Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
2a 2ae = Secunda Secundae
= 2ème partie de la 2ème Partie
Question 70 : De l’injustice qui regarde la personne du témoin
Après avoir parlé de l’accusé, nous avons à nous occuper de
l’injustice qui se rapporte à la personne du témoin. — A cet égard quatre
questions se présentent : 1° Est-on tenu de rendre témoignage ? — 2° Est-ce
assez de deux ou trois témoins ? — 3° Le témoignage d’une personne peut-il être
rejeté sans qu’elle soit inculpée ? — 4° Est-ce un péché mortel de rendre un
faux témoignage ?
Article 1 : Un
homme est-il obligé de remplir l’office de témoin ?
Objection N°1. Il semble qu’on
ne soit pas tenu à rendre témoignage. Car saint Augustin dit (Quæst. Genes., liv.
1, quest. 26, et liv. 22 cont. Faust.,
chap. 33) qu’Abraham, en appelant sa femme sa sœur, voulut cacher la vérité,
sans dire un mensonge. Or, en cachant la vérité, on s’abstient de faire
l’office de témoin. On n’y est donc pas tenu.
Réponse à l’objection N°1 : Saint Augustin parle du droit de
cacher la vérité quand on n’est pas forcé par l’autorité du supérieur à la
manifester, et quand on peut la tenir secrète, sans qu’il en résulte aucun tort
spécial pour personne (On ne serait pas tenu de déposer, si on ne pouvait le
faire sans s’exposer à de grands périls ; à moins qu’il ne s’agisse du bien
général, ou que le prochain ne doive subir un tort beaucoup plus grave que
celui qu’on redoute.).
Objection N°2. Personne n’est tenu d’agir frauduleusement. Or, il
est dit (Prov., 11, 13) que celui qui est fourbe révèle les secrets,
mais que celui qui est fidèle cache le secret que son ami lui a confié.
L’homme n’est donc pas toujours tenu à rendre témoignage, surtout à l’égard de
ce que son ami lui a confié en secret.
Réponse à l’objection N°2 : A l’égard des choses qui ont été
confiées à quelqu’un sous le secret de la confession, il ne doit d’aucune
manière en rendre témoignage, parce qu’il ne les sait pas comme homme, mais
comme ministre de Dieu, et que le lien du sacrement est plus fort que tout
précepte humain. Pour ce que l’on sait d’une autre manière sous le secret, il
faut distinguer. Car quelquefois il y a de ces choses que l’on est tenu de
manifester aussitôt que l’on en a connaissance ; par exemple, celles qui
tendent à la perte spirituelle ou corporelle de la société, ou qui doivent
causer une perte grave à un individu, ou toute autre chose semblable qu’on est
tenu de divulguer par une déposition ou par une dénonciation. Le secret ne peut
être obligatoire dans ce cas, parce qu’alors on manquerait à la fidélité qu’on
doit à autrui. D’autres fois il s’agit de choses qu’on n’est pas tenu de
produire. Ainsi on peut être obligé à les garder par là même qu’on les a reçues
sous le secret ; et dans ce cas on ne doit pas les faire connaître, même quand
le supérieur le commande, parce qu’il est de droit naturel de conserver la foi
promise, et qu’on ne peut rien ordonner à l’homme qui soit contraire à ce qui
est de droit naturel.
Objection N°3. Les choses qui sont de nécessité de salut sont
surtout obligatoires pour les clercs et les prêtres. Or, il est défendu aux
clercs et aux prêtres de déposer dans une affaire capitale. Il n’est donc pas
nécessaire au salut qu’on rende témoignage.
Réponse à l’objection N°3 : Il ne convient pas aux ministres
de l’autel de faire périr quelqu’un ou de coopérer à cette action, comme nous
l’avons dit (quest. 64, art. 4). C’est pourquoi on ne peut pas juridiquement
les obliger à déposer dans une affaire capitale.
Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (Hab. ex Isid., liv. 3 Sentent., chap. 59 ; voy.
chap. Falsidicus) : Celui qui cache la vérité et
celui qui ment sont l’un et l’autre coupables : l’un, parce qu’il ne veut pas
être utile ; l’autre, parce qu’il cherche à nuire.
Conclusion Dans les crimes manifestes et dans ceux qui ont été
précédés par l’infamie, l’homme est tenu de rendre témoignage juridiquement
quand son supérieur le demande ; dans les autres, on est tenu encore de rendre
témoignage pour la délivrance de l’accusé, sans que l’autorité supérieure
l’exige, mais on n’y est pas obligé quand il s’agit de le faire condamner.
Il faut répondre qu’à l’égard du témoignage que l’on doit rendre,
il faut distinguer, parce que quelquefois on requiert le témoignage d’une
personne et d’autres fois on ne le requiert pas. Si le témoignage d’un
inférieur est requis par l’autorité du supérieur auquel il doit obéissance pour
ce qui appartient à la justice, il est évident qu’il est tenu de faire sa
déposition sur les choses à l’égard desquelles on est en droit d’exiger de lui
juridiquement un témoignage, comme les choses qui sont manifestes (Saint Thomas
entend par le mot manifeste ce qui
peut être prouvé par des témoins suffisants. Car si le juge accusait et qu’il
n’y eût qu’un seul témoin, Bannès, Ledesna, Serra, prétendent que ce témoin ne serait pas tenu
de répondre.) et celles que l’infamie a précédées.
Mais si on exige de lui un témoignage sur d’autres points, par exemple, sur des
faits occultes et que l’infamie n’a pas précédés, il n’est pas tenu de déposer.
— Si son témoignage n’est pas requis par l’autorité du supérieur auquel il est
tenu d’obéir (Ce qui arrive quand le témoin n’est pas interrogé par le juge
légitime ou qu’il ne l’est pas juridiquement.), il
faut distinguer de nouveau. Car, si le témoignage est nécessaire pour délivrer
un homme d’une mort injuste ou d’une autre peine, ou d’une fausse infamie, ou
d’une perte quelconque, dans ce cas on est tenu de faire une déposition. Et si
on ne requiert pas son témoignage, le témoin est obligé de faire tout son
possible pour faire connaître la vérité à quelqu’un qui puisse être utile à
l’accusé. Car il est dit (Ps. 81, 4)
: Délivrez le pauvre et l’indigent,
arrachez-les de la main du pécheur. Et ailleurs (Prov., 24, 11) : Délivrez
ceux qu’on conduit à la mort. L’Apôtre dit aussi (Rom., 1, 32) : Ils méritent
la mort, non seulement ceux qui font ces choses, mais encore ceux qui les
approuvent. A cette occasion, la glose observe (Ambr. in hunc loc. apud
Pet. Lombard. in comm.) : Que se taire c’est
consentir, quand on peut reprendre (Celui qui fait un faux témoignage est tenu
de restituer le dommage qui en résulte, mais on n’oblige pas à la restitution
celui qui ne comparaît pas comme témoin ou qui refuse de répondre. Ce sentiment
est du moins soutenu par de Lugo, Bannès, Sylvius,
Serra, Billuart, contre Soto, Navarrès, Asor, etc.). —
Mais, pour ce qui doit faire condamner quelqu’un, on n’est tenu de déposer que
quand on y est forcé juridiquement par le supérieur, parce que, si la vérité
reste cachée dans cette circonstance, il n’en résulte de dommage particulier
pour personne. Ou si l’accusateur se trouve en péril, on n’a pas à s’en
inquiéter, parce qu’il s’est jeté de lui-même dans cet embarras. Mais la raison
n’est pas la même quand il s’agit d’un accusé dont les jours sont en danger,
sans qu’il l’ait voulu.
Article 2 : Le
témoignage de deux ou de trois témoins est-il suffisant ?
Objection N°1. Il semble que le
témoignage de deux ou de trois témoins ne suffise pas. Car le jugement demande
la certitude. Or, on n’est pas certain de la vérité sur la parole de deux
témoins, puisqu’on lit (3 Rois, chap.
