Saint Thomas d ’Aquin - Somme Théologique
2a 2ae = Secunda Secundae
= 2ème partie de la 2ème Partie
Question 98 : Du parjure
Après avoir
traité de la tentation de Dieu, nous avons à nous occuper du parjure. — A cet
égard quatre questions se présentent : 1° La fausseté est-elle requise pour le
parjure ? — 2° Le parjure est-il toujours un péché ? (Le parjure que l’on fait
par défaut de vérité n’admet pas de légèreté de matière. On pèche mortellement
si l’on prend Dieu à témoin du plus léger mensonge. Innocent XI a condamné la
proposition suivante : Vocare Deum in testem mendacii levis, non est tanta irreverentia propter quam velit
aut possit damnare hominem.) — 3° Est-ce toujours
un péché mortel ? (Cet article est une réfutation de l’erreur des priscilliens, qui pensaient le parjure permis : Jura, perjura, secretum prodere noli.) — 4°
Celui qui oblige un parjure à jurer pèche-t-il ?
Objection N°1. Il semble que la
fausseté de ce que l’on affirme par serment ne soit pas requise pour le
parjure. Car, comme nous l’avons dit (quest. 89, art. 3), si la vérité doit
accompagner le serment, le jugement et la justice doivent
l’accompagner aussi. Par conséquent, comme on fait un parjure en manquant à la
vérité, de même on se parjure par défaut de jugement, comme quand on jure
indiscrètement, et par défaut de justice, comme quand on fait serment pour une
chose illicite.
Réponse à l’objection N°1 : Comme le dit saint Jérôme (Sup. Hier, chap. 4), toutes les fois que
l’une de ces trois choses manque, il y a parjure, mais non au même titre : 1°
et avant toutes choses il y a parjure quand la vérité fait défaut, pour le
motif que nous avons donné (dans le corps de cet article.) ; 2° il y a parjure
quand il n’y a pas de justice ; car de quelque manière qu’une personne fasse
serment pour une chose illicite, il tombe par là même dans le faux, puisqu’il
est obligé de faire le contraire de ce qu’il jure ; 3° enfin il y a parjure par
défaut de jugement, parce qu’en jurant indiscrètement on s’expose par là même
au danger de tomber dans une fausseté (Dans le premier cas il y a parjure
proprement dit ; dans les deux autres, le parjure n’a lieu
secondairement.).
Objection N°2. Ce qui sert à confirmer une chose semble l’emporter
sur la chose qu’il confirme ; comme dans un syllogisme les principes sont
supérieurs à la conclusion. Or, dans le serment on se sert du nom de Dieu pour
confirmer la parole de l’homme. Par conséquent, quand quelqu’un jure par les
faux dieux, il semble qu’il se parjure plutôt que quand il affirme par serment
une chose qui n’est pas vraie.
Réponse à l’objection N°2 : Dans un syllogisme les principes
sont au premier rang parce qu’ils ont la nature du principe actif, comme le dit
Aristote (Phys., liv. 2, text. 27). Mais dans les actes moraux la fin l’emporte sur
leur principe actif. C’est pourquoi, quoiqu’on fasse un serment condamnable quand
on jure une vérité au nom des faux dieux, cependant ce serment, tout criminel
qu’il est, ne mérite pas le nom de parjure, parce que le parjure suppose la fin
du serment détruite par la fausseté de la chose qu’on a jurée.
Objection N°3. Dans son livre sur les paroles de l’apôtre saint
Jacques, saint Augustin dit (Serm. 28, chap. 2)
que les hommes font de faux serments, quand ils trompent ou quand ils sont
trompés. Et il en donne trois exemples : 1° Faites jurer, dit-il, quelqu’un qui
pense que la chose qu’il jure est vraie tandis qu’elle est fausse ; 2°
donnez-m’en un autre qui sache qu’elle est fausse et qui la jure comme si elle
était vraie ; 3° supposez un troisième qui pense la chose fausse et qui la jure
comme si elle était vraie, et qui l’est en réalité. Et il ajoute que ce dernier
n’en est pas moins un parjure. La fausseté n’est donc pas requise pour le
parjure.
