Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique
2a 2ae = Secunda Secundae
= 2ème partie de la 2ème Partie
Question 72 : Des paroles injurieuses que l’on prononce hors des jugements et
d’abord de la contumélie
Après avoir parlé
des paroles injurieuses qu’on prononce en jugement, nous devons nous occuper de
celles qu’on prononce hors de là. — Nous traiterons : 1° de la contumélie ; 2°
de la détraction ; 3° des rapports ; 4° de la moquerie ; 5° de la malédiction.
— Sur la contumélie quatre questions se présentent : 1° Qu’est-ce que la
contumélie ? — 2° Toute contumélie
est-elle un péché mortel ? — 3° Faut-il réprimer ceux qui font des contumélies
? — 4° De l’origine de la contumélie.
Article 1 : La
contumélie consiste-t-elle dans les paroles ?
Objection N°1. Il semble que la
contumélie ne consiste pas dans les paroles. Car la contumélie implique un tort
causé au prochain, puisqu’elle appartient à l’injustice. Or, les paroles ne
paraissent faire aucun tort au prochain, ni dans sa personne, ni dans ses
biens. La contumélie ne consiste donc pas dans les paroles.
Réponse à l’objection N°1 : Les paroles considérées dans leur
essence, c’est-à-dire comme des sons qui frappent l’oreille, ne font aucun tort
au prochain, sinon quand elles fatiguent l’ouïe, comme quand on parle trop
haut. Mais, considérées comme des signes représentatifs qui portent quelque
chose à la connaissance des autres, elles peuvent faire beaucoup de mal. Un des
plus grands, c’est qu’elles peuvent faire perdre à un homme son honneur ou le
respect que les autres doivent avoir pour lui. C’est pourquoi la contumélie est
plus grande, si l’on dit à quelqu’un ses défauts en présence de beaucoup de
témoins. Si on ne les dit qu’à lui (Il est à remarquer que pour qu’il y ait
contumélie, il faut que la personne outragée soit présente, ou du moins qu’on
ait l’intention qu’elle sache ce qu’on a dit. Cette condition est essentielle,
parce que la contumélie est opposée à l’honneur, et que pour honorer quelqu’un
il faut qu’il soit là.), il peut néanmoins y avoir encore contumélie, dans le
sens que celui qui parle agit injustement contre le respect qu’il doit à celui
qui l’écoute.
Objection N°2. La contumélie paraît se rapporter à une sorte de
déshonneur. Or, on peut être déshonoré ou blessé plutôt par des actes que par
des paroles. Il semble donc que la contumélie ne consiste pas dans les paroles,
mais plutôt dans les actes.
Réponse à l’objection N°2 : On déshonore quelqu’un par des
actes, selon que ces actes produisent ou signifient ce qui est contraire à son
honneur. Dans le premier cas, ce n’est pas une contumélie, mais une des autres
espèces d’injustice dont nous avons parlé (quest. 64 à 66). Dans le second,
c’en est une, parce que les actes sont alors significatifs comme les paroles.
Objection N°3. Le déshonneur qui résulte des paroles prend le nom
d’opprobre ou de reproche. Or, la contumélie paraît différer de ces deux choses.
Elle ne consiste donc pas dans les paroles.
Réponse à l’objection N°3 : L’opprobre et le reproche
consistent dans les paroles comme la contumélie, parce que par ces trois choses
on représente les défauts de quelqu’un au détriment de son honneur. Mais ces
défauts sont de trois sortes : il y a le défaut de la faute qui est représenté
par la contumélie ; le défaut en général de la faute et de la peine, qui est
représenté par l’opprobre (convicium), parce qu’on a coutume de désigner par là un vice
(vicium),
non seulement de l’âme, mais encore du corps. Par exemple, si l’on dit
injurieusement à quelqu’un qu’il est aveugle, c’est un opprobre et non une
contumélie ; mais si l’on dit à un autre qu’il est un voleur, non seulement
c’est un opprobre, mais c’est encore une contumélie. D’autres fois on met sous
les yeux de quelqu’un sa bassesse ou sa pauvreté, ce qui déroge à l’honneur qui
résulte d’une certaine supériorité de position. Ceci se fait au moyen du reproche, qui existe, à proprement
parler, quand on rappelle injurieusement à la mémoire d’un autre le secours
qu’on lui a accordé, quand il était dans l’indigence (Ces trois choses sont de
la même espèce, parce qu’elles ont le même objet formel, qui consiste à
atteindre l’honneur. C’est ce qu’observent Sylvius, Cajétan, Billuart, Soto,
Serra, etc.). Ainsi il est dit de l’insensé (Ecclé., 20, 15) qu’il donne peu et
qu’il reproche souvent. Au reste, l’une de ces dénominations se prend
quelquefois pour l’autre.
