Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

2a 2ae = Secunda Secundae = 2ème partie de la 2ème Partie

Question 71 : De l’injustice qui a lieu dans le jugement de la part des avocats

 

            Après avoir parlé des témoins, nous avons à nous occuper de l’injustice qui a lieu dans le jugement de la part des avocats. — A cet égard quatre questions se présentent : 1° L’avocat est-il tenu de se charger de la cause des pauvres ? (La doctrine renfermée dans cet article est applicable aux médecins, aux procureurs, aux notaires et en général à tous ceux qui remplissent des fonctions publiques.) — 2° Y a-t-il des individus qu’on doive éloigner de la charge d’avocat ? — 3° Un avocat pèche-t-il en défendant une cause injuste ? — 4° Pèche-t-il en recevant de l’argent pour sa défense ?

 

Article 1 : Un avocat est-il tenu de se charger de la cause des pauvres ?

 

Objection N°1. Il semble qu’un avocat soit tenu de prendre en main la cause des pauvres. Car il est dit (Ex., 23, 5) : Si vous voyez l’âne de celui qui vous hait abattu sous sa charge, vous ne passerez pas votre chemin, mais vous le relèverez. Or, le pauvre n’est pas moins en danger, si sa cause est opprimée contrairement à la justice, que si son âne tombait sous un fardeau. L’avocat est donc tenu de prendre la défense de la cause des pauvres.

Réponse à l’objection N°1 : Quand un âne succombe sous son fardeau, il ne peut être secouru dans cette circonstance que par ceux qui passent ; c’est pourquoi ils sont tenus de lui venir en aide. Mais ils n’y seraient pas obligés, s’il y avait lieu de le secourir autrement.

 

Objection N°2. Saint Grégoire dit (Hom. 9 in Ev.) : Que celui qui a de l’intelligence ait soin de ne pas se taire absolument ; que celui qui est dans l’abondance ne cesse pas de faire des œuvres de miséricorde ; que celui qui a l’art de diriger les autres le communique au prochain ; que celui qui a accès près du riche intercède pour les pauvres ; car il sera demandé compte à chacun du moindre talent qu’il aura reçu. Or, on ne doit pas cacher le talent que la Providence a confié, mais on doit le dispenser avec fidélité, ce qui est manifeste par la peine portée contre le serviteur qui avait enfoui le sien (Matth., chap. 25). L’avocat est donc tenu de parler pour les pauvres.

Réponse à l’objection N°2 : L’homme est tenu de dispenser utilement le talent qui lui a été confié, mais en observant l’opportunité des lieux, des temps et des autres circonstances, comme nous l’avons dit (dans le corps de cet article.).

 

Objection N°3. Le précepte qui nous commande de faire des œuvres de miséricorde étant affirmatif, oblige surtout pour le lieu et pour le temps où la nécessité est pressante. Or, il semble qu’il y ait nécessité quand la cause du pauvre est opprimée. Il semble donc que dans ce cas l’avocat soit tenu de prendre sa défense.

Réponse à l’objection N°3 : Toute nécessité ne met pas dans l’obligation de secourir le prochain, il n’y a que celle dont nous avons parlé.

 

Mais c’est le contraire. L’indigent qui a besoin de nourriture n’est pas dans une nécessité moins pressante que celui qui a besoin d’avocat. Or celui qui a le pouvoir de nourrir un pauvre n’est pas toujours tenu de le faire. Un avocat n’est donc pas toujours tenu de défendre la cause des pauvres.

 

Conclusion Quand les causes des pauvres ne peuvent pas être soutenues autrement, les avocats sont tenus de s’en charger et de les défendre, comme tout le monde est tenu de faire une œuvre de miséricorde en faveur de celui qui est dans le besoin extrême.

