Saint Thomas d ’Aquin - Somme Théologique
2a 2ae = Secunda Secundae
= 2ème partie de la 2ème Partie
Question 81 : De la religion
Nous avons
maintenant à nous occuper en particulier de chacune des vertus que nous avons
distinguées. Nous traiterons : 1° de la religion ; 2° de la piété ; 3° du
respect ; 4° de la reconnaissance ; 5° de la vengeance ; 6° de la vérité ; 7°
de l’amitié ; 8° de la libéralité ; 9° de l’épikie ou
de l’équité. Quant aux autres vertus que nous avons énumérées dans l’article
précédent, nous en avons parlé, soit dans le traité de la charité où nous nous
sommes occupés de la concorde et des autres vertus de ce genre, soit dans le
traité de la justice où il a été question du bon échange et de l’innocence.
Pour l’art de légiférer ou de gouverner, il a trouvé sa place dans la prudence
(Voy. plus haut, quest. 69). — À l’égard de la
religion il y a trois considérations qui se présentent. — Nous devons examiner
: 1° la religion considérée en elle-même ; 2° ses actes ; 3° les vices qui lui
sont opposés. Sur le premier point il y a huit questions à résoudre : 1° La
religion consiste-t-elle uniquement à nous mettre en rapport avec Dieu ? (Billuart définit ainsi la vertu de religion
: Virtus per quam homines Deo tanquam
rerum, omnium principio debitum cultum exhibent.)
— 2° Est-elle une vertu ? — 3° Est-elle une vertu unique ? — 4° Est-elle une
vertu spéciale ? (Billuart observe que, quoique la religion soit une vertu
spéciale, on peut cependant dire qu’elle est générale, soit parce qu’elle
rapporte à son objet les actes de toutes les autres vertus, d’après ces paroles
de saint Jacques (1, 27) : La religion
pure et sans tache aux yeux de Dieu notre Père, est de visiter les orphelins et
les veuves dans leur affliction, et de se conserver pur des souillures de ce
siècle, soit parce que son acte propre exige d’autres vertus, comme la foi,
la charité.) — 5° Est-elle une vertu théologale ? — 6° Doit-on la préférer aux
autres vertus morales ? — 7° Produit-elle des actes extérieurs ? (Cet article
est une réfutation de l’erreur des trinitaires et de celle des déistes, qui
voulaient qu’on n’adorât Dieu qu’en esprit, et qui condamnaient le culte
extérieur. Voyez à cet égard le concile de Trente (sess. 22, chap. 5).) — 8°
Est-elle la même chose que la sainteté ?
Article 1 : La
religion met-elle seulement l’homme en rapport avec Dieu ?
Objection N°1. Il semble que la
religion ne mette pas seulement l’homme en rapport avec Dieu. Car il est dit (Jacques,
1, 27) : La religion pure et sans tache
aux yeux de Dieu notre Père, est de visiter les orphelins et les veuves dans
leur affliction, et de se conserver pur des souillures de ce siècle. Or,
visiter les veuves et les orphelins, c’est un acte qui se rapporte au prochain
; quant à l’exemption des souillures du siècle, c’est une chose qui rentre dans
les devoirs que l’homme doit remplir envers lui-même. La religion ne se
rapporte donc pas seulement à Dieu.
Réponse à l’objection N°1 : La religion a deux sortes d’actes
: des actes propres et immédiats qu’elle produit et que l’homme ne rapporte
qu’à Dieu, comme le sacrifice, l’adoration et les autres actes de cette nature
; et des actes qu’elle produit par l’intermédiaire des vertus auxquelles elle commande,
en les rapportant au respect de la Divinité. Car la vertu qui a pour objet la
fin commande aux vertus qui ont pour objet les moyens. C’est ainsi que par voie
de commandement, l’acte de la religion peut consister à visiter les orphelins et les veuves dans leur affliction, ce qui
est un acte qui émane de la miséricorde, et l’exemption
des souillures du siècle appartient aussi impérativement à la religion,
mais elle émane de la tempérance ou de quelque autre vertu semblable.
Objection N°2. Saint Augustin dit (De civ.,
liv. 10, chap. 1) que, quoique le langage habituel mette dans la bouche de
l’ignorant et du savant qu’il faut garder la religion des alliances, des
affinités humaines et de toutes les relations sociales, ce mot ne sauve pas
tellement l’équivoque, quand la question a pour objet le culte de la Divinité,
que nous puissions dire avec confiance que la religion ne désigne que le culte
de Dieu. Le mot religion ne s’emploie donc pas seulement par rapport à Dieu,
mais encore par rapport au prochain.
Réponse à l’objection N°2 : La religion se rapporte aux
devoirs que l’on a à rendre envers ses parents, en prenant ce mot dans un sens
large, mais non dans son acception propre. C’est pourquoi, un peu avant le
passage cité, saint Augustin dit lui-même : que la religion proprement dite
signifie non pas toute espèce de culte, mais le culte de Dieu.
