Saint Thomas d ’Aquin - Somme Théologique

2a 2ae = Secunda Secundae = 2ème partie de la 2ème Partie

Question 96 : Des observances superstitieuses

 

            Nous avons ensuite à nous occuper des observances superstitieuses. A cet égard quatre questions se présentent : 1° Des observances que l’art notoire indique pour acquérir la science. (L’art notoire est un moyen d’apprendre toutes les sciences sans travail, par l’inspection de certaines figures ou en prononçant certaines paroles. Les auteurs de cet art le font remonter à Salomon. Gilles Bourdin publia un livre sous le litre d’Art notoire, au 16e siècle. Ce livre fut condamné par le pape saint Pie V. Erasme a fait un entretien intitulé Ars notoria, où il se moque de cette superstition.) — 2° Des observances qui ont pour but d’agir sur le corps. (L’observance de la santé est définie par Bonacina (tome 2 Tract. de legib. in part., disp. 5, quest. 3, punct. 4, num. 3) : Supersti­tio quâ adhibentur aliqua inania et inutilia ad sanandos morbos hominum vel animalium.) — 3° Des observances qui ont pour objet de conjecturer sur le bonheur ou le malheur. (Ces observances sont désignées en général sous le nom d’observance des éléments. C’est un genre de superstition qui se trouve encore fréquemment parmi le peuple.) — 4° De la pratique qui consiste à porter à sou cou quelques paroles des saintes Ecritures. (Cette observance est désignée par les théologiens sous le nom d’observance des choses sacrées : observantia sacrorum. Polman la définit : Adhibitio rei sacræ ad consequendum effec­tum, cujus producendi non habet efficaciam naturalem, divinam aut ecclesiasticam (Theolog., p. 2a 2æ, n° 981).)

 

Article 1 : Est-il défendu d’avoir recours aux observances de l’art notoire ?

 

Objection N°1. Il semble qu’il ne soit pas défendu de se servir des observances de l’art notoire. Car on dit qu’une chose est illicite de deux manières : 1° parce qu’elle est mauvaise en elle-même, comme l’homicide ou le vol ; 2° parce qu’elle se rapporte à une fin mauvaise, comme quand on fait l’aumône par vaine gloire. Or, les observances que l’art notoire prescrit ne sont pas mauvaises en elles ; car ce sont des jeûnes et des prières. Elles se rapportent à une bonne fin, puisqu’elles ont pour but d’acquérir la science. Il n’est donc pas défendu de se servir de ces observances.

Réponse à l’objection N°1 : C’est une bonne chose d’acquérir la science, mais il n’est pas bien de l’acquérir d’une manière illégitime, et c’est précisément à cela que tend l’art notoire.

 

Objection N°2. Nous lisons dans le prophète Daniel (1, 17) : Dieu a donné aux enfants qui jeûnent la science et la connaissance de tous les livres et de toute sagesse. Or, les observances de l’art notoire ne se rapportent qu’à des jeûnes et à des abstinences. Il semble donc que ce soit par l’ordre de Dieu que cet art produise son effet, par conséquent il n’est pas défendu d’en user.

Réponse à l’objection N°2 : Les jeunes gens dont parle le prophète ne faisaient pas abstinence d’après les vaines observances de l’art notoire, mais c’était pour se conformer à la loi de Dieu qu’ils ne voulaient pas toucher aux viandes des gentils ; et c’est le mérite de leur obéissance qui leur a fait obtenir de Dieu la science, selon ces paroles du Psalmiste (118, 10) : J’ai eu une intelligence supérieure à celle des vieillards, parce que j’ai observé votre loi.