21) que Naboth fut faussement condamné sur la déposition de deux témoins. Ce
n’est donc pas assez du témoignage de deux ou trois personnes.
Réponse à l’objection N°1 : Quelle que soit la multitude des
témoins, le témoignage pourrait être inique quelquefois, puisqu’il est dit (Ex., 23, 2) : Vous ne suivrez point la multitude pour faire le mal. Cependant,
quoiqu’on ne puisse avoir la certitude infaillible dans ce cas, on ne doit pas
négliger la certitude qu’on peut acquérir probablement au moyen de deux ou de
trois témoins, comme nous l’avons dit (dans le corps de cet article.).
Objection N°2. Pour qu’un témoignage soit digne de foi, il faut
qu’il soit d’accord avec lui-même. Or, le plus souvent, le témoignage de deux
ou trois individus se trouve en désaccord sur quelques points. Il n’est donc
pas capable d’établir en justice la vérité.
Réponse à l’objection N°2 : Le désaccord des témoins sur des
circonstances principales qui changent la substance du fait, par exemple, sur
le temps, le lieu ou les personnes dont il s’agit principalement, détruit
l’efficacité de leur témoignage ; parce que, s’ils diffèrent sur ces points,
ils paraissent réduits chacun à leur attestation particulière et parler de
faits divers. Par exemple, si un témoin dit qu’une chose s’est passée dans un
temps ou dans un lieu, et qu’un autre prétende que ce soit dans un autre temps
ou dans un autre lieu, ils ne paraissent pas parler du même fait. Toutefois on
ne rejette pas le témoignage, si l’un dit qu’il ne se rappelle pas et que
l’autre affirme un temps ou un lieu déterminé. Si les témoins de l’accusateur
et ceux de l’accusé sont absolument en désaccord sur ces mêmes points, et
qu’ils soient égaux en nombre et aussi dignes de foi, on prononce en faveur de
l’accusé (C’est un axiome que tous les droits invoquent : Cum sunt partium
jura obscura, reo favendum potiùs quàm actori (De reg. juris, in 6, reg. 2) : In pœnis
benígnior est interpretatio
facienda (Ibid., reg. 49).), parce que le juge doit être plus facile pour
absoudre que pour condamner, si ce n’est dans les causes favorables, comme
celle de la liberté. — Si les témoins de la même partie sont en dissentiment,
le juge doit réfléchir pour savoir le parti qu’il doit embrasser, en examinant
le nombre des témoins, leur dignité, le caractère de la cause, la condition de
l’affaire et la nature des dépositions. On doit absolument repousser le
témoignage d’un individu si, en l’interrogeant sur ce qu’il a vu et sur ce
qu’il sait, il est en désaccord avec lui-même ; mais il n’en est pas de même
s’il se contredit quand on l’interroge sur l’opinion et la renommée, parce que,
selon les différentes choses qu’il a vues et entendues, il peut être porté à
répondre diversement. — Mais si les témoignages sont en désaccord sur des
circonstances qui n’appartiennent pas à la substance du fait ; par exemple, si
le temps était nébuleux ou serein, si la maison était peinte ou ne l’était pas,
ou d’autres choses semblables, ce dissentiment ne nuit pas au témoignage, parce
que les hommes n’ayant pas l’habitude de s’inquiéter beaucoup de ces choses,
elles s’échappent facilement de leur mémoire. Et même le désaccord sur ces
points rend le témoignage plus croyable, comme le dit saint Chrysostome (Sup. Matth., hom. 1), parce que s’ils étaient d’accord en tout, même sur
les plus petits détails, ils paraîtraient s’être entendus. Toutefois c’est à la
prudence du juge qu’il appartient de discerner toutes ces choses.