Il faut répondre que la défense de la cause des pauvres étant une œuvre de miséricorde, on doit raisonner à son égard, comme nous l’avons fait pour toutes les autres œuvres de ce genre (quest. 32, art. 5 et 6). Mais personne ne pouvant suffire à toutes les œuvres de miséricorde que réclament tous les indigents, il s’ensuit, comme l’observe saint Augustin (De doct. christ., liv. 1, chap. 28), que dans l’impossibilité où l’on est d’être utile à tout le monde, il faut particulièrement venir en aide à ceux qui, selon les différentes conjonctures des temps, des lieux et des affaires, nous sont plus étroitement unis. Il dit selon les lieux, parce qu’on n’est pas tenu de chercher par le monde des indigents pour les soulager, mais il suffit de faire des œuvres de charité en faveur de ceux qui se présentent. Ainsi il est dit (Ex., 23, 4) : Si vous trouvez le bœuf de votre ennemi ou son âne qui soit égaré, ne manquez pas de le lui ramener. Il ajoute, selon les temps, parce qu’on n’est pas tenu de subvenir aux besoins futurs du prochain ; il suffit de soulager sa misère présente. C’est ce qui fait dire à saint Jean (1 Jean, 3, 17) : Celui qui aura vu son frère dans le besoin, et qui lui aura fermé son cœur et ses entrailles, comment l’amour de Dieu demeurerait-il en lui ? Enfin il parle de toutes les affaires quelles qu’elles soient, parce que l’homme doit surtout prodiguer ses soins à ceux qui lui sont attachés par quelques liens, d’après ces paroles de saint Paul (1 Tim., 5, 8) : Si quelqu’un n’a pas soin des siens, et particulièrement de ceux de sa maison, il a renoncé à la foi. — Toutes ces conditions étant remplies, il faut encore observer si celui qui est dans la nécessité est dans un état tel qu’on ne voie pas comment il pourrait être secouru autrement. Dans ce cas, on est tenu de faire en sa faveur une œuvre de miséricorde. Mais si l’on voit qu’il peut se procurer des secours ailleurs, soit par lui-même, soit par une autre personne qui tient à lui de plus près ou qui a plus de ressources, on n’est pas tenu nécessairement de secourir son indigence, et celui qui s’en abstient ne pèche pas, quoiqu’il fasse une action louable (Il fait dans ce cas une œuvre de conseil qui est très agréable à Dieu.), s’il vient alors à son aide. Par conséquent, un avocat n’est pas toujours tenu de défendre la cause du pauvre ; il ne le doit qu’autant que toutes les conditions que nous venons d’énumérer sont remplies simultanément (D’ailleurs, dans ce cas, le juge impose d’office la nécessité de défendre l’accusé.) ; autrement il faudrait qu’il négligeât toutes les autres affaires, et qu’il ne s’occupât que d’appuyer les causes des pauvres. Il en faut dire autant du médecin à l’égard des soins qu’il leur doit.

 

Article 2 : Est-il convenable que d’après le droit il y ait des individus qui soient exclus de la charge d’avocat ?

 

Objection N°1. Il semble qu’on ait tort d’écarter juridiquement quelqu’un de l’office d’avocat. Car on ne doit empêcher personne de faire des œuvres de miséricorde. Or, défendre une cause, c’est une œuvre de miséricorde, comme nous l’avons dit (art. préc.). On ne doit donc pas empêcher quelqu’un de remplir cette charge.

Réponse à l’objection N°1 : On est quelquefois empêché de faire des œuvres de miséricorde, les uns par défaut de convenance, les autres pour cause d’impuissance. Car toutes les œuvres de miséricorde ne conviennent pas à tout le monde ; ainsi il n’appartient pas aux sots de donner des conseils, ni aux ignorants d’instruire.

 

Objection N°2. Les causes contraires ne doivent pas produire le même effet. Or, se livrer aux choses de Dieu et s’adonner aux péchés, voilà deux choses contraires. C’est donc à tort qu’on exclut de la charge d’avocat les moines et les clercs pour cause de religion, les infâmes et les hérétiques à cause de leur crime.

Réponse à l’objection N°2 : Comme la vertu est détruite par l’excès et le défaut, de même l’inconvenance provient du plus et du moins. C’est pourquoi les uns sont écartés de l’office d’avocat, parce qu’ils sont trop élevés pour le remplir, comme les religieux et les clercs ; les autres parce qu’ils n’ont pas les qualités que cette charge exige, comme les infâmes et les infidèles.

 

Objection N°3. L’homme doit aimer son prochain comme lui-même. Or, c’est un acte d’amour que de prendre la défense d’une cause. C’est donc à tort qu’on accorde à quelques-uns le droit de défense pour eux-mêmes, tandis qu’on le leur refuse pour défendre les autres.

Réponse à l’objection N°3 : La nécessité n’est pas aussi pressante quand il s’agit de défendre la cause des autres que la sienne, parce que les autres peuvent se procurer d’autres secours ; il n’y a donc pas de parité.