 

Objection N°3. C’est un désordre d’interroger les démons sur les choses futures, parce qu’ils ne les connaissent pas ; cette connaissance étant, comme nous l’avons dit (quest. 95, art. 1), le propre de Dieu. Mais les démons savent les sciences, parce que les sciences ont pour objet ce qui est nécessaire et ce qui existe toujours. Ces vérités sont du domaine de la connaissance humaine et à plus forte raison par conséquent du ressort de l’intelligence des démons, puisque, d’après saint Augustin (Lib. de divinat. dæm., chap. 3 et4, et liv. 2 Sup. Gen. ad litt., chap. 17), ils sont beaucoup plus pénétrants que nous. Il ne semble donc pas que ce soit un péché d’user de l’art notoire, même quand il devrait son effet à l’action des démons.

Réponse à l’objection N°3 : C’est une faute de chercher à connaître l’avenir au moyen des démons, non seulement parce qu’ils ne le connaissent pas, mais encore parce que dans cette circonstance on s’associe en quelque sorte avec eux.

 

Mais c’est le contraire. Il est écrit (Deut., 18, 10) : Qu’il n’y ait personne parmi vous qui interroge les moris pour apprendre d’eux la vérité ; parce que ces sortes de recherches reposent sur l’aide des démons. Or, par les observances de l’art notoire on cherche à connaître la vérité en vertu des pactes que l’on a conclus avec eux. Il n’est donc pas permis de faire usage de cet art.

 

Conclusion Il n’est permis en aucune manière de faire usage de l’art notoire, parce qu’il est faux et superstitieux.

Il faut répondre que l’art notoire est illicite et inefficace. Il est illicite, parce que pour arriver à la science il emploie des moyens qui par eux-mêmes sont impuissants à produire un pareil effet. Telles sont, par exemple, l’inspection de certaines figures, la prononciation de certains mots inconnus et d’autres choses semblables (D’après le P. Delrio, l’initiation était précédée d’une confession générale, et il y avait des jeûnes et des prières particulières à observer (liv. 3, Disquisit. magic., part. 2, quest. 4, sect. 2).). C’est pourquoi cet art n’emploie point ces choses à titre de causes, mais à titre de signes ; cependant il ne les regarde pas comme des signes divinement institués, tels que le sont les signes sacramentels. D’où il résulte que ce sont des signes vides, qui se rapportent par conséquent à un pacte conventionnel qu’on a contracté avec le démon à cet effet. C’est pour ce motif que tout chrétien doit rejeter et fuir l’art notoire, comme tous les autres arts frivoles et superstitieux (Cet art a été condamné par la Faculté de théologie de Paris en 1320. Le cardinal Cajétan dit qu’on ne peut pas s’y livrer sans péché mortel. Saint Antonin reproduit contre cet abus les mêmes raisonnements que saint Thomas (Serm., part. 2, tit. 42, n° 10).), selon l’expression de saint Augustin (De doct. christ., liv. 2, chap. 23). — De plus, cet art est inefficace. Car puisqu’on ne se propose pas dans cet art d’acquérir la science selon les procédés naturels à l’homme, c’est-à-dire par la réflexion ou l’étude, il s’ensuit qu’on attend cet effet de Dieu ou des démons. Or, il est certain qu’il y a des hommes qui ont reçu de Dieu la sagesse et la science d’une manière infuse, comme l’Ecriture le rapporte de Salomon (3 Rois, chap. 2, et 2 Par., chap. 1). Notre-Seigneur a dit aussi à ses disciples (Luc, 21, 15) : Je vous donnerai moi-même une bouche et une sagesse à laquelle tous vos ennemis ne pourront résister, et qu’ils ne pourront contredire. Mais ce don n’est pas accordé à tous les chrétiens et il ne dépend pas non plus de certaines observances. L’Esprit-Saint le répartit comme il lui plaît, selon ces paroles de l’Apôtre (1 Cor., 12, 8) : L’un reçoit du Saint-Esprit le don de parler avec une haute sagesse, un autre reçoit le don de parler avec science. Et plus loin il ajoute : C’est un seul et même esprit qui opère toutes ces choses, distribuant à chacun ses dons comme il le veut. Or, il n’appartient pas aux démons d’éclairer l’intellect, comme nous l’avons prouvé (1a pars, quest. 109, art. 3), et comme on n’acquiert la science et la sagesse qu’autant que l’intellect est éclairé, il en résulte que personne n’a jamais été instruit par le moyen des démons. Aussi saint Augustin rapporte (De civ. Dei, liv. 10, chap. 9) que de l’aveu de Porphyre (On peut voir ce que dit Porphyre des esprits malfaisants, dans son traité De l’absti­nence, liv. 2, trad. Burigny.) lui-même, les consécrations théurgiques appelées Télètes ne contribuent en rien à la purification de l’âme intellectuelle, et qu’elles ne sauraient la préparer ni à la vision de son Dieu, ni à la contemplation de ce qui est vrai, comme tous les théorèmes des sciences. Cependant les démons pourraient, en parlant aux hommes, exprimer quelques-unes des choses que les sciences enseignent ; mais ce n’est pas là ce qu’on se propose dans l’art notoire.