Objection N°3. Il est dit (2, quest. 4, chap. 11) : On ne
condamnera l’évêque que d’après soixante-douze témoins ; pour un
cardinal-prêtre, il en faudra soixante-quatre ; pour un cardinal-diacre de la
ville de Rome, vingt-sept ; pour un sous-diacre, un acolyte, un exorciste, un
lecteur, un portier, sept. Or, la faute de celui qui est le plus élevé en
dignité est plus dangereuse, et par conséquent elle est moins tolérable. Ainsi,
pour la condamnation des autres individus, ce n’est pas assez de deux ou trois
témoins.
Réponse à l’objection N°3 : Ce décret est spécialement
applicable (Ces privilèges ont été abrogés par la coutume contraire. Il ne faut
pas plus de témoins contre les chefs de l’Eglise romaine que contre les
autres.) aux évêques, aux prêtres, aux diacres et aux
clercs de l’Eglise romaine, à cause de sa dignité, et cela pour trois raisons :
1° parce qu’on ne doit établir dans cette Eglise que des hommes dont la
sainteté offre plus de confiance que la déposition d’une foule de témoins ; 2°
parce que les hommes qui doivent juger les autres ont souvent une multitude
d’ennemis, précisément à cause de leur justice. On ne doit donc pas légèrement
croire aux témoins qui s’élèvent contre eux, s’ils ne sont pas en grand nombre
; 3° parce que la condamnation de l’un des chefs de cette Eglise dérogerait
dans l’opinion des fidèles à sa dignité et à son autorité ; ce qui est plus
dangereux que de tolérer en elle un pécheur, à moins qu’il ne soit public et
manifeste, et qu’il n’en résulte un grave scandale.
Mais c’est le contraire.
Il est dit (Deut., 17, 6) : Celui qui doit être puni
de mort sera condamné sur la déposition de deux ou trois témoins. Et plus
loin (ibid., 19, 15) : Tout
passera pour constant sur la déposition de deux ou trois témoins.
Conclusion Dans tout jugement il faut nécessairement la déposition
de deux ou trois témoins, et cela suffit.
Il faut répondre que, d’après Aristote (Eth., liv. 1, chap. 3 et chap. 7), on ne doit pas également rechercher
la certitude dans toute matière. Car, dans les actes humains qui sont l’objet
des jugements et pour lesquels on exige des témoignages, on ne peut pas avoir
une certitude démonstrative, parce qu’ils portent sur ce qui est contingent et
variable. C’est pourquoi il suffit de cette certitude probable, qui le plus
souvent repose sur la vérité, quoiqu’elle s’en éloigne quelquefois. Or, il est
probable que la parole de plusieurs renferme plutôt la vérité que la parole
d’un seul. C’est pourquoi, comme il n’y a que l’accusé qui nie, tandis qu’il y
a plusieurs témoins qui affirment la même chose que l’accusateur ; c’est avec
raison qu’il a été décidé, de droit divin (Sous la loi ancienne, il était de
droit divin que deux ou trois témoins suffisaient (Deut., chap. 17 et 19). Quoique le Christ ait rappelé ces paroles,
néanmoins ces préceptes indiciels ont été abolis sous la loi nouvelle.) et humain (Le droit des gens, le droit canonique et le droit
civil sont d’accord à cet égard.), qu’on devait s’en tenir à la parole des
témoins. — D’un autre côté, toute multitude est comprise dans trois choses :
dans un commencement, un milieu et une fin. C’est ce qui fait dire à Aristote (De cælo, liv. 1,
text. 2) que le tout et la totalité supposent le
nombre trois. Il y a en effet trois individus qui affirment quand les deux
témoins sont d’accord avec l’accusateur ; c’est pour ce motif qu’on exige au
moins deux témoins. Ou pour que la certitude soit plus
grande, on en demande trois, ce qui fait que la multitude est parfaite dans les
témoins eux-mêmes. Aussi est-il dit (Ecclé., 4, 12) qu’une triple corde est difficile à couper.
Et à l’occasion de ces paroles de saint Jean (chap. 8) : Le témoignage de deux hommes est véritable, saint Augustin dit (Tract. 36) que par là il rend hommage au
mystère de la sainte Trinité, dans laquelle réside le fondement perpétuel de la
vérité.