Objection N°3. Le mot de latrie
paraît appartenir à la religion, car ce mot signifie servitude, comme le dit saint Augustin (De civ. Dei, liv. 10, chap. 1). Or, nous ne devons pas seulement
servir Dieu, mais encore le prochain, d’après ces paroles de saint Paul (Gal., 5, 13) : Servez-vous les uns les autres par une charité spirituelle. La
religion se rapporte donc aussi au prochain.
Réponse à l’objection N°3 : Le serviteur se rapportant au
maître, il est nécessaire que là où il y a une raison propre et spéciale de
domination, il y ait une raison propre et spéciale de servitude. Or, il est
évident que l’autorité convient à Dieu d’une manière absolument propre et singulière,
parce qu’il a fait toutes choses et parce qu’il exerce un empire souverain sur
tout ce qui existe. C’est pourquoi il y a une raison toute spéciale de le
servir ; c’est cette servitude que les Grecs ont désignée du nom de latrie, et c’est pour ce motif que ce
mot appartient à la religion.
Objection N°4. Le culte appartient à la religion. Or, l’homme a un
culte non seulement pour Dieu, mais encore pour le prochain, d’après ce mot de
Caton : Honorez vos parents (cole parentes). La
religion ne nous met donc pas seulement en rapport avec Dieu, mais encore avec
nos parents.
Réponse à l’objection N°4 : Nous devons honorer les hommes
auxquels nous rendons hommage, dont nous conservons le souvenir ou que nous
voyons maintenant. Le mot colere se dit aussi des choses qui nous sont soumises. Ainsi
on appelle les habitants de la campagne agricolæ, parce qu’ils cultivent (colunt) les champs, et on leur
donne aussi le nom d’incolæ,
parce qu’ils cultivent les lieux qu’ils habitent. Cependant parce qu’on doit
spécialement honorer Dieu comme le premier principe de toutes choses, on lui
doit aussi un culte tout particulier qu’on désigne en grec par les mots d’eusebeia et de theosebeia (Εύσέϐεια,
(culte légitime) et θεοσέϐεια. (culte de Dieu).), comme on le voit dans saint Augustin (De civ. Dei, liv. 10, chap. 1).
Objection N°5. Tous ceux qui sont dans l’état de grâce sont soumis
à Dieu. Or, on n’appelle pas religieux tous ceux qui sont dans cet état, mais
seulement ceux qui s’engagent par des vœux et des règles, et qui promettent
obéissance à quelques hommes. La religion ne paraît donc pas impliquer un
rapport de soumission de l’homme envers Dieu.
Réponse à l’objection N°5 : Que quoiqu’on donne en général le
nom de religieux à tous ceux qui
adorent Dieu, cependant on réserve ce mot à ceux qui dédient leur vie entière
au culte divin, en se retirant absolument des affaires du monde ; comme on
appelle contemplatifs non ceux qui
contemplent, mais ceux qui consacrent leur vie entière à la contemplation. Les
religieux ne se soumettent pas à un homme pour lui-même, mais pour Dieu,
d’après ce mot de l’Apôtre (Gal., 4,
14) : Vous m’avez reçu comme un ange de
Dieu, comme Jésus-Christ même.
Mais c’est le contraire. Cicéron dit (Rhet., liv. 2, de invent.) : La religion est une vertu qui rend à une
nature supérieure qu’on appelle divine le culte et les honneurs qui lui sont
dus.
Conclusion La religion est une vertu par laquelle les hommes
rendent à Dieu le culte et le respect qu’ils lui doivent.
Il faut répondre que, comme le dit saint Isidore (Etym., liv. 10, ad litt. R), le
mot religieux vient, d’après Cicéron
(Cicéron donne cette étymologie (De nat. deorum, liv. 2, chap. 28), mais elle est combattue par
Lactance (De instit., liv. 4, chap. 28).), du mot
relire (relegere),
parce qu’on réapprend et qu’on relit en quelque sorte ce qui regarde le culte
divin. Ainsi la religion tirerait son nom de ce qu’on relit ce qui appartient
au culte divin, parce qu’on doit souvent le repasser dans son cœur, d’après
cette parole de l’Ecriture (Prov., 3,
6) : Pensez à lui dans toutes vos voies.
D’ailleurs on peut aussi admettre que la religion a été ainsi appelée parce que
nous devons choisir de nouveau (religere) le Dieu que nous avons perdu par notre négligence,
selon la remarque de saint Augustin (Saint Augustin a varié sur cette
étymologie. Cependant, dans son livre des Rétractions
(liv. 1, chap. 15), il préfère l’étymologie de religare. Cette étymologie,
suivie par Lactance (loc. cit.), par
saint Ambroise (Lib. de virg.), par saint Jérôme (in Amos, chap. 9), est aujourd’hui généralement adoptée.) (De civ. Dei, liv. 10, chap. 3). Ou bien
on peut faire venir le mot religio du verbe relier (religare). C’est ce qui fait dire
au même docteur (Lib. de ver. relig. ad.
fin) que la religion nous relie au seul Dieu tout-puissant. — Mais soit que
la religion vienne de ce qu’on doit relire souvent les choses divines, soit
qu’elle vienne de la réitération du choix de celui que nous avions perdu par
négligence, soit qu’elle vienne du mot relier, elle se rapporte proprement à
Dieu. Car c’est à lui que nous devons principalement nous attacher, comme à
notre principe indéfectible ; c’est vers lui que notre choix doit constamment
se porter comme vers notre fin dernière ; c’est lui que nous perdons par une
négligence coupable, et que nous devons recouvrer en croyant et en manifestant
notre foi.