 

Article 2 : Les observances qui ont pour objet d’agir sur le corps, en lui rendant, par exemple, la santé ou en produisant d’autres effets semblables, sont-elles illicites ?

 

Objection N°1. Il semble que les observances qui ont pour objet d’affecter le corps sous le rapport de la santé ou de toute autre manière, ne soient pas illicites. Car il est permis d’user des forces naturelles des corps, pour leur faire produire les effets qui leur sont propres. Or, les choses naturelles ont des vertus occultes dont l’homme ne peut pas assigner la raison. C’est ainsi que l’aimant attire le fer, et saint Augustin énumère une foule d’autres phénomènes semblables (De civ. Dei, liv. 21, chap. 5 et 7). Il semble donc qu’il ne soit pas défendu d’user de ces choses pour agir sur les corps.

Réponse à l’objection N°1 : Si l’on emploie des causes naturelles pour leur faire produire les effets que naturellement on doit en attendre, il n’y a là ni superstition, ni péché. Mais si on ajoute des caractères, des noms ou d’autres vaines observances qui manifestement par leur nature ne peuvent avoir aucune efficacité, c’est alors une chose superstitieuse et défendue ((Le cardinal Tolet dit que le péché n’est que véniel, quand on use de ces observances par ignorance, mais qu’il est mortel pour ceux qui invoquent par là le démon sciemment et avec connaissance (Instructiones sacerdotales, liv. 4, chap. 16, n° 1).)).

 

Objection N°2. Comme les corps naturels sont soumis aux corps célestes, de même aussi les corps artificiels. Or, les corps naturels reçoivent, chacun selon leur espèce, des vertus occultes qui résultent de l’action des corps célestes sur eux. Donc les corps artificiels, comme les images, reçoivent aussi de ces mêmes corps une vertu occulte qui les rend aptes à produire certains effets. Par conséquent il n’est pas défendu de faire usage de ces images et d’autres choses semblables.

Réponse à l’objection N°2 : Les vertus naturelles des corps sont une conséquence de leurs formes substantielles qu’ils doivent à l’action des corps célestes ; c’est ce qui fait que par suite de l’action de ces mêmes corps ils sont doués de certaines vertus actives. Mais les formes des corps artificiels proviennent de la conception de l’artisan, et comme, suivant la remarque d’Aristote (Phys., liv. 1, text. 46), elles ne sont rien autre chose que la composition, l’ordre et la figure, elles ne peuvent avoir naturellement aucune puissance pour agir. De là il arrive que les corps célestes n’ont point d’action sur ces objets artificiels, considérés comme tels, mais seulement sur la matière naturelle dont ils peuvent être formés. Il est donc faux de prétendre avec Porphyre, dont saint Augustin rapporte l’opinion (De civ. Dei, liv. 10, chap. 11), qu’au moyen d’herbes, de pierres, d’animaux, de sons, de voix, de figures imaginaires, ou de figures empruntées au mouvement des astres dans leur révolution céleste, les hommes puissent former sur la terre des puissances capables de produire divers effets, comme si ces effets des arts magiques provenaient de la vertu des corps célestes. Mais tout cela, comme le dit l’illustre docteur, n’est que l’œuvre des démons qui se jouent des âmes qui leur sont asservies. Ainsi les images qu’on appelle astronomiques produisent donc leur effet d’après l’opération même du démon (Ces observances furent condamnées en général par les statuts synodaux de Paris en 1515, par le premier concile de Milan en 1565, par le concile provincial de Toulouse en 1590, et par les constitutions synodales de saint François de Sales. Et il y a une multitude d’anathèmes contre chacune d’elles en particulier.). Ce qui le prouve, c’est qu’on est obligé d’y inscrire des caractères qui n’ont naturellement par eux-mêmes aucune vertu. Car une figure n’est pas naturellement un principe d’action. Toutefois les images astronomiques diffèrent de celles des nécromanciens en ce que dans ces dernières il y a des invocations expresses et des prestiges. Par conséquent elles se rapportent aux pactes exprès que l’on forme avec les démons, tandis que dans les autres images il n’y a que des pactes tacites signifiés par des figures ou des caractères.

