleinement confiée. Car le juge
inférieur n’a pas le pouvoir de remettre au coupable la peine, contrairement
aux lois qui lui ont été imposées par l’autorité supérieure. C’est ce qui fait
dire à saint Augustin (Tract. 116), à
l’occasion de ces paroles de saint Jean (Jean, 19, 11) : Vous n’auriez contre moi aucun pouvoir, que Dieu avait donné à
Pilate une puissance telle qu’il était soumis à l’autorité de César, de manière
qu’il n’était pas absolument libre d’absoudre un accusé. Mais le prince qui a
la plénitude de la puissance dans l’Etat peut, si celui qui a été offensé veut
faire la remise de son offense, absoudre licitement le coupable, pourvu que son
indulgence ne paraisse pas être funeste à l’intérêt général.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
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