Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

2a 2ae = Secunda Secundae = 2ème partie de la 2ème Partie

Question 69 : Des péchés qui sont contraires à la justice de la part de l’accusé

 

            Après avoir parlé de l’accusateur, nous avons à nous occuper des péchés qui sont contraires à la justice de la part de l’accusé. — A cet égard quatre questions se présentent : 1° Pèche-t-on mortellement en niant la vérité par laquelle on serait condamné ? (Sur cette question, il est certain qu’en aucun cas l’accusé ne doit mentir ; tous les théologiens admettent que quand il n’a plus l’espérance d’échapper à la sentence il doit avouer la vérité. Mais est-il tenu de faire lui-même cet aveu, quand il a l’espoir de n’être pas sans cela convaincu. La plupart des théologiens trouvent trop dur de l’obliger à un pareil aveu. (Voyez à cet égard saint Liguori, liv. 4, n° 274, et Mgr Bouvier.)) — 2° Est-il permis à quelqu’un de se défendre par la calomnie ? (Innocent XI a condamné cette proposition : Probabile est non peccare mortaliter qui imponit falsum crimen alicui, ut suam justitiam et honorem defendat.) — 3° Est-il permis de décliner le jugement par voie d’appel ? (Appellatio est à minore judice ad majorem provocatio. Le droit d’appel est consacré par le droit canonique (chap. Omnis oppressus, causa 2, quest. 6, chap. Pastoralis, de appell.).) — 4° Est-il permis à celui qui est condamné de se défendre par la violence, s’il en a la faculté ?

 

Article 1 : L’accusé peut-il sans péché mortel nier la vérité qui le ferait condamner ?

 

Objection N°1. Il semble que sans péché mortel l’accusé puisse nier la vérité qui le ferait condamner. Car saint Jean Chrysostome dit (Hom. 31 sup. Epist. ad Hebr.) : Je ne vous dis pas de vous produire en public, ni de vous accuser près d’un autre. Or, si l’accusé avouait la vérité en justice, il se livrerait et s’accuserait lui-même. Il n’est donc pas tenu de dire la vérité, et par conséquent il ne pèche pas mortellement, s’il ment dans le jugement.

Réponse à l’objection N°1 : Quand on est interrogé par un juge juridiquement, on ne se trahit pas soi-même, mais on l’est par un autre ; puisque celui auquel on doit obéir met dans la nécessité de lui répondre.

 

Objection N°2. Comme il y a mensonge officieux quand on ment pour délivrer un autre de la mort, de même il paraît qu’il y a aussi mensonge officieux quand on ment pour se sauver la vie, parce qu’on est plus tenu envers soi qu’envers un autre. Or, le mensonge officieux n’est pas un péché mortel, mais un péché véniel. Par conséquent si l’accusé nie la vérité en jugement pour se délivrer de fa mort, il ne pèche pas mortellement.

Réponse à l’objection N°2 : Mentir pour délivrer quelqu’un de la mort, tout en faisant injure à un autre, n’est pas un mensonge purement officieux, mais il a quelque chose de pernicieux. Or, quand on ment en justice pour s’excuser, on fait injure à celui auquel on doit obéissance, puisqu’on lui refuse ce qu’on lui doit, c’est-à-dire l’aveu de la vérité.

 

Objection N°3. Tout péché mortel est contraire à la charité, comme nous l’avons dit (quest. 24, art. 12). Or, qu’un accusé mente en s’excusant d’un péché mortel qu’on lui reproche, il n’agit pas contrairement à la charité, ni quant à l’amour de Dieu, ni quant à l’amour du prochain. Ce mensonge n’est donc pas un péché mortel.