Mais c’est le contraire. On ne perçoit par l’ouïe que la parole.
Or, la contumélie se perçoit de cette manière, d’après ce mot du prophète (Jérem., 20, 10) : J’ai
entendu des contumélies autour de moi. La contumélie est donc dans les
paroles.
Conclusion La contumélie consiste dans des paroles par lesquelles
ce qui est contraire à la gloire de quelqu’un est porté à sa connaissance et à
celle des autres.
Il faut répondre que la contumélie implique la diffamation d’un
individu ; ce qui se fait de deux manières : 1° Car, quand l’honneur résulte
d’une certaine supériorité, on déshonore une personne en la privant de
l’élévation qui lui attirait de la gloire ; ce qui se fait par les péchés
d’action dont nous avons parlé (quest. 64 à 66). 2° Il y a contumélie quand un
fait qui est contraire à la gloire de quelqu’un est porté à sa connaissance et
à celle des autres. C’est ce qui appartient à la contumélie proprement dite, et
c’est ce qui se produit par des signes. Mais, comme l’observe saint Augustin (De doct. christ., liv. 2, chap. 3), tous
les signes comparés aux paroles sont en très petit nombre ; car la parole est
le moyen principal que les hommes ont adopté pour exprimer toutes les
conceptions de leur esprit. C’est pourquoi la contumélie proprement dite
consiste dans les paroles. C’est ce qui fait dire à saint Isidore (Etym., liv. 10 ad litt. C) qu’on appelle du mot contumeliosus celui
qui fait des contumélies, parce qu’il est prompt à dire des injures et qu’il en
a la bouche pleine (tumet).
— Toutefois, comme au moyen de certains faits (Ainsi on peut exprimer son
mépris envers quelqu’un en haussant les épaules, en brisant une de ses images,
en lui donnant un soufflet, et de mille autres manières.) on peut exprimer la
même chose que par des paroles, il s’ensuit que la contumélie prise dans un
sens large s’entend aussi des actes. C’est pourquoi, à l’occasion de ces
paroles de l’Apôtre (Rom., 1, 30) : Contumélieux, orgueilleux, etc., la glose dit (interl.) qu’ils font des contumélies ceux qui,
par leurs paroles ou leurs actions, déshonorent et outragent les autres.
Article 2 :
La contumélie est-elle un péché mortel ?
Objection N°1. Il semble que la
contumélie ou l’opprobre ne soit pas un péché mortel. Car aucun péché mortel
n’est l’acte d’une vertu. Or, il appartient à la vertu qu’Aristote appelle eutrapélie, ou bonne
humeur, de piquer les autres et de le faire finement (Eth., liv. 4, chap. 8). La contumélie n’est donc pas un péché mortel.
Réponse à l’objection N°1 : Il appartient à la bonne humeur
de faire quelques pointes légères, non pour diffamer ou pour contrister celui
qu’on attaque, mais plutôt pour s’amuser et par plaisanterie. On peut faire
cela sans péché, si l’on observe les circonstances que l’on doit observer. Mais
si on ne craint pas de contrister celui contre lequel on plaisante, et qu’on
aille jusqu’à en faire un objet de risée pour les autres, on est coupable,
comme on le voit (ibid.).
Objection N°2. Les hommes parfaits ne font pas de péché mortel,
cependant ils se permettent quelquefois des paroles blessantes ou des
contumélies, comme on le voit par l’apôtre saint Paul, qui dit aux Galates (3,
1) : O insensés ! Et le Seigneur
lui-même s’écrie (Luc, 24, 25) : O hommes
dépourvus d’intelligence dont le cœur est tardif à croire ! L’opprobre
ou la contumélie n’est donc pas un péché mortel.
