Saint Thomas d ’Aquin - Somme Théologique
2a 2ae = Secunda Secundae
= 2ème partie de la 2ème Partie
Question 97 : De la tentation de Dieu
Nous avons
ensuite à nous occuper des vices opposés à la vertu de religion par défaut.
Comme ils lui sont manifestement contraires, ils sont compris sous le nom
général d’irréligion ou d’impiété. Tels sont tous les vices qui se rapportent
au mépris de Dieu et des choses saintes. Nous devons considérer en premier lieu
les vices qui regardent directement l’irrévérence envers Dieu, et nous
traiterons en second lieu de ceux qui concernent l’irrévérence envers les
choses saintes. — Touchant le premier point nous avons à examiner deux choses,
d’abord la tentation par laquelle on tente Dieu ; ensuite le parjure par lequel
on se sert de son nom sans respect pour lui. — A l’égard de la tentation quatre
questions se présentent : 1° En quoi consiste la tentation de Dieu ? (Tenter
Dieu c’est faire une chose pour éprouver sa puissance, sa bonté, sa sagesse ou
ses autres attributs.) — 2° Est-ce un péché ? (La tentation de Dieu est un
péché mortel dans son genre, cependant elle peut n’être qu’un péché véniel, en
raison de la légèreté de la matière : comme quand on refuse de prendre des
remèdes à l’occasion d’une indisposition légère, parce qu’on aime mieux
attendre sa guérison de la Providence.) — 3° A quelle vertu est-elle opposée ? (La
tentation de Dieu est évidemment opposée à la vertu de religion, puisqu’elle
implique un doute sur la présence, la bonté ou la puissance de Dieu. C’est ce
qu’indiquent ces paroles de l’Ecriture (Ex.,
17, 7) : Ils tentèrent là le Seigneur en
disant : Le Seigneur est-il au milieu de nous, ou n’y est-il pas ?) —
4° De la comparaison qu’on peut établir entre elle et les autres vices.
(Cajétan fait remarquer que la tentation de Dieu n’est souvent qu’un péché
véniel, à cause de l’imperfection de l’acte. C’est ainsi qu’il considère la
faute de Zacharie et aussi celle de Gédéon, si toutefois on ne veut pas
l’excuser totalement.)
Objection N°1. Il semble que la
tentation de Dieu ne consiste pas en des événements dans lesquels on n’attend
que l’effet de la puissance divine. Car comme Dieu est tenté par l’homme, de même
l’homme l’est aussi par Dieu, par ses semblables et par le démon. Or, toutes
les fois qu’on tente l’homme, on n’attend pas un effet de sa puissance. En
tentant Dieu, on n’attend donc pas non plus un effet exclusif de sa puissance.
Réponse à l’objection N°1 : On tente quelquefois l’homme par
des actions pour connaître s’il peut ou s’il sait certaines choses, s’il veut
concourir ou s’opposer à certaines entreprises.
Objection N°2. Tous ceux qui, par l’invocation du nom de Dieu,
opèrent des miracles, attendent un effet de sa seule puissance. Si donc la
tentation de Dieu consistait dans ces sortes d’action, tous ceux qui font des
miracles tenteraient Dieu.
Réponse à l’objection N°2 : Les saints qui font des miracles
par leurs prières sont portés par une raison de nécessité ou d’utilité à
demander des effets de la puissance divine.
Objection N°3. Il est de la perfection de l’homme que mettant de
côté tout secours humain, il ne mette son espérance qu’en Dieu. D’où saint
Ambroise dit, à propos de ces paroles de saint Luc (Luc, 9, 3) : Ne portez rien en route, etc., que
l’Evangile nous apprend par là ce que doit être celui qui évangélise le royaume
de Dieu, c’est-à-dire qu’il ne doit point rechercher les secours du siècle,
mais qu’attaché tout entier à la foi, il doit penser que moins il recherchera
ces secours et plus il se suffira à lui-même. Et sainte Agathe disait : Je n’ai
jamais employé pour mon corps aucune médecine matérielle, mais j’ai
Notre-Seigneur Jésus-Christ qui par sa seule parole répare tout le mal que vous
me faites. Or, la tentation de Dieu ne consiste pas en ce qui fait la
perfection de l’homme. Elle ne consiste donc pas dans des actes semblables, où
l’on attend tout exclusivement du secours de Dieu.