Réponse à l’objection N°3 : Les actes moraux procèdent de la
volonté qui a pour objet le bien perçu. C’est pourquoi si on prend une chose fausse
pour une chose vraie, ce sera par rapport à la volonté une chose qui sera
fausse matériellement, mais vraie formellement. Quand une chose est fausse et
qu’on la connaît comme telle, il y a alors fausseté matérielle et formelle.
Mais si l’on croit faux ce qui est vrai, l’idée que l’on a est vraie
matériellement et fausse formellement. Dans chacune de ces hypothèses il y a
une sorte de parjure (Il y a un parjure matériel ou formel.), parce qu’il y a
une sorte de fausseté. Mais comme dans tous nos actes le formel doit l’emporter
sur le matériel, celui qui jure une chose fausse qu’il croit vraie n’est pas
parjure de la même manière que celui qui jure une chose vraie qu’il croit
fausse (Le parjure est alors formel sans être matériel, tandis que dans l’hypothèse
précédente il était matériel sans être formel. Le parjure matériel n’est pas
coupable, à moins qu’on n’ait omis les précautions suffisantes pour
s’instruire.). Car, comme le dit saint Augustin (ibid.) : Il importe beaucoup de savoir comment la parole est sortie
de l’esprit ; puisque la langue n’est coupable qu’autant que l’esprit l’est
lui-même.
Mais c’est le contraire. On définit le parjure un mensonge affirmé
avec serment.
Conclusion La fausseté du serment est de l’essence du parjure.
Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (quest. 92, art. 2,
et 1a 2æ, quest. 1, art. 3, et quest. 18, art. 6), les
actes moraux tirent leur espèce de leur fin. Or, le serment a pour fin de
confirmer la parole de l’homme, et la fausseté est opposée à ce but. Car on
confirme ce que l’on dit en montrant que c’est une vérité inébranlable, ce que
l’on ne peut faire à l’égard d’une chose fausse. Par conséquent la fausseté
détruit directement la fin qu’on se propose en jurant. C’est pourquoi la
fausseté est ce qui spécifie principalement la malice de serment qu’on appelle
un parjure. Elle est donc de l’essence du parjure.
Article 2 : Tout
parjure est-il un péché ?
Objection N°1. Il semble que
tout parjure ne soit pas un péché. Car quiconque n’accomplit pas ce qu’il a
juré semble être un parjure. Or, toutes les fois qu’on jure que l’on fera
quelque chose d’illicite, par exemple, un adultère ou un homicide, si on le
fait, on pèche. Si en ne le faisant pas on se rendait coupable de parjure, il
s’ensuivrait qu’on serait perplexe.
Réponse à l’objection N°1 : Celui qui jure qu’il fera une
chose illicite se parjure en faisant ce serment, parce qu’il manque de justice
(Par défaut de justice le parjure est tantôt véniel et tantôt mortel.). Mais
s’il ne fait pas ce qu’il a juré de faire, il ne se parjure plus par là, parce
que ce qu’il a juré ne pouvait être la matière d’un serment.
Objection N°2. On ne pèche pas en faisant ce qu’il y a de mieux.
Or, quelquefois en se parjurant on fait ce qu’il y a de mieux, comme quand on a
juré qu’on n’entrerait pas en religion ou qu’on ne ferait pas quelque autre
acte de vertu. Tout parjure n’est donc pas un péché.
Réponse à l’objection N°2 : Celui qui jure de ne pas entrer
en religion, ou de ne pas donner l’aumône, ou toute autre chose semblable, fait
en ce cas un parjure par défaut de jugement (Par défaut de jugement, le serment
est plus ou moins coupable en raison de la négligence plus ou moins grande que
l’on a mise à s’enquérir de la vérité (Voyez quest. 89, art. 3).). C’est
pourquoi quand il fait ce qu’il y a de mieux, son action n’est plus un parjure,
mais elle lui est contraire, puisque l’acte opposé ne pouvait être la matière
d’un serment.