Réponse à l’objection N°2 : Comme il est permis de frapper
quelqu’un ou de lui faire subir une perte pour le corriger, de même on peut,
dans le même but, adresser des paroles de reproche à celui que l’on doit
corriger. C’est ainsi que le Seigneur appelle ses disciples des hommes sans intelligence, et que l’Apôtre dit insensés aux Galates. Cependant, comme
l’observe saint Augustin (De serm. Dom. in mont., liv. 2,
chap. 19), on doit rarement, et seulement pour le cas d’extrême nécessité,
employer ces réprimandes, et nous devons y avoir recours, non pour nous-mêmes,
mais dans l’intérêt de la gloire de Dieu.
Objection N°3. Quoique ce qui est un péché véniel dans son genre
puisse devenir mortel, cependant un péché qui est mortel dans son genre ne peut
pas être véniel, comme nous l’avons vu (1a 2æ, quest. 88,
art. 4 et 6). Si donc c’était un péché mortel dans son genre de faire une
contumélie, il s’ensuivrait que ce serait toujours une faute grave, ce qui
paraît être faux, comme on le voit évidemment à l’égard de celui qui fait une
contumélie par légèreté ou par un léger mouvement de colère. La contumélie
n’est donc pas un péché mortel dans son genre.
Réponse à l’objection N°3 : Le péché de contumélie dépendant
de l’intention de celui qui le commet, il peut se faire qu’il soit un péché
véniel, si la contumélie est légère, qu’elle ne porte pas une grave atteinte à
l’honneur d’autrui, qu’elle ait été faite par légèreté d’esprit ou par suite
d’une colère légère, sans le dessein ferme et arrêté de faire tort à la
réputation de celui dont on parle, comme quand on veut seulement le contrister
légèrement par ce que l’on dit.
Mais c’est le contraire. On ne mérite la peine éternelle de
l’enfer que pour un péché mortel. Or, la contumélie mérite cette peine, d’après
ces paroles de l’Evangile (Matth., 5, 22) : Celui qui aura dit à son frère : fat,
méritera d’être condamné au feu de l’enfer. L’opprobre ou la contumélie est
donc un péché mortel.
Conclusion La contumélie est un péché mortel formellement,
c’est-à-dire quand elle est faite avec l’intention de nuire.
Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc., réponse N°1), les paroles, considérées comme des
sons, ne nuisent pas aux autres, mais elles sont nuisibles selon les choses
qu’elles signifient. Cette signification provient des dispositions intérieures.
C’est pourquoi, quand il s’agit des péchés de paroles, il faut surtout observer
l’intention d’après laquelle on les prononce. Ainsi donc la contumélie
impliquant par son essence une diffamation, si celui qui la fait a l’intention,
par les paroles qu’il prononce, de ravir à un autre son honneur, c’est
proprement et absolument en cela que consiste la contumélie. Ce péché n’est pas
moins un péché mortel que le vol ou la rapine : car l’homme n’aime pas moins
son honneur que ses biens (On préfère même l’honneur aux richesses, et en soi
la contumélie est un péché plus grave que le vol et la rapine.). Mais si l’on
dit à un autre une parole de reproche ou de blâme, non pour le déshonorer, mais
pour lui faire une correction ou pour un autre motif semblable, on ne fait pas
formellement et absolument une contumélie ; on n’en fait une que par accident
et matériellement, dans le sens qu’on dit ce qui pourrait être un opprobre ou
une contumélie. Il peut donc y avoir en cela quelquefois un péché véniel, et
d’autres fois il n’y a point du tout de péché (Comme dans les circonstances
exprimées dans la réponse à la seconde objection.). — Toutefois il faut ici de
la discrétion, afin de ne faire de ces paroles qu’un usage modéré ; parce que
la contumélie que l’on fait sans y penser peut être tellement grave qu’on
détruise l’honneur de celui contre lequel on a parlé. Dans ce cas on pourrait
pécher mortellement, quand même on n’aurait pas eu l’intention de déshonorer la
personne qu’on a atteinte ; comme celui qui en jouant vient à frapper quelqu’un
étourdiment et à le blesser grièvement, n’est pas irrépréhensible (Quand on a
fait tort à quelqu’un par la contumélie, on le répare par des marques d’estime
et de bienveillance particulière, si l’on est supérieur à la personne offensée
; par des excuses, si on est son égal, ou en lui demandant pardon, si ou est
son inférieur.).
Article 3 : Devons-nous
supporter les contumélies faites contre nous ?