Réponse à l’objection N°3 : Ceux qui prêchent le royaume de
Dieu négligent, pour un motif de nécessité et d’utilité, les secours temporels,
afin de se livrer plus librement à leur ministère ; c’est ce qui fait qu’ils ne
tentent pas Dieu, tout en ne s’appuyant que sur lui. Mais s’ils dédaignaient,
sans nécessité et sans utilité, les secours humains (On peut aussi dire qu’ils
tentent Dieu, les prédicateurs qui annoncent la parole divine sans s’y être
préparés à l’avance et qui comptent sur l’inspiration de l’Esprit-Saint, comme
s’ils y avaient des droits.), ils tenteraient Dieu. D’où saint Augustin dit (Lib. cont. Faustum,
liv. 22, chap. 36) : Que Paul ne fuit pas parce qu’il manque de confiance en
Dieu, mais pour ne pas le tenter, parce qu’il l’aurait tenté s’il n’eût pas
voulu fuir lorsqu’il le pouvait. Quant à sainte Agathe, elle avait reçu de la
charité divine la faveur de ne pas souffrir les blessures pour lesquelles elle
aurait eu besoin d’une médecine matérielle, ou de sentir immédiatement l’effet
de leur guérison miraculeuse (C’est ce que cette sainte éprouvait elle-même,
puisque nous voyons dans les actes de son martyre qu’elle disait : Habeo Dominum Jesum Christum., qui solo sermone restaurat
universa.).
Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (Lib. cont. Faustum, liv. 22, chap. 36) :
Que le Christ en enseignant publiquement et en combattant ses ennemis, sans
permettre à leur fureur d’avoir aucune prise sur lui, montrait par là la puissance
de Dieu ; et qu’en fuyant et en se cachant, il apprenait à la faiblesse humaine
à n’avoir pas la témérité de tenter Dieu, quand elle a ce qu’il faut pour
échapper aux périls contre lesquels elle doit se précautionner. D’où il paraît
que la tentation de Dieu consiste en ce que l’homme omet de faire ce qui
pourrait le sortir du danger, parce qu’il ne compte que sur le secours d’en
haut.
Conclusion Tenter Dieu, c’est essayer si Dieu sait, s’il veut ou
s’il peut une chose qu’on lui demande, et on dit qu’une personne tente Dieu
interprétativement, quand elle s’expose sans nécessité à un danger, dans le
désir de savoir si Dieu la délivrera.
Il faut répondre que tenter c’est, à proprement parler, éprouver
celui que l’on tente. Or, on éprouve quelqu’un par des paroles et par des
actes. On l’éprouve par des paroles pour s’assurer s’il sait ce qu’on lui
demande, s’il peut ou s’il veut l’accomplir. On l’éprouve par des actes, quand
ce que nous faisons a pour objet de nous rendre compte de sa prudence, de sa
volonté ou de sa puissance. Ces deux choses peuvent se faire de deux manières :
1° ouvertement ; comme quand on se donne pour tentateur. C’est ainsi que Samson
proposa aux Philistins une énigme pour les tenter (Juges, chap. 14). 2° Insidieusement et d’une manière cachée. C’est
de cette façon que les pharisiens tentèrent le Christ, comme nous le voyons
dans l’Evangile (Matth, chap. 22). Quelquefois aussi
la tentation est expresse ; par exemple, quand par une parole ou une action, on
a l’intention d’éprouver quelqu’un ; d’autres fois elle est interprétative,
quand, sans avoir l’intention directe de soumettre quelqu’un à une épreuve, on
fait ou l’on dit cependant quelque chose qui ne paraît pas avoir d’autre but
que cette épreuve même. Ainsi donc l’homme tente Dieu, tantôt par ses paroles,
tantôt par ses actions. — En effet, par la parole nous nous entretenons avec
Dieu dans la prière. Nous le tentons expressément par nos demandes, quand nous
sollicitons de lui quelque chose dans le but d’éprouver sa science, sa puissance
ou sa volonté. Nous le tentons expressément par nos actes, quand ce que nous
faisons tend à mettre à l’épreuve sa puissance, sa piété ou sa science. De même
il tente Dieu d’une façon en quelque sorte interprétative, celui qui, sans
avoir l’intention de l’éprouver, demande ou fait cependant quelque chose qui ne
peut avoir d’autre utilité que de mettre à l’épreuve sa puissance, sa bonté ou
sa connaissance. Ainsi, quand on fait courir un cheval pour échapper à
l’ennemi, on n’a pas pour but d’éprouver le cheval ; mais si on le fait courir
sans utilité, il semble alors qu’on ne se propose pas autre chose que de mettre
à l’épreuve son agilité ; et il en est de même de tout le reste. Par
conséquent, quand par nécessité ou pour un but utile quelconque on se repose
sur le secours de Dieu dans ses prières ou ses actions, ce n’est pas le tenter
; car il est dit (2 Paral.,
20, 12) : Quand nous ignorons ce que nous
devons faire, il ne nous reste qu’à tourner les yeux vers vous. Mais quand
on le fait sans nécessité et sans utilité, c’est tenter Dieu interprétativement
(Tel serait, par exemple, celui qui, sans utilité et sans nécessité, essaierait
de marcher sur les eaux comme saint Pierre.). Aussi à l’occasion de ces paroles
(Deut., chap. 6) : Vous ne tenterez point le Seigneur votre Dieu, la glose dit (ordin.) : Qu’il tente Dieu celui qui s’expose
sans raison au danger, pour voir si Dieu pourra le délivrer.