 

Objection N°3. Les démons peuvent transformer les corps d’une foule de manières, comme le dit saint Augustin (De Trin., liv. 3, chap. 8 et 9). Or, leur puissance vient de Dieu. Il est donc permis d’en faire usage pour produire quelques modifications semblables.

Réponse à l’objection N°3 : Le souverain domaine de Dieu s’étendant aux démons comme aux autres créatures, Dieu peut se servir d’eux selon les fins qu’il lui plaît ; mais il n’a pas été donné à l’homme sur les démons une pareille puissance, pour qu’il lui soit ainsi permis d’en user comme bon lui semble ; au contraire, il doit toujours leur faire la guerre. Par conséquent il ne lui est permis en aucune manière de se servir de leur secours, par un pacte tacite ou par un pacte exprès.

 

Mais c’est le contraire. D’après saint Augustin (De doct. christ., liv. 2, chap. 20), tout ce qui entre dans l’art de la magie, les ligatures, les remèdes que la science de la médecine condamne, qu’il s’agisse d’enchantements ou de je ne sais quelles marques qu’on appelle des caractères, ou de choses que l’on doit suspendre ; toutes ces pratiques sont autant de superstitions.

 

Conclusion Les observances qui ont pour objet de faire produire à certaines causes les effets qui leur sont propres ne sont pas illicites, mais elles sont vaines si ces causes n’ont pas la vertu de produire les effets qu’on en attend.

Il faut répondre qu’à l’égard des choses que l’on fait pour produire quelques effets particuliers, il faut examiner si ces choses semblent pouvoir naturellement produire de pareils effets ; dans ce cas elles ne seraient pas illicites. Car il est permis d’employer les causes naturelles pour en obtenir les effets qui leur sont propres. Mais si elles ne semblent pas naturellement capables de produire ces effets, il en résulte qu’on ne les emploie pas pour produire ces effets à titre de causes, mais seulement comme signes. Alors elles rentrent dans les pactes conventionnels formés avec le démon. C’est ce qui fait dire à saint Augustin (De civ. Dei, liv. 21, chap. 6) : Quand les démons s’insinuent dans les créatures qui ne sont pas leur ouvrage, mais l’ouvrage de Dieu, ils sont attirés par des charmes qui varient suivant la diversité de leur génie. Ils ne sont pas flattés comme les animaux par les aliments, mais comme intelligences, ils se laissent séduire par des signes conformes à la fantaisie de chacun, au moyen des différentes espèces de pierres, d’herbes, de bois, d’animaux, d’enchantements et de rites divers (Pour se faire une idée de la variété de ces observances superstitieuses, on peut lire ce qu’en dit Thiers dans son Traité des superstitions, liv. 5 et 6.).

 

Article 3 : Les observances qui ont pour but de connaitre à l’avance notre bonne ou notre mauvaise fortune sont-elles illicites ?