Article 2 : La
religion est-elle une vertu ?
Objection N°1. Il semble que la
religion ne soit pas une vertu. Car il semble appartenir à la religion de faire
révérer Dieu. Or, révérer est un acte de crainte, et la crainte est un don,
comme on le voit d’après ce que nous avons dit (quest. 19, art. 9). La religion
n’est donc pas une vertu, mais un don.
Réponse à l’objection N°1 : Révérer Dieu est un acte du don
de crainte. Mais il appartient à la religion de faire quelque chose en vue de
le révérer. D’où il ne résulte pas que la religion soit la même chose que le
don de crainte, mais qu’elle se rapporte à lui comme à quelque chose de plus
élevé qu’elle ; car les dons l’emportent sur les vertus morales, ainsi que nous
l’avons vu (quest. 9, art. 1, Réponse N°3, et 1a 2æ,
quest. 68, art. 8).
Objection N°2. Toute vertu consiste dans la libre volonté ; ce qui
la fait définir une habitude élective ou volontaire. Or, comme nous l’avons dit
(art. préc.,
Réponse N°3), la latrie, qui implique
une certaine servitude, appartient, à la religion. La religion n’est donc pas
une vertu.
Réponse à l’objection N°2 : Le serviteur peut volontairement
rendre à son maître ce qu’il lui doit, et il fait ainsi de nécessité vertu
quand il accomplit son devoir de lui-même. En rendant à Dieu la soumission qu’on
lui doit, on peut aussi faire un acte de vertu, selon qu’on le fait
volontairement.
Objection N°3. D’après Aristote (Eth., liv. 2, chap. 1), l’aptitude de la vertu est mise en nous par la
nature ; par conséquent les choses qui appartiennent aux vertus sont du
dictamen de la raison naturelle. Or, il appartient à la religion d’honorer la
Divinité par des cérémonies ; cependant les préceptes cérémoniels, comme nous
l’avons vu (1a 2æ, quest. 99, art. 3, Réponse N°2, et
quest. 101), ne dépendent pas du dictamen de la raison naturelle. Par
conséquent la religion n’est pas une vertu.
Réponse à l’objection N°3 : La raison naturelle nous dit que
l’homme doit faire quelque chose pour honorer Dieu ; mais elle ne détermine pas
s’il doit faire une chose ou une autre ; ceci est réglé par le droit divin ou
humain (Le droit divin comprend les prescriptions qui ont été établies par Dieu
sous l’ancienne loi, et par Jésus-Christ sous la loi nouvelle, et le droit
humain les prescriptions de l’Eglise à l’égard des cérémonies du culte et de la
liturgie en général.).
Mais c’est le contraire. Car elle est comptée parmi les autres
vertus, comme on le voit (quest. préc.).
Conclusion Puisqu’il appartient à la religion de rendre à Dieu
l’honneur et le respect qui lui sont dus, on doit la compter nécessairement
parmi les vertus.
Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (quest. 58, art. 3,
et 1a 2æ, quest. 55, art. 3 et 4), la vertu est ce qui
rend bon celui qui la possède et qui rend bonnes aussi ses œuvres. C’est
pourquoi il est nécessaire de dire que tout acte bon appartient à une vertu.
Or, il est évident que c’est une bonne chose de rendre à quelqu’un ce qu’on lui
doit ; parce que, par là même qu’on rend à un autre ce qu’on lui doit, on se
trouve dans une juste proportion à son égard et convenablement ordonné par
rapport à lui. Or, l’ordre appartient à l’essence du bien comme le mode et
l’espèce, ainsi qu’on le voit dans saint Augustin (Lib. de nat. boni, chap. 3). Par conséquent, puisqu’il appartient à
la religion de rendre à quelqu’un, c’est-à-dire à Dieu l’honneur qui lui est
dû, il est évident que la religion est une vertu.
Article 3 : La
religion est-elle une vertu qui soit une ?
Objection N°1. Il semble que la
religion ne soit pas une vertu qui soit une. Car la religion nous met en
rapport avec Dieu, comme nous l’avons vu (art. 1). Or, en Dieu il y a trois
personnes et une foule d’attributs qui différent au moins rationnellement. Or,
la diversité rationnelle de l’objet suffit pour rendre les vertus diverses,
comme on le voit d’après ce que nous avons dit (quest. 1, art. 2, Réponse N°2).
La religion n’est donc pas une vertu unique.
Réponse à l’objection N°1 : Les trois personnes divines sont
un seul principe de la création et du gouvernement de l’univers ; c’est
pourquoi on les sert par une seule religion. Les différentes raisons des
attributs divins reviennent à la raison du premier principe ; car Dieu produit
et gouverne tout par la sagesse, la volonté et la puissance de sa bonté. C’est
ce qui fait que la vertu de religion est une.
Objection N°2. Une même vertu n’a qu’un acte ; car les habitudes
se distinguent d’après les actes. Or, il y a beaucoup d’actes de religion,
comme l’adoration, les vœux, la prière, le sacrifice, etc. La religion comme
vertu n’est donc pas une.
