Saint Thomas d ’Aquin - Somme Théologique

2a 2ae = Secunda Secundae = 2ème partie de la 2ème Partie

Question 88 : Du vœu par lequel on promet à Dieu quelque chose

 

Nous avons maintenant à nous occuper du vœu par lequel on promet à Dieu quelque chose. A ce sujet douze questions se présentent : 1° Qu’est-ce que le vœu ? — 2° Qu’est-ce qui tombe sous le vœu ? (Le plus grand bien ne s’entend pas ici d’une manière absolue. On entend par là une chose qui vaut mieux que son contraire, c’est-à-dire qu’il est mieux de faire que de ne pas faire. Ainsi il vaut mieux faire l’aumône que de ne pas la faire.) — 3° De l’obligation du vœu. (Les vœux ont été attaqués par les protestants et par les incrédules, comme imprudents et comme attentatoires à la liberté humaine.) — 4° De l’utilité d’en faire. (Calvin (De inst., liv. 4, chap. 13) et Luther (De libert. christ.) ont enseigné que les vœux faits par les moines pour honorer Dieu sont impies et illicites. Cet article et le suivant sont une réfutation directe de leur erreur.) — 5° A quelle vertu cet acte se rapporte-t-il ? — 6° Est-il plus méritoire de faire quelque chose par vœu que sans cela ? — 7° De la solennité du vœu. (Ce vœu solennel ne consiste pas seulement en ce qu’il est fait en public avec des cérémonies, mais il consiste surtout dans le don absolu et irrévocable que l’on fait de soi-même à Dieu.) — 8° Ceux qui sont sous la puissance d’un autre peuvent-ils faire des vœux ? (A l’égard du pouvoir des supérieurs sur les inférieurs, les théologiens distinguent deux sortes d’annulation ou d’irritation : l’une directe, qui rend le vœu absolument nul, et l’autre indirecte, qui ne fait qu’en suspendre l’exécution.) — 9° Les enfants peuvent-ils s’engager par un vœu à entrer en religion ? — 10° Peut-on dispenser du vœu ou le commuer ? — 11° Peut-on dispenser du vœu solennel de continence ? (Cette question est très controversée. Saint Thomas avait d’abord enseigné que le pape peut dispenser de tous les vœux solennels (4, dist. 38, quest. 1, art. 4 ad 5), mais il soutient le contraire dans cet article. Son opinion est celle d’Albert le Grand, Soto, Sylvestre, Sylvius, Billuart, et de beaucoup d’autres thomistes ou de théologiens étrangers à son école. L’autre sentiment, qui est aujourd’hui le plus communément suivi, et qui nous paraît le plus probable, est soutenu par Cajétan, saint Antonin, Scot, saint Liguori (Voyez Theolog. mor., liv. 3, n°236).) — 12° Faut-il l’autorité du supérieur pour dispenser d’un vœu ? (La commutation étant moindre que la dispense, celui qui peut dispenser d’un vœu peut le commuer, mais non réciproquement.)

 

Article 1 : Le vœu consiste-t-il dans le seul propos de la volonté ?

 

Objection N°1. Il semble que le vœu soit un simple propos (Ce mot est théologiquement employé comme synonyme de résolution ; c’est pour ce motif que nous l’avons maintenu.) de la volonté. Car, d’après quelques auteurs, le vœu est la conception ferme d’un bon propos faite avec délibération, par laquelle on s’oblige à faire ou à ne pas faire quelque chose pour Dieu. Or, cette conception du bon propos, avec toutes les conditions qu’on y ajoute, peut exister exclusivement dans le mouvement de la volonté. Le vœu ne consiste donc que dans un simple propos de la volonté.

Réponse à l’objection N°1 : La conception du bon propos n’est pas confirmée par la délibération de l’esprit (Il y a une grande différence entre le simple propos (propositum) et la promesse. Quand on prend la résolution de faire une chose, on ne s’y engage pas, au lieu quo quand on promet de la faire, on contracte une obligation.), si la promesse ne suit cette délibération.

 

Objection N°2. Le nom de vœu (votum) paraît venir du mot volonté (voluntas). Car on dit que l’on fait de son propre vœu ce que l’on fait volontairement. Or, le propos est l’acte de la volonté, tandis que la promesse appartient à la raison. Le vœu consiste donc uniquement dans l’acte de la volonté.

Réponse à l’objection N°2 : La volonté de l’homme porte la raison à promettre quelques-unes des choses qui sont soumises à son empire ; et par conséquent le vœu tire de la volonté son nom, comme de son premier moteur.

 

Objection N°3. Le Seigneur dit (Luc, 9, 62) : Celui qui met la main à la charrue et qui regarde derrière n’est pas apte au royaume de Dieu. Or, par là même qu’on prend la résolution de bien faire, on met la main à la charrue. Par conséquent si on regarde derrière, en abandonnant la bonne résolution qu’on avait prise, on n’est pas apte au royaume de Dieu. Ainsi donc le bon propos oblige à lui seul devant Dieu, même sans qu’on fasse aucune promesse, et il semble d’après cela que le vœu ne consiste pas dans autre chose.

Réponse à l’objection N°3 : Celui qui met la main à la charrue fait déjà quelque chose ; tandis que celui qui se propose seulement d’agir n’a encore rien fait. Mais quand on promet, on commence déjà à se montrer prêt à agir, quoiqu’on ne fasse pas encore ce que l’on a promis. C’est ainsi que celui qui met la main à la charrue ne laboure pas encore, mais il se dispose à le faire.

 

Mais c’est le contraire. Il est dit (Ecclésiaste, 5, 3) : Quand vous aurez fait un vœu à Dieu, ne différez point de vous acquitter ; car une promesse imprudente et infidèle lui déplaît. Faire un vœu, c’est donc promettre, et le vœu est une promesse.

 

Conclusion Pour l’essence véritable et parfaite du vœu il faut trois choses : la délibération, le propos de la volonté, et la promesse.

Il faut répondre que le vœu implique l’obligation de faire ou d’omettre quelque chose. Or, l’homme s’oblige envers son semblable au moyen de la promesse qui est un acte de la raison, qui est la faculté à laquelle il appartient d’ordonner. Car comme l’homme en commandant ou en priant ordonne en quelque sorte ce que les autres doivent faire pour lui ; de même en promettant il ordonne ce qu’il doit faire pour eux. Mais la promesse qu’un homme fait à un autre ne peut se produire que par des paroles ou par des signes extérieurs ; tandis qu’on peut faire à Dieu une promesse par la seule pensée intérieure. Car, selon l’expression de l’Ecriture (1 Rois, 16, 7) : Les hommes voient ce qui parait au dehors, au lieu que Dieu voit le cœur. Cependant on emploie quelquefois des paroles extérieures, soit pour s’exciter soi- même intérieurement, comme nous l’avons dit à l’égard de la prière (quest. 83, art. 12), soit pour prendre les autres à témoin, afin qu’on soit empêché de rompre son vœu, non seulement par la crainte de Dieu, mais encore par celle des hommes. La promesse vient du propos et le propos préexige une délibération, puisqu’il est un acte de la volonté réfléchie. Par conséquent, il faut nécessairement pour le vœu trois choses : 1° la délibération ; 2° le propos de la volonté (Saint Thomas exige ces trois choses pour que le vœu soit tout à la fois licite et valide. Si l’on avait l’intention de s’obliger, mais non de remplir sa promesse, le vœu serait illicite, mais il serait néanmoins valide.) ; 3° la promesse qui en est le complément. On y ajoute quelquefois deux autres conditions qui ont pour but la confirmation du vœu : on exige qu’il soit fait à haute voix, d’après ces paroles du Psalmiste (Ps. 65, 13) : Je vous rendrai les vœux que ma bouche a prononcés, et qu’il y ait des témoins. Ainsi le Maître des sentences dit (Lib. 4 Sent., dist. 38) : que le vœu est le témoignage d’une promesse spontanée que l’on doit faire à Dieu et qui a pour objet ce qui lui appartient. D’ailleurs ce témoignage pourrait se rapporter, à proprement parler, au témoignage intérieur de la conscience (Les théologiens définissent le vœu : Promissio deliberata Deo facta de meliori bono.).

 

Article 2 : Le vœu a-t-il pour objet un plus grand bien ?

 

Objection N°1. Il semble qu’un vœu ne doive pas toujours avoir pour objet un plus grand bien. Car on dit que le bien le meilleur est de surérogation. Or, le vœu n’a pas seulement pour objet les choses qui sont de surérogation, mais il s’étend encore à celles qui regardent le salut. Car dans le baptême on fait vœu de renoncer au démon et à ses pompes et de conserver la foi, comme le dit la glose à l’occasion de ces paroles du Psalmiste (Ps. 75) : Vovete et reddite Domino Deo vestro. Jacob a fait vœu que le Seigneur serait son Dieu, comme on le voit (Gen., chap. 28). Par conséquent, ces choses étant absolument de nécessité de salut, le vœu n’a pas seulement pour objet un plus grand bien.

Réponse à l’objection N°1 : Ceux qui sont baptisés font vœu de renoncer aux pompes du démon et de conserver la foi du Christ, parce qu’ils s’y engagent volontairement, quoique ces choses soient de nécessité de salut. On peut en dire autant du vœu de Jacob ; quoiqu’on puisse entendre par là que Jacob a promis d’honorer Dieu par un culte spécial, auquel il n’était pas tenu ; comme par l’oblation des dîmes et par les autres choses qui sont indiquées au même endroit.

 

Objection N°2. Jephté est placé dans le catalogue des saints, comme on le voit (Héb., chap. 11). Or, il a fait périr sa fille innocente pour un vœu, comme on le rapporte (Juges, chap. 11). Ainsi donc, puisque le meurtre d’un innocent n’est pas un bien meilleur, mais qu’il est au contraire une chose illicite en soi ; il semble qu’on puisse faire des vœux non seulement pour un plus grand bien, mais encore pour des choses défendues.

Réponse à l’objection N°2 : Il y a des choses qui sont bonnes à tout événement, comme les actions vertueuses ; celles-là peuvent être absolument l’objet du vœu. Il y en a d’autres au contraire qui sont mauvaises à tout événement, comme celles qui sont des péchés en elles-mêmes ; elles ne peuvent être, d’aucune manière l’objet d’un vœu. Il y en a d’autres qui sont bonnes considérées en elles-mêmes, et qui à ce titre peuvent être l’objet d’un vœu, quoiqu’elles puissent se présenter dans de mauvaises circonstances où l’on ne doit pas les observer. C’est ce qui arriva à Jephté, qui, comme la Bible le rapporte (Juges, 11, 29), fit ce vœu au Seigneur : Si vous lierez entre mes mains les enfants d’Artimon, je vous offrirai en holocauste le premier qui sortira de la porte de ma maison et qui se présentera à moi, lorsque je reviendrai victorieux. Cet engagement pouvait avoir un mauvais dénouement, s’il se présentait à lui un animal que l’on ne dût pas immoler, comme un âne ou un homme ; ce qui arriva en effet. C’est ce qui fait dire à saint Jérôme (Lib. 1 cont. Jovin. et in chap. 6 et 7 Mich. et in chap. 7 Jérem.) qu’en faisant ce vœu Jephté fut un insensé, parce qu’il n’eut pas de discernement et qu’en l’exécutant, il fut impie. Il est cependant dit auparavant : Que l’Esprit du Seigneur était en lui ; parce que sa foi et sa dévotion qui le portaient à faire un vœu, venaient de l’Esprit-Saint. C’est pour ce motif qu’il est mis au rang des saints et à cause de la victoire qu’il a obtenue ; d’ailleurs il est probable qu’il se repentit de cette action inique, qui figurait cependant quelque chose de bien (On sait qu’il y a deux sentiments sur l’action de Jephté, et qu’il y a de très graves raisons pour établir qu’il n’immola pas sa fille, mais qu’elle renonça seulement à la vie du monde pour mener une vie sainte et mortifiée. Quand le vœu porte sur une chose à laquelle on est déjà obligé par une loi, comme l’abstinence du samedi, si on la transgresse, il y a double faute, l’une contre la vertu de religion, à cause du vœu, l’autre contre la vertu particulière qui commande l’acte prescrit par la loi qu’on transgresse. Cette circonstance du vœu doit être déclarée en confession.).

 

Objection N°3. Les choses qui tournent au détriment d’une personne ou qui ne sont utiles à rien, n’ont pas la nature du bien qui est le meilleur. Or, quelquefois on fait des vœux qui ont pour objets des veilles ou des jeûnes immodérés qui deviennent dangereux pour la santé, d’autres fois on fait des vœux au sujet de choses indifférentes et qui sont sans valeur. Le vœu n’a donc pas toujours pour objet un plus grand bien.

Réponse à l’objection N°3 : La macération de son corps, par les veilles et les jeûnes, n’est agréable à Dieu qu’autant qu’elle est un acte de vertu ; ce qui a lieu quand on la fait avec le discernement nécessaire pour mettre un frein à la concupiscence sans trop charger la nature. Dans ces conditions ces mortifications peuvent être l’objet du vœu. C’est pourquoi après avoir dit (Rom., 12, 1) : Offrez à Dieu vos corps comme une hostie vivante, sainte, agréable à ses yeux, l’Apôtre ajoute : Que votre soumission soit raisonnable. Mais parce que, dans ce qui le concerne lui-même, l’homme se trompe facilement dans ses jugements, il est plus convenable qu’on s’en rapporte pour l’observation ou l’omission de ces choses à la décision d’un supérieur. Cependant si en observant ce vœu on en éprouvait un grand mal qui fût évident (Par exemple, si l’on avait fait vœu de jeûner pendant un mois et qu’on en fût empêché par une indisposition survenue après quelques jours, on serait pour le moment dispensé d’acquitter son vœu.), et que l’on n’eût pas la faculté de recourir au supérieur, on ne devrait pas l’observer. Quant aux vœux qui ont pour objet des choses vaines et inutiles, on doit s’en moquer plutôt que de les observer.

 

Mais c’est le contraire. Il est dit (Deut., 23, 12) : Si vous n’avez pas voulu faire de promesses, vous serez sans péché.

 

Conclusion Le vœu étant une promesse volontaire faite à Dieu, il est de sa propre essence qu’il ait pour objet un plus grand bien, c’est-à-dire un acte libre de vertu qui ne soit ni de nécessité absolue, ni de nécessité finale.

Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc.), le vœu est une promesse faite à Dieu. Une promesse a pour objet une chose que l’on fait volontairement pour quelqu’un. Car il n’y aurait pas promesse, mais menace, si l’on disait que l’on agira contre quelqu’un. De même la promesse serait vaine, si l’on promettait à quelqu’un ce qu’il ne pourrait accepter. C’est pourquoi, tout péché étant contre Dieu, et Dieu n’acceptant une œuvre qu’autant qu’elle est bonne, il s’ensuit que l’on ne doit faire de vœu, ni pour un acte illicite (Il y aurait péché grave à s’engager à faire une chose qu’on regarderait comme un péché véniel.), ni pour un acte indifférent, mais seulement pour un acte de vertu. D’un autre côté, parce que le vœu implique une promesse volontaire et que la nécessité exclut la volonté, il s’ensuit que tout ce qui doit nécessairement être ou ne pas être, n’est d’aucune façon la matière du vœu. Car il serait insensé de faire vœu de mourir ou de ne pas s’envoler (Le vœu qui aurait pour objet une chose impossible ou nécessaire est regardé par Billuart comme un péché véniel.). Ce qui n’est pas nécessaire d’une nécessité absolue, mais d’une nécessité finale, parce que sans cela on ne peut être sauvé, est l’objet du vœu, selon qu’on le fait volontairement (Ainsi on peut faire vœu d’éviter tous les péchés mortels et même tous les péchés véniels de propos délibéré, mais on ne pourrait faire vœu de ne faire aucun péché véniel dans le cours de sa vie, parce que c’est une chose impossible (saint Liguori, Theol. mor., liv. 3, n°203).), mais non selon qu’il y a nécessité de le faire. — Ce qui n’est nécessaire ni d’une nécessité absolue, ni d’une nécessité finale, est absolument volontaire ; c’est pour ce motif que c’est là, dans le sens le plus propre, ce qui est l’objet du vœu. On dit que ce bien est le plus grand comparativement au bien qui est en général de nécessité de salut. C’est pourquoi, à proprement parler, on dit que le vœu a pour objet un plus grand bien (Le vœu proprement dit porte sur ce qui est de surérogation. C’est pourquoi on ne peut s’engager par vœux à quelque chose qui serait contraire aux préceptes évangéliques.).

 

Article 3 : Tout vœu est-il obligatoire ?

 

Objection N°1. Il semble que tout vœu n’oblige pas à l’observer. Car l’homme a plus besoin de ce qui est fait par un autre homme que Dieu qui n’a pas besoin de nos biens. Or, une promesse simple faite à un homme n’est pas obligatoire d’après la loi humaine ; ce qui paraît avoir été établi, parce que la volonté des hommes est changeante. Par conséquent une promesse simple faite à Dieu, qui est ce qu’on appelle un vœu, est encore beaucoup moins obligatoire.

Réponse à l’objection N°1 : Au point de vue de la morale une promesse oblige un homme envers un autre, et cette obligation est de droit naturel. Mais pour que l’on contracte par une promesse une obligation civile, il faut d’autres conditions. Quoique Dieu n’ait pas besoin de nos biens, cependant nous avons envers lui les obligations les plus étroites ; par conséquent le vœu qu’on lui fait est absolument obligatoire (Il oblige selon l’intention de celui qui le fait. Ainsi il est très probable que celui qui a l’intention de ne s’obliger que sub levi, même en matière grave, ne fait qu’une faute vénielle, s’il vient à violer son vœu (saint Alphonse, ibid., n° 213).).

 

Objection N°2. Personne n’est tenu à l’impossible. Or, quelquefois un vœu que l’on a fait devient impossible, soit parce qu’il dépend de la volonté d’un autre, comme quand on fait vœu d’entrer dans un monastère où l’on ne peut se faire recevoir, soit par suite d’un défaut qui survient, comme une femme qui a fait vœu de conserver sa virginité, et qui est ensuite corrompue, soit parce qu’on a fait vœu de donner de l’argent, et qu’ensuite on le perd. Le vœu n’est donc pas toujours obligatoire.

Réponse à l’objection N°2 : Si le vœu que l’on fait devient impossible par une cause quelconque, on doit faire ce qui est en soi (S’il s’agit d’une chose divisible, on est tenu de faire ce que l’on peut accomplir du vœu. Ainsi celui qui aurait fait vœu de donner 500 francs et qui ne pourrait plus donner que 100 francs est tenu de donner cette dernière somme. Si la chose est indivisible, comme la construction d’une église, d’un oratoire, on n’est tenu à rien ; car il serait ridicule de commencer une chose semblable avec la certitude de ne pouvoir l’achever.), pour avoir la volonté prête à faire ce qui est possible. Ainsi celui qui a fait vœu d’entrer dans un monastère, doit faire tous ses efforts pour s’y faire recevoir. Et s’il a eu l’intention de s’obliger principalement à entrer en religion, et qu’il ait choisi conséquemment cet ordre ou ce lieu, parce qu’il lui convenait mieux, il est tenu, s’il ne peut pas s’y faire admettre, de prendre ailleurs l’habit religieux. Mais, s’il a principalement voulu s’obliger à entrer dans cet ordre ou dans ce lieu, parce que ce monastère ou cette localité lui plaisait tout particulièrement, il n’est pas obligé d’entrer dans un autre monastère, si on ne veut pas le recevoir dans celui-là. Toutefois s’il s’est mis par sa propre faute dans l’impossibilité d’accomplir son vœu, il est tenu encore à faire pénitence de sa faute passée ; comme la femme qui a fait vœu de virginité, si elle vient à tomber, non seulement doit observer de son vœu ce qu’elle peut, c’est-à-dire la continence perpétuelle, mais elle doit encore se repentir de la perte qu’elle a faite en péchant.

 

Objection N°3. On est tenu de payer immédiatement la chose au payement de laquelle on est obligé. Or, on n’est pas tenu de payer immédiatement ce qu’on a promis par vœu, surtout quand on a fait un vœu conditionnel pour l’avenir. Le vœu n’est donc pas toujours obligatoire.

Réponse à l’objection N°3 : Le vœu oblige d’après la volonté propre et l’intention qu’on a eue. Ainsi il est dit (Deut., 23, 23) : Lorsqu’une fois la parole sera sortie de votre bouche, vous l’observerez et vous ferez selon que vous avez promis au Seigneur votre Dieu l’ayant fait par votre propre volonté et l’ayant déclaré par votre bouche. C’est pourquoi si celui qui fait un vœu a l’intention et la volonté de s’obliger à s’en acquitter immédiatement, il est tenu de le faire aussitôt. Mais s’il ne l’a fait que pour une époque déterminée ou sous certaine condition (Pour que le vœu conditionnel oblige, il faut que la condition soit remplie dans sa propre forme, d’après saint Liguori et plusieurs autres docteurs (Theolog. Moral., liv. 3, n° 219).), il n’est pas tenu de l’exécuter de suite. Toutefois il ne doit pas différer au-delà du temps pour lequel il a eu l’intention de s’obliger. Car Moïse dit au même endroit (ibid.) : Quand vous aurez fait un vœu au Seigneur votre Dieu, vous ne différerez point de l’accomplir, parce que le Seigneur votre Dieu vous en demandera compte, et que si vous retardez, il vous sera imputé à péché (Si l’époque n’a pas été déterminée, les théologiens accordent en général un délai de six mois pour un vœu perpétuel, et un délai de deux ou trois ans pour un autre vœu. Ils croient qu’il y aurait péché grave à dépasser ce terme (saint Liguori, Theol. Moral., liv. 3, n° 221).).

 

Mais c’est le contraire. Il est dit (Ecclésiaste, 5, 3) : Acquittez-vous du vœu que vous avez fait : il vaut beaucoup mieux que vous ne fassiez point de vœux que d’en faire et de ne pas les accomplir.

 

Conclusion Tous les hommes étant tenus d’être fidèles envers Dieu, il est nécessaire qu’ils s’acquittent de tous les vœux qu’ils font.

Il faut répondre, qu’un homme fidèle doit tenir sa promesse. Ainsi, d’après saint Augustin (Lib. de mendac., chap. 20), la fidélité consiste à faire ce que l’on a dit. Or, l’homme doit être surtout fidèle envers Dieu, en raison de son souverain domaine et des bienfaits qu’il en a reçus. C’est pourquoi il est surtout obligé de s’acquitter des vœux qu’il a faits à Dieu ; car ceci appartient à la fidélité que nous devons à notre souverain Seigneur et Maître. Quand on manque à un vœu, il y a là une espèce d’infidélité. C’est pourquoi Salomon, assignant la raison pour laquelle nous devons remplir nos vœux, dit qu’une promesse infidèle déplaît au Seigneur (La violation du vœu est un péché mortel en matière grave, et un péché véniel en matière légère. Car il peut y avoir ici matière légère, selon le sentiment le plus probable, dit saint Alphonse (liv. 3, n° 211).).

 

Article 4 : Est-il convenable de faire des vœux ?

 

Objection N°1. Il semble qu’il ne soit pas avantageux de faire des vœux. Car il n’est pas avantageux à quelqu’un de se priver du bien que Dieu lui a donné. Or, la liberté est un des plus grands biens que l’homme ait reçus de Dieu, et il paraît en être privé par la nécessité que le vœu impose. Il ne semble donc pas qu’il soit avantageux à l’homme de faire des vœux.

Réponse à l’objection N°1 : Comme l’impossibilité de pécher ne diminue pas la liberté, de même la nécessité d’affermir sa volonté dans le bien ne le diminue pas non plus, comme on le voit en Dieu et dans les bienheureux. Telle est la nécessité que le vœu impose et qui a de l’analogie avec l’affermissement des bienheureux dans la gloire. C’est ce qui fait dire à saint Augustin dans la même épître (loc. cit.) que c’est une nécessité heureuse qui nous pousse à ce qu’il y a plus avantageux pour nous.

 

Objection N°2. On ne doit pas s’exposer au danger. Or, celui qui fait un vœu s’y expose, parce que ce qu’on pouvait omettre avant le vœu sans inconvénient, devient dangereux, si on ne le fait pas, après en avoir fait vœu. C’est ce qui fait dire à saint Augustin dans sa lettre à Armentarius et Pauline (Epist. 127) : Par là même que vous avez fait un vœu, vous vous êtes lié, il ne vous est plus permis de faire autre chose. Si vous n’exécutez pas votre vœu, vous ne serez pas tel que vous auriez été si vous n’aviez pas pris d’engagement. Car, dans ce dernier cas, vous seriez moins parfait sans être pire. Au lieu que si vous venez à rompre la foi que vous devez à Dieu, ce que je n’ai garde de présumer, vous serez d’autant plus misérable, que vous serez plus heureux si vous la lui gardez. Il n’est donc pas avantageux de faire des vœux.

Réponse à l’objection N°2 : Quand le danger vient du fait lui-même, alors ce fait n’est pas avantageux, comme quand on passe un fleuve sur un pont qui est en ruines. Mais si le danger provient de l’imperfection de l’homme, la chose ne cesse pas pour cela d’être utile. Ainsi il y a de l’avantage à monter à cheval, quoiqu’on soit exposé à tomber. Autrement, il faudrait renoncer à toutes les bonnes choses qui peuvent accidentellement, par suite d’un événement, devenir dangereuses. D’où il est dit (Ecclésiaste, 11, 4) : Celui qui observe le vent ne sème pas, et celui qui considère les nues ne moissonnera jamais. Celui qui fait un vœu ne court pas de danger, par suite de son vœu (Il y a péril pour celui qui ferait un vœu imprudent, mais l’Eglise, au lieu de favoriser de pareils vœux, les condamne.), mais il n’y a de péril que pour celui qui par sa faute change de volonté et transgresse la promesse qu’il avait faite. C’est ce qui fait dire à saint Augustin, dans la même épitre : Ne vous repentez pas d’abord d’avoir fait un vœu, mais réjouissez-vous plutôt de n’avoir plus la liberté de faire ce que vous n’auriez pu faire qu’à votre détriment.

 

Objection N°3. Saint Paul dit (1 Cor., 4, 16) : Soyez mes imitateurs, comme je le suis du Christ. Or, on ne voit pas que Jésus-Christ, ni que les apôtres aient fait des vœux. Il semble donc qu’il ne soit pas avantageux d’en faire.

Réponse à l’objection N°3 : Il ne convenait pas au Christ considéré en lui-même de faire des vœux, soit parce qu’il était Dieu, soit parce que, comme homme, il avait la volonté fixée dans le bien, puisqu’il était en possession de tous les trésors célestes. Cependant on lui fait dire par analogie (Ps., chap. 21), d’après la glose (interl. Aug.) : Je rendrai mes vœux en présence de ceux qui le craignent. En cet endroit, il parle de son corps, qui est l’Eglise. Quant aux apôtres, ils firent tous les vœux qui se rapportent à l’état de perfection, quand ils quittèrent tout pour suivre Jésus-Christ.

 

Mais c’est le contraire. David dit (Ps. 75, 12) : Faites des vœux et acquittez-vous-en près du Seigneur votre Dieu.

 

Conclusion Ce que nous faisons pour Dieu nous étant utile, il nous est avantageux de nous attacher à lui par un vœu.

Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. 1 et 2), le vœu est une promesse faite à Dieu. La raison qui nous fait promettre quelque chose à un homme n’est pas la môme que celle qui nous fait promettre quelque chose à Dieu. Nous faisons à un homme une promesse dans son intérêt. Il lui est utile que nous lui donnions quelque chose et que nous l’assurions auparavant du service que nous lui rendrons dans la suite. Mais nous ne faisons pas de promesse à Dieu pour son utilité, c’est au contraire pour notre avantage. C’est un créancier bienveillant, comme le dit saint Augustin (loc. cit.), et qui n’a besoin de rien, de telle sorte que ce n’est pas lui qui profite de ce qu’on lui donne, mais il en fait au contraire profiter ceux qui se reconnaissent ses débiteurs. Ainsi, comme ce que nous donnons à Dieu ne lui est pas utile, mais à nous, parce que ce qu’on lui donne enrichit celui qui le lui offre, selon la remarque de saint Augustin (ibid.), de même la promesse par laquelle nous faisons à Dieu un vœu ne lui est pas utile, et il n’a pas besoin que nous lui en donnions une assurance, mais elle nous est avantageuse, dans le sens que par le vœu nous attachons d’une manière immuable notre volonté à ce qu’il lui est avantageux de faire. C’est pourquoi il est avantageux de faire des vœux.

 

Article 5 : Le vœu est-il un acte de latrie ou de religion ?

 

Objection N°1. Il semble que le vœu ne soit pas un acte de latrie ou de religion. Car tout acte de vertu est l’objet du vœu. Or, il semble qu’il appartienne à la même vertu de promettre une chose et de la faire. Le vœu appartient donc à toute vertu et n’est pas un acte spécial de religion.

Réponse à l’objection N°1 : Ce qui est la matière du vœu est quelquefois l’acte d’une autre vertu, comme l’observation du jeune et de la continence. D’autres fois, c’est un acte de religion, comme l’oblation du sacrifice ou la prière. Cependant la promesse de ces deux choses, faite à Dieu, appartient à la religion pour la raison que nous avons donnée (dans le corps de cet article.). Par conséquent, il est évident que parmi les vœux il y en a qui appartiennent à la religion, seulement en raison de la promesse faite à Dieu, et qui constitue l’essence du vœu ; mais il y en a d’autres qui lui appartiennent encore, en raison de la chose promise, qui est la matière du vœu.

 

Objection N°2. D’après Cicéron (De invent., liv. 2), il appartient à la religion d’offrir à Dieu un culte et des cérémonies. Or, celui qui fait un vœu n’offre encore rien à Dieu, mais il lui fait seulement une promesse. Le vœu n’est donc pas un acte de religion.

Réponse à l’objection N°2 : Celui qui promet donne déjà quelque chose, par là même qu’il s’engage à donner ; comme on dit qu’une chose est faite quand sa cause est produite, parce que l’effet est contenu virtuellement dans sa cause. D’où il arrive que l’on remercie, non seulement celui qui donne, mais encore celui qui promet.

 

Objection N°3. On ne doit qu’à Dieu un culte de religion. Or, le vœu ne se fait pas seulement à Dieu, mais encore aux saints et aux supérieurs, auxquels les religieux font vœu d’obéissance. Donc le vœu n’est pas un acte de religion.

Réponse à l’objection N°3 : L’on ne fait de vœu qu’à Dieu ; mais on peut faire une promesse à un homme. Quand on promet à un homme une bonne chose, cette promesse peut être la matière d’un vœu, comme étant un acte vertueux. C’est ainsi qu’il faut entendre les vœux que l’on fait aux saints ou aux supérieurs ; la promesse qu’on leur a faite devient la matière d’un vœu, en ce sens que l’homme fait vœu à Dieu d’accomplir ce qu’il promet aux saints ou à ses supérieurs (Comme quand on a promis de bâtir une église en l’honneur d’un saint ou qu’on a promis obéissance à son supérieur.).

 

Mais c’est le contraire. Le prophète dit (Is., 19, 21) que les Egyptiens honoreront le Seigneur avec des hosties et des oblations, qu’ils lui feront des vœux et qu’ils les accompliront. Or, honorer Dieu est proprement un acte de religion ou de latrie. Le vœu est donc un acte de cette nature.

 

Conclusion Faire un vœu est proprement un acte de latrie ou de religion, puisque les vœux se rapportent au culte divin.

Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (quest. 81, art. 1, Réponse N°1), tout acte de vertu appartient à la religion par voie de commandement, dans le sens qu’il a toujours pour but de vénérer Dieu, ce qui est la fin propre de la religion. Or, c’est à la vertu qui commande qu’il appartient de rapporter les autres actes à sa fin ; ce n’est pas aux vertus commandées. C’est pourquoi l’acte propre de la vertu de religion est de rapporter les actes de toutes les autres vertus au service de Dieu. — Il est évident, d’après ce que nous avons dit (art. 1 et 2), que le vœu est une promesse faite à Dieu, et qu’une promesse n’est rien autre chose que le rapport de la chose promise à celui auquel on la promet. Ainsi le vœu est un acte par lequel on rapporte ce que l’on voue au culte de Dieu. Il est donc évident que faire un vœu, c’est proprement faire un acte de latrie ou de religion.

 

Article 6 : Est-il plus louable et plus méritoire de faire une chose par vœu que sans vœu ?

 

Objection N°1. Il semble qu’il soit plus louable et plus méritoire de faire une chose sans vœu que par vœu ; car saint Prosper dit (De vit. contempl., liv. 2, chap. 24) : que nous devons nous abstenir ou jeûner, sans nous soumettre à la nécessité de le faire, de peur que nous ne fassions une chose volontaire, non pas avec dévotion, mais malgré nous. Or, celui qui fait vœu de jeûner se soumet à la nécessité de le faire. Il serait donc mieux qu’il jeûnât sans faire de vœu.

Réponse à l’objection N°1 : Ce texte doit s’entendre de la nécessité de coaction (Il s’agit là de la coaction extérieure, qui violente la volonté.), qui produit l’involontaire et qui exclut la dévotion. C’est pourquoi il dit expressément : de peur que nous ne fassions une chose volontaire, non pas avec dévotion, mais malgré nous. Au contraire la nécessité que le vœu impose rend la volonté immuable ; par conséquent, tout en l’affermissant, elle augmente la dévotion. C’est pourquoi ce raisonnement n’est pas concluant.

 

Objection N°2. Saint Paul dit (2 Cor., 9, 7) : Que chacun donne ce qu’il aura déterminé en lui-même, non avec tristesse, ni par force ; car Dieu aime celui qui donne avec joie. Or, ce que l’on fait par vœu, on le fait avec tristesse, et il semble qu’on le fasse par suite de la nécessité que le vœu impose ; car la nécessité contriste, comme le dit Aristote (Met., liv. 5, text. 6). Il vaut donc mieux faire une chose sans vœu que par vœu.

Réponse à l’objection N°2 : La nécessité de coaction, selon qu’elle est contraire à la volonté, produit la tristesse, d’après Aristote, au lieu que la nécessité du vœu affermit la volonté dans ceux qui sont bien disposés, et ne produit pas la tristesse, mais la joie. C’est ce qui fait dire à saint Augustin dans sa lettre à Armentarius (Ep. 127) : « Ne vous repentez pas d’avoir fait des vœux, mais réjouissez-vous plutôt de ce qu’il ne vous est plus permis de faire des choses qui ne pouvaient tourner qu’à votre détriment. » Et quand l’œuvre, considérée en elle-même, causerait de la tristesse et deviendrait involontaire après que le vœu est fait, cependant, pourvu que l’on ait la volonté de remplir un vœu (Si dans cette hypothèse on avait perdu tout attachement pour la chose que l’on a vouée, et qu’on n’exécutât son vœu que par crainte de l’enfer ou par quelque motif humain, alors l’acte ne serait pas méritoire, parce qu’on ne le ferait pas pour plaire à Dieu.), l’action serait encore plus méritoire que si on la faisait sans vœu, parce que l’accomplissement d’un vœu est un acte de religion, et que la religion est une vertu plus élevée que l’abstinence, dont le jeûne est un acte.

 

Objection N°3. Le vœu est nécessaire pour fixer irrévocablement la volonté de l’homme à la chose que l’on voue, comme nous l’avons vu (art. 4). Or, on ne peut pas mieux fixer la volonté pour faire une chose que quand elle la fait actuellement. Il n’est donc pas mieux de faire une chose avec vœu que sans cela.

Réponse à l’objection N°3 : Celui qui fait quelque chose sans vœu a une volonté ferme et immuable relativement à l’œuvre particulière qu’il fait, et au moment où il la fait ; mais sa volonté ne reste pas absolument fixée pour l’avenir, comme celle de celui qui fait un vœu et qui s’oblige à faire une chose avant de faire tel ou tel acte particulier, et qui s’engage même à le répéter plusieurs fois s’il le faut.

 

Mais c’est le contraire. A l’occasion de ces paroles du Psalmiste (Ps. 75, 12), Faites des vœux, et acquittez-les, la glose dit : qu’on conseille à la volonté de faire des vœux. Or, on ne conseille qu’un plus grand bien. Donc il est mieux de faire une chose par vœu que sans vœu, parce que celui qui agit sans faire de vœu ne remplit qu’un conseil, celui qui se rapporte à l’acte qu’il fait ; tandis que celui qui agit en faisant un vœu en remplit deux, le conseil du vœu et celui de l’action qu’il exécute.

 

Conclusion Faire un vœu étant un acte de religion, il est plus louable et plus méritoire de faire une chose par vœu que de la faire sans cela.

Il faut répondre qu’il est mieux et plus méritoire de faire une chose par vœu que sans vœu, et cela pour trois raisons : parce que le vœu, comme nous l’avons dit (art. préc.), est un acte de religion, et la religion est la principale des vertus morales. Or, l’acte de la vertu la plus noble est meilleur et plus méritoire. Par conséquent, l’acte d’une vertu inférieure devient meilleur et plus méritoire par là même qu’il est commandé par une vertu supérieure, dont l’acte est produit par le commandement. C’est ainsi que l’acte de foi ou d’espérance est meilleur, s’il est commandé par la charité. C’est pourquoi les actes des autres vertus morales (tels que le jeûne qui est un acte d’abstinence, et la continence qui est un acte de chasteté) sont meilleurs et plus méritoires, s’ils sont faits par vœu, parce qu’alors ils appartiennent au culte divin, comme des espèces de sacrifices. C’est ce qui fait dire à saint Augustin (Lib. de virg., chap. 8) que la virginité n’est pas honorée pour elle-même, mais parce qu’elle est consacrée à Dieu, et que la continence de la piété l’embrase et la conserve. 2° Parce que celui qui fait un vœu et qui l’exécute se soumet plus à Dieu que celui qui fait seulement une action. En effet il se soumet à Dieu, non seulement quant à l’acte, mais encore quant à la puissance, puisqu’il ne peut plus faire autre chose. C’est ainsi qu’on ferait un plus grand présent en donnant un arbre avec ses fruits qu’en donnant seulement les fruits, comme l’observe saint Anselme (Lib. de simil., chap. 84 à princ.). C’est encore pour cela qu’on remercie ceux qui promettent, comme nous l’avons dit (art. préc., Réponse N°2). 3° Parce que, par le vœu, la volonté est irrévocablement fixée dans le bien ; car il appartient à la perfection de la vertu de faire le bien avec une volonté ferme, comme on le voit (Eth., liv. 2, chap. 4). C’est dans le même sens que l’obstination de la volonté dans le mal aggrave le péché, et qu’on dit que l’on pèche contre l’Esprit-Saint, comme nous l’avons vu (quest. 14, art. 1).

 

Article 7 : Le vœu est-il rendu solennel par la promotion aux ordres sacrés et par la profession d’une règle particulière ?

 

Objection N°1. Il semble que le vœu ne soit pas rendu solennel par la promotion aux ordres sacrés et la profession d’une règle particulière. Car le vœu, comme nous l’avons dit (art. 4), est une promesse faite à Dieu. Or, les choses extérieures que l’on fait pour une solennité ne paraissent pas se rapporter à Dieu, mais aux hommes. C’est donc par accident que cette solennité se rapporte au vœu, et par conséquent elle n’en est pas la condition propre.

Réponse à l’objection N°1 : La solennité du vœu n’appartient pas seulement aux hommes, mais elle appartient encore à Dieu, dans le sens qu’il est l’auteur de la bénédiction ou de la consécration spirituelle qui l’accompagne, quoique l’homme en soit le ministre, d’après ces paroles de l’Ecriture (Nom., 6, 27) : Ils invoqueront mon nom sur les enfants d’Israël, et je les bénirai. C’est pourquoi le vœu solennel oblige plus strictement devant Dieu que le vœu simple, et que celui qui le transgresse fait un péché plus grave (Les vœux solennels sont réservés au pape ; parmi les vœux simples, il n’y a que les vœux de chasteté perpétuelle, le vœu d’entrer en religion, et les vœux des pèlerinages de Jérusalem, de Rome et de Saint-Jacques à Compostelle.). Quand on dit que le vœu simple n’oblige pas moins devant Dieu que le vœu solennel, on doit entendre par là qu’on pèche mortellement en les transgressant l’un et l’autre.

 

Objection N°2. Ce qui appartient à la condition d’une chose paraît pouvoir convenir à tous les sujets dans lesquels cette chose se trouve. Or, il y a beaucoup de choses qui peuvent être la matière d’un vœu et qui n’appartiennent ni aux ordres sacrés, ni à une règle particulière, comme quand on fait vœu de faire un pèlerinage. La solennité qui a lieu dans une ordination ou dans une profession religieuse n’appartient donc pas à la condition du vœu.

Réponse à l’objection N°2 : On n’a pas coutume d’inaugurer les actes particuliers par une solennité, maison la réserve pour celui qui prend un nouvel état, comme nous l’avons dit (dans le corps de cet article). C’est pourquoi, quand on fait vœu de faire quelques œuvres particulières, comme un pèlerinage, un jeûne, il ne convient pas que ce vœu soit solennel. Il n’y a de solennité que pour le vœu par lequel on se livre totalement au ministère ou au service de Dieu. Mais ce vœu comprend dans sa généralité une foule d’œuvres particulières.

 

Objection N°3. Le vœu solennel paraît être le même que le vœu public. Or, on peut faire en public beaucoup d’autres vœux que celui qu’on fait en recevant les ordres sacrés ou en faisant profession d’une règle particulière. Ces vœux-là peuvent même se faire en secret. Il n’y a donc pas que ceux-là qui soient solennels.

Réponse à l’objection N°3 : Les vœux, lorsqu’on les fait en public, peuvent avoir par là une certaine solennité humaine, mais ils n’ont pas la solennité spirituelle et divine comme les vœux précédents, quand même on ferait ces derniers devant peu de monde. Ainsi le vœu public n’est pas le même que le vœu solennel (Il n’est pas facile de dire si nous avons actuellement en France des ordres religieux proprement dits. D’après une décision de la pénitencerie, les vœux des religieuses ne seraient que des vœux simples. Il paraîtrait qu’il en serait de même des trappistes. À l’égard de ceux qui suivent la règle de saint Benoît, de saint Dominique, de saint François, le souverain pontife ne s’est pas prononcé (Voy. M. Carrière, De justitiâ et jure, n° 225).).

 

Mais c’est le contraire. Il n’y a que ces vœux qui empêchent de contracter mariage et qui le diriment, si on le contracte ; ce qui est l’effet du vœu solennel, comme nous le verrons dans la troisième partie de cet ouvrage.

 

Conclusion La solennité du vœu se célèbre de deux manières : quand en recevant les ordres sacrés on se dévoue tout entier au ministère de Dieu, et quand en faisant profession d’une règle religieuse, on quitte le siècle, on renonce à sa volonté propre pour embrasser l’état de perfection.

Il faut répondre qu’on donne à chaque chose la solennité convenable à sa condition. Ainsi la solennité d’une nouvelle milice, qui consiste dans l’appareil des chevaux et des armes, et dans le concours des soldats, est autre que la solennité d’une noce, qui consiste dans l’appareil de l’époux et de l’épouse et dans la réunion des parents. Or, le vœu est une promesse faite à Dieu. Par conséquent la solennité du vœu se considère d’après quelque chose de spirituel qui se rapporte à Dieu, c’est-à-dire d’après la bénédiction spirituelle ou la consécration (Par la bénédiction ou la consécration, saint Thomas entend cette consécration qui dédie a Dieu une personne ou qui l’attache à son culte pour jamais.) qui a lieu dans la profession religieuse ou dans la promotion aux ordres sacrés, suivant l’institution des apôtres, comme le dit saint Denis (De hier. eccles., chap. 2). La raison en est qu’on n’a l’habitude de faire des solennités que quand quelqu’un se met totalement au service d’une chose. Car la solennité nuptiale n’a lieu que dans le mariage, où chacun des deux époux donne à l’autre puissance sur son corps. De même le vœu n’est solennel que quand, par la réception des ordres sacrés, on se livre au ministère de l’autel (Le saint ministère étant le but direct de l’ordination, il est à remarquer que le vœu de continence que l’on fait alors n’est pas un vœu solennel proprement dit.), ou qu’en faisant profession d’une règle on renonce au siècle et à sa propre volonté pour arriver à la perfection chrétienne.

 

Article 8 : Ceux qui sont soumis à la puissance d’un autre sont-ils empêchés de faire des vœux ?

 

Objection N°1. Il semble que ceux qui sont soumis à la puissance d’un autre ne soient pas empêchés de faire des vœux. Car un plus faible lien est rompu par un plus fort. Or, l’obligation par laquelle on est soumis à l’homme est un lien moins puissant que le vœu par lequel on s’oblige envers Dieu. Ceux qui sont soumis à une puissance étrangère peuvent donc faire des vœux.

Réponse à l’objection N°1 : On ne peut promettre à Dieu que des actes de vertu, comme nous l’avons dit (art. 2 de cette même question.). Or, il est contraire à la vertu qu’on offre à Dieu ce qui appartient à autrui, comme nous l’avons vu (quest. 32, art. 7, et quest. 86, art. 3). C’est pourquoi il ne peut y avoir vœu absolument, quand quelqu’un qui se trouve sous la puissance d’un autre, voue ce qui est au pouvoir de ce dernier, sinon quand il le fait sous la condition que son supérieur ou son maître ne le contredira pas (Le supérieur n’a pas même besoin de raison pour irriter validement les vœux d’un inférieur ; mais s’il le fait sans motif, il pèche véniellement (saint Liguori, Theol. moral., liv. 3, n° 225).).

 

Objection N°2. Les enfants sont sous la puissance de leurs parents. Or, ils peuvent entrer en religion sans leur consentement. On n’est donc pas empêché de faire un vœu parce qu’on est soumis à la puissance d’un autre.

Réponse à l’objection N°2 : Quand l’homme est arrivé à l’âge de puberté, s’il est de condition libre, il peut disposer de ce qui appartient à sa personne ; par exemple, il peut s’engager à vivre en religion par un vœu, ou il peut se marier ; mais il n’est pas maître de disposer de ses biens de famille (Les parents peuvent irriter, du moins indirectement, les vœux qui tendraient à contrarier les intérêts de la famille, comme un long pèlerinage, des prières longues, incompatibles avec le travail intérieur de la maison. Sanchez et plusieurs autres prétendent qu’ils peuvent les irriter même directement.) ; par conséquent à ce sujet il ne peut faire aucun vœu qui soit consommé sans le consentement de son père. Quant au serf (Il s’agit ici du serf, qui était la chose du maître ; il n’en est plus de même du domestique.), comme il est au pouvoir de son maître relativement à ses opérations personnelles, il ne peut pas s’attacher par un vœu à un ordre religieux, d’où l’autorité de son maître pourrait le faire sortir.

 

Objection N°3. Faire c’est plus que de promettre. Or, les religieux, qui sont sous la puissance de leurs supérieurs, peuvent faire certaines choses sans leur permission. Ainsi ils peuvent dire des psaumes ou faire des abstinences. Il semble donc qu’à plus forte raison ils peuvent faire à Dieu une promesse en lui faisant un vœu.

Réponse à l’objection N°3 : Le religieux est soumis à son supérieur pour ses actions, conformément à la règle qu’il a embrassée. C’est pourquoi, bien qu’on puisse faire certaines choses à des heures où l’on n’est pas appelé ailleurs par le supérieur ; cependant comme il n’y a pas d’instant où le supérieur ne puisse donner au religieux une occupation quelconque, celui-ci ne peut faire aucun vœu stable que du consentement de son supérieur (Il n’y a que le vœu de passer à un ordre plus sévère que le supérieur ne peut pas irriter directement.), comme une fille ne peut faire aucun vœu sans le consentement de ses parents, ni la femme sans le consentement de son mari (Le mari irrite indirectement les vœux de la femme quand ils sont contraires à leurs droits réciproques, et il y a des théologiens qui croient qu’il peut même irriter indirectement les autres (saint Liguori, Theol. moral., liv. 3, n° 234).).

 

Objection N°4. Celui qui fait ce qu’en droit il ne peut pas faire, pèche. Or, ceux qui sont soumis à d’autres ne pèchent pas en faisant un vœu, puisque cela ne se trouve défendu nulle part. Il semble donc qu’ils aient le droit de faire un vœu.

Réponse à l’objection N°4 : Quoique le vœu de ceux qui sont sous la puissance d’un autre ne soit pas inviolable sans le consentement de ceux auxquels ils obéissent, cependant ils ne pèchent pas en le faisant, parce que leur vœu renferme cette condition nécessaire, s’il plaît à mes supérieurs ou du moins s’ils ne s’y opposent pas.

 

Mais c’est le contraire. La loi dit (Nom., 30, 4) que quand une femme a fait un vœu étant dans la maison de son père et encore jeune, elle n’est point obligée à le remplir, si son père n’y consent pas. Elle décide la même chose pour la femme qui a un mari. Donc, pour le même motif, ceux qui sont soumis à la puissance d’autrui ne peuvent pas s’obliger par un vœu.

 

Conclusion Celui qui est soumis à un autre ne peut pas se lier irrévocablement par un vœu à l’égard des choses pour lesquelles il doit être dépendant, à moins que son supérieur n’y consente.

Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. 4), le vœu est une promesse faite à Dieu. Or, personne ne peut par une promesse s’obliger fermement à l’égard de ce qui est au pouvoir d’un autre ; on ne le peut qu’à l’égard de ce qu’on a absolument en son pouvoir. Or, celui qui est soumis à quelqu’un ne peut pas faire ce qu’il veut relativement aux choses pour lesquelles il lui doit obéissance, mais il dépend de sa volonté. C’est pourquoi il ne peut pas s’obliger à cet égard par un vœu irrévocable sans le consentement de son supérieur.

 

Article 9 : Les enfants peuvent-ils s’obliger par un vœu à entrer en religion ?

 

Objection N°1. Il semble que les enfants ne puissent pas s’obliger par un vœu à entrer en religion. Car puisque le vœu demande qu’il y ait délibération, il n’y a que ceux qui ont l’usage de la raison qui puissent en faire. Or, la raison n’existe pas plus dans les enfants que dans les fous ou les furieux. Par conséquent comme les fous et les furieux ne peuvent pas s’astreindre à une chose par un vœu, de même il semble que les enfants ne puissent pas non plus s’engager de cette manière à entrer en religion.

Réponse à l’objection N°1 : Ce raisonnement repose sur les enfants qui n’ont pas encore l’usage de raison et dont les vœux ne sont pas valides, comme nous l’avons dit (dans le corps de cet article.).

 

Objection N°2. Ce qui peut être fait légalement par quelqu’un ne peut pas être annulé par un autre. Or, les parents ou le tuteur peuvent révoquer un vœu de religion fait par un petit garçon ou par une petite fille avant l’âge de puberté, comme on le voit (hab. 20, quest. 2, can. Puella). Il semble donc qu’un enfant ne puisse pas légitimement faire des vœux avant l’âge de quatorze ans.

Réponse à l’objection N°2 : Les vœux de ceux qui sont sous la puissance des autres sont implicitement conditionnels, c’est-à-dire qu’on les fait sous la condition qu’ils ne seront pas révoqués par le supérieur. Cette condition, quand elle existe, les rend licites et valides, comme nous l’avons dit (art. préc.).

 

Objection N°3. Pour ceux qui entrent en religion il faut une année de noviciat, d’après la règle de saint Benoît (chap. 68), et d’après un décret d’Innocent IV (hab., chap. Consaldus, 17, quest. 2), il le faut pour que l’épreuve précède l’obligation qui résulte du vœu. Il paraît donc illicite que les enfants s’obligent par un vœu à entrer en religion avant une année de noviciat.

Réponse à l’objection N°3 : Ce raisonnement repose sur le vœu solennel que l’on fait au moyen de la profession.

 

Mais c’est le contraire. Ce qui n’est pas fait légitimement n’est pas valide, quoiqu’il ne soit révoqué par personne. Or, le vœu d’un enfant fait avant l’âge de puberté est valide, s’il n’est pas révoqué par les parents dans l’espace d’un an, comme on le voit (habet. 20, quest. 2, can. Puella). Les enfants peuvent donc licitement et légitimement s’obliger par un vœu à entrer en religion, même avant qu’ils aient l’âge de puberté.

 

Conclusion Les enfants avant l’âge de puberté, s’ils n’ont pas l’usage de la raison, ne peuvent pas s’obliger à quelque chose par un vœu ; mais s’ils l’ont atteint, ils peuvent ainsi s’obliger, quoique leurs vœux puissent être annulés par ceux qui ont pouvoir sur eux ; toutefois ils ne peuvent d’aucune manière s’obliger par un vœu solennel, quoiqu’ils aient l’usage de raison, au lieu qu’après qu’ils ont l’âge de puberté, ils peuvent se lier par un vœu simple aussi bien que par un vœu solennel.

Il faut répondre que, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (art. 7), il y a deux sortes de vœu : le vœu simple et le vœu solennel. La solennité du vœu consistant dans une bénédiction spirituelle et dans une consécration qui se fait, comme nous l’avons dit (ibid.), par le ministère de l’Eglise, il s’ensuit que l’Eglise peut dispenser de la solennité du vœu. Mais le vœu simple tire son efficacité de la délibération de l’esprit par laquelle on a l’intention de s’obliger. Or, il peut arriver de deux manières que cette obligation n’ait pas de force : 1° A cause du défaut de raison, comme on le voit à l’égard des furieux et des fous, qui ne peuvent s’obliger à quelque chose par un vœu, tant qu’ils sont dans leur fureur ou leur démence. 2° Parce que celui qui fait le vœu est soumis à la puissance d’un autre, comme nous l’avons dit (art. préc.). — Ces deux causes se trouvent dans les enfants avant l’âge de puberté, parce qu’ordinairement ils manquent de raison et qu’ils sont naturellement sous la garde de leurs parents ou de tuteurs qui leur en tiennent lieu. C’est pourquoi, pour ce double motif, leurs vœux sont nuls. Cependant il arrive que par suite de la disposition de la nature qui n’est pas soumise aux lois humaines, il y en a quelques-uns, quoique en petit nombre, chez lesquels la raison est plus précoce, et qu’on dit pour ce motif plus rusés. Ils ne sont cependant pas pour cela affranchis de la surveillance de leurs parents, qui se trouve réglée par les lois humaines qui se basent sur ce qui a lieu communément. — Par conséquent on doit dire que si un garçon ou une fille, avant l’âge de puberté, n’a pas encore l’usage de raison, cet enfant ne peut d’aucune manière s’obliger à quelque chose par un vœu (Pour qu’un enfant puisse faire un vœu obligatoire, il faut qu’il ait assez de raison pour commettre une faute grave. On présume généralement nul pour défaut de raison un vœu fait avant l’âge de sept ans.) ; mais si avant l’âge de puberté (L’âge de puberté, c’est-à-dire l’âge de douze ans pour les filles, et de quatorze ans accomplis pour les garçons.) il atteint l’usage de raison, il ne peut pas s’obliger autant qu’il est en lui, mais son vœu peut être annulé par ses parents (Ce droit appartient directement au père ; à son défaut, il est dévolu à la mère, si elle est tutrice, et à défaut de père et de mère, au tuteur de l’enfant.), sous la garde desquels il se trouve placé. D’ailleurs, quelle que soit son intelligence, il ne peut faire le vœu solennel de religion avant l’âge de puberté, parce que les règlements ecclésiastiques (Pour faire un vœu solennel, il faut que l’on ait seize ans accomplis, d’après le concile de Trente (sess. 25, chap. De regularibus).), qui se fondent sur ce qui arrive ordinairement, s’y opposent. Mais après avoir atteint cet âge, les enfants peuvent s’obliger à entrer en religion, par un vœu simple ou par un vœu solennel, sans la volonté de leurs parents (Tous les docteurs et les conciles sont unanimes sur ce point (Voyez saint Liguori, liv. 4, n°68). Cependant si un enfant ne pouvait quitter ses parents sans les laisser dans une nécessité grave, il ne devrait pas les abandonner, à moins qu’il n’y ait pour son salut de trop grands périls à rester dans le monde (Voy. inf., quest. 189, art. 6, et Quodlibet, 10, art. 9).).

 

Article 10 : Peut-on dispenser d’un vœu ?

 

Objection N°1. Il semble qu’on ne puisse dispenser d’un vœu. Car commuer un vœu, c’est moins que d’en dispenser. Or, on ne peut commuer un vœu, puisqu’il est dit (Lév., 27, 9) : Si l’on a voué un animal qui peut être immolé, il sera sacré ; on ne pourra le changer, ni en donner un meilleur ou un pire. On peut donc encore beaucoup moins en dispenser.

Réponse à l’objection N°1 : L’animal qui pouvait être immolé, par là même qu’il était voué, était regardé comme sacré et comme appartenant au culte divin. C’était pour ce motif qu’on ne pouvait le changer ; comme on ne pourrait maintenant changer une chose que l’on aurait vouée et qui serait consacrée (comme un calice ou une maison) en la remplaçant par une autre qui serait pire ou meilleure. Mais quand il s’agissait d’un animal qui ne pouvait devenir sacré, parce qu’il n’était pas de ceux qu’on immole, on pouvait le racheter et on le devait, comme la loi le dit (ibid.). Actuellement nos vœux peuvent être de même commués, si la consécration de la chose que nous avons vouée n’a pas eu lieu.

 

Objection N°2. L’homme ne peut dispenser des choses qui appartiennent à la loi naturelle, ni des préceptes divins, surtout des préceptes de la première table, qui se rapportent directement à l’amour de Dieu qui est la fin dernière des commandements. Or, l’accomplissement d’un vœu appartient à la loi naturelle ; c’est aussi un précepte de la loi divine, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (art. 3) ; et il appartient aux préceptes de la première table, puisque c’est un acte de religion. On ne peut donc pas dispenser d’un vœu.

Réponse à l’objection N°2 : Comme on est tenu de droit naturel et par le précepte divin d’accomplir son vœu ; de même on est tenu, au même titre, d’obéir à la loi ou à l’ordre de ses supérieurs. Cependant quand on est dispensé d’une loi humaine, il ne s’ensuit pas qu’on désobéit à cette loi, ce qui est contraire à la loi naturelle et au commandement de Dieu : mais il en résulte que ce qui était loi ne l’est plus dans ce cas. De même l’autorité du supérieur qui dispense d’un vœu, fait que ce qui était compris sous ce vœu n’y est plus compris, en décidant que dans ce cas particulier il n’est plus convenable que telle ou telle action soit la matière d’un vœu. C’est pourquoi quand un supérieur ecclésiastique dispense d’un vœu, il ne dispense pas d’un précepte de droit naturel ou de droit divin, mais il détermine (En disant qu’il détermine, ce mot ne doit pas s’entendre qu’il décide scientifiquement à la façon d’un canoniste, que l’on n’est pas tenu dans cette circonstance, mais il faut entendre que par la force de son autorité il délie de l’obligation que l’on avait contractée.) ce qui est obligatoire dans la délibération humaine, qui n’a pu tout considérer.

 

Objection N°3. L’obligation du vœu est fondée sur la fidélité que l’homme doit à Dieu, comme nous l’avons dit (art. 3). Or, personne ne peut dispenser de cette fidélité ; par conséquent on ne peut pas dispenser du vœu.

Réponse à l’objection N°3 : Il n’appartient pas à la fidélité due à Dieu que l’homme observe un vœu dont l’exécution est une chose qui est mauvaise ou inutile, ou qui est un obstacle à un plus grand bien. C’est pour cela qu’on dispense du vœu, et par conséquent cette dispense n’est pas contraire à la fidélité qu’on doit à Dieu.

 

Mais c’est le contraire. Ce qui procède de la volonté commune d’un grand nombre paraît être plus ferme que ce qui procède de la volonté particulière d’une personne. Or, l’homme peut dispenser de la loi, qui tire sa force de la volonté commune. Il semble donc qu’il puisse aussi dispenser d’un vœu.

 

Conclusion Comme le supérieur a le pouvoir de dispenser d’une loi pour un plus grand bien, de même il a celui de commuer les vœux et d’en dispenser.

Il faut répondre que l’on doit dispenser du vœu de la même manière que l’on dispense de l’observation d’une loi quelconque. Car, comme nous l’avons dit (1a 2æ, quest. 90, art. 2), la loi a pour objet ce qui est bon dans le plus grand nombre de circonstances. Mais, parce qu’il arrive que ce qui est bon de cette manière ne l’est pas dans certain cas, il a fallu décider que dans certaine circonstance particulière on ne devrait pas observer la loi (Dans ce cas, la matière est complètement changée, l’obligation du vœu est pour ce motif absolument éteinte. Saint Thomas pose à cet égard cette règle générale : Illud quod votum fieri impediret, si præsens esset, etiam voto facto, obligationem aufert (in 4, dist. 58, quest. 1, art. 3). Il n’y a d’exception que pour les vœux solennels et le vœu simple de chasteté.) ; ce qui constitue, à proprement parler, une dispense. Car le mot dispense paraît désigner une répartition équitable ou l’application d’une chose commune à tout ce qui est compris sous elle. C’est ainsi qu’on dit qu’on dispense la nourriture à la famille. — De même celui qui fait un vœu, s’impose en quelque sorte une loi, en s’obligeant à quelque chose qui est bon en soi, et dans le plus grand nombre des cas. Cependant il peut arriver que dans une circonstance particulière, la chose à laquelle il s’est obligé soit ou absolument mauvaise ou inutile, ou qu’elle empêche un plus grand bien ; ce qui est contraire à la nature de ce qui est la matière du vœu, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (art. 2). C’est pourquoi il est nécessaire que l’on décide que dans cette circonstance on ne doit pas observer son vœu (S’il y avait doute sur le changement de matière, il faudrait s’en rapporter à l’ordinaire, et observer le vœu jusqu’à ce qu’on en soit dispensé.). — Si on le décide absolument, on dit que l’on est dispensé du vœu ; si au lieu de la chose à laquelle on s’était engagé, on en impose une autre, on dit que le vœu est commué. Par conséquent la commutation du vœu est moindre que la dispense, mais l’Eglise a le pouvoir de faire l’une et l’autre.

 

Article 11 : Peut-on dispenser du vœu solennel de continence ?

 

Objection N°1. Il semble qu’on puisse dispenser du vœu solennel de continence. Car c’est un motif de dispenser d’un vœu, quand il fait obstacle à un plus grand bien, comme nous l’avons dit (art. préc.). Or, le vœu de continence, quoiqu’il soit solennel, peut empêcher un plus grand bien. En effet le bien général est plus divin que le bien d’un seul. Or, la continence d’un individu peut empêcher le bien d’une société tout entière ; par exemple, dans le cas où en mariant ensemble des personnes qui ont fait vœu de continence, on pourrait rendre la paix à leur patrie. Il semble donc qu’on puisse dispenser de ce vœu.

Réponse à l’objection N°1 : On doit obvier aux périls des choses humaines par les choses humaines, mais les choses divines ne doivent pas être employées à un usage humain. Or, ceux qui ont fait leur profession religieuse sont morts au monde et vivent pour Dieu. On ne doit donc pas les rappeler à la vie du siècle à l’occasion de quelque événement.

 

Objection N°2. La religion est une vertu plus noble que la chasteté. Or, si l’on a fait vœu d’accomplir un acte de religion, comme d’offrir à Dieu un sacrifice, on peut en être dispensé. Donc, à plus forte raison, peut-on être dispensé du vœu de continence, qui a pour objet un acte de chasteté.

Réponse à l’objection N°2 : On peut dispenser du vœu de la continence temporelle aussi bien que du vœu de la prière ou de l’abstinence temporelle. Mais on ne peut dispenser du vœu de continence rendu solennel par la profession religieuse, non parce qu’il est par sa nature un acte de chasteté, mais parce qu’il commence à appartenir à la religion par le fait de la profession religieuse.

 

Objection N°3. Comme l’observation du vœu de l’abstinence peut devenir dangereuse pour la santé d’une personne, de même l’observation du vœu de continence. Or, si le vœu d’abstinence vient à nuire à la santé de celui qui l’a fait, on peut l’en dispenser. Pour la même raison, on peut donc le dispenser du vœu de continence.

Réponse à l’objection N°3 : La nourriture a directement pour but la conservation de l’individu ; c’est pourquoi l’abstinence (Du moment où l’abstinence met la vie de l’individu en péril, elle cesse d’être un acte de vertu, et c’est ce qui établit entre elle et la continence une différence profonde.) peut directement mettre la vie d’une personne en péril. C’est pour ce motif que l’on en dispense. Mais l’œuvre de la chair ne se rapporte pas directement à la conservation de l’individu ; elle se rapporte seulement à la conservation de l’espèce. Par conséquent la chasteté n’est pas directement dangereuse pour les jours de la personne qui l’observe. Toutefois, s’il en résulte par accident un danger personnel, on peut y subvenir autrement, par l’abstinence ou par d’autres remèdes corporels.

 

Objection N°4. Comme le vœu de continence est compris sous la profession religieuse qui rend le vœu solennel, de même le vœu de pauvreté et d’obéissance. Or, on peut dispenser du vœu de pauvreté et d’obéissance, comme on le voit à l’égard de ceux qui sont élevés à l’épiscopat après leur profession. Il semble donc qu’on puisse dispenser du vœu solennel de continence.

Réponse à l’objection N°4. Il faut répondre au quatrième, que le religieux qui devient évêque n’est pas plus relevé de son vœu de pauvreté que de son vœu de continence, car il ne doit rien avoir en propre, mais il possède seulement comme dispensateur des biens généraux de l’Eglise. De même il n’est pas non plus affranchi de son vœu d’obéissance ; mais par accident il n’est pas tenu d’obéir, s’il n’a pas de supérieur, comme l’abbé d’un monastère n’obéit pas, quoiqu’il ne soit pas exempt du vœu d’obéissance. — Quant au passage de l’Ecriture que l’on objecte, il faut entendre par là que ni la fécondité de la chair, ni aucun bien corporel n’est comparable au bien de la continence que l’on range parmi les biens de l’âme, comme le dit saint Augustin (Lib. de sanct. virg., chap. 7 et 8 et Lib. de bon. conjug., chap. 21). C’est pourquoi il dit expressément : l’âme continente et non la chair continente.

 

Mais c’est le contraire. Il est dit (Ecclésiastique, 26, 20) : Tout le prix de l’or n’est rien comparativement à une âme chaste. Et le droit s’exprime ainsi (Extrà De stat. monach., Cùm ad monasterium). Le renoncement au droit de propriété, ainsi que la conservation de la chasteté, sont tellement annexés à la règle des moines, que le souverain pontife lui-même ne peut pas permettre d’aller contre.

 

Conclusion Le souverain pontife lui-même ne peut pas dispenser du vœu solennel de continence consacré par la profession religieuse, mais l’Eglise peut dispenser du vœu qui a été rendu solennel par la réception des ordres sacrés.