Réponse à l’objection N°3 : Celui qui ment en justice en s’excusant, pèche contre l’amour de Dieu à qui le jugement appartient, et contre l’amour du prochain, soit par rapport au juge auquel il refuse ce qu’il lui doit, soit par rapport à l’accusateur qui est puni, s’il ne peut prouver ce qu’il avance. Aussi, à l’occasion de ces paroles du Psalmiste (Ps. 140, 4) : Ne permettez pas que mon cœur se porte à rien dire d’injuste pour chercher des excuses dans le péché, la glose dit (ord. Cassiod.) : Les impudents ont l’habitude, quand ils sont pris en faute, de s’excuser par de faux prétextes. Et saint Grégoire (Mor., liv. 22, chap. 9), expliquant ces paroles de Job (chap. 31) : Si j’ai caché mon péché, comme l’homme, etc., dit : Que c’est un vice ordinaire dans l’espèce humaine de faire le péché en secret, de le cacher en le niant après l’avoir commis, et de le multiplier en se défendant, lorsqu’on en est convaincu (Cependant, après le jugement porté, l’accusé n’est point tenu d’avouer sa faute, qu’il ait été condamné ou non. Sylvius, Serra, Navarro, Sanchez, Laymann, Mgr Bouvier, saint Liguori, sont de ce sentiment.).

 

Mais c’est le contraire. Tout ce qui est contraire à la gloire de Dieu est un péché mortel, parce que nous sommes obligés ex præcepto de tout faire pour la gloire de Dieu, comme on le voit (1 Cor., chap. 10). Or, il appartient à la gloire de Dieu que le coupable dise ce qui est contre lui, comme on le voit par ce que Josué dit à Achas (Jos., 7, 19) : Mon fils, rendez gloire au Seigneur le Dieu d’Israël : confessez-lui votre faute et déclarez-moi ce que vous avez fait sans en rien cacher. C’est donc un péché mortel que de mentir pour excuser un péché.

 

Conclusion L’accusé que le juge interroge ne peut pas en jugement mentir ou nier la vérité, sans se rendre coupable de péché mortel ; il peut cependant ne pas répondre au juge dans les questions qu’il lui fait et qui ne sont pas juridiques, et il peut décliner le jugement en en appelant à un juge supérieur.

Il faut répondre que celui qui agit contrairement à ce qui est dû à la justice pèche mortellement, comme nous l’avons vu (quest. 59, art. 4). Or, la justice exige que l’on obéisse à son supérieur pour les choses auxquelles s’étend sa juridiction. Ainsi le juge, comme nous l’avons dit (quest. 67, art. 1), est le supérieur de celui qui est jugé. Ce dernier est donc tenu de lui dire la vérité (Saint Thomas fait alors à l’accusé un devoir d’avouer sa faute. Non seulement les thomistes, mais encore plusieurs théologiens étrangers à son école, partagent son sentiment. Mais dans le cas où l’accusé est dans la bonne foi, tous les théologiens s’accordent à dire que le confesseur doit l’y laisser. Sanchez, Mgr Bouvier (De Decaloguo, chap. 7, art. 5), saint Liguori (liv. 4, n° 274).), lorsqu’il la lui demande selon la forme du droit. C’est pourquoi s’il ne veut pas avouer la vérité qu’il est tenu de déclarer, ou s’il la nie par un mensonge, il pèche mortellement. Mais si le juge lui demande ce qu’il ne peut lui demander juridiquement, il n’est pas obligé de lui répondre. Il peut licitement décliner son jugement, soit par l’appel, soit autrement ; toutefois il n’est jamais permis de mentir.

 

Article 2 : Est-il permis à un accusé de se défendre par la calomnie ?

 

Objection N°1. Il semble qu’il soit permis à un accusé de se défendre par la calomnie. Car d’après le droit civil (1, Transigere, chap. De Transact.), quand il s’agit de la vie, il est permis à chacun de corrompre son adversaire. Or, ceci est plus grave que de se défendre par une calomnie. L’accusé ne pèche donc pas dans une cause capitale, s’il a recours à la calomnie pour se défendre.