Réponse à l’objection N°2 : L’homme sert Dieu et lui rend son
culte par un même acte ; car le culte se rapporte à l’excellence de Dieu, à qui
l’on doit le respect, et la servitude se rapporte à l’abaissement de l’homme,
qui, par sa condition, est obligé de témoigner son respect à Dieu. Tous les
actes qu’on attribue à la religion appartiennent à ces deux choses ; parce que
par tous ces actes l’homme reconnaît l’excellence de la Divinité et sa
dépendance à son égard, soit en lui offrant quelque chose, soit en s’unissant à
quelque chose de divin.
Objection N°3. L’adoration appartient à la religion. Or, on
n’adore pas les images de la même manière qu’on adore Dieu. Par conséquent,
puisqu’on distingue les vertus selon la diversité des rapports, il semble que
la religion ne soit pas une vertu qui soit une.
Réponse à l’objection N°3 : On ne rend pas un culte religieux
aux images selon qu’on les considère en elles-mêmes comme des êtres, mais selon
qu’elles se rapportent au Dieu incarné. Ainsi le mouvement qui se porte vers
l’image, en tant qu’image, ne s’arrête pas à elle, mais il s’élève à celui
qu’elle représente. C’est pourquoi, de ce qu’on rend un culte religieux aux
images du Christ (Voyez ce que saint Thomas dit du culte qu’on doit rendre aux
images des saints (quest. 94, art. 2, Réponse N°1) et aux images du Christ (3a
pars, quest. 25).), ni la raison de latrie, ni la vertu de religion ne sont
pour cela diverses.
Mais c’est le contraire. Il est dit (Eph., 4, 5) : Il n’y a qu’un
Dieu, qu’une foi. Or, la vraie religion fait profession de la foi en un
seul Dieu. Cette vertu est donc une.
Conclusion La religion se rapportant à un seul Dieu, comme au seul
principe de la création et du gouvernement de l’univers, elle est une vertu
absolument une.
Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (1a 2æ,
quest. 54, art. 2 et 3), l’habitude se distingue selon la nature diverse de
l’objet. Or, il appartient à la religion de révérer un seul Dieu sous un seul
rapport, c’est-à-dire selon qu’il est le premier principe de la création et du
gouvernement de l’univers. C’est pourquoi il dit lui-même (Mala., 1, 6) : Si je suis votre
Père, où est l’honneur que vous me rendez ? Car c’est au père à produire et
à gouverner. Il est donc évident pour ce motif que la religion est une vertu
qui est une.
Article 4 :
La religion est-elle une vertu spéciale distincte des autres ?
Objection N°1. Il semble que la
religion ne soit pas une vertu spéciale distincte des autres. Car saint
Augustin dit (De civ. Dei, liv. 10, chap.
4) : Le vrai sacrifice est tout ce qu’on fait pour être uni à Dieu par une
sainte société. Or, le sacrifice appartient à la religion. Toute œuvre de vertu
appartient donc aussi à la religion, et par conséquent elle n’est pas une vertu
spéciale.
Réponse à l’objection N°1 : On dit que toute œuvre de vertu
est un sacrifice, dans le sens qu’elle a pour but de révérer Dieu. Mais il ne s’ensuit
pas que la religion soit une vertu générale, cela prouve seulement qu’elle
commande à toutes les autres vertus, comme nous l’avons dit (art. 1, Réponse N°1).
Objection N°2. L’Apôtre dit (1
Cor., 10, 31) : Faites tout pour la
gloire de Dieu. Or, il appartient à la religion de faire certaines choses
pour le révérer, comme nous l’avons dit (art. 1, Réponse N°1, et art. 2). Elle
n’est donc pas une vertu spéciale.
Réponse à l’objection N°2 : Toutes les choses qu’on fait pour
la gloire de Dieu appartiennent à la religion, non comme à la vertu dont elles
émanent, mais comme à la vertu qui les commande. Les actes qui par la nature de
leur espèce ont pour objet de révérer Dieu, sont les seuls qui émanent d’elle.
Objection N°3. La charité par laquelle on aime Dieu n’est pas une
vertu spécialement distincte de la charité par laquelle on aime le prochain.
Or, comme le dit Aristote (Eth., liv. 8, chap.
8), l’honneur et l’amour ont la plus grande affinité. La religion par laquelle
on honore Dieu n’est donc pas une vertu spécialement distincte du respect, de
la soumission ou de la piété, qui sont les vertus par
lesquelles on honore le prochain. Elle n’est donc pas une vertu spéciale.
Réponse à l’objection N°3 : L’objet de l’amour est le bien,
tandis que l’objet de l’honneur ou du respect est ce qui excelle. La bonté de
Dieu se communique à la créature, mais l’excellence de sa bonté est
incommunicable. C’est pourquoi la charité par laquelle on aime Dieu n’est pas
une vertu distincte de la charité par laquelle on aime le prochain ; tandis que
la religion par laquelle on l’honore se distingue des vertus par lesquelles
nous honorons nos semblables.
Mais c’est le contraire. La religion est une partie de la justice
distincte de toutes les autres.