Article 2 : Est-ce
un péché de tenter Dieu ?
Objection N°1. Il semble que ce
ne soit pas un péché de tenter Dieu. Car Dieu n’a pas ordonné ce qui est un
péché. Or, il a commandé aux hommes de l’éprouver, c’est-à-dire de le tenter.
En effet, il est dit (Mal., 3, 10) : Apportez
toutes mes dîmes dans mes greniers, et qu’il y ait dans ma maison de quoi
nourrir mes ministres ; et après cela éprouvez ce que je ferai, dit le Seigneur
; voyez si je ne vous ouvrirai pas toutes les sources du ciel. Il semble
donc que ce ne soit pas un péché de tenter Dieu.
Réponse à l’objection N°1 : La loi ordonnait de payer les
dîmes, comme nous l’avons dit (quest. 87, art. 1). Les dîmes étaient donc
nécessaires, puisque la loi en faisait une obligation, et elles étaient utiles,
puisqu’elles servaient à nourrir ceux qui étaient employés dans la maison du
Seigneur ; par conséquent, en les payant, on ne tentait pas Dieu. Quant à ce
qu’ajoute le prophète : Eprouvez-moi
(Probate me), il ne faut pas donner à ce mot une
acception de causalité (causaliter),
comme si l’on avait dû payer la dîme pour éprouver si Dieu ouvrirait les
cataractes du ciel, mais il faut le prendre comme exprimant une conséquence (consecutivè), ce
qui signifie que quand les Juifs payaient la dîme, ils devaient ensuite
éprouver les bienfaits dont Dieu les comblait.
Objection N°2. Comme on tente quelqu’un en mettant à l’épreuve sa
science ou sa puissance, de même on le tente en éprouvant sa bonté et sa
volonté. Or, il est permis de faire l’épreuve de la bonté ou de la volonté
divine ; car il est dit (Ps. 33, 9) :
Goûtez et voyez que le Seigneur est doux.
Et l’Apôtre écrit (Rom., 12, 2) : Ne vous conformez point au siècle, afin que
vous éprouviez quelle est la volonté de Dieu, ce qui est bon, ce qui est
agréable à ses yeux et ce qui est parfait. Ce n’est donc pas un péché de
tenter Dieu.
Réponse à l’objection N°2 : Il y a deux sortes de
connaissance de la bonté ou de la volonté divine : l’une spéculative ; par
rapport à celle-là, il n’est pas permis d’avoir des doutes et d’éprouver si la
volonté de Dieu est bonne, ou si Dieu est doux et miséricordieux ; l’autre est
effective ou expérimentale. Telle est celle qu’on acquiert quand on goûte en
soi-même ce qu’il y a de douceur et de bonté dans la volonté divine. C’est
ainsi que saint Denis dit de son maître Hiérothée (De div. nom., liv. 2), qu’il a appris les
choses divines, en expérimentant leur suavité. En ce sens, c’est même un devoir
pour nous de faire l’épreuve de la volonté divine, et de goûter ce qu’elle a de
charme et de bonheur.
Objection N°3. L’Ecriture ne blâme personne de quitter le péché,
mais elle blâme plutôt celui qui le commet. Or, Achaz est blâmé parce qu’au
Seigneur qui lui disait : Demande un
signe du Seigneur ton Dieu, il a répondu : Je ne le demanderai pas, et je ne tenterai pas le Seigneur. Et il
lui a été dit : Ne vous suffit-il pas de
lasser la patience des hommes sans lasser encore celle de mon Dieu ? (Is.
7, 11-13) La Genèse rapporte aussi qu’Abraham dit au Seigneur (Gen., 15, 8) : Comment puis-je savoir que je dois posséder
la terre qui m’a été promise ? Gédéon demanda également à Dieu un signe au
sujet de la victoire qu’il lui avait promise (Juges, chap. 6), et aucun de ces justes de l’ancienne loi n’a été
repris à cet égard. Ce n’est donc pas un péché de tenter Dieu.
Réponse à l’objection N°3 : Dieu voulait donner un signe à
Achaz, non seulement pour lui-même, mais encore pour l’instruction de tout le
peuple ; c’est pourquoi il est blâmé de n’avoir pas voulu demander ce signe,
parce qu’il s’est ainsi opposé au bien et au salut général. En le demandant il
n’aurait pas tenté Dieu, soit parce qu’il ne l’aurait demandé que sur l’ordre
de Dieu, soit parce que d’ailleurs il avait un but d’utilité commune. Abraham,
en demandant un signe, n’a agi non plus que d’après les lumières intérieures de
Dieu, et c’est pour cette raison qu’il n’a pas péché. Gédéon paraît avoir
désiré un signe, parce que sa foi avait défailli ; mais on ne l’excuse pas
de péché (Saint Thomas condamne ici Gédéon d’après la glose, quoiqu’il l’excuse
dans son opuscule (De sortibus,
chap. 5).), comme le dit la glose. De même Zacharie a péché en disant à l’ange
(Luc, 1, 48) : D’où saurais-je cela ?
C’est pourquoi il a été puni pour son incrédulité. Il est cependant bon
d’observer qu’on demande à Dieu un signe pour deux raisons : la première, pour
éprouver la puissance divine ou la vérité de sa parole, et c’est, à proprement
parler, ce qui constitue la tentation de Dieu ; la seconde, pour apprendre aux
autres ce qui plaît à Dieu à l’égard d’un événement quelconque ; alors on ne tente
Dieu d’aucune manière.
Mais c’est le contraire. Tenter Dieu est une chose défendue par sa
loi ; car il est dit (Deut., 6, 16) : Vous ne tenterez pas le Seigneur votre Dieu.
Conclusion Tenter Dieu pour connaître la vertu qui est en lui,
c’est un péché puisque cette action procède de l’ignorance ou du doute ; mais
il n’en est pas de même si l’on fait l’épreuve des attributs qui ont rapport à
la perfection divine pour les rendre manifestes aux
autres.
Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc.), tenter c’est faire une épreuve. On ne fait pas
d’épreuve à l’égard des choses dont on est certain. C’est pourquoi toute
tentation procède du doute ou de l’ignorance, soit de la part du tentateur (comme
quand on éprouve une chose pour connaître sa qualité), soit de la part des
autres (comme quand on fait une épreuve sur une chose pour montrer aux autres
ce qu’elle est). C’est de cette manière qu’on dit que Dieu nous tente (C’est
ainsi qu’on dit qu’il a tenté Abraham, Job, Tobie et d’autres saints, pour faire
ressortir leur vertu avec plus d’éclat.). Quand on ignore ce qui a rapport aux
perfections de Dieu ou qu’on en doute, c’est un péché. Il est donc évident que
tenter Dieu pour connaître la vertu qui est en lui, c’est une faute. Mais si on
fait l’épreuve des attributs qui appartiennent à la perfection divine, non pour
les connaître, mais pour les démontrer aux autres, ce n’est pas tenter Dieu,
puisque dans ce cas il y a une juste nécessité, une pieuse utilité et tous les
autres motifs légitimes qui peuvent autoriser une pareille action. C’est ainsi
que les apôtres ont demandé au Seigneur de faire des miracles au nom de
Jésus-Christ (Actes, 4, 29-30) :
Et maintenant, Seigneur, regardez leurs
menaces, et donnez à vos serviteurs d’annoncer votre parole en toute confiance,
en étendant votre main pour opérer des guérisons, des miracles et des prodiges,
par le nom de votre saint Fils Jésus, afin de manifester sa vertu aux
infidèles.
Article 3 : La
tentation de Dieu est-elle opposée à la vertu de religion ?
Objection N°1. Il semble que la
tentation de Dieu ne soit pas opposée à la vertu de religion. Car la tentation
de Dieu est un péché, parce que l’homme doute de Dieu même, comme nous l’avons
dit (art. préc.). Or, douter de Dieu se rapporte au
péché d’infidélité, qui est opposé à la foi. La tentation de Dieu est donc
plutôt opposée à la foi qu’à la religion.
Réponse à l’objection N°1 : Comme nous l’avons dit (quest.
81, art. 7), c’est à la religion qu’il appartient de manifester la foi par des
signes qui témoignent du respect que l’on a pour la Divinité. Pour la même
raison, il appartient à l’irréligion de faire, par défaut de foi, des choses
qui sont des irrévérences envers Dieu, et c’est en cela que consiste la
tentation de Dieu, qui est, par conséquent, une espèce d’impiété.
Objection N°2. Il est dit (Ecclésiastique,
18, 23) : Avant la prière, préparez votre
âme, et ne soyez pas comme un homme qui tente Dieu. A l’occasion de ces
paroles, la glose dit (interl.) : Que celui qui tente Dieu de la
sorte demande ce que Dieu lui a enseigné, mais il ne fait pas ce qu’il lui a
ordonné. Or, cette faute se rapporte à la présomption, qui est opposée à
l’espérance. Il semble donc que la tentation de Dieu soit opposée à cette
vertu.
Réponse à l’objection N°2 : Celui qui ne prépare pas son âme
avant la prière, en oubliant ce qu’il peut avoir contre le prochain (Lorsque vous vous disposerez à prier,
pardonnez, si vous avez quelque chose contre quelqu’un… (Marc, 11, 25).) ou en ne se disposant pas à faire cet acte avec dévotion, ne
fait pas ce qui est en lui pour être exaucé ; c’est pourquoi il tente Dieu
interprétativement. Quoique cette tentation interprétative semble provenir de
la présomption ou de l’indiscrétion, il y a néanmoins là un manque de respect
envers Dieu de la part de celui qui agit ainsi présomptueusement et sans se
conduire avec le soin qu’on doit apporter dans tout ce qui regarde son culte ;
car il est écrit (1 Pierre, 5, 6) : Humiliez-vous
sous la main puissante de Dieu. Et saint Paul dit (2 Tim., 2, 15) : Mettez-vous
en état de paraître devant Dieu comme un ministre digne de son approbation.
Cette tentation est donc une espèce d’impiété.
Objection N°3. Sur ces paroles du Psalmiste (Ps. 77) : Ils ont tenté Dieu
dans leurs cœurs, la glose dit (interl.) : que
tenter Dieu c’est demander avec fourberie, de telle sorte que la simplicité
soit dans les paroles, tandis que la malice est dans le cœur. Or, la fourberie
est opposée à la vertu de la vérité. La tentation de Dieu n’est donc pas
opposée à la religion, mais à la vérité.
Réponse à l’objection N°3 : Par rapport à Dieu qui connaît
les secrets des cœurs, on ne dit pas qu’on lui adresse une demande trompeuse ;
on ne le dit que par rapport aux hommes. Conséquemment le dol ne se rapporte
que par accident à la tentation de Dieu, et c’est pour cette raison qu’il n’est
pas nécessaire que la tentation de Dieu soit directement opposée à la vérité.
Mais c’est le contraire. D’après le passage de la glose que nous
avons cité (art. préc.), tenter Dieu, c’est lui
adresser une demande qu’on ne doit pas lui adresser. Or, demander d’une manière
légitime, c’est faire un acte de religion, comme nous l’avons vu (quest. 83,
art. 3). Tenter Dieu est donc un péché opposé à la
religion.
Conclusion Tenter Dieu est un péché opposé à la vertu de religion,
puisqu’il y a là une irrévérence envers Dieu.
Il faut répondre que, comme on le voit d’après ce que nous avons
dit (quest. 81, art. 1 et 2), la fin de la religion est de rendre à Dieu le
respect qui lui est dû ; par conséquent, tous les actes qui appartiennent directement
à l’irrévérence envers Dieu sont opposés à la religion. Or, il est évident que
tenter quelqu’un, c’est manquer de respect à son égard
; car personne n’a la présomption de tenter celui dont la supériorité ou
l’excellence n’offre pas de doute à ses yeux. D’où il est manifeste que tenter
Dieu est un péché opposé à la religion.
Article 4 : La
tentation de Dieu est-elle un péché plus grave que la superstition ?
