Saint Thomas d ’Aquin - Somme Théologique

2a 2ae = Secunda Secundae = 2ème partie de la 2ème Partie

Question 104 : De l’obéissance

 

            Nous devons maintenant nous occuper de l’obéissance. — A ce sujet six questions se présentent : 1° Un homme doit-il obéir à un autre homme ? (Cet article est une réfutation de Luther, qui voulait que l’homme fût libre et indépendant de toute loi humaine.) — 2° L’obéissance est-elle une vertu spéciale ? (On définit l’obéissance : Virtus per quam aliquis sui superioris præcepto obtemperat, ex intentione satisfaciendi ejus præcepto.) — 3° Du rapport qu’il y a entre cette vertu et les autres. (Il ne peut être ici question que des vertus morales ; car il est certain que les vertus théologales l’emportent sur toutes les autres.) — 4° Doit-on obéir à Dieu en toutes choses ? — 5° Les sujets sont-ils tenus d’obéir en tout à leurs supérieurs ? (L’Ecriture commande à la femme d’obéir au mari (Gen., chap. 3 et Eph., chap. 5), aux enfants d’obéir à leurs parents (Ex., chap. 20, et Eph., chap. 6) et aux serviteurs d’obéir à leur maître (Col., chap. 3), et en général, à tout inférieur d’obéir à son supérieur (Rom., 13, 1) : Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures.) — 6° Les fidèles sont-ils tenus d’obéir aux puissances séculières ? (Cet article est une réfutation des pseudo- apostoliques, qui voulaient qu’on ne fût soumis qu’au Christ ; de Luther, qui prétendait que les chrétiens ne pouvaient être asservis à une loi qu’autant qu’ils le voulaient ; de Wiclef, des pauvres de Lyon et des anabaptistes.)

 

Article 1 : Un homme est-il tenu d’obéir à un autre ?

 

Objection N°1. Il semble qu’un homme ne soit pas tenu d’obéir à un autre. Car on ne doit rien faire contre ce que Dieu a établi. Or, il est d’institution divine que l’homme soit régi par son propre conseil, d’après ces paroles de l’Ecriture (Ecclésiastique, 15, 14) : Dieu a établi l’homme dès le commencement et l’a laissé dans la main de son conseil. Un homme n’est donc pas tenu d’obéir à un autre.

Réponse à l’objection N°1 : Dieu a laissé l’homme dans la main de son conseil, non parce qu’il lui permet de faire tout ce qu’il veut, mais parce qu’il ne le contraint pas par la nécessité de la nature, comme les créatures irraisonnables, à exécuter ce qu’il doit faire, et qu’il l’y amène par la libre élection qui émane de son propre conseil. Et comme il doit agir d’après son propre conseil dans ses autres actions, il doit agir de même en obéissant à ses supérieurs ; car saint Grégoire dit (Moral., liv. ult., chap. 10) : qu’en obéissant humblement à la voix d’un autre, nous triomphons de nous-mêmes dans notre cœur.

 

Objection N°2. Si l’on était tenu d’obéir à quelqu’un, il faudrait qu’on regardât la volonté de celui qui commande comme la règle de ses actions. Or, il n’y a que la volonté de Dieu, qui est toujours droite, qui soit la règle des actions humaines. L’homme n’est donc tenu d’obéir qu’à Dieu.

Réponse à l’objection N°2 : La volonté divine est la première règle qui régisse toutes les volontés raisonnables ; mais l’une s’en approche plus que l’autre, d’après l’ordre établi de Dieu. C’est pourquoi la volonté de celui qui commande peut être comme la seconde règle de la volonté de celui qui obéit.

 

Objection N°3. Les services sont d’autant plus agréables qu’ils sont plus gratuits. Or, ce que l’homme fait par devoir n’est pas gratuit. Si donc l’homme était tenu par devoir d’obéir aux autres en faisant de bonnes actions, ses bonnes œuvres deviendraient moins méritoires, par là même qu’elles seraient faites par obéissance. Il n’est donc pas tenu d’obéir à un autre.