Article 3 : Peut-on
refuser le témoignage de quelqu’un sans qu’il ait fait de faute ?
Objection N°1. Il semble qu’on
ne doive repousser le témoignage de quelqu’un que pour une faute. Car il y en a
auxquels on inflige pour peine de n’être pas admis en témoignage, comme on le
voit à l’égard de ceux qui sont marqués d’infamie. Or, on ne doit porter une
peine que pour une faute. Il semble donc qu’on ne doive repousser le témoignage
d’un individu que pour une faute.
Réponse à l’objection N°1 : Quand on écarte quelqu’un comme
témoin, c’est plutôt une précaution pour éviter le faux témoignage qu’un
châtiment. Ce raisonnement n’est donc pas concluant.
Objection N°2. On doit penser le bien de tout le monde, si on n’a
pas la preuve du contraire. Or, il appartient à la bonté de l’homme de rendre
un témoignage véridique. Par conséquent, comme on ne peut prouver le contraire
que par une faute, il semble qu’on ne doive repousser le témoignage de
quelqu’un que pour ce motif.
Réponse à l’objection N°2 : On doit bien penser de chacun, si
on n’a pas la preuve du contraire, pourvu qu’on ne s’expose pas à compromettre
les intérêts d’un autre. Dans ce cas, il faut prendre des précautions et ne pas
s’en rapporter facilement atout le monde, d’après ces paroles de saint Jean (1
Jean, 4, 1) : Ne croyez pas à tout esprit.
Objection N°3. On ne devient incapable de ce qui est de nécessité
de salut que par le péché. Or, il est nécessaire au salut d’attester la vérité,
comme nous l’avons dit (art. 1). On ne doit donc être exclu comme témoin que
pour une faute.
Réponse à l’objection N°3 : Déposer est de nécessité de
salut, en supposant que le témoin soit apte à le faire et que le droit
l’ordonne. Par conséquent rien n’empêche qu’on n’exempte quelqu’un de ce
devoir, si le droit ne l’en juge pas capable.
Mais c’est le contraire. Saint Grégoire dit (in Regist., liv. 11, ep.
56), et le droit porte (2, quest. 1, chap. In
primis) que si un évêque est accusé par ses
serviteurs, on ne doit point du tout les entendre.
Conclusion On peut repousser le témoignage d’un individu,
quelquefois pour une faute et d’autres fois sans cela.
Il faut répondre que le témoignage, comme nous l’avons dit (art. préc.), ne produit pas une certitude infaillible, mais
probable. C’est pourquoi tout ce qui produit une probabilité en sens contraire
rend le témoignage nul. Or, il est probable qu’un individu n’est pas capable
d’attester la vérité, quelquefois parce qu’il a fait une faute, comme les
infidèles et les infâmes, ainsi que ceux qui sont coupables de crime public, et
qui ne peuvent plus être accusateurs ; d’autres fois sans qu’il ait fait de
faute, soit par suite du défaut de raison, comme on le voit à l’égard des
enfants, des insensés et des femmes (Le droit canon exclut les femmes pour les
causes criminelles, à cause de la fragilité de leur sexe et de la mobilité de
leur esprit.) ; soit à cause des affections, comme quand il s’agit des ennemis,
des parents (Sont dispensés de déposer, les ascendants, les descendants, les
frères et sœurs du coupable, et les alliés aux mêmes degrés ; les personnes qui
sont par état ou par profession les dépositaires des secrets qu’on leur confie,
comme les avocats, les médecins, les évêques ou les curés même, à l’égard des
choses qu’on leur a révélées hors de la confession.) ou des domestiques ; soit
en raison de leur condition extérieure, comme les pauvres, les serfs, et ceux
auxquels on peut commander et qu’on peut facilement amener à faire une
déposition contraire à la vérité. Ainsi il est évident qu’on repousse le
témoignage d’un individu pour une faute et sans cela.