 

Mais c’est le contraire. Le droit dit (3, quest. 7, chap. Infames) qu’il y a beaucoup de personnes qui sont écartées de l’office du barreau.

 

Conclusion Il y en a que le droit écarte de la charge d’avocat, non seulement pour cause d’impuissance, comme les furieux, les enfants, les sourds et muets, les ineptes, mais encore pour cause d’inconvenance, comme les clercs, les moines, les aveugles, les infidèles et les infâmes, et ceux qui ont été condamnés à de graves peines, quoique les clercs puissent plaider pour leurs églises et les moines pour leur monastère.

Il faut répondre qu’un acte est défendu pour deux raisons, ou parce qu’on est incapable de le faire, ou parce qu’il n’est pas convenable qu’on le fasse. L’impuissance exclut absolument, mais le défaut de convenance n’exclut pas absolument, parce que la nécessité peut le détruire. Ainsi l’office d’avocat est donc interdit aux uns pour cause d’impuissance, parce qu’ils manquent ou du sens interne, comme les furieux et les enfants, ou des sens extérieurs, comme les sourds et les muets. Car il faut à un avocat de l’aptitude dans l’intelligence pour qu’il puisse faire voir convenablement la justice de la cause qu’il a embrassée (Les avocats qui sont ignorants, qui ne peuvent juger suffisamment les causes qui leur sont soumises, et qui ne savent pas les défendre d’après le droit et la coutume, pèchent mortellement en s’en chargeant, et sont tenus de restituer à leur client tout le dommage qu’ils lui ont causé par leur incapacité ou leur négligence.), et il est nécessaire qu’il ait la langue déliée et l’oreille libre, afin qu’il puisse s’exprimer et entendre ce qu’on lui dit. Par conséquent ceux qui sont privés de ces facultés ne peuvent nullement remplir le rôle d’avocat ni pour eux, ni pour les autres. — Il peut n’être pas décent de remplir cette charge pour deux motifs : 1° Parce qu’on est lié par des devoirs plus élevés. Ainsi il n’est pas convenable que les moines et les prêtres remplissent le rôle d’avocat dans une cause quelconque, et on ne le permet pas aux clercs dans les tribunaux séculiers, parce que ces personnes sont attachées aux choses divines. 2° Par suite de défauts personnels, tels que les défauts corporels, comme on le voit pour les aveugles qui ne pourraient décemment se présenter devant un tribunal ; ou tels que des défauts spirituels. Car il ne convient pas que celui qui a méprisé en lui-même la justice soit le défenseur de la justice d’un autre. C’est pourquoi il n’est pas convenable que les infâmes, les infidèles, et ceux qui ont été condamnés pour des crimes graves, soient avocats. Toutefois la nécessité l’emporte sur cette inconvenance. C’est ce qui fait que ces personnes peuvent remplir le rôle d’avocats pour elles-mêmes ou pour ceux qui leur sont attachés. Ainsi les clercs peuvent plaider pour leurs églises, et les moines pour leur monastère, si l’Abbé le leur ordonne.

 

Article 3 : Un avocat pêche-t-il en défendant une cause injuste ?

 

Objection N°1. Il semble qu’un avocat ne pèche pas en défendant une cause injuste. Car, comme le médecin montre son habileté en guérissant une maladie désespérée, de même l’avocat montre la sienne en défendant une cause injuste. Or, on loue le médecin qui obtient une guérison semblable. On doit donc aussi louer l’avocat de son action plutôt que de lui en faire un crime.

Réponse à l’objection N°1 : Le médecin qui soigne une maladie désespérée, ne fait injure à personne ; tandis que l’avocat qui se charge d’une mauvaise cause, blesse injustement celui contre lequel il plaide (Dans les causes criminelles, l’avocat ne doit pas se charger du rôle d’accusateur, s’il s’agit d’un fait douteux.). Il n’y a donc pas ici de similitude. Car quoiqu’il paraisse digne d’éloge sous le rapport du talent, néanmoins il pèche quant à l’injustice de la volonté, parce qu’il abuse de son art pour le mal.

 

Objection N°2. Il est permis de se désister d’un acte qui est coupable. Or, on punit l’avocat, s’il abandonne sa cause, comme on le voit (2, quest. 3, in append. Grat. ad cap. Si quem pœnituerit). Un avocat ne pèche donc pas en défendant une cause injuste une fois qu’il s’en est chargé.