Réponse à l’objection N°1 : Les lois humaines laissent beaucoup de choses impunies qui sont aux yeux de la justice divine des péchés, comme on le voit à l’égard de la simple fornication ; parce que la loi humaine ne demande pas de l’homme cette vertu parfaite qui est l’apanage de quelques-uns, et qu’on ne peut trouver dans une multitude d’hommes aussi grande que celle que la loi humaine régit. Or, ne pas vouloir commettre un péché pour échapper à la mort corporelle, dont le criminel est menacé dans une affaire capitale, c’est l’effet d’une vertu héroïque ; parce que de tous les maux que l’on peut redouter, la mort est le plus terrible, selon la remarque d’Aristote (Eth., liv. 3, cap. 6). C’est pourquoi si dans une cause capitale le criminel corrompt son adversaire, il pèche en le portant à faire un acte répréhensible, mais la loi civile n’a pas de peine pour ce délit. Loin de là, elle dit même que c’est une chose permise.

 

Objection N°2. L’accusateur qui s’entend avec l’accusé est soumis à une peine déterminée par les lois, comme on le voit (2, quest. 3, chap. Si quem pænituerit). Or, il n’y a pas de peine portée contre l’accusé pour s’être entendu avec son accusateur. Il semble donc qu’il soit permis à l’accusé de se défendre calomnieusement.

Réponse à l’objection N°2 : L’accusateur, s’il s’entend avec l’accusé qui est coupable, encourt une peine ; d’où il est évident qu’il pèche. Par conséquent, puisque c’est une faute de porter quelqu’un au mal, ou de participer au péché de quelque manière, car l’Apôtre dit (Rom., chap. 1) que ceux qui sont du même sentiment que les pécheurs sont dignes de mort, il est évident que l’accusé pèche quand il s’entend avec son adversaire. Cependant les lois humaines ne lui infligent pas de peine pour la raison que nous avons donnée (Réponse N°1).

 

Objection N°3. Il est dit (Prov., 14, 16) : Le sage craint et se détourne du mal ; l’insensé passe outre et il est plein de confiance. Or, ce que fait le sage n’est pas un péché. Donc, si un individu se délivre du mal, peu importe de quelle manière, il ne pèche pas.

Réponse à l’objection N°3 : Le sage se cache non par la calomnie, mais par la prudence.

 

Mais c’est le contraire. Dans une cause criminelle, on doit prêter serment à l’égard de la calomnie, comme on le voit (ext. de juram. calom., chap. Inhærentes) ; ce qui n’aurait pas lieu, s’il était permis de se défendre par le moyen. Il n’est donc pas permis à l’accusé de se défendre de cette manière.

 

Conclusion L’accusé qui est coupable ne peut en justice se défendre par la calomnie, mais il peut, à l’égard des choses auxquelles il n’est pas tenu de répondre, cacher la vérité ou se défendre justement de quelque autre manière ; mais il ne lui est permis d’aucune façon de dire une fausseté, ou de taire la vérité qu’il est tenu de déclarer, ou de mentir de quelque manière que ce soit.

Il faut répondre qu’autre chose est de taire la vérité, et autre chose de dire une fausseté. Dans certains cas la première de ces deux choses est permise. Car on n’est pas tenu de déclarer toute vérité ; on ne doit avouer que celle que le juge peut et doit exiger juridiquement ; comme quand l’infamie a précédé le crime qui fait l’objet de l’accusation, ou quand il y a eu des indices exprès, ou encore quand il y a préalablement une demi-preuve (Ce sont les circonstances dans lesquelles l’interrogation du juge est juridique.). Mais il n’est permis à personne en aucun cas de dire une fausseté. A l’égard de ce qui est permis, on peut user de voies licites, adaptées à la fin qu’on se propose, ce qui appartient à la prudence ; ou bien on peut avoir recours à des moyens illicites, inconvenants pour la fin qu’on a en vue, et c’est ce qui se rapporte à l’astuce qui s’exerce par la fraude et le dol, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (quest. 55, art. 4 et 5). Le premier de ces deux procédés est louable, mais le second est vicieux. Ainsi il est donc permis au criminel qui est accusé, de se défendre, en cachant la vérité qu’il n’est pas tenu d’avouer, et par des moyens qui n’aient rien de répréhensible (On reconnaît à l’accusé le droit de révéler les crimes secrets des témoins qui déposent contre lui, si cette révélation peut infirmer leur déposition, et s’il n’a pas d’autre moyen d’échapper à la sentence dont il est menacé.), par exemple en ne répondant pas aux questions auxquelles il n’est pas tenu de répondre. Mais ce n’est pas là se défendre par la calomnie, c’est plutôt échapper à l’accusation par la prudence. — Il ne lui est pas permis de dire une fausseté, ou de taire la vérité, qu’il est tenu de déclarer, ni d’employer le dol ou la fraude, parce que la fraude et le dol ont la force du mensonge : et c’est là se défendre au moyen de la calomnie.