Objection N°1. Il semble que
nous ne devions pas supporter les contumélies faites contre nous. Car celui qui
supporte une contumélie faite sur son compte excite l’audace de celui qui en
est l’auteur. Or, c’est une chose qu’on ne doit pas faire. Par conséquent
l’homme ne doit pas supporter une contumélie faite contre lui, mais il doit
plutôt répondre à celui qui en est l’auteur.
Réponse à l’objection N°1 : On doit réprimer avec modération
l’audace de celui qui fait une contumélie, c’est-à-dire qu’on doit en cela
remplir un devoir de charité, sans chercher à satisfaire son amour-propre (Dieu
permet quelquefois que les personnes les plus saintes soient l’objet des
accusations les plus graves, pour leur fournir l’occasion de faire des progrès
dans la vertu.). C’est ce qui fait dire au Sage (Prov., 26, 4) : Ne répondez
pas à l’insensé selon sa folie, de peur que vous ne deveniez semblable à lui.
Objection N°2. L’homme doit s’aimer plus qu’un autre. Or, on ne
doit pas supporter qu’on fasse une contumélie contre un autre. C’est ce qui
fait dire au Sage (Prov., 26, 10) que
celui qui impose silence à l’insensé
adoucit les colères. On ne doit donc pas supporter les contumélies faites
contre soi.
Réponse à l’objection N°2 : En reprenant les contumélies
faites contre un autre, on n’a moins à craindre de rechercher sa propre gloire
que quand on repousse les contumélies faites contre soi et on paraît davantage
animé par le sentiment de la charité.
Objection N°3. Il n’est pas permis à quelqu’un de se venger, d’après
ce mot de l’Apôtre, qui fait dire à Dieu (Rom.,
12, 19) : La vengeance m’appartient, je
rendrai à chacun ce qu’il mérite. Or, quand on ne résiste pas à la
contumélie, on se venge, suivant cette réflexion de saint Chrysostome (Hom. 22 in Epist. ad Rom. et Hom. 43 in Matth.)
: Si vous voulez vous venger, gardez le silence, et vous lui aurez fait une
plaie funeste. On ne doit donc pas supporter les contumélies en gardant le
silence, mais on doit plutôt y répondre.
Réponse à l’objection N°3 : Si l’on se taisait (Dans ce cas,
le silence a quelque chose de méprisant et de contraire à la charité.) pour
exciter par ce silence à la colère la personne qui aurait fait une contumélie,
il y aurait là un acte de vengeance ; mais si l’on se tait, dans l’intention de
laisser se dissiper son courroux, on fait un acte louable. C’est pourquoi il
est dit (Ecclésiastique, 8, 4) : Ne disputez pas avec un grand parleur et ne
jetez pas de bois sur son feu.
Mais c’est le contraire. Le Psalmiste dit (Ps. 37, 13) : Ceux qui
cherchaient à me perdre ont tenu de mauvais discours. Puis il ajoute : Mais j’étais comme un sourd et je ne les
écoutais pas, et j’étais comme un muet qui n’ouvre pas la bouche.
Conclusion On peut repousser les contumélies faites contre soi,
dans l’intérêt de celui qui en est l’auteur, pour réprimer son audace et aussi
dans le but de défendre sa dignité et son autorité propre ; quoique d’ailleurs
chacun doive être disposé de cœur à supporter toutes les injures, si l’on voit
qu’elles sont utiles à son salut personnel et à celui des autres.
Il faut répondre que, comme il est nécessaire de supporter ce
qu’on fait contre nous, de même nous devons supporter ce que l’on dit. Or, à
l’égard des actes que l’on fait contre nous, nous devons être dans la
disposition de les souffrir. C’est ce que dit saint Augustin (De serm. Dom.,
liv. 1, chap. 19) quand il explique ces paroles de l’Evangile : Si quelqu’un vous frappe sur une joue,
présentez-lui l’autre, c’est-à-dire, d’après ce grand docteur, que l’homme
doit être disposé à agir ainsi, s’il en est besoin. Mais il n’est pas toujours
obligé de le faire en acte, parce que le Seigneur ne l’a pas fait, puisque
après avoir reçu un soufflet, il a dit : Pourquoi
me frappez-vous ? comme on le voit (Jean, 18, 23).