Réponse à l’objection N°2 : Si un avocat a cru dans le principe que sa cause était bonne, et qu’ensuite il s’aperçoive qu’elle est mauvaise, il ne doit pas la trahir, c’est-à-dire il ne doit pas venir en aide à l’autre partie ou lui révéler les secrets de la sienne. Cependant il peut et il doit abandonner son affaire, et exciter son client à cesser de la poursuivre ou l’engager à s’entendre avec la partie adverse sans lui faire aucun tort.

 

Objection N°3. Le péché parait plus grave quand on emploie l’injustice pour servir une cause juste (par exemple lorsqu’on a recours à de faux témoins ou à de fausses lois) que quand on défend une cause injuste ; parce que l’un porte sur la forme et l’autre sur la matière. Or, il semble permis à l’avocat d’user de ruses, comme le soldat peut se servir d’embûches. Il semble donc qu’il ne pèche pas en défendant une cause injuste.

Réponse à l’objection N°3 : Comme nous l’avons dit (quest. 40, art. 3), il est permis à un soldat ou à un chef de corps dans une guerre juste de faire insidieusement ce qu’il doit faire, en se cachant avec prudence, mais sans employer frauduleusement la fausseté, parce qu’on doit respecter la foi à l’égard de l’ennemi, comme le dit Cicéron (De offic., liv. 1, in tit. De bellicis offic. et liv. 3 De fortitud.). Par conséquent il est également permis à un avocat qui défend une bonne cause de cacher prudemment ce qui pourrait être un obstacle à son succès ; mais il ne lui est pas permis d’avoir recours à la fausseté (Dans le cas où il a recours au mensonge pour soutenir une cause qui est juste, il ne pèche pas contre la justice proprement dite, mais il pèche contre la justice légale, parce qu’il use de moyens illicites.).

 

Mais c’est le contraire. Il est dit (2 Paralip., 19, 2) : Vous prêtez secours à l’impie… et c’est pour cela que vous mériterez la colère de Dieu. Or, l’avocat en défendant une cause injuste prête secours à l’impie. Il mérite donc la colère de Dieu pour son péché.

 

Conclusion L’avocat pèche grièvement s’il défend sciemment une cause injuste, et il est tenu de restituer ; mais s’il le fait par ignorance il n’est pas coupable, parce que son ignorance l’excuse.

Il faut répondre qu’il est défendu de coopérer à une mauvaise action, soit en la conseillant, soit en aidant à la faire, soit en y consentant de quelque manière ; parce que celui qui conseille un acte et qui aide à le faire en est pour ainsi dire l’auteur. Et l’Apôtre ajoute (Rom., 1, 32) que la mort est due non seulement à ceux qui font le péché, mais encore à ceux qui approuvent ceux qui le font. C’est pourquoi nous avons dit (quest. 62, art. 7) qu’ils sont tous tenus à restituer. Or, il est évident que l’avocat aide et conseille celui dont il défend la cause. Par conséquent s’il défend sciemment une cause injuste, il pèche grièvement sans aucun doute, et il est tenu de restituer à l’autre partie le tort qu’il lui a causé contrairement à la justice (Il est aussi responsable envers son client du dommage qu’il lui a causé, s’il ne l’a pas prévenu de l’injustice de sa cause qu’il connaissait bien.). Mais s’il est dans l’ignorance (Si la cause est douteuse, les théologiens admettent en général que l’avocat peut s’en charger, mais il doit prévenir son client de l’incertitude de l’issue de son procès.) et qu’il défende une cause injuste tout en croyant qu’elle ne l’est pas, il est excusable selon que l’ignorance peut excuser (Si l’ignorance est antécédente, on est exempt de péché et de restitution ; si elle est concomitante, on est exempt de restituer, mais on n’est pas sans péché ; si elle est conséquente, affectée ou crasse, il y a tout à la fois péché et nécessité de restituer.).

 

Article 4 : Est-il permis à un avocat de recevoir de l’argent pour sa défense ?

 

Objection N°1. Il semble qu’il ne soit pas permis à un avocat de recevoir de l’argent pour sa défense. Car on ne doit pas faire les œuvres de miséricorde en vue d’une récompense humaine, d’après ces paroles de l’Evangile (Luc, 14, 12) : Quand vous donnez à dîner ou à souper, n’invitez ni vos amis, ni vos frères, ni vos parents, ni vos voisins qui sont riches, de peur qu’ils ne vous invitent ensuite à leur tour et que ce ne soit là votre récompense. Or, la défense de la cause de quelqu’un est une œuvre de miséricorde, comme nous l’avons dit (art. 1). Il n’est donc pas permis à un avocat de recevoir de l’argent pour une cause qu’il a soutenue.