 

Objection N°1. Il semble que les observances qui ont pour objet de connaître le bien ou le mal qui doit arriver ne soient pas illicites. Car parmi les malheurs des hommes on comprend les infirmités. Or, dans les hommes les infirmités sont précédées de signes que les médecins observent. Il ne semble donc pas défendu d’observer ces signes.

Réponse à l’objection N°1 : Les causes de nos infirmités existent préalablement en nous, que c’est d’elles que procèdent les signes des maladies que nous devons avoir, et que les médecins observent avec raison. Par conséquent, quand on prévoit l’avenir en considérant les événements dans leur cause, il n’y a là rien de défendu. Ainsi un serviteur quand il voit son maître en colère peut craindre les coups. On pourrait en dire autant de l’inconvénient qu’il y aurait pour un enfant à subir le regard de quelqu’un qui le fascinerait, comme nous l’avons dit (1a pars, quest. 117, art. 3, Réponse N°2). Mais ceci ne fait plus partie des observances dont il est ici question.

 

Objection N°2. Il est déraisonnable de nier ce que presque tous éprouvent généralement. Or, presque tous remarquent que les temps, les lieux ou les paroles qu’on a entendues, la rencontre des hommes ou des animaux, les actes déréglés ou désordonnés, sont de bons ou de mauvais présages. Il ne semble donc pas défendu d’observer ces choses.

Réponse à l’objection N°2 : Ce que les hommes ont trouvé de vrai dans ces observances a été primitivement l’effet du hasard ; mais une fois qu’ils ont commencé à s’attacher à ces sortes de choses, une foule d’événements sont arrivés conformément à ces observances par l’artifice des démons, afin de piquer la curiosité de ceux qui s’y arrêtent et de les embarrasser de plus en plus dans les filets de cette erreur pernicieuse (Il importe beaucoup d’éclairer suffisamment les fideles à ce sujet, afin qu’ils ne tombent sous ce rapport dans aucune faute. Car il n’y a rien de plus contagieux que la superstition et rien de plus funeste. C’est ce qui ruine la foi véritable.). C’est l’observation de saint Augustin (De doct. christ., liv. 2, chap. 23).

 

Objection N°3. Les actes des hommes et les événements sont réglés par la divine providence selon un certain ordre qui veut que ce qui précède soit le signe de ce qui va suivre. D’où il résulte que ce qui est arrivé à nos pères est un signe de ce qui doit s’accomplir parmi nous, comme le dit l’apôtre saint Paul (1 Cor., chap. 10). Or, il n’est pas défendu d’observer l’ordre que la providence divine a établi. Il ne semble donc pas non plus illicite d’observer ces présages.

Réponse à l’objection N°3 : Chez le peuple juif, dont le Christ devait naître, non seulement les paroles, mais encore les faits étaient prophétiques, comme le dit saint Augustin (Lib. cont. Faust., liv. 4, chap. 2 ; liv. 22, chap. 24). C’est pourquoi il est permis de faire servir ces faits à notre instruction, comme des signes que Dieu lui-même nous a donnés. Mais tout ce qui se fait par l’ordre de la Providence n’a pas été ainsi établi pour signifier l’avenir ; par conséquent le raisonnement n’est pas concluant.

 

Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (De doct. christ., liv. 2, chap. 20) : qu’il faut rapporter aux pactes conclus avec les démons ces milliers d’observances frivoles, qui consistent à examiner si un membre vient à palpiter ; si, pendant que deux amis se promènent en se tenant sous le bras, une pierre, un chien ou un enfant se trouvent entre eux ; à marcher sur le seuil quand on passe devant sa maison ; à retourner dans son lit si on a éternué en se chaussant ; à rentrer chez soi si l’on fait un faux pas en marchant ; enfin à redouter le mal futur plus qu’on ne déplore la perte présente, quand un habit est mangé par les souris.

 

Conclusion Les observances dont les hommes font usage pour connaître les événements futurs bons ou mauvais, sont superstitieuses et illicites, parce qu’ils s’en servent, non à titre de causes, mais à titre de signes, et qu’il n’y a aucune autorité divine qui les ait introduites.