Conclusion La religion est une vertu spéciale, distincte des
autres, puisque par elle on rend à Dieu un honneur spécial.
Il faut répondre que puisque la vertu se rapporte au bien, là où
il y a une raison spéciale de bien, il faut qu’il y ait aussi une vertu
particulière. Le bien auquel la religion se rapporte consiste à rendre à Dieu
l’honneur qui lui est dû. Comme on doit honorer les êtres en raison de leur
excellence, et que d’ailleurs Dieu a une excellence toute singulière, puisqu’il
surpasse infiniment tout ce qui existe sous tous les rapports, il s’ensuit
qu’on doit l’honorer tout spécialement. C’est ainsi que dans les choses
humaines on honore diversement les personnes selon la nature diverse de leur
supériorité. Les honneurs qu’on rend à son père ne sont pas les mêmes que ceux
qu’on rend à son roi, et ainsi des autres. D’où il est manifeste que la
religion est une vertu spéciale.
Article 5 :
La religion est-elle une vertu théologale ?
Objection N°1. Il semble que la
religion soit une vertu théologale. Car saint Augustin dit (Ench., chap. 3) qu’on rend un culte à Dieu par la foi, l’espérance et
la charité, qui sont des vertus théologales. Or, il appartient à la religion de
rendre à Dieu le culte qui lui est dû. Elle est donc une vertu théologale.
Réponse à l’objection N°1 : La puissance ou la vertu qui
opère pour une fin commande toujours la puissance ou la vertu dont l’action se
rapporte aux moyens qui mènent à cette fin. Les vertus théologales, qui sont la
foi, l’espérance et la charité, produisent un acte qui a Dieu pour objet propre
; il s’ensuit qu’elles commandent l’acte de la religion, dont les œuvres se
rapportent à Dieu. C’est ce qui fait dire à saint Augustin qu’on honore Dieu
par la foi, l’espérance et la charité.
Objection N°2. On appelle théologale la vertu qui a Dieu pour
objet. Or, la religion a Dieu pour objet, puisqu’elle ne se rapporte qu’à lui,
comme nous l’avons dit (art. 1). Elle est donc une vertu théologale.
Réponse à l’objection N°2 : La religion met l’homme en
rapport avec Dieu, considéré, non comme son objet, mais comme sa fin.
Objection N°3. Toute vertu est ou théologale, ou intellectuelle,
ou morale, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (1a 2æ,
quest. 57, 58 et 62). Or, il est évident que la religion n’est pas une vertu
intellectuelle, parce que sa perfection ne se considère pas d’après la
perception du vrai ; elle n’est pas non plus une vertu morale dont le propre
est de tenir un milieu entre deux extrêmes ; car on ne peut pas trop honorer
Dieu, d’après ce mot de l’Ecriture (Ecclésiastique,
43, 33) : Vous qui bénissez le Seigneur,
exaltez-le autant que vous le pouvez, car il est au-dessus de toute louange.
Il faut donc qu’elle soit une vertu théologale.
Réponse à l’objection N°3 : La religion n’est ni une vertu
théologale, ni une vertu intellectuelle, mais une vertu morale, puisqu’elle est
une partie de la justice. Son milieu se considère, non relativement aux
passions, mais d’après l’égalité qui doit régner dans les œuvres que l’on fait
pour Dieu. Toutefois je n’emploie pas ce mot d’égalité dans un sens absolu, parce qu’on ne peut pas rendre à Dieu
autant qu’on lui doit, mais on doit l’entendre d’après la nature des forces
humaines et de la bonté de Dieu qui les accepte. En ce qui regarde le culte
divin, il peut y avoir excès (Les vices ainsi opposés à la vertu de religion se
rapportent à la superstition.), non sous le rapport de la quantité, mais
d’après d’autres circonstances, par exemple, parce qu’on rend un culte divin à
celui auquel on ne doit pas le rendre, ou quand on ne le doit pas, par suite
d’autres circonstances qui empêchent de le faire.
Mais c’est le contraire. Elle est une partie de la justice, qui
est une vertu morale (La religion est à Dieu ce que la justice est au prochain.
La justice ne se rapporte pas au prochain immédiatement, mais à la chose qui
lui est due ; de même la religion ne se rapporte pas à Dieu immédiatement, mais
elle a pour objet propre le culte qui lui est dû.).
Conclusion Dieu étant plutôt la fin de la religion que son objet
ou sa matière, il s’ensuit qu’elle n’est pas une vertu théologale, mais morale.
Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc.), la religion est la vertu qui rend à Dieu le culte
qui lui est dû. On considère donc dans la religion deux choses : 1° ce que la
religion rend à Dieu, c’est-à-dire le culte qui est, par rapport à cette vertu,
sa matière et son objet ; 2° l’être auquel ce devoir est rendu, c’est-à-dire
Dieu que nous honorons, sans que les actes par lesquels nous lui rendons un
culte l’atteignent, comme nous l’atteignons par la foi, quand nous croyons à
lui. C’est pour cela que nous avons dit (quest. 1, art. 1, 2 et 4) que Dieu est
l’objet de la foi, non seulement en tant que nous le croyons, mais en tant que
nous croyons à lui. Au contraire, nous rendons à Dieu le culte qui lui est dû,
dans le sens que les actes par lesquels nous l’honorons ont pour but de le
révérer, tels que les oblations des sacrifices et les autres actes semblables.