Objection N°3. Celui qui jure de faire la volonté d’un autre, s’il
ne la fait pas, semble être un parjure. Or, il peut arriver qu’on ne pèche pas
en manquant à cet engagement, comme quand on commande quelque chose de trop dur
et de trop pénible. Il semble donc que tout parjure ne soit pas un péché.
Réponse à l’objection N°3 : Quand on jure ou que l’on promet
de faire la volonté d’un autre on sous-entend toujours cette condition, c’est
que la chose commandée soit licite, honnête, supportable ou qu’elle n’ait rien
d’exagéré.
Objection N°4. Un serment promissoire regarde l’avenir, comme un
serment affirmatif regarde le passé et le présent. Or, il peut arriver que
l’obligation du serment soit détruite par ce qui survient ensuite. Ainsi une
ville jure de conserver une chose, et il arrive ensuite dans cette ville de
nouveaux citoyens qui ne l’ont pas juré ; ou bien un chanoine jure d’observer
les statuts d’une église, et il arrive que postérieurement à son serment on en
fait de nouveaux. Il semble qu’en ce cas celui qui transgresse son serment ne
pèche pas.
Réponse à l’objection N°4 : Le serment étant un acte
personnel, celui qui devient citoyen d’une ville n’est pas obligé par le
serment à conserver ce que la ville a juré de conserver, mais il y est tenu par
la fidélité qui l’oblige du moment où il participe aux biens de la cité à
participer également aux charges. Quant au chanoine qui jure d’observer les
statuts, promulgués dans un chapitre, il n’est pas tenu par son serment à
observer les statuts qu’on peut faire ensuite ; à moins qu’il n’ait eu
l’intention de s’obliger pour tous les statuts faits ou à faire. Néanmoins il
est tenu de les observer par la force même de ces statuts qui ont une puissance
coactive, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (1a 2æ,
quest. 96, art. 4).
Mais c’est le contraire. Dans son livre sur les paroles de
l’apôtre saint Jacques, saint Augustin, parlant du parjure (Serm. 28, chap. 2), s’écrie : Vous voyez combien on doit détester ce
monstre et combien on doit faire d’efforts pour l’exterminer et le bannir des
choses humaines.
Conclusion Tout parjure est un péché, puisqu’il est opposé à la
vertu de religion.
Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (quest. 89, art. 1),
jurer c’est prendre Dieu à témoin. Or, c’est manquer de respect envers Dieu que
de le prendre à témoin pour une chose fausse ; car c’est donner à entendre que
Dieu ne connaît pas la vérité ou qu’il veut attester le mensonge. C’est
pourquoi le parjure est un péché manifestement contraire à la vertu de
religion, qui nous fait un devoir d’honorer Dieu.
Article 3 : Tout
parjure est-il un péché mortel ?
Objection N°1. Il semble que
tout parjure ne soit pas un péché mortel. Car il est dit dans le droit (in Decret.,
part. 2, tit. 24, chap. 15) : A l’égard de la
question qu’on nous fait lorsqu’on nous demande si ceux qui font serment malgré
eux, pour sauver leur vie et leurs biens, sont délivrés du lien qu’ils ont
formé, nous répondons que nous n’avons pas d’autre sentiment que celui de nos
prédécesseurs les souverains pontifes qui ont délié de leur serment ceux qui se
sont trouvés dans ce cas. Au reste, pour agir avec plus de prudence et éloigner
la matière du parjure, il ne faut pas leur dire expressément de ne pas tenir
leur serment ; mais s’ils ne le tiennent pas, on ne doit pas les punir pour
cela, comme pour un péché mortel. Tout parjure n’est donc pas un péché mortel.