Article 4 : Le
faux témoignage est-il toujours un péché mortel ?
Objection N°1. Il semble que le
faux témoignage ne soit pas toujours un péché mortel. Car il arrive qu’on fait un faux témoignage par suite de l’ignorance du fait.
Or, cette ignorance excuse du péché mortel. Le faux témoignage n’est donc pas
toujours un péché de cette nature.
Réponse à l’objection N°1 : Dans une déposition le témoin ne
doit pas affirmer avec certitude, comme s’il le savait, ce dont il n’est pas
certain, mais il doit donner pour douteux ce dont il doute, et affirmer comme
certain ce dont il est sûr. Mais parce qu’il arrive, par suite de la faiblesse
de la mémoire, qu’on regarde quelquefois comme certain ce qui est faux, si,
après y avoir réfléchi avec toute l’attention possible, on se croit sûr d’une
fausseté, on ne pèche pas mortellement en l’affirmant, parce qu’alors on ne
fait pas un faux témoignage absolument et avec intention, mais on le fait par
accident, sans le vouloir (Si le témoin s’aperçoit ensuite de son erreur, et
qu’il puisse, sans grave inconvénient, rétracter sa déposition, il est obligé
de le faire, par charité, de l’aveu de tous, et même par justice, suivant le
sentiment le plus probable, d’après Sylvius, Billuart, saint Alphonse de
Liguori, Mgr Gousset, etc.).
Objection N°2. Le mensonge qui sert à quelqu’un et qui ne nuit à
personne est un mensonge officieux, qui n’est pas un péché mortel. Or,
quelquefois dans le faux témoignage le mensonge a ce caractère, comme quand on
fait un faux témoignage pour délivrer quelqu’un de la mort ou d’une sentence
injuste qui est intentée par de faux témoins ou par la malice du juge. Ce faux
témoignage n’est donc pas un péché mortel.
Réponse à l’objection N°2 : Un jugement injuste n’est pas un
jugement. C’est pourquoi un faux témoignage produit dans un jugement injuste
pour empêcher l’injustice n’a pas, par la force même du jugement, le caractère
d’un péché mortel, il ne l’a que par suite de la violation du serment.
Objection N°3. On requiert du témoin le serment, afin qu’il
craigne de pécher mortellement en se parjurant. Or, cela ne serait pas
nécessaire, si le faux témoignage était un péché mortel. Il n’en est donc pas
toujours un.
Réponse à l’objection N°3 : Les hommes abhorrent surtout les
péchés qui sont contre Dieu, comme étant les plus graves, et le parjure est de
ce nombre. Mais ils n’abhorrent pas de même les péchés qui sont contre le
prochain. C’est pourquoi, pour être plus sûr du témoignage, on demande au
témoin le serment.
Mais c’est le contraire. Il est dit (Prov., 19, 5) : Le faux
témoin ne sera pas impuni.
Conclusion Celui qui fait un faux témoignage pèche mortellement,
puisqu’il est parjure, qu’il agit contre la justice et qu’il ment.
Il faut répondre
que le faux témoignage a une triple difformité. La première vient du parjure,
parce que les témoins ne sont admis qu’autant qu’ils prêtent serment, et il est
par là même toujours un péché mortel (Le parjure n’admet pas de légèreté de
matière.). La seconde provient de la violation de la justice. A ce point de
vue, il est un péché mortel dans son genre (Il peut y avoir sous ce rapport
légèreté de matière, parce que le dommage causé par un faux témoignage peut
être peu important.), comme toute injustice. C’est pourquoi dans le Décalogue
il est ainsi défendu (Ex., 20, 16) : Vous ne ferez pas de faux témoignage contre
votre prochain. Car il n’agit pas contre quelqu’un, celui qui l’empêche de
faire une injure, mais seulement celui qui le prive de la justice. La troisième
résulte de la fausseté même, qui fait que tout mensonge est un péché. Sous ce
rapport, le faux témoignage n’est pas toujours un péché mortel.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
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