D’où il est manifeste que Dieu ne se rapporte pas à la vertu de religion, comme
sa matière ou son objet, mais comme sa fin. C’est pourquoi la religion n’est
pas une vertu théologale dont l’objet est la fin dernière ; mais elle est une
vertu morale ayant pour objet ce qui mène à cette fin.
Article 6 :
Doit-on préférer la religion aux autres vertus morales ?
Objection N°1. Il semble qu’on
ne doive pas préférer la religion aux autres vertus morales. Car la perfection
de la vertu morale consiste en ce qu’elle atteint le milieu, comme on le voit (Eth., liv. 2, chap. 6). Or, la religion ne
peut atteindre le milieu de la justice, parce qu’elle ne rend pas absolument à
Dieu autant qu’il lui est dû. La religion n’est donc pas meilleure que les
autres vertus morales.
Réponse à l’objection N°1 : L’excellence de la vertu consiste
dans la volonté, mais non dans la puissance. C’est pourquoi si l’on est dans
l’impuissance d’atteindre le milieu que la justice requiert, la vertu de
religion n’en est pas moins noble, pourvu qu’il n’y ait pas eu défaut de la
part de la volonté.
Objection N°2. A l’égard de ce qu’on donne aux hommes, l’acte
paraît d’autant plus louable qu’il se rapporte à quelqu’un qui est davantage dans
le besoin. Ainsi il est dit (Is., 58, 7) : Rompez
votre pain avec celui qui a faim. Or, Dieu n’a pas besoin que nous lui,
rendions quelque chose, d’après ce mot du Psalmiste (Ps., 15, 2) : J’ai dit au
Seigneur : vous êtes mon Dieu, puisque vous n’avez pas besoin de mes biens.
La religion paraît donc moins louable que les autres vertus par lesquelles nous
secourons nos semblables.
Réponse à l’objection N°2 : Dans les services qu’on rend aux
autres pour leur utilité, l’acte est plus louable quand il s’adresse à un
indigent, parce qu’il est plus utile. Mais on n’offre rien à Dieu pour son
utilité ; tout ce que nous faisons pour lui est dans notre intérêt et pour sa
gloire.
Objection N°3. Plus on agit par nécessité et moins l’acte que l’on
fait est louable, d’après ce mot de l’Apôtre (1 Cor., 9, 16) : Si je prêche
l’Evangile ce n’est point pour moi un sujet de gloire ; puisque c’est pour moi
une nécessité. Or, où la dette est la plus grande, la nécessité est la plus
pressante. Par conséquent puisque l’homme rend à Dieu ce qui lui est dû
absolument, il semble que la religion soit la moins louable de toutes les
vertus humaines.
Réponse à l’objection N°3 : Quand il y a nécessité, on ne
peut avoir la gloire de faire une œuvre de surérogation ; mais le mérite de la
vertu n’est pas exclu pour cela, si on agit volontairement. Par conséquent
l’objection n’est pas concluante.
Mais c’est le contraire. Dans la loi ancienne (Ex., chap. 20) on place en premier lieu
les préceptes qui appartiennent à la religion, comme les plus importants. Or,
l’ordre des préceptes est proportionné à l’ordre des vertus, parce que les
préceptes de la loi ont les actes des vertus pour objet. La religion est donc
la principale des vertus morales.
Conclusion La religion étant de toutes les vertus morales celle
qui se rapproche le plus de Dieu, elle est aussi nécessairement la plus
excellente.
Il faut répondre que les moyens tirent leur bonté de leur rapport
avec la fin. C’est pourquoi ils sont d’autant meilleurs qu’ils s’en rapprochent
davantage. Or, les vertus morales, comme nous l’avons vu (art. préc., dans
le corps de l’article et Réponse N°1, et quest. 4, art. 7), ont pour objet des
moyens qui se rapportent à Dieu, comme à leur fin. La religion approchant plus
de Dieu que les autres vertus morales, dans le sens qu’elle fait ce qui regarde
directement et immédiatement le culte divin (Les actes des vertus morales se
rapportent à Dieu par l’intermédiaire de la religion ou de la charité qui
préside à la religion.), il s’ensuit qu’elle l’emporte sur elles.
Article 7 :
La religion produit-elle des actes extérieurs ?
Objection N°1. Il semble que la
religion ne produise pas d’actes extérieurs. Car saint Jean dit (Jean, 4, 24) :
Dieu est esprit, et il faut que ceux qui
l’adorent le fassent en esprit et en vérité. Or, les actes extérieurs
n’appartiennent pas à l’esprit, mais plutôt au corps. La religion à laquelle
appartient l’adoration ne produit donc pas d’actes extérieurs, mais seulement
des actes intérieurs.
Réponse à l’objection N°1 : Le Seigneur parle des actes
intérieurs comme étant ce qu’il y a de principal et ce qu’on se propose
absolument dans le culte divin (Le Seigneur s’élève contre les juifs et les
samaritains, qui faisaient peu de cas du culte intérieur, et qui ne
s’attachaient qu’au culte extérieur.).