Réponse à l’objection N°1 : On n’est pas toujours tenu de faire gratuitement ce qui peut être l’objet d’une œuvre de miséricorde ; autrement on ne pourrait rien vendre licitement, parce qu’on peut tout employer à des œuvres de miséricorde. Et quand on en fait ce dernier usage, on ne doit pas chercher une récompense humaine, mais divine. De même l’avocat, quand il se charge par miséricorde de la cause des pauvres, ne doit pas avoir pour but d’en être récompensé par les hommes, mais par Dieu. Toutefois il n’est pas toujours tenu de plaider gratuitement.

 

Objection N°2. On ne doit pas donner ce qui est spirituel pour ce qui est matériel. Or, un plaidoyer paraît être une chose spirituelle, puisque c’est une application de la science du droit. Il n’est donc pas permis à un avocat de recevoir de l’argent pour une cause qu’il a plaidée.

Réponse à l’objection N°2 : Quoique la science du droit soit une chose spirituelle, cependant son application demande un travail corporel. C’est pourquoi il est permis de recevoir de l’argent en retour : autrement il ne serait permis à aucun artisan de vivre de son art.

 

Objection N°3. Comme la personne de l’avocat concourt au jugement, de môme aussi celle du juge et celle du témoin. Or, d’après saint Augustin (Epist. 54 ad Maced.), le juge ne doit pas faire payer une sentence qui est juste, ni le témoin un témoignage qui est vrai. L’avocat ne peut donc pas non plus faire payer son plaidoyer.

Réponse à l’objection N°3 : Le juge et le témoin sont communs aux deux parties, parce que le juge est tenu de rendre une juste sentence et le témoin doit faire une déposition véridique. Or, la justice et la vérité ne penchent pas d’un côté plutôt que d’un autre. C’est pourquoi les juges reçoivent de la société (C’est le seul mode de rétribution qui puisse assurer leur indépendance et leur impartialité.) des honoraires pour leur peine, et les témoins en reçoivent, non pour prix de leur témoignage, mais en dédommagement de leur démarche et de leurs frais. Ce sont les deux parties ou celle qui les produit qui les payent ; parce que personne ne combat jamais à ses dépens, selon l’expression de l’Apôtre (1 Cor., 9, 7). Mais l’avocat ne défend que l’une des parties ; c’est pourquoi il peut licitement lui faire payer le service qu’il lui a rendu.

 

Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (ibid.) que l’avocat a le droit de faire payer son plaidoyer et le jurisconsulte le conseil qu’il donne.

 

Conclusion Il est permis aux avocats de recevoir pour leur plaidoyer une somme modérée selon la condition de la personne et la coutume du pays.

Il faut répondre qu’on peut avec justice recevoir une récompense pour un service qu’on n’est pas tenu de rendre à un autre. Or, il est évident qu’un avocat n’est pas toujours tenu de défendre les causes des autres ou de leur donner un conseil. C’est pourquoi s’il fait payer son plaidoyer ou sa consultation, il n’agit pas contre la justice. On doit faire le même raisonnement à l’égard du médecin qui s’occupe d’une maladie, et en général de tous ceux qui ont des emplois analogues ; pourvu toutefois qu’ils ne reçoivent que des sommes modérées, eu égard à la condition des personnes (Un avocat peut exiger plus d’un riche que d’un pauvre. Celui qui a une réputation de science et d’habileté peut aussi prendre plus cher qu’un avocat ordinaire.), des affaires, du travail et à la coutume du pays (Il y a des tarifs établis par des règlements spéciaux, ou par des coutumes. D’ailleurs, on doit s’en rapporter pour ces matières au jugement des hommes prudents et désintéressés dans l’affaire.). Si par indélicatesse ils prennent des sommes excessives, ils pèchent contre la justice. C’est ce qui fait dire à saint Augustin (loc. cit.) qu’on a coutume de leur faire rendre ce qu’ils ont extorqué par une indélicatesse excessive, mais qu’il n’en est pas de même de ce qu’ils reçoivent d’après une coutume qui est supportable.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

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