Réponse à l’objection N°3 : On peut regarder une chose comme gratuite, de deux manières : 1° par rapport à l’action elle-même, parce que l’homme n’est pas obligé de la faire ; 2° par rapport à celui qui l’opère, parce qu’il la fait librement. Or, une œuvre devient vertueuse, louable et méritoire, surtout selon qu’elle procède de la volonté. C’est pourquoi, quoique l’obéissance soit un devoir, si on le remplit avec une volonté bien disposée, on n’en a pas moins de mérite pour cela, principalement devant Dieu, qui ne voit pas seulement les œuvres extérieures, mais encore la volonté intérieure.

 

Mais c’est le contraire. L’Apôtre dit (Héb., 13, 17) : Obéissez à ceux qui vous sont préposés et soyez-leur soumis.

 

Conclusion Comme dans la nature les choses inférieures sont soumises au mouvement de celles qui sont au-dessus d’elles, de même dans la société, d’après le droit naturel et divin, les inférieurs sont tenus d’obéir à leurs supérieurs.

Il faut répondre que comme les actions des choses naturelles procèdent des puissances naturelles, de même les opérations humaines procèdent de la volonté de l’homme. Or, dans la nature, il a fallu que les choses supérieures missent en mouvement les inférieures, par la supériorité de la vertu naturelle qu’elles ont reçue de Dieu. Il faut donc aussi que dans la société les supérieurs meuvent les inférieurs par leur volonté, en vertu de l’autorité que Dieu leur a accordée. Et puisque mouvoir par la raison et la volonté, c’est commander ; il s’ensuit que, comme d’après l’ordre naturel établi par Dieu, les choses inférieures sont nécessairement soumises dans la nature au mouvement de celles qui sont au-dessus d’elles ; de même dans la société, d’après le droit naturel et divin, les inférieurs sont tenus d’obéir à leurs supérieurs.

 

Article 2 : L’obéissance est-elle une vertu spéciale ?

 

Objection N°1. Il semble que l’obéissance ne soit pas une vertu spéciale. Car la désobéissance lui est opposée. Or, la désobéissance est un péché général ; puisque saint Ambroise dit (Lib. de parad., chap. 8) : que le péché est une désobéissance à la loi de Dieu. L’obéissance n’est donc pas une vertu spéciale, mais générale.

Réponse à l’objection N°1 : Rien n’empêche que deux raisons spéciales, auxquelles deux vertus particulières se rapportent, se rencontrent dans un seul et même objet matériel ; comme un soldat, qui défend le camp du roi, fait un acte de courage en ne refusant pas de braver la mort pour une bonne cause, et il fait un acte de justice en rendant à son maître le service qu’il lui doit. C’est ainsi que le commandement, qui est l’objet de l’obéissance, se trouve aussi dans les actes de toutes les vertus. Il n’est cependant pas dans tous leurs actes, parce qu’ils ne sont pas tous de précepte, ainsi que nous l’avons vu (1a 2æ, quest. 96, art. 3). Il y a aussi des choses qui sont de précepte et qui n’appartiennent à aucune autre vertu, comme on le voit à l’égard des choses qui ne sont mauvaises que parce qu’elles sont défendues (Tels sont les actes indifférents qui tirent leur bonté ou leur malice morale de ce qu’ils sont commandés ou défendus, et qui ne se rapportent ainsi qu’à la vertu d’obéissance.). Par conséquent, si on prend l’obéissance dans son sens propre, selon que l’intention se rapporte formellement à la nature du précepte, elle est une vertu spéciale et la désobéissance un péché particulier. Car en ce sens, l’obéissance exige qu’on accomplisse un acte de justice ou l’acte d’une autre vertu, dans l’intention de remplir un précepte ; et la désobéissance demande que l’on méprise actuellement ce précepte. Mais si l’obéissance se prend dans un sens large pour l’exécution de tout ce qui peut être de précepte, et la désobéissance pour l’omission de ces mêmes choses, quelle que soit d’ailleurs l’intention que l’on ait, alors l’obéissance est une vertu générale, et la désobéissance un péché qui est général aussi.