 

Article 3 : Est-il permis à l’accusé de décliner le jugement au moyen de l’appel ?

 

Objection N°1. Il semble qu’il ne soit pas permis à l’accusé de décliner le jugement au moyen de l’appel. Car l’Apôtre dit (Rom., 13, 1) : Que toute personne soit soumise aux puissances supérieures. Or, l’accusé qui en appelle refuse de se soumettre à une puissance supérieure, c’est-à-dire au juge. Donc il pèche.

Réponse à l’objection N°1 : On ne doit être soumis à une puissance inférieure qu’autant qu’elle observe l’ordre de la puissance qui est au-dessus d’elle. Si elle s’en écarte, il n’est pas nécessaire qu’on lui soit soumis ; comme quand le proconsul ordonne une chose et l’empereur une autre, ainsi qu’on le voit par la glose (Rom., chap. 13 ord. sup. illud : Qui autem resistunt), et dans saint Augustin (Serm. 6 de verb. Dei, chap. 8). Or, quand un juge charge quelqu’un injustement, il n’observe pas sous ce rapport l’ordre de la puissance supérieure qui lui fait un devoir de juger d’après la justice. C’est pourquoi il est permis à celui qui est injustement lésé, de recourir à l’autorité supérieure, en en appelant avant ou après la sentence (D’après le droit ecclésiastique, on peut en appeler avant la sentence, mais dans les affaires séculières on ne peut en appeler qu’après.). Et, parce qu’on ne présume pas qu’il y ait de la droiture là où la vraie foi manque, il s’ensuit qu’il n’est pas permis à un catholique d’en appeler à un juge infidèle, d’après ce décret (2, quest. 6, chap. 32) : Que le catholique qui en aura appelé, pour une cause juste ou injuste, au jugement d’un juge qui n’a pas la même foi que lui, soit excommunié. Car l’Apôtre a aussi condamné ceux qui portaient leurs affaires litigieuses devant les infidèles (1 Cor., chap. 6).

 

Objection N°2. Le lien de la puissance ordinaire est plus fort que celui de l’élection propre. Or, il est dit (2, quest. 8, chap. 33), qu’il n’est pas permis de se soustraire aux juges que le consentement commun a choisis. Par conséquent il est encore moins permis d’en appeler des juges ordinaires.

Réponse à l’objection N°2 : Quand quelqu’un s’en rapporte de son plein gré au jugement d’un individu dont la justice ne lui inspire pas de confiance, c’est sa propre faute ou un effet de sa négligence. Car il semble qu’il y ait de la légèreté d’esprit à ne pas rester attaché à celui qu’on a une première fois approuvé. C’est pourquoi on a raison de ne pas permettre d’en appeler des juges qu’on s’est donné, et qui tirent tout leur pouvoir du consentement des parties qui sont en lutte. Mais la puissance du juge ordinaire ne dépend pas du consentement de celui qui est soumis à son jugement, elle dépend de l’autorité du roi et du prince qui l’en a investi. C’est pourquoi la loi accorde le recours de l’appel contre les peines injustes qu’elle pourrait infliger, de telle sorte que si le juge est tout à la fois juge ordinaire et arbitre, on peut en appeler, parce qu’il semble que sa puissance ordinaire ait été l’occasion qui l’a fait choisir comme arbitre. On ne doit pas imputer le défaut de la sentence à celui qui a consenti à l’accepter comme arbitre et non comme le juge ordinaire que le prince lui a donné.