Réponse à l’objection N°1 : Comme nous l’avons dit (quest. 89,
art. 7, Réponse N°3), la contrainte (Il y a controverse sur ce point, comme
nous l’avons observé (quest. 89, art. 7).) n’empêche pas le serment promissoire
d’obliger quand il s’agit d’une chose qu’il est permis de faire ; c’est
pourquoi si l’on ne fait pas ce que l’on a juré par contrainte, on n’en est pas
moins parjure et l’on pèche mortellement. Cependant le souverain pontife a le
pouvoir de délier de ces sortes de serments, surtout si la violence a eu pour
cause une crainte (Si la crainte avait été de nature à jeter l’homme hors de
lui-même, de telle sorte qu’il n’ait pas su ce qu’il faisait en faisant le
serment, il est évident que dans ce cas il ne serait tenu à rien.) capable
d’agir sur un homme ferme et constant. Si le droit décide qu’on ne doit pas
punir ces parjures comme ceux qui auraient fait un péché mortel, cela ne
signifie pas qu’ils ne pèchent pas mortellement ; on a seulement eu l’intention
de mitiger leur peine.
Objection N°2. Comme le dit saint Chrysostome (Alius auctor, hom. 94
in op. imperf.)
: Jurer par Dieu c’est plus que de jurer par l’Evangile. Or, celui qui jure par
Dieu pour une chose fausse ne pèche pas toujours mortellement ; tel est, par
exemple, celui qui en riant et sans y penser a l’habitude dans la conversation
d’employer cette sorte de serment. Il n’y a donc pas non plus toujours péché
mortel quand on manque à un serment que l’on a fait solennellement par
l’Evangile.
Réponse à l’objection N°2 : Celui qui fait un serment par
manière de plaisanterie (jocosè)
manque de respect envers la Divinité, et sous un rapport sa légèreté d’esprit
aggrave sa faute ; par conséquent on ne l’excuse pas de péché mortel (Ceux qui
sont dans l’habitude de prendre fréquemment le nom de Dieu à témoin doivent
faire tous leurs efforts pour se corriger de ce défaut, parce que les fautes dans
lesquelles cette habitude entraîne peuvent être plus graves qu’on ne pense.)
Celui qui échappe (ex lapsu
linguæ) un serment à propos d’une chose fausse,
s’il remarque qu’il jure et que ce qu’il atteste avec serment est faux, il
n’est pas non plus excusable de péché mortel, ni de mépris envers Dieu. Mais
s’il n’y fait pas attention, en ce cas il ne paraît pas avoir eu l’intention de
jurer, et c’est ce qui l’excuse du parjure. C’est donc un péché plus grave de
jurer solennellement par l’Evangile que de jurer par Dieu, comme on le ferait
dans une simple conversation, soit parce que le scandale est plus grand, soit
parce qu’on agit avec plus de délibération. Mais, toutes choses égales
d’ailleurs, c’est une plus grande faute de se parjurer quand on jure par Dieu
que quand on jure par l’Evangile.
Objection N°3. D’après le droit pour un parjure on est réputé
infâme, comme on le voit (6, quest. 1, chap. Infames). Or, il ne semble pas
que pour tout parjure on encoure la note d’infamie. Ainsi le droit ne déclare
pas infâme celui qui viole un serment affirmatif. Par conséquent tout parjure
ne paraît pas être un péché mortel.
Réponse à l’objection N°3 : L’on n’est pas déclaré infâme par
le droit pour un péché mortel quelconque. Par conséquent, de ce que celui qui
fait un faux serment affirmatif n’est pas infâme de droit, et qu’il ne l’est
qu’après une sentence définitive portée contre lui, il ne s’ensuit pas pour
cela qu’il ne pèche pas mortellement. C’est pourquoi on regarde plutôt comme
infâme ipso jure celui qui manque à
un serment promissoire qu’il a fait solennellement, parce que celui qui fait
cette sorte de serment peut toujours, après qu’il l’a fait, le rendre véritable
en tenant sa promesse, tandis qu’il n’en est pas de même du jugement
affirmatif.