 

Objection N°2. Toute vertu particulière est ou théologale ou morale. Or, l’obéissance n’est pas une vertu théologale, parce qu’elle n’est comprise ni sous la foi, ni sous l’espérance, ni sous la charité. Elle n’est pas non plus une vertu morale, parce qu’elle n’occupe pas un milieu entre deux extrêmes, car plus on est obéissant et plus on est digne d’éloges. Elle n’est donc pas une vertu spéciale.

Réponse à l’objection N°2 : L’obéissance n’est pas une vertu théologale. Car elle n’a pas par elle-même Dieu pour objet, mais elle se rapporte à l’ordre d’un supérieur quelconque, exprès ou interprétatif, c’est-à-dire qu’elle a pour objet la simple parole qui manifeste la volonté du supérieur, et qu’elle consiste à lui obéir avec empressement, d’après ce passage de l’Apôtre (Tite, 3, 1) : Avertissez les fidèles d’être soumis aux princes et aux magistrats et d’obéir à leurs ordres, etc. Mais elle est une vertu morale, puisqu’elle est une partie de la justice, et elle tient le milieu entre deux extrêmes. Son excès se considère, non seulement quant à son étendue, mais encore relativement à d’autres circonstances, par exemple, quand on obéit à quelqu’un qu’on ne doit pas écouter, ou pour des choses que l’on ne doit pas faire, comme nous l’avons dit à l’égard de la religion (quest. 92, art. 2). On peut dire aussi que, comme dans la justice, il y a excès à retenir ce qui est à autrui, et défaut quand on ne rend pas ce que l’on doit, d’après Aristote (Eth., liv. 5, chap. 4), de même l’obéissance est un milieu entre l’excès qu’il ya de la part de l’inférieur à se soustraire à l’autorité supérieure, pour faire avec trop de complaisance sa propre volonté, et le défaut qu’il y a de la part du supérieur auquel on n’obéit pas. Ainsi, d’après cela, l’obéissance tient le milieu entre deux espèces de fautes, comme nous l’avons dit à l’égard de la justice (quest. 58, art. 10).

 

Objection N°3. Saint Grégoire dit (Mor., liv. ult. chap. 10) : que l’obéissance est d’autant plus méritoire et digne d’éloges, qu’il y a moins du sien. Or, toute vertu spéciale est au contraire d’autant plus louable qu’elle y met du sien davantage, parce qu’il est nécessaire à la vertu qu’elle résulte du choix et de la volonté, comme le dit Aristote (Eth., liv. 2, chap. 4). L’obéissance n’est donc pas une vertu spéciale.

Réponse à l’objection N°3 : Comme toute autre vertu, doit rendre la volonté prompte à se porter vers son propre objet, mais non vers ce qui lui répugne. Or, l’objet propre de l’obéissance est l’ordre qui procède de la volonté d’un autre. Par conséquent l’obéissance rend la volonté de l’homme prête à accomplir la volonté de celui qui lui commande. Si la chose qu’on lui commande est une chose qu’il veut pour lui-même et qu’il s’y porte de sa propre volonté, sans avoir égard au précepte, comme il arrive à l’égard de ce qui est conforme à ses intérêts, il ne paraît pas faire la chose parce qu’elle lui est commandée, mais à cause de sa volonté propre. Au contraire, quand ce qu’on commande, n’est voulu en soi d’aucune manière, mais que considéré en lui-même il répugne à la volonté propre, comme quand il s’agit de choses fâcheuses, alors il est absolument évident que celui qui obéit n’agit qu’en vue du précepte. C’est ce qui fait dire à saint Grégoire (Mor., liv. ult., chap. 10) que l’obéissance qui trouve son compte dans les choses qui lui sont avantageuses est nulle ou qu’elle est moindre ; parce que la volonté propre ne paraît pas avoir pour but principal l’accomplissement du précepte, mais l’exécution de son propre désir ; au lieu que dans ce qui est désavantageux ou difficile, elle est plus grande, parce que la volonté propre n’a d’autre but que d’obéir. Mais on ne doit entendre cela que de ce qui paraît au dehors. Car, d’après le jugement de Dieu qui voit le fond des cœurs, il peut se faire que l’obéissance qui trouve son intérêt dans la soumission n’en soit pas moins louable pour cela ; si, par exemple, la volonté propre de celui qui obéit ne se porte pas avec moins d’empressement à l’accomplissement du précepte.