 

Objection N°3. Ce qui est licite une fois l’est toujours. Or, il n’est pas permis d’en appeler après dix jours, ni trois fois à l’égard d’une môme cause. Il semble donc que l’appel ne soit pas permis en lui-même.

Réponse à l’objection N°3 : L’équité du droit vient au secours de l’une des parties de manière à ne pas être onéreuse à l’autre. C’est pourquoi on a accordé le temps de dix jours pour en appeler (L’appel ne suspend pas la sentence d’excommunication, de suspense ou d’interdit ; le décret du premier juge a pendant ce temps-là son effet (Trid., sess, 24, De regul., chap. 13).), et l’on a jugé ce délai suffisant pour réfléchir et se décider sur l’opportunité de l’appel. Si on n’avait pas déterminé un temps pendant lequel il serait permis d’en appeler, on n’aurait jamais eu de certitude dans les jugements, et par conséquent l’autre partie en aurait souffert. C’est pour ce motif qu’on n’a pas permis d’en appeler trois fois au sujet de la même chose, parce qu’il n’est pas probable que les juges s’écartent de la justice après autant de décisions.

 

Mais c’est le contraire. Saint Paul en a appelé à César, comme on le voit (Actes, chap. 25).

 

Conclusion Dans une cause juste, lorsqu’il a été trop sévèrement jugé, il est permis à l’accusé d’en appeler à une puissance supérieure, mais il n’est pas permis d’en appeler injustement, pour apporter des retards et empêcher que la sentence ne soit prononcée.

Il faut répondre qu’on peut user du droit d’appel de deux manières : 1° On peut en appeler parce qu’on a confiance dans la bonté de sa cause, et qu’on a été jugé injustement. Dans ce cas l’appel est permis (L’appel doit se faire par degré, sans omettre aucun juge intermédiaire.) ; car c’est éviter la condamnation avec prudence. Aussi le droit dit (2, quest. 6, chap. 3) : Que celui qui est opprimé en appelle librement, s’il le veut, au jugement des prêtres, et que personne ne l’en empêche. 2° On peut en appeler pour susciter des retards (Cependant, dans les causes criminelles, on accorde au coupable d’en appeler d’une juste sentence, pour prolonger sa vie ou dans l’espérance de voir s’adoucir sa peine. Dans les causes civiles on peut aussi en appeler quand on a de nouvelles preuves à faire valoir ou que les opinions sont également probables, et qu’on a l’espérance qu’un autre juge embrassera l’autre sentiment.) et empêcher qu’on ne porte contre soi une juste sentence. Alors c’est se défendre par la calomnie ; ce qui est illicite, comme nous l’avons dit (art. préc.). Car on fait injure au juge qui ne peut remplir son devoir, et à l’adversaire dont on trouble autant que possible la justice. C’est pourquoi, comme le dit le droit (2, quest. 6, chap. 27), on doit punir par tous les moyens celui dont l’appel est injuste.

 

Article 4 : Est-il permis à celui qui est condamné à mort de se défendre, s’il le peut ?

 

Objection N°1. Il semble qu’il soit permis à celui qui est condamné à mort de se défendre, s’il le peut. Car la chose à laquelle la nature porte est toujours licite, puisqu’elle est de droit naturel. Or, la nature nous porte à résister à tout ce qui nous attaque, non seulement parmi les hommes et les animaux, mais encore parmi les choses insensibles. Par conséquent il est permis au coupable qui est condamné à mort de résister, s’il le peut, afin qu’on ne le fasse pas mourir.