Il faut répondre que les hommes considèrent ces observances non comme les causes, mais comme les signes des événements futurs bons ou mauvais. On ne les regarde pas comme des signes venant de Dieu, puisqu’elles n’ont pas été établies par une autorité divine, mais elles proviennent plutôt de la vanité humaine aidée de la perversité des démons qui s’efforcent d’impliquer l’esprit des hommes dans toutes ces frivolités. C’est pourquoi il est manifeste que toutes ces observances sont superstitieuses et illicites. Elles semblent des restes de l’idolâtrie qui faisait observer les augures, les jours fastes et néfastes ; ce qui revient à la divination qui se fait par les astres qui diversifient les jours. On voit donc que toutes ces observances sont sans raison et sans art, et que par conséquent elles n’en sont que plus vaines et plus superstitieuses.

 

Article 4 : Est-il défendu de suspendre à son cou des paroles des saintes Ecritures ?

 

Objection N°1. Il semble qu’il ne soit pas défendu de suspendre à son cou les paroles divines. Car ces paroles n’ont pas moins d’efficacité quand elles sont écrites que quand elles sont prononcées. Or, il est permis de dire certaines paroles de l’Ecriture pour obtenir certains effets, comme la guérison d’un malade. Ainsi on peut dire un Pater ou un Ave, ou invoquer de quelque manière le nom du Seigneur, suivant ces paroles de l’Evangile (Marc, 16, 17) : Ils chasseront les démons en mon nom, parleront des langues nouvelles, prendront les serpents, etc. Il semble donc qu’il soit permis de porter à son cou quelques paroles de l’Ecriture, pour se guérir d’une infirmité ou se procurer quelque autre avantage.

Réponse à l’objection N°1 : Quand on prononce des paroles divines ou qu’on invoque le nom de la Divinité, si on se propose uniquement d’honorer Dieu et qu’on attende de lui l’effet des paroles qu’on prononce, il n’y a pas de mal. Mais si ce que l’on dit se rapporte à quelque vaine observance, c’est alors un péché.

 

Objection N°2. Les paroles sacrées n’agissent pas moins sur les corps des hommes que sur ceux des serpents et des autres animaux. Or, les enchantements ont la vertu de charmer les serpents et de guérir d’autres animaux. D’où il est dit dans le Psalmiste (Ps. 57, 5) : Que le serpent et l’aspic se rendent sourds, ou se bouchent les oreilles pour ne pas entendre la voix de l’enchanteur et du magicien qui use d’adresse pour l’enchanter. Il n’est donc pas défendu de porter à son cou des paroles de l’Ecriture comme remède.

Réponse à l’objection N°2 : Dans l’enchantement des serpents ou des autres animaux, si on ne fait attention qu’aux paroles sacrées et à la puissance divine, il n’y a rien d’illicite ; mais le plus souvent ces enchantements proviennent d’observances illicites et tirent leur effet de l’action des démons, surtout à l’égard des serpents, parce que le serpent a été le premier instrument dont le démon s’est servi pour tromper l’homme. D’où il est dit dans la glose (ord. August.) : Il est à remarquer que l’Ecriture ne loue pas toutes les actions dont elle tire ses comparaisons, comme on le voit évidemment par le juge inique qui a écouté à peine la veuve qui le priait.

 

Objection N°3. La parole de Dieu n’est pas moins sainte que les reliques des saints. Car saint Augustin dit (liv. 50, hom. 26) que le verbe de Dieu n’est pas moins que le corps du Christ. Or, il est permis de suspendre à son cou les reliques des saints, ou de les porter de toute autre manière pour sa protection. Donc pour le même motif il est permis à l’homme de prendre les paroles des saintes Ecritures et de les porter pour s’en faire une sauvegarde.