Objection N°1. Il semble que la
tentation de Dieu soit un péché plus grave que la superstition. Car on inflige
une peine plus grande pour un péché plus grave. Or, parmi les Juifs la
tentation de Dieu est un péché qui a été puni plus sévèrement que le péché
d’idolâtrie qui est cependant la plus grave de toutes les superstitions. Car
pour le péché d’idolâtrie il y a eu environ vingt-trois mille hommes (D’après
le texte hébreu et les versions grecque, arabe, syriaque et chaldaïque, il n’y
eut que trois mille hommes qui périrent. Philon est du même sentiment (Voyez
les Lettres de quelques juifs, tome
1).) qui ont été frappés de mort, d’après le récit de
l’Exode (chap. 32), tandis que pour le péché de tentation tous absolument sont
morts dans le désert, sans entrer dans la terre promise, suivant ces paroles du
Psalmiste (Ps. 94, 9) : Vos pères m’ont tenté, puis il ajoute : j’ai juré dans ma colère qu’ils
n’entreraient pas en possession de mon repos. La tentation de Dieu est donc
un péché plus grave que la superstition.
Réponse à l’objection N°1 : La peine dont fut puni alors le
péché d’idolâtrie n’était pas suffisante (Les peines de cette vie ne sont pas
l’unique sanction attachée à la loi de Dieu.), et que plus tard il devait
recevoir un châtiment plus grave. Car il est dit dans l’Exode (32, 34) : Je visiterai leur péché au jour de la
vengeance.
Objection N°2. Il semble que plus un péché est grave et plus il
est opposé à la vertu. Or, l’irréligion dont la tentation de Dieu est une
espèce est plus opposée à la vertu de religion que la superstition qui a
quelque ressemblance avec la religion elle-même. La tentation de Dieu est donc
un péché plus grave que la superstition.
Réponse à l’objection N°2 : La superstition a de la
ressemblance avec la religion pour l’acte matériel qu’elle produit, mais
relativement à sa fin elle lui est plus contraire que la tentation de Dieu,
parce qu’elle est une irrévérence plus grave envers la Divinité, comme nous
l’avons dit (dans le corps de cet article.).
Objection N°3. Il semble que ce soit un plus grand péché de
manquer de respect envers ses parents que de témoigner aux autres le respect
qu’on ne doit qu’aux auteurs de ses jours. Or, nous devons honorer Dieu, comme
le père de tout ce qui existe, suivant l’expression du prophète (Mal., chap.
1). La tentation de Dieu, qui est un manque de respect à son égard, paraît donc
un péché plus grave que l’idolâtrie, qui consiste à rendre à la créature les
hommages qu’on ne doit qu’à lui seul.
Réponse à l’objection N°3 : Il est dans la nature de
l’excellence de la Divinité d’être unique et incommunicable ; c’est pourquoi
c’est manquer de respect envers Dieu que de rendre à un autre des honneurs
divins. Mais il n’en est pas de même des honneurs que l’on rend à ses parents ;
on peut les rendre à d’autres sans faire de péché.
Mais c’est le contraire. Sur ces paroles du Deutéronome : Lorsqu’on aura trouvé parmi vous, etc. (Deut., 17, 2), la glose dit (ordin.) : La loi déteste par-dessus tout
l’erreur et l’idolâtrie. Car le plus grand des crimes est de rendre à la
créature l’honneur dû au Créateur.
Conclusion Le vice de la superstition est un péché plus grave que
la tentation de Dieu.
Il faut répondre
que pour les péchés opposés à la vertu de religion, ils sont d’autant plus
graves qu’ils sont plus contraires au respect dû à la Divinité. Or, quand on
doute de l’excellence des perfections divines, on blesse moins le respect dû à
la Divinité que quand on affirme avec certitude le contraire. Car, comme celui
qui est fortement attaché à une erreur est plus infidèle que celui qui doute de
la vérité de la foi, de même celui qui affirme positivement une erreur
contraire à l’excellence des perfections divines, manque de respect envers Dieu
plus grièvement que celui qui émet un doute à ce sujet. Or, l’homme
superstitieux affirme directement une erreur, comme nous l’avons prouvé (quest.
92), tandis que celui qui tente Dieu par ses paroles ou par ses actes n’exprime
qu’un doute à l’égard de l’excellence de la Divinité, comme nous l’avons dit
(art. 1 et 2). La superstition est donc un péché plus grave que la tentation de
Dieu.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
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l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
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