Objection N°2. La religion a pour fin de rendre à Dieu le respect
et l’honneur qui lui sont dus. Or, c’est manquer de
respect à un supérieur que de lui rendre ce qui appartient, à proprement
parler, à des inférieurs. Par conséquent, puisque ce que l’homme fait par des
actes corporels paraît se rapporter proprement aux besoins de ses semblables,
ou aux honneurs qu’on rend à des créatures inférieures, il semble par là qu’on
ne puisse pas convenablement l’employer pour rendre un culte à la Divinité.
Réponse à l’objection N°2 : On n’offre pas à Dieu ces actes
extérieurs, comme s’il en avait besoin, d’après ces paroles du Psalmiste (Ps., 49, 13) : Mangerai-je la chair des taureaux ou boirai-je le sang des boucs ? mais on les offre à Dieu en signe des actes intérieurs et
spirituels qu’il agrée. C’est ce qui fait dire à saint Augustin (De civ. Dei, liv. 10, chap. 5) : Le
sacrifice visible est le sacrement, c’est-à-dire le signe sacré du sacrifice
invisible.
Objection N°3. Saint Augustin (De
civ. Dei, liv. 6, chap. 10) loue Sénèque de ce qu’il blâme ceux qui
offraient aux idoles ce qu’on a coutume d’offrir aux hommes, parce que ce qui
convient aux mortels ne convient pas aux immortels. Or, ces choses conviennent
encore beaucoup moins au vrai Dieu, qui est au-dessus
de tous les dieux. Il semble donc répréhensible d’honorer Dieu par des
actes corporels, et par conséquent la religion ne produit aucun de ces actes.
Réponse à l’objection N°3. Il faut répondre au troisième, qu’on se
moque des idolâtres parce qu’ils offraient aux idoles ce qui appartient aux
hommes, non comme des signes qui les excitaient à des œuvres spirituelles, mais
comme des choses qui étaient par elles-mêmes agréables à leurs dieux et aussi
parce que ces choses étaient vaines et honteuses (Saint Augustin fait avec
énergie le tableau de toutes ces turpitudes (De civ. Dei, liv. 6, chap. 7).).
Mais c’est le contraire. Il est dit (Ps., 83, 3) : Mon cœur et ma
chair se sont élevés vers le Dieu vivant. Or, comme les actes intérieurs
appartiennent au cœur, de même les actes extérieurs appartiennent aux membres
de la chair. Il semble donc qu’on ne doive pas seulement honorer Dieu par des
actes intérieurs, mais encore par des actes extérieurs.
Conclusion La vertu de religion est perfectionnée non seulement
par des actes intérieurs, mais encore par des actes extérieurs, non
principalement, mais secondairement et selon qu’ils se rapportent aux actes
intérieurs.
Il faut répondre que nous rendons à Dieu honneur et respect, non
pour lui-même, parce que par lui-même il est rempli d’une gloire à laquelle la
créature ne peut rien ajouter, mais à cause de nous, parce que, par là même que
nous révérons et que nous honorons Dieu, notre esprit lui est soumis, et c’est
en cela que consiste sa perfection. Car une chose est parfaite par là même
qu’elle est soumise à son supérieur, comme le corps par là même qu’il est
vivifié par l’âme, et l’air par là même qu’il est éclairé par le soleil. Mais
l’âme humaine a besoin pour s’unir à Dieu d’y être amenée par les choses
sensibles ; parce que selon l’expression de l’Apôtre (Rom., 1, 20) : Les choses
invisibles de Dieu nous sont manifestées par la connaissance que les créatures
nous en donnent. C’est pourquoi dans le culte divin il est nécessaire
d’employer des choses corporelles et de s’en servir comme de signes, pour
exciter l’âme humaine aux actes spirituels qui l’unissent à Dieu. C’est ce qui
fait que la religion produit principalement des actes intérieurs qui se
rapportent par eux-mêmes au culte : tandis qu’elle produit des actes extérieurs
secondairement et selon qu’ils se rapportent aux actes intérieurs.
Article 8 : La
religion est-elle la même chose que la sainteté ?
Objection
N°1. Il semble que la religion ne soit pas la
même chose que la sainteté. Car la religion est une vertu spirituelle, comme
nous l’avons vu (art. 4). Or, il est dit que la sainteté est une vertu générale,
puisque c’est elle qui rend fidèle observateur des choses justes qui se
rapportent à Dieu, d’après Andronic. La sainteté n’est donc pas la même chose
que la religion.
Réponse à l’objection N°1 :
La sainteté est une vertu spéciale dans son essence, et sous ce rapport elle
est en quelque sorte la même que la religion. Mais elle est générale en ce sens
que par l’empire qu’elle exerce sur tous les actes des vertus, elle les
rapporte au bien divin ; comme on dit que la justice légale est une vertu générale
dans le sens qu’elle rapporte les actes de toutes les vertus au bien général.