Réponse à l’objection N°1 : La raison a été donnée à l’homme pour qu’il ne suive pas passivement l’attrait de la nature, mais pour qu’il ne lui obéisse que rationnellement. C’est pourquoi toute défense de soi n’est pas licite ; elle ne l’est que quand elle est faite avec la modération légitime.

 

Objection N°2. Comme on évite par la résistance la peine de mort portée contre soi, de même on l’évite par la fuite. Or, il paraît permis à un individu de se délivrer de la mort par la fuite, d’après ces paroles de l’Ecriture (Ecclésiastique, 9, 18) : Eloignez-vous de l’homme qui a le pouvoir de vous faire périr. Il est donc aussi permis au coupable de faire résistance.

Réponse à l’objection N°2 : Personne n’est condamné à se donner lui-même la mort (Si on condamnait quelqu’un à s’empoisonner lui-même ou à s’ouvrir les veines, la plupart des théologiens pensent qu’il ne devrait pas exécuter cette sentence, parce que le suicide n’est jamais permis.), mais à la subir. C’est pourquoi on n’est pas tenu à faire une chose dont la mort doit être la conséquence ; ainsi on n’est pas tenu de rester dans un lieu pour être de là conduit au supplice (On peut aussi s’évader, si on est condamné à une longue détention. Il est permis également aux simples particuliers de favoriser l’évasion d’un criminel en lui donnant des conseils ou en lui fournissant des instruments. Mais ses gardiens et ses juges ne peuvent, sans péché grave, favoriser sa fuite.). Mais on est obligé de ne pas résister à l’agent pour ne pas chercher à éviter la sentence qu’il est juste qu’on souffre. Par exemple, si quelqu’un est condamné à mourir de faim, il ne pèche pas, s’il prend de la nourriture qu’il s’est procurée en secret ; parce que, s’il ne la prenait pas, ce serait se tuer lui- même.

 

Objection N°3. Il est dit (Prov., 24, 11) Tirez du péril ceux que l’on mène à la mort et qui vont tomber sous l’épée. Or, on se doit à soi-même plus qu’à un autre. Il est donc permis au condamné de se défendre lui-même, pour qu’il ne soit pas mis à mort.

Réponse à l’objection N°3 : Cette parole du Sage n’engage pas à délivrer quelqu’un de la mort contrairement à l’ordre de la justice. Par conséquent un condamné ne doit pas se soustraire lui-même à la peine de mort en résistant contre la justice.

 

Mais c’est le contraire. L’Apôtre dit (Rom., 13, 2) : Celui qui résiste à la puissance, résiste à l’ordre de Dieu et attire sur lui la damnation. Or, le condamné, en se défendant, résiste à la puissance par rapport au but pour lequel elle a été établie de Dieu, qui consiste à punir les malfaiteurs et à récompenser les bons. Il pèche donc en se défendant.

 

Conclusion Celui qui est condamné à mort justement ne peut se défendre sans péché, mais il peut le faire si sa condamnation est injuste.

Il faut répondre qu’on est condamné à mort de deux manières : 1° justement (D’après Bannès et Sylvius, l’innocent qui a été condamné secundum allegata et probata peut se défendre, absolument parlant, mais il ne le doit pas par accident, à cause du scandale qui en résulterait.). Alors il n’est pas permis au condamné de se défendre. Car il est permis au juge de combattre celui qui résiste. D’où il résulte que de son côté la guerre est injuste, et par conséquent il pèche indubitablement. 2° On peut être condamné injustement. Ce jugement ressemble à la violence des brigands, d’après ce mot du prophète (Ez., 22, 27) : Ses princes étaient au milieu d’elle comme des loups toujours attentifs à ravir leur proie et à verser le sang. C’est pourquoi, comme il est permis de résister aux brigands, de même il est permis dans ce cas de résister aux mauvais princes, à moins qu’on ne s’en abstienne pour éviter le scandale, quand on a à craindre qu’il n’en résulte de graves troubles.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

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