C’est pourquoi relativement aux paroles de contumélie qu’on prononce contre
nous, il faut faire le même raisonnement. Car nous sommes obligés d’être
toujours prêts à les souffrir, si cela est utile (Si cela est utile, par
exemple, pour la gloire de Dieu ou notre salut.). — Cependant nous devons
quelquefois les repousser principalement pour deux raisons. 1° Dans l’intérêt
de celui qui s’en rend coupable, pour abaisser son audace et l’empêcher à
l’avenir de faire de pareilles actions, d’après ces paroles du Sage (Prov., 26, 5) : Répondez au fou selon qu’il convient à sa jolie, de peur qu’il ne se
croie sage. 2° Dans l’intérêt d’une foule d’individus dont les progrès
spirituels peuvent être arrêtés par les contumélies faites contre nous. C’est
ce qui fait dire à saint Grégoire (Hom. 9 sup. Ezech.) : Ceux dont la vie doit servir de modèle aux
autres, sont obligés, s’ils le peuvent, d’imposer silence à ceux qui les
dénigrent, de peur que ceux qui pouvaient les écouter ne ferment l’oreille à
leur prédication et qu’en s’obstinant ainsi dans le dérèglement de leurs mœurs ils
ne méprisent la vertu.
Article 4 : La
contumélie vient-elle de la colère ?
Objection N°1. Il semble que la
contumélie ne vienne pas de la colère. Car il est dit (Prov., 11, 2) : Où est
l’orgueil, là se trouve la contumélie. Or, la colère est un vice distinct
de l’orgueil. La contumélie n’en vient donc pas.
Réponse à l’objection N°1 : La contumélie ne se rapporte pas
à la fin de l’orgueil qui est la hauteur. C’est pour cette raison que la
contumélie ne vient pas de ce vice directement. Cependant l’orgueil y dispose
dans le sens que ceux qui se croient supérieurs, méprisent plus facilement les
autres et leur disent des injures ; car ils se fâchent plus aisément, parce
qu’ils considèrent comme quelque chose d’indigne tout ce qui se fait contre
leur volonté.
Objection N°2. Il est dit (Prov.,
20, 3) : Tous les sots se jettent dans
les contumélies. Or, la sottise est un vice opposé à la sagesse, comme nous
l’avons vu (quest. 46, art. 1), tandis que la colère est contraire à la
douceur. La contumélie ne vient donc pas de la colère.
Réponse à l’objection N°2 : D’après Aristote (Eth., liv. 7, chap. 6) la colère n’écoute
pas parfaitement la raison. Ainsi celui qui est irrité manque de raison et par
là même il approche de la folie. C’est pourquoi la contumélie vient de la folie
selon l’affinité qu’elle a avec la colère.
Objection N°3. Aucun péché n’est affaibli par sa cause. Or, le
péché de contumélie est plus faible, quand on le fait par colère ; car celui
qui fait une contumélie par haine pèche plus grièvement que celui qui en fait
une par colère. La colère n’est donc pas la cause de ce péché.
Réponse à l’objection N°3 : D’après Aristote (Rhet., liv. 2, chap. 4), celui qui est
irrité a l’intention d’outrager ouvertement, ce que ne cherche pas celui qui a
de la haine (La haine cherche plutôt à arriver à ses fins par des moyens
cachés, et elle a recours à la détraction plutôt qu’à la contumélie.). C’est
pourquoi la contumélie qui implique une injure manifeste, appartient plutôt à
la colère qu’à la haine.
Mais c’est le contraire. Saint Grégoire dit (Mor., liv. 31, chap. 17) que la contumélie vient de la colère.
Conclusion Puisque la contumélie excite à la vengeance, elle
paraît venir de la colère plutôt que d’un autre vice.
Il faut répondre
que, quoiqu’un péché puisse venir de différentes sources, cependant on dit
qu’il vient plus principalement du vice qui a coutume de le produire le plus
souvent, parce qu’il se trouve plus rapproché de sa fin. Or, la contumélie a
beaucoup d’affinité avec la fin de la colère qui est la vengeance ; car celui
qui est irrité n’a pas de moyen plus prompt pour se venger que de faire une
contumélie contre la personne à laquelle il en veut (L’injure est la première
arme à laquelle il a recours pour décharger son courroux.). C’est pourquoi la
contumélie vient principalement de la colère.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
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