Objection N°2. La sainteté paraît
impliquer la pureté ; car saint Denis dit (De
div. nom.,
liv. 12) que la sainteté est exempte de toute souillure, qu’elle est la pureté
parfaite et absolument sans tache. Or, la pureté paraît appartenir surtout à la
tempérance qui exclut les souillures corporelles. Puisque la religion
appartient à la justice, il semble donc que la sainteté ne soit pas la même
chose que la religion.
Réponse à l’objection N°2 :
La tempérance opère la pureté, cependant elle n’a la nature de la sainteté
qu’autant qu’elle se rapporte à Dieu. C’est ce qui fait dire à saint Augustin,
à l’égard de la virginité (Lib. de virg., chap. 8), qu’on l’honore, non
pour elle-même, mais parce qu’elle est consacrée à Dieu.
Objection N°3. Les choses qui se
divisent |par opposition ne sont pas identiques. Or, dans une énumération des
parties de la justice, la sainteté se divise par opposition à la religion,
comme nous l’avons vu (quest. 80). La sainteté n’est donc pas la même chose que
cette dernière vertu.
Réponse à l’objection N°3 :
La sainteté est distincte de la religion comme nous l’avons expliqué. Elles ne
diffèrent donc pas en réalité, mais rationnellement, ainsi que nous l’avons dit
(dans le corps de cet article.).
Mais c’est le contraire. Il est
dit (Luc, 17, 5) : Servons-le dans la
sainteté et la justice. Or, le service de Dieu appartient à la religion,
comme nous l’avons vu (art. 1, Réponse N°3, et art. 3, Réponse N°2). La
religion n’est donc pas la même chose que la sainteté.
Conclusion Quoique la religion et
la sainteté soient essentiellement une même chose, cependant elles sont
rationnellement distinctes, parce que l’esprit de l’homme s’applique à Dieu par
la sainteté, tandis que par la religion on le sert dans ce qui appartient
spécialement à son culte.
Il faut répondre que le mot de sainteté paraît impliquer
deux choses : 1° La pureté, et le mot grec se rapporte bien à cette
signification, car on dit « άγιος » (agios) comme
s’il y avait sans terre (Origène indique cette interprétation (Hom. 2 in Levit.),
mais il ne la fait pas reposer sur l’étymologie de ce mot.) (« α » privatif, « γή », terre). 2° Il implique
la fermeté. C’est ainsi que les anciens appelaient saint ce qui était protégé par les lois et qu’on ne devait pas
violer. D’où il est arrivé que l’on a appelé sanctionné (sancitum) ce qui a été confirmé
par une loi. D’après les Latins le mot saint
peut aussi se rapporter à la pureté (C’est le sens que lui donnent Cicéron (De offic., liv. 1) : Pietate ac sanctitate deos placatos reddi, et Virgile (Eneid., liv. 12) : Sancta ad vos anima
atque istius inscia culpæ descendam.). Ainsi sanctus peut signifier teint de sang (sanguine tinctus), parce qu’autrefois
ceux qui voulaient être purifiés étaient marqués du sang de la victime (Saint
Isidore fait sans doute allusion à ces paroles de saint Paul : Et omnia penè in sanguine secundum legem mundantur, et sine sanguinis effusione
non fit remissio.), comme le dit saint Isidore (Etym., liv. 10, ad litt. S). — Dans ces deux sens il est
convenable d’attribuer la sainteté à tout ce qui sert au culte divin ; de telle
sorte qu’on dit non seulement que les hommes, mais encore que le temple, les
vases et toutes les autres choses semblables sont sanctifiés par là même qu’on
les a employés au culte divin. Car la pureté est nécessaire pour que l’âme
s’élève à Dieu, parce qu’elle est souillée du moment qu’elle s’attache aux
choses inférieures, comme tout être se souille en se mêlant à ce qui vaut moins
que lui ; tel que l’argent mêlé avec du plomb. Puisqu’il faut que l’âme se
dégage des choses inférieures pour pouvoir s’unir à ce qui est plus élevé, il
s’ensuit que sans la pureté elle ne peut pas s’attacher à Dieu. C’est ce qui
fait dire à l’Apôtre (Héb., 12, 14) : Tâchez d’avoir la paix avec tout le monde et de vivre dans la sainteté
sans laquelle personne ne verra Dieu. La fermeté est nécessaire pour que
l’âme adhère à Dieu ; car elle s’attache à lui comme à sa fin
dernière et à son premier principe, et il faut que ces bases soient absolument
immuables. D’où l’Apôtre disait (Rom.,
8, 38) : Je suis certain que ni la mort,
ni la vie ne me séparera de la charité de Dieu. — Si donc on appelle
sainteté la vertu par laquelle l’âme humaine s’unit à Dieu par elle-même et par
ses actes, elle ne diffère pas de la religion essentiellement, elle n’en
diffère que rationnellement. Car on appelle religion la vertu d’après laquelle
on rend à Dieu le service qui lui est dû en ce qui concerne spécialement le culte
divin, comme les sacrifices, les oblations, etc. ; tandis qu’on donne le nom de
sainteté à la vertu d’après laquelle l’homme ne rapporte pas seulement à Dieu
ces choses, mais encore les œuvres des autres vertus, ou bien la vertu d’après
laquelle l’homme se dispose au culte divin par des bonnes œuvres.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
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