 

Objection N°4. Les vertus diffèrent d’espèce selon leurs objets. Or, l’objet de l’obéissance paraît être le commandement du supérieur, qui peut varier à l’infini, selon les divers degrés de supériorité. L’obéissance est donc une vertu générale qui renferme sous elle une foule de vertus spéciales.

Réponse à l’objection N°4 : Le respect se rapporte directement à la personne qui excelle ; c’est pourquoi on en distingue différentes espèces selon les différentes espèces de prééminence. Mais l’obéissance a pour objet l’ordre de la personne qui est au-dessus des autres. C’est pour ce motif qu’elle n’est que d’une seule espèce (Le respect a pour objet l’excellence de la personne, et il varie selon la dignité de la personne elle-même. L’obéissance se rapporte à la puissance. Il y a plusieurs espèces de puissances : la puissance divine, la puissance ecclésiastique, la puissance civile ; mais l’obéissance reste spécifiquement la même, parce que toute puissance, quelle qu’elle soit, a le droit d’exiger l’acte de cette vertu.). Mais parce qu’on doit obéir aux ordres d’une personne en raison du respect qu’on a pour elle, il s’ensuit que quoique l’obéissance de l’homme soit spécifiquement la même, elle procède néanmoins de causes d’espèces différentes.

 

Mais c’est le contraire. Il y a des auteurs qui font de l’obéissance une partie de la justice, comme nous l’avons dit (quest. 80).

 

Conclusion L’obéissance est une vertu spéciale dont l’objet est l’ordre tacite ou expresse du supérieur.

Il faut répondre qu’il y a une vertu spéciale pour toutes les bonnes œuvres qui doivent être louées pour une raison particulière, car le propre de la vertu, c’est de rendre bonnes les actions. Or, on doit obéir au supérieur selon l’ordre que Dieu a établi dans la création, comme nous l’avons montré (art. préc.) ; et par conséquent c’est une bonne chose, puisque le bien consiste dans le mode, l’espèce et l’ordre, d’après saint Augustin (Lib. de nat. bon., chap. 3). Cet acte a une raison spéciale d’être loué d’après son objet particulier. Car, puisque les inférieurs doivent beaucoup de choses à leurs supérieurs, parmi ces choses il y en a une particulière : c’est qu’ils doivent obéir à leurs préceptes. L’obéissance est donc une vertu spéciale, et son objet particulier est le commandement tacite ou exprès. Car de quelque manière que la volonté du supérieur se révèle, il y a un ordre tacite (Ainsi, quand on agit avant d’en avoir reçu l’ordre, il faut que l’on sache quelles sont intérieurement les intentions de celui qui commande, et qu’on aille au-devant de ses désirs. Dans ce cas, l’ordre est tacite ; sans cela il n’y aurait pas acte d’obéissance.), et l’obéissance paraît d’autant plus prompte, que l’on prévient l’ordre exprès, en exécutant la volonté du supérieur aussitôt qu’on l’a comprise.

 

Article 3 : L’obéissance est-elle la plus grande des vertus ?

 

Objection N°1. Il semble que l’obéissance soit la plus grande des vertus. Car l’Ecriture dit (1 Rois, 15, 22) que l’obéissance vaut mieux que le sacrifice. Or, l’oblation des victimes appartient à la religion qui est la première de toutes les vertus morales, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (quest. 81, art. 6). L’obéissance est donc la première de toutes les vertus.

Réponse à l’objection N°1 : L’obéissance procède du respect qui rend un culte et un honneur à un supérieur. Sous ce rapport elle est contenue sous des vertus diverses ; quoique considérée en elle-même, selon qu’elle se rapporte au précepte, elle ne forme qu’une seule vertu spéciale. Ainsi, selon qu’elle procède de la révérence qu’on doit aux supérieurs, elle est comprise sous le respect ; selon qu’elle procède de la vénération due aux parents, elle est renfermée sous la piété ; selon qu’elle procède du respect dû à Dieu, elle est comprise sous la religion et elle appartient à la dévotion qui est l’acte principal de cette vertu (C’est de la sorte que les actes de plusieurs vertus différentes peuvent concourir à un seul et même acte d’obéissance ; ainsi on peut jeûner pour satisfaire au précepte, c’est de l’obéissance par égard pour le supérieur qui l’ordonne, c’est un acte de respect ; par révérence pour Dieu, c’est un acte de religion.). Par conséquent, d’après cela il est plus louable d’obéir à Dieu que d’offrir un sacrifice, parce que, selon l’expression de saint Grégoire (loc. sup. cit.), dans le sacrifice on immole une chair étrangère, tandis que par l’obéissance on immole sa propre volonté. Cependant spécialement dans le cas où parlait Samuel, il aurait été mieux pour Saul d’obéir à Dieu que d’offrir en sacrifice, contrairement à l’ordre divin, les animaux gras des Amalécites.

 

Objection N°2. Saint Grégoire dit (Mor., liv. ult., chap. 10) que l’obéissance est la seule vertu qui introduise toutes les vertus dans l’âme et qui les y conserve. Or, la cause l’emporte sur l’effet. L’obéissance vaut donc mieux que toutes les vertus.

Réponse à l’objection N°2 : Tous les actes des vertus appartiennent à l’obéissance, selon qu’ils sont de précepte. Par conséquent, selon qu’elle produit les actes des vertus à titre de cause, ou qu’elle dispose à leur production et à leur conservation, on dit que l’obéissance fait naître dans l’âme toutes les vertus et qu’elle les y conserve. Cependant il ne s’ensuit pas que l’obéissance soit absolument avant toutes les vertus, pour deux raisons : 1° Parce que quoique l’acte de la vertu soit commandé, cependant on peut l’accomplir, sans faire attention au précepte. Par conséquent s’il y a une vertu dont l’objet ait naturellement la priorité sur le précepte, on dit que cette vertu est naturellement antérieure à l’obéissance, comme on le voit à l’égard de la foi, qui nous manifeste la sublimité de l’autorité de Dieu qui lui donne le pouvoir de commander (Car, avant d’admettre que Dieu a le pouvoir de commander, il faut déjà croire qu’il existe.). 2° Parce que l’infusion de la grâce et des vertus peut précéder, même temporairement, tout acte vertueux. Ainsi l’obéissance n’a sur toutes les autres vertus, ni une priorité de temps, ni une priorité de nature.

 

Objection N°3. Saint Grégoire dit (Mor., liv. ult., ibid.) qu’on ne doit jamais faire le mal par obéissance ; mais que quelquefois on doit par obéissance interrompre le bien que l’on fait. Or, on n’interrompt une chose que pour un bien meilleur. L’obéissance pour laquelle on laisse le bien des autres vertus est donc meilleure qu’elles.

Réponse à l’objection N°3 : Il y a deux sortes de bien : l’un que l’homme est nécessairement tenu de faire, comme aimer Dieu ; on ne doit d’aucune manière se dispenser de faire ce bien pour obéir. Il y a un autre bien auquel l’homme n’est pas nécessairement obligé (Il s’agit ici du bien de surérogation, qui est seulement de conseil.). Quelquefois on doit omettre cette espèce de bien par obéissance : parce qu’on ne doit pas faire un bien en se rendant coupable d’une faute. Toutefois, comme l’observe saint Grégoire (ibid.), celui qui détourne ceux qui lui sont soumis d’un bien quelconque, doit leur faire beaucoup d’avantages, de peur qu’il ne ruine absolument leurs âmes si, en les éloignant de tout bien, il leur imposait une privation absolue. C’est ainsi que par l’obéissance et par d’autres biens semblables on peut compenser la perte d’un bien quelconque.

 

Mais c’est le contraire. L’obéissance est louable par là même qu’elle procède de la charité. Car saint Grégoire dit (Moral., liv. ult.) qu’on doit obéir non par une crainte servile, mais par une affection de charité, non par la crainte du châtiment, mais par l’amour de la justice. La charité est donc une vertu plus noble que l’obéissance.

 

Conclusion L’obéissance par laquelle on renonce à cause de Dieu à sa propre volonté, qui est le plus grand de tous les biens de l’homme, est une des premières vertus morales.

Il faut répondre que, comme le péché consiste en ce que l’homme s’attache, par mépris pour Dieu, aux biens qui changent ; de même le mérite de l’acte vertueux consiste en ce que l’homme s’attache à Dieu comme à sa fin, au mépris des biens créés. Or, la fin l’emporte sur les moyens. Si donc l’on méprise les biens créés pour s’attacher à Dieu, on mérite plus d’être loué de ce qu’on s’attache à Dieu, que de ce qu’on méprise les biens de la terre. C’est pourquoi les vertus par lesquelles on s’attache à Dieu considéré en lui-même, c’est-à-dire les vertus théologales, sont plus nobles que les vertus morales, par lesquelles on méprise ce qui est terrestre pour s’attacher à Dieu. — Parmi les vertus morales, une vertu est d’autant plus noble que ce qu’elle méprise pour s’attacher à Dieu est plus élevé. Or, il y a trois genres de biens que l’homme peut mépriser à cause de Dieu. Le dernier de ces biens, ce sont les richesses extérieures ; les biens intermédiaires sont ceux du corps ; enfin les plus élevés sont les biens de l’âme, parmi lesquels la volonté tient le premier rang, en ce sens que c’est par la volonté que l’homme fait usage de tous les autres biens. C’est pourquoi, absolument parlant, la vertu de l’obéissance qui méprise à cause de Dieu la volonté propre est plus louable que les autres vertus morales (Si on considérait la vertu du côté de l’objet, l’obéissance serait inférieure à la religion, parce que la religion, qui a pour but direct et immédiat d’honorer Dieu, approche de lui davantage ; mais si on la considère accidentellement d’après ce qu’elle méprise pour s’attacher à Dieu, l’obéissance doit être placée au premier rang.) qui méprisent dans le même but d’autres biens. — D’où saint Grégoire conclut (loc. cit.) que l’obéissance est en effet préférable aux sacrifices, parce que par les victimes on immole une chair étrangère, tandis que par l’obéissance on immole sa propre volonté. C’est aussi pour ce motif que toutes les œuvres des autres vertus ne sont méritoires devant Dieu que parce qu’on les fait pour obéir à sa volonté. Car si quelqu’un souffrait le martyre ou qu’il donnât ses biens aux pauvres dans un autre but que pour accomplir la volonté divine, ce qui appartient directement à l’obéissance, ses actes ne pourraient être méritoires. Ils ne pourraient pas l’être non plus, s’il les produisait sans la charité qui ne peut exister sans l’obéissance ; puisqu’il est dit (1 Jean, 2, 4) : Celui qui dit qu’il connaît Dieu et qui ne garde pas ses commandements est un menteur… mais si quelqu’un met en pratique ses paroles, la charité de Dieu est véritablement parfaite en lui. Et il en est ainsi parce que l’amitié fait que l’on veut et que l’on ne veut pas la même chose (Elle est cause que les volontés de ceux qu’elle unit sont toujours d’accord.).

 

Article 4 : Doit-on en tout obéir à Dieu ?

 

Objection N°1. Il semble qu’on ne doive pas en tout obéir à Dieu. Car l’Evangile dit (Matth., 9, 30) que le Seigneur défendit aux deux aveugles qu’il avait guéris de le dire à personne. Cependant ils s’en allèrent et le divulguèrent par tout le pays, et ils n’en sont pas blâmés. Il semble donc que nous ne soyons pas tenus en tout d’obéir à Dieu.

Réponse à l’objection N°1 : Le Seigneur a dit aux aveugles de ne pas parler de son miracle, sans avoir eu l’intention de les obliger au secret par la vertu d’un précepte divin. Mais, comme le dit saint Grégoire (Mor., liv. 19, chap. 14), il s’est donné en exemple à ses disciples, pour leur apprendre qