Saint Thomas d ’Aquin - Somme Théologique
2a 2ae = Secunda Secundae
= 2ème partie de la 2ème Partie
Question 93 : Des différentes espèces de superstition
Après avoir traité de la superstition en général, nous avons
ensuite à nous occuper des différentes espèces de superstition. — Nous
traiterons : 1° de la superstition qui peut s’attacher au culte indu qu’on rend
au vrai Dieu ; 2° de l’idolâtrie ; 3° des divinations ; 4° des observances. —
Touchant la première question il y a deux choses à examiner : l° Peut-il y
avoir dans le culte rendu au vrai Dieu quelque chose de pernicieux ? — 2°
Peut-il y avoir quelque chose de superflu ?
Article 1 : Peut-il
y avoir dans le culte rendu au vrai Dieu quelque chose de pernicieux ?
Objection N°1. Il semble que
dans le culte du vrai Dieu il ne puisse pas y avoir quelque chose de
pernicieux. Car il est écrit (Joël, 2, 22) : Quiconque invoquera le nom du Seigneur sera exaucé. Or, quiconque
honore Dieu de quelque manière invoque son nom. Le culte divin est donc
toujours utile au salut, et il ne peut jamais être pernicieux.
Réponse à l’objection N°1 : Dieu étant la vérité, il n’y a
que ceux qui l’adorent en esprit et en
vérité, comme le dit saint Jean (Jean, chap. 4), qui l’invoquent. C’est
pourquoi tout culte qui renferme une fausseté n’appartient pas proprement à
cette invocation de Dieu qui sauve.
Objection N°2. C’est le même Dieu que les justes de tous les temps
ont honoré. Or, avant que la loi ne fût donnée, les justes honoraient Dieu de
la manière qu’il leur plaisait, sans faire de péché mortel. Ainsi Jacob
s’obligea par son propre vœu à un culte spécial, comme nous le voyons dans la
Genèse (chap. 28). Donc encore maintenant il n’y a pas de culte rendu à Dieu
qui puisse être mauvais.
Réponse à l’objection N°2 : Avant la loi les justes étaient
intérieurement éclairés sur la manière dont ils devaient honorer Dieu ; les
autres hommes les imitaient. Mais depuis, Dieu ayant instruit les hommes à cet
égard par des préceptes extérieurs, c’est un péché que de ne pas les observer.
Objection N°3. L’Eglise ne tolère rien de pernicieux ; cependant
elle souffre la diversité des rites d’après lesquels on honore Dieu dans son
sein. Ainsi saint Grégoire, écrivant à saint Augustin qu’il avait envoyé
prêcher la foi en Angleterre, lui dit (lib. 12 Regist., chap. 31) que pour la célébration de la messe il y a dans les
différentes églises diverses coutumes ; et il ajoute : Pour moi, je désire que
vous choisissiez avec soin ce que vous aurez trouvé à Rome, dans les Gaules ou
partout ailleurs, de plus propre à toucher le cœur du Dieu tout-puissant. Il
n’y a donc aucune manière d’honorer Dieu qui puisse être pernicieuse.
Réponse à l’objection N°3 : Dans l’Eglise il y a en effet
différentes coutumes pour le culte divin, mais aucune d’elles n’est contraire à
la vérité ; c’est pourquoi on les doit observer, et il n’est pas permis de s’en
affranchir.
Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (Ep. ad Hier., ep. 82) que l’on ne
pourrait observer les rites de l’ancienne loi, depuis la prédication de
l’Evangile, sans faire une faute mortelle. Cependant ces rites appartiennent au
culte rendu au vrai Dieu. Il peut donc y avoir dans ce culte quelque chose qui
donne la mort à l’âme.
Conclusion On peut rendre à Dieu un culte qui soit pernicieux, non
seulement de la part de l’objet qu’il exprimerait, mais encore de la part du
sujet qui le rendrait.
Il faut répondre que, comme le dit avec raison saint Augustin (Lib. cont. mendac., chap. 14), le mensonge est surtout pernicieux quand
il a pour objet ce qui appartient à la religion chrétienne. Or, il y a mensonge
quand quelqu’un exprime extérieurement le contraire de la vérité. Car, comme la
pensée s’exprime par la parole, de même elle s’exprime aussi par des actes, et
c’est dans des actes de cette nature que consiste le culte extérieur, comme
nous l’avons dit (quest. 81, art. 7). Par conséquent, quand le culte extérieur
exprime une fausseté, il est pernicieux. Or, il peut exprimer une fausseté de
deux manières : 1° par rapport à la chose signifiée avec laquelle la
signification du culte peut être en désaccord. Ainsi, sous la nouvelle loi,
maintenant que les mystères du Christ sont accomplis, il serait pernicieux de
mettre en usage les cérémonies de l’ancienne loi, qui étaient figuratives des
mystères qui devaient avoir leur accomplissement dans le Messie ; ce serait
absolument comme si l’on proclamait de vive voix que le Christ doit souffrir.
2° Il peut y avoir fausseté dans le culte extérieur de la part de celui qui le
rend. C’est ce qui arrive surtout dans le culte général que l’Eglise rend à
Dieu par le moyen de ses ministres (Ainsi celui qui célébrerait les mystères
divins sans être prêtre, ou le prêtre excommunié qui offre le saint sacrifice
sans en avoir le droit, commettent dans ce sens un acte de superstition. Il en
est de même de celui qui suivrait un rit que l’Eglise n’approuve pas. Il y a
mensonge dans tous ces actes, parce que le prêtre se pose comme le ministre de
l’Eglise, sans en être l’organe.). Car, comme on donne le nom de faussaire à
celui qui fait au nom d’un autre des propositions dont il n’a pas été chargé,
ainsi on marque du même titre celui qui, au nom de l’Eglise, rend à Dieu un
culte contraire à ce que l’Eglise a établi de son autorité divine et à ce
qu’elle a l’habitude de faire. C’est ce qui fait dire à saint Ambroise (Sup. illud. (1 Cor., chap. 11) Quicumque edit panem) que celui qui célèbre les saints mystères
autrement que le Christ nous a appris à les célébrer est un ministre indigne.
Et la glose ajoute qu’il y a superstition quand on applique le nom de religion à une tradition purement
humaine (Glos. ord. ad Colos., chap. 2).
Article 2 :
Dans le culte de Dieu peut-il y avoir quelque chose de superflu ?
Objection
N°1. Il semble que dans le culte de Dieu il ne
puisse rien y avoir de superflu ; car il est dit (Ecclésiastique, 43, 32) : Portez
la gloire du Seigneur le plus haut que vous pourrez : elle éclatera encore
au-dessus. Or, le culte divin a pour but de glorifier Dieu. Il ne peut donc
rien y avoir en lui de superflu.
Réponse à l’objection N°1 :
Dans la glorification de Dieu on comprend toutes les choses qui se font pour sa
gloire, et par là on exclut toutes les superfluités superstitieuses (Parce
qu’elles ne contribuent en rien à la gloire de Dieu.).
Objection N°2. Le culte extérieur
est la profession du culte intérieur, qui honore Dieu par la foi, l’espérance
et la charité, comme le dit saint Augustin (Ench., chap. 3). Or, dans la foi, l’espérance et la charité, il ne peut
rien y avoir de superflu. Il n’y a donc rien de superflu dans le culte divin.
Réponse
à l’objection N°2 : Par la foi,
l’espérance et la charité, l’âme est soumise à Dieu ; par conséquent il ne peut
rien y avoir de superflu dans ces vertus. Mais il n’en est pas de même des
actes extérieurs, qui peuvent bien n’avoir pas de rapport avec ce sentiment.
Objection N°3. Il appartient au
culte de Dieu que nous lui rendions ce que nous en avons reçu. Or, tout ce que
nous possédons, nous l’avons reçu de Dieu. Par conséquent, si nous faisons tout
ce que nous pouvons pour honorer Dieu, il n’y aura rien de superflu dans notre
culte.
Réponse à l’objection N°3 :
Ce raisonnement se rapporte au superflu considéré d’une manière absolue.
Mais c’est le contraire. Saint
Augustin dit (De doct. christ., liv. 2, chap. 18) : Que le bon
et le véritable chrétien rejette, jusque dans les livres saints, les
superstitions ou les fables. Or, les saintes Ecritures enseignent qu’on doit un
culte à Dieu. Il peut donc y avoir dans le culte divin quelque superstition qui
résulte de certaine superfluité.
Conclusion Quoiqu’il ne puisse
pas y avoir quelque chose de superflu dans le culte de Dieu considéré d’une
manière absolue, il n’en est pas de même si on le considère sous un rapport
proportionnel, parce qu’on peut y faire entrer quelque chose qui ne soit pas
proportionné à sa fin.
Il faut répondre qu’une chose peut être superflue de deux
manières : 1° Elle peut l’être absolument parlant. En ce sens il ne peut rien y
avoir de superflu dans le culte divin, parce que l’homme ne peut rien faire qui
ne soit au-dessous de ce qu’il doit à Dieu. 2° Elle peut l’être suivant un
rapport de proportion ; c’est-à-dire qu’une chose peut être superflue par
rapport à une autre, parce qu’elle n’est pas proportionnée à sa fin. Or, la fin
du culte divin, c’est que l’homme glorifie Dieu et qu’il se soumette à lui d’esprit et de corps. C’est pourquoi tout ce que
l’homme fait pour glorifier Dieu, pour soumettre à lui son intelligence et son
corps, en modérant ses passions conformément à sa loi, à celle de l’Eglise et
aux usages de ceux au milieu desquels il vit, on ne peut le taxer d’exagération
et de superfluité. Mais s’il fait des choses qui n’importent en rien à la
gloire de Dieu (Par exemple, ceux qui veulent qu’on leur dise la messe avec un
nombre de flambeaux déterminé, qui attachent de l’importance au nom propre du
prêtre qui célèbre, et qui font dépendre le succès de la prière d’une multitude
d’autres circonstances insignifiantes. On peut voir le détail des superstitions
dans lesquelles on est tombé à cet égard dans le Traité des superstitions, par Thiers.), qui n’aient pas pour but
d’élever son âme vers le ciel ou de mettre un frein au mouvement désordonné de
la chair ; s’il agit même en dehors de ce qui a été établi par Dieu et par
l’Eglise (Tels sont ceux qui font plus de signes de croix que l’Eglise n’en
prescrit dans les cérémonies ; qui disent le Gloria in excelsis ou le Credo quand les rubriques commandent de
l’omettre.), ou contrairement aux coutumes générales qui, d’après saint
Augustin (Ep. 36), doivent avoir
force de loi ; alors toutes ces actions sont réellement superflues et
superstitieuses, parce que ce sont des choses extérieures qui n’appartiennent
point au culte intérieur de Dieu. Aussi saint Augustin (Lib. de verâ rel., chap. 3), à propos de ces paroles
de saint Luc (17, 21) : Le royaume de
Dieu est au dedans de vous, s’élève-t-il contre les superstitieux qui donnent
tous leurs soins principalement aux choses extérieures.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
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