Réponse à l’objection N°3 : On peut raisonner de même à l’égard des reliques qu’on porte sur soi. Si on les porte à cause de la confiance qu’on a en Dieu et dans les saints qu’elles rappellent, il n’y a pas de péché. Mais si on attachait de l’importance à des choses frivoles, par exemple, si on y croyait parce qu’elles sont renfermées dans un vase triangulaire, ou pour tout autre motif, qui n’appartiendrait nullement à la gloire de Dieu et des saints, ce serait une chose superstitieuse et défendue.

 

Objection N°4. Mais c’est le contraire. Saint Chrysostome dit (Hom. 43 sup. Matth, in op. imp.) : « Il y en a qui portent écrite autour de leur cou une partie de l’Evangile. Mais ne lit-on pas tous les jours l’Evangile dans l’église, et tout le monde ne l’entend-il pas ? Si donc celui à qui on lit l’Evangile tous les jours n’en profite pas, comment pourra-t-il se sauver en le portant suspendu à son cou ? De plus, en quoi consiste la vertu de l’Evangile ? Est-ce dans les figures des lettres ou dans l’intelligence du sens qu’il renferme ? Si c’est dans les figures, vous avez raison de le mettre autour de votre cou ; mais si c’est dans l’intelligence du texte, vous ferez mieux de le placer dans votre cœur que de le porter ainsi suspendu (Ces homélies ne sont pas véritablement de saint Chrysostome. Voyez à cet égard Bellarmin (Lib. de scriptor. ecclesiast. in sancto Chrysost.).). »

Réponse à l’objection N°4 : Saint Chrysostome parle à ceux qui faisaient plus attention aux figures écrites qu’à l’intelligence des paroles.

 

Conclusion Il n’est pas absolument défendu de suspendre à son cou des paroles divines, si elles ne renferment rien de faux ou de douteux, bien qu’il soit mieux de ne le pas faire.

Il faut répondre que dans tous les enchantements et dans toutes les écritures qu’on porte sur soi, il faut bien prendre garde à deux choses : 1° à ce que l’on prononce ou à ce qui est écrit, parce que s’il y a là quelque chose qui se rapporte à l’invocation des démons, c’est évidemment superstitieux et illicite. De même il faut observer s’il y a des noms inconnus (On les accompagnait ordinairement de noms tels que ceux-ci : Authos, Anostro, Noxio, Bay, Gloy, Apen.), de peur qu’il ne se glisse sous ces noms quelque chose d’illicite. Ainsi saint Chrysostome dit (loc. cit.), qu’à l’exemple des pharisiens qui se glorifiaient de leurs vêtements, un très grand nombre imaginent en hébreu des noms d’anges, qu’ils les écrivent et les attachent à leur cou, et qu’on doit se défier de ces mots qu’on ne comprend pas. Il faut aussi avoir soin que ces paroles ne contiennent pas de fausseté (Dans les enchantements qu’elles pratiquaient, certaines sorcières avançaient des faits tout à fait faux, comme la formule qui commence par ces mots : Beata virgo Jordanem transi­vit, et tunc sanctus Stephanus ei obviavit et eam interrogavit, etc.) ; car leur effet ne pourrait venir de Dieu, qui ne saurait attester ce qui n’est pas vrai. 2° Il faut prendre garde qu’on n’ajoute aux paroles sacrées aucune inutilité, comme des caractères (Tels que les caractères magiques auxquels on attribuait toute espèce de vertu.) autres que le signe de la croix, ou bien qu’on ne mette sa confiance dans la manière d’écrire ou d’attacher ces paroles, ou dans toute autre futilité semblable qui n’appartienne pas au respect dû à Dieu, parce qu’il y aurait en cela de la superstition. Aussi le droit canon porte-t-il (Decret. 26, q. 5, chap. Non liceat) : Qu’il n’est permis à aucun chrétien de pratiquer, à l’égard des collections d’herbes médicinales, d’autres observances ou d’autres enchantements que le Symbole ou l’Oraison dominicale, afin de n’adorer et de n’honorer que Dieu, le créateur de toutes choses.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

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