Il faut répondre que dans le vœu solennel de continence on peut considérer trois choses : 1° la matière du vœu, c’est-à-dire la continence elle-même ; 2° la perpétuité du vœu, c’est-à-dire quand on s’engage à l’observance perpétuelle de la continence ; 3° la solennité même du vœu. — Il y a des auteurs qui disent qu’on ne peut dispenser du vœu solennel en raison de la continence elle-même, qui ne reçoit pas de compensation adéquate, selon le passage de l’Ecriture que nous venons de citer. D’autres en donnent cette raison, c’est que par la continence l’homme triomphe de son ennemi domestique ; ou parce qu’au moyen de cette vertu il est parfaitement conforme au Christ par sa pureté d’âme et de corps. Mais cette raison ne paraît pas concluante. Car les biens de l’âme, comme la contemplation et la prière, sont bien préférables aux biens du corps et nous rendent plus conformes à Dieu ; cependant on peut dispenser du vœu de la prière ou de la contemplation. Par conséquent il ne semble pas qu’il y ait de raison qui empêche de dispenser du vœu de continence, si on s’en rapporte absolument à la dignité de la continence elle-même. Surtout quand on considère que l’Apôtre engage à la continence pour qu’on se livre à la contemplation, en disant (1 Cor., 7, 34) que la femme qui n’est pas mariée pense aux choses de Dieu. Or, la fin l’emporte sur les moyens. — C’est pourquoi d’autres théologiens en donnent une raison tirée de la perpétuité et de l’universalité de ce vœu. Ainsi ils disent qu’on ne peut manquer au vœu de continence qu’en faisant ce qui lui est absolument contraire ; ce qui n’est jamais permis pour un vœu. Mais ce raisonnement est manifestement faux. Car, comme l’œuvre de la chair est contraire à la continence, de même il est contraire à l’abstinence de manger de la viande ou de boire du vin, et cependant on peut dispenser de cette espèce de vœu. C’est pour ce motif qu’il y a d’autres théologiens qui ont cru que l’on pouvait dispenser du vœu solennel de continence pour un motif d’intérêt général ou pour une raison de nécessité, comme dans l’exemple que nous avons cité (Objection N°1), lorsque par un mariage on peut pacifier un Etat. Mais le droit disant expressément (loc. cit.) que le souverain pontife ne peut pas permettre à un moine de ne pas observer son vœu de chasteté (Cette décrétale a été expliquée par le pape Célestin III, qui dit que l’on ne peut être dispensé du vœu de chasteté et rester moine néanmoins.), il s’ensuit que l’on ne peut suivre ce sentiment. Il faut donc dire, comme nous l’avons observé (art. préc. Objection N°1 et Réponse N°1), que ce qui a été une fois sanctifié ou consacré au Seigneur ne peut pas servir à d’autres usages (Lév., chap. 27.). Un supérieur ecclésiastique ne peut pas faire que ce qui a été sacré perde sa consécration, même dans les choses inanimées ; ainsi il ne peut pas faire qu’un calice cesse d’être consacré, s’il subsiste en entier (Cajétan observe que saint Thomas n’a pas voulu dire que la bénédiction du moine imprimait sur celui qui la recevait un caractère indélébile, comme le sacrement de l’Ordre ; qu’il n’a pas eu non plus l’intention de dire qu’il ne peut pas se faire que celui qui a reçu une bénédiction ne l’ait pas reçue ; car, dans ce cas, Dieu ne peut rien lui-même sur un événement passé. Mais sa pensée c’est qu’un religieux ayant été consacré, aucune puissance humaine ne peut lui enlever son titre, tant qu’il est sur la terre.). Par conséquent il peut encore moins faire qu’un homme consacré à Dieu cesse de l’être, tant qu’il vit. Or, la solennité du vœu consiste dans la consécration ou la bénédiction de celui qui le fait, comme nous l’avons dit (art. 7). C’est pour ce motif qu’un supérieur ecclésiastique ne peut pas faire que celui qui a fait un vœu solennel perde la consécration qu’il a reçue ; par exemple, que celui qui est prêtre ne le soit pas, quoique le prélat puisse pour certaine cause l’empêcher de remplir les fonctions de son ordre. Pour la même raison, le pape ne peut pas faire que celui qui a fait une profession religieuse ne soit pas religieux, quoique quelques canonistes aient dit par ignorance le contraire. — Il faut donc examiner si la continence est essentiellement annexée à la solennité du vœu, parce que si elle n’est pas essentiellement annexée, la solennité de la consécration peut subsister sans qu’on soit tenu à la continence, ce qui ne peut avoir lieu si elle lui est annexée essentiellement. Or, le devoir de la continence n’est pas essentiellement annexé aux ordres sacrés ; il ne l’est que d’après les lois de l’Eglise. Par conséquent on voit que l’Eglise peut dispenser du vœu de continence qui a été rendu solennel (Ce vœu, comme nous l’avons observé (quest. 83, art. 9), n’est pas véritablement un vœu solennel.) par la réception des ordres sacrés. Mais le devoir de la continence est essentiel à l’état religieux, par lequel l’homme renonce au monde pour se dévouer tout entier au service de Dieu ; ce qui est absolument incompatible avec le mariage, où l’on est obligé de s’occuper de sa femme, de ses enfants, de sa famille et des autres choses que celles-là entraînent. C’est ce qui fait dire à l’Apôtre (1 Cor., 7, 33) que celui qui est marié s’occupe du soin des choses du monde et des moyens de plaire à sa femme, et qu’ainsi il se trouve partagé. Le nom de moine (monachus) vient du mot « μόνος (monos) » (seul, un), par opposition à cette division. C’est pourquoi l’Eglise ne peut dispenser du vœu que la profession religieuse a rendu solennel ; parce que, comme le dit le droit canon, la chasteté est annexée à la règle monastique.

 

Article 12 : Pour commuer un vœu ou pour en dispenser faut-il l’autorité du prélat ?

 

Objection N°1. Il semble que pour commuer un vœu ou pour en dispenser l’autorité du prélat ne soit pas nécessaire. Car on peut entrer en religion sans l’autorité d’un prélat supérieur. Or, par l’entrée en religion on se trouve exempt des vœux que l’on a faits dans le monde, même du vœu de terre sainte. Un vœu peut donc être commué ou dispensé sans l’autorité d’un prélat supérieur.

Réponse à l’objection N°1 : Tous les autres vœux ont pour objet des œuvres particulières, tandis qu’en entrant en religion l’homme donne à Dieu sa vie tout entière (On convient généralement que l’on peut, de son autorité privée, commuer la matière de son vœu en quelque chose qui soit évidemment meilleur.). Comme le particulier est renfermé dans le général ; le droit dit (chap. Scripturæ, de Voto, etc.) : Qu’il ne manque pas à son vœu, celui qui remplace une obéissance momentanée par l’observance perpétuelle d’une règle religieuse. On n’est pas tenu cependant, en entrant en religion, de remplir les jeûnes, les prières ou les autres vœux de ce genre que l’on a faits pendant qu’on était dans le siècle ; parce que celui qui entre en religion meurt à la vie précédente, et que d’ailleurs ces pratiques particulières ne s’harmonisent pas avec la vie du cloître ; et que la règle que l’on a embrassée est déjà un fardeau assez lourd, sans qu’il soit nécessaire d’y ajouter encore.

 

Objection N°2. La dispense du vœu paraît consister en ce que l’on détermine dans quel cas un vœu ne doit pas être observé. Or, si un prélat donne une fausse décision, il ne semble pas que celui qui a fait un vœu en soit exempt, parce qu’aucun prélat ne peut dispenser de l’accomplissement d’un vœu, contrairement au précepte divin, comme nous l’avons dit (art. 10, Réponse N°2 et art. préc.). De même si on décide convenablement, de son autorité propre, le cas où le vœu ne doit pas être rempli, il ne semble pas que l’on soit encore tenu à l’exécution de son vœu, parce que le vœu n’oblige plus dans le cas où il aurait des suites funestes, comme nous l’avons dit (art. 2). Par conséquent pour la dispense d’un vœu l’autorité d’un prélat n’est pas nécessaire.

Réponse à l’objection N°2 : Il y a des auteurs qui ont avancé que les prélats peuvent dispenser des vœux selon leur bon plaisir, parce que, dans tout vœu, la volonté du supérieur est renfermée conditionnellement. C’est ainsi que nous avons dit (art. 8) que dans les vœux de ceux qui sont sous la puissance d’un autre (tels que les serviteurs ou les enfants), on sous-entend cette condition : Si mon père ou si mon maître y consent ; s’ils ne s’y opposent pas. D’après cela tout fidèle pourrait sans remords de conscience ne plus s’occuper de son vœu, du moment où le prélat le lui dirait. — Mais ce sentiment est absolument faux. Car la puissance du prélat spirituel, qui n’est pas le maître, mais le dispensateur des biens spirituels, lui ayant été donnée pour édifier l’Eglise et non pour la détruire, ainsi qu’on le voit (2 Cor., chap. 10) ; comme il ne peut commander des choses qui déplaisent par elles-mêmes à Dieu, c’est-à-dire des péchés ; de même il ne peut pas non plus défendre celles qui lui plaisent par elles-mêmes, c’est-à-dire les actes de vertu. C’est pourquoi l’homme peut absolument faire ces vœux. Cependant il appartient au prélat de déterminer ce qu’il y a de plus vertueux et de plus agréable à Dieu. C’est pourquoi dans les cas évidents la dispense d’un prélat n’excuserait pas de péché ; par exemple, s’il dispensait quelqu’un du vœu d’entrer en religion, sans qu’aucune cause apparente s’y opposât (Toute dispense de vœu accordée sans raison légitime est absolument nulle, quand même celui qui l’accorde serait dans la bonne foi. Pour les raisons suffisantes qui rendent la dispense d’un vœu légitime, voyez saint Liguori (Theol. mor., liv. 3, n°252).). Mais s’il y avait un motif apparent qui rendît la chose douteuse, on pourrait s’en tenir au jugement du prélat qui dispense du vœu ou qui le commue ; au lieu de s’en rapporter à son jugement propre, parce qu’on ne tient pas la place de Dieu ; sinon dans le cas où le vœu qu’on a fait porterait sur une chose évidemment illicite, et qu’on ne pourrait pas facilement avoir recours au supérieur (Il y a des théologiens qui croient que quand la commutation d’un vœu peut se faire en une œuvre certainement égale, on peut, de son autorité privée, se la permettre ; mais ce sentiment paraît avoir dans la pratique de graves inconvénients, parce qu’il est facile de se faire illusion.).

 

Objection N°3. S’il appartient à la puissance des prélats de dispenser d’un vœu, pour la même raison ce droit appartient à tous. Or, il n’appartient pas à tous de dispenser d’un vœu quelconque. La dispense du vœu n’appartient donc pas à leur puissance.

Réponse à l’objection N°3 : Le souverain pontife tenant pleinement la place du Christ dans toute l’Eglise, il a la plénitude de la puissance pour dispenser de tous les vœux qui sont susceptibles de l’être. Quant aux autres prélats inférieurs, ils ont le pouvoir de dispenser des vœux que l’on fait communément et qui ont souvent besoin de dispense, afin qu’on ait plus aisé de recourir à qui de droit. Tels sont les vœux qui ont pour objet les pèlerinages, les jeûnes et les autres choses de cette nature. Mais les grands vœux, tels que le vœu de continence et celui du pèlerinage de la terre sainte, sont réservés au souverain pontife (Aujourd’hui, il y a cinq vœux réservés au souverain pontife, comme nous l’avons observé (quest. 88, art. 8).).

 

Mais c’est le contraire. Comme la loi oblige à faire une chose, de même aussi le vœu. Or, pour dispenser du précepte de la loi, il faut l’autorité du supérieur, comme nous l’avons dit (1a 2æ, quest. 97, art. 4). Donc, pour la même raison, il faut cette autorité pour la dispense d’un vœu.

 

Conclusion Puisque le prélat tient dans l’Eglise la place de Dieu, on ne peut pas, sans son autorité, dispenser des vœux, ni les commuer.

Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. 1 et 2), le vœu est une promesse faite à Dieu au sujet d’une chose qu’il agrée. Or, il dépend de celui à qui l’on fait une promesse de l’accepter ou non. C’est pourquoi le prélat tenant dans l’Eglise la place de Dieu, il faut, pour commuer des vœux ou pour en dispenser, que son autorité, qui décide au nom de Dieu, prononce ce qui lui est agréable, d’après ces paroles de saint Paul (2 Cor., 2, 10) : Si j’ai usé d’indulgence, je l’ai fait à cause de vous, en la personne de Jésus-Christ. Il dit expressément : à cause de vous, parce que toute dispense peut être faite par le prélat pour la gloire du Christ, au nom duquel il l’accorde, ou dans l’intérêt de l’Eglise qui est son corps.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

JesusMarie.com