Mais c’est le contraire. Tout péché qui est contraire au précepte
divin est un péché mortel. Or, le parjure est contraire au précepte divin. Car
il est dit (Lév., 19, 12) : Vous ne jurerez point faussement en mon nom. Il est donc un péché
mortel.
Conclusion Le parjure impliquant par sa nature le mépris de Dieu
est manifestement un péché mortel.
Il faut répondre que, comme le dit Aristote (Post., liv. 1, text. 5), c’est surtout
d’après la fin ou le but d’une chose qu’on la juge. Ainsi nous voyons que ce
qui n’est en soi que péché véniel ou même que ce qui est bon en son genre
devient péché mortel, si on le fait par mépris pour Dieu. Donc à plus forte
raison tout ce qui tend par sa nature au mépris de Dieu est-il péché mortel. Et
comme le parjure implique essentiellement ce mépris, et que ce n’est même une
faute, ainsi que nous l’avons dit (art. préc.), que
parce qu’il suppose un défaut de respect envers Dieu, il en résulte que par sa
nature il est une faute mortelle.
Article 4 : Pèche-t-il
mortellement celui qui fait faire un serment à quelqu’un qui se parjure ?
Objection N°1. Il semble que
celui qui fait faire un serment à un parjure pèche. Car il sait qu’il jure vrai
ou qu’il jure faux. S’il sait qu’il jure vrai, il lui fait faire un serment
pour rien ; ou s’il croit qu’il jure faux, il le porte, autant qu’il est en
lui, à pécher. Il semble donc qu’on ne doive d’aucune manière enjoindre le
serment à quelqu’un.
Réponse à l’objection N°1 : Cette objection se rapporte au
cas où l’on exige le serment pour soi-même. Alors on ne sait pas toujours si
celui qui jure atteste une vérité ou un mensonge ; mais quelquefois on doute
d’un fait et l’on croit que celui qui jure attestera la vérité. En ce cas, pour
plus de certitude, on exige le serment.
Objection N°2. C’est une chose moins grave de recevoir le serment
de quelqu’un que de le lui imposer. Or, il ne paraît pas licite de recevoir de
quelqu’un le serment et surtout s’il fait un parjure, parce que dans ce cas on
paraît consentir à son péché. Il semble donc qu’il soit encore beaucoup moins
permis d’exiger le serment de quelqu’un qui fait un parjure.
Réponse à l’objection N°2 : Comme le dit saint Augustin (Ep. 154), quoiqu’il nous soit défendu de
jurer, cependant on ne trouve dans aucun endroit des saintes Ecritures qu’on ne
doive pas recevoir le serment de quelqu’un. Par conséquent celui qui reçoit ce
serment ne pèche pas, sinon dans le cas où de lui-même il obligerait à jurer
quelqu’un qu’il saurait prêt à faire un faux serment.
Objection N°3. Il est écrit (Lév., 5, 1) : Si un homme pèche,
parce qu’ayant entendu quelqu’un faire un serment et ayant été témoin de ce qui
s’est passé soit pour l’avoir vu, soit pour l’avoir su, il n’a pas voulu
publiquement les dénoncer, il portera la peine de son iniquité. D’où il
résulte que celui qui sait qu’un autre fait un faux serment est tenu de
l’accuser. Il ne lui est donc pas permis d’exiger de lui ce serment.
Réponse à l’objection N°3 : Comme le dit encore le même docteur
(Lib. quæst. sup. Levit.,
quest. 1), Moïse ne dit pas en cet endroit à qui il faut dénoncer le parjure ;
c’est pourquoi on entend qu’on doit le dénoncer plutôt à ceux qui peuvent lui
être utiles qu’à ceux qui peuvent lui nuire, il ne dit pas non plus dans quel
ordre on doit le faire connaître ; c’est pourquoi il semble qu’on doive suivre
l’ordre de l’Evangile, quand le péché du parjure est caché et surtout qu’il ne
tourne point au dommage d’autrui. Car s’il devait nuire à quelqu’un, on ne
devrait plus observer cet ordre, comme nous l’avons dit (quest. 68, art. 1).
Objection N°4. Mais c’est le contraire. Comme celui qui fait un
faux serment pèche, de même celui qui jure par les faux dieux. Or, il est
permis de faire usage du serment de celui qui jure par les faux dieux, selon
saint Augustin (Ep. 154). Par
conséquent il est permis d’exiger le serment de celui qui fait un parjure.
Réponse à l’objection N°4 : Il est permis de se servir du mal
pour le bien, comme Dieu le fait, mais il n’est pas permis de porter quelqu’un
au mal. Ainsi on peut recevoir le serment de celui qui est disposé à jurer par
les faux dieux, mais il n’est pas permis de l’engager à jurer de la sorte (Si
on exigeait de lui qu’il jurât par les faux dieux, ce serait exiger de lui
formellement et directement un péché, ce qui n’est jamais permis.). L’état de
celui qui fait un faux serment au nom du vrai Dieu, paraît être tout différent,
parce que dans un serment de cette nature il n’y a pas la bonne foi qu’on peut
mettre à profit dans le serment de celui qui prend les faux dieux à témoin pour
une chose vraie, comme le dit saint Augustin (Ep. 154). Par conséquent, dans le serment de celui qui jure par le
vrai Dieu une chose fausse, il n’y a rien de bon dont il soit permis de faire
usage (C’est pourquoi saint Thomas permet l’un sans vouloir permettre
l’autre.).
Conclusion Si quelqu’un, comme homme privé, exige le serment d’un
autre qu’il ne saurait pas prêt à faire un parjure, il ne pèche pas, mais il en
serait autrement s’il le savait : pour une personne publique qui exige le
serment conformément à la loi sur la demande d’un tiers, quelque connaissance
qu’il ait des dispositions de celui qui jure, il est absolument exempt de
péché.
Il faut répondre
qu’à l’égard de celui qui exige d’un autre le serment il y a une distinction à
faire. Car ou il exige le serment pour lui-même, de son chef, ou il l’exige
pour un autre, selon qu’il y est contraint par les devoirs de la charge qu’il
remplit. Si on exige le serment pour soi-même, comme homme privé, il faut
encore distinguer, comme le dit saint Augustin (Serm. 28 de verb. apost., chap. 10). Car s’il ne sait pas
qu’il va faire un faux serment (Dans le cas où il y aurait doute sur la
fidélité de celui qui fait le serment, on pourrait toujours l’exiger, parce que
le doute ne suffit pas pour détruire un droit acquis.) et qu’il lui dise de
jurer afin d’être plus sur de sa parole, il n’y a pas de péché à demander ce
serment, mais il y a là une tentation humaine, parce qu’on agit ainsi d’après
les conseils de notre faible nature qui doute toujours de la véracité des
autres. C’est de ce serment dont parle Notre-Seigneur quand il dit (Matth., 5, 37) : Que
ce qui va plus loin vient du mal. Mais s’il sait que celui qui jure a fait
le contraire de ce qu’il affirme avec serment et qu’il le force néanmoins à
jurer, il est un homicide (Saint Thomas compare le parjure à l’homicide, et il
montre qu’en lui-même et d’après son objet il est plus grave (Quolibet., 1, art. 18).). Car le parjure
donne à son âme la mort, et celui qui l’a contraint de jurer lui a mis le
poignard à la main et l’a poussé à se le plonger dans le sein (Cependant si le
serment était un moyen de faire triompher la justice, saint Alphonse de Liguori
reconnaît qu’on aurait droit de l’exiger malgré le parjure (Theolog. mor.,
liv. 2, n° 77).). — Pour une personne publique, si elle exige le serment
conformément à la loi sur la demande d’un tiers, il n’y a pas faute pour elle
d’obliger au serment, quelque connaissance qu’elle ait préalablement de la
fausseté ou de la vérité du serment. Car ce n’est pas elle qui exige le
serment, elle ne l’exige que sur les instances de l’autre partie dont les
intérêts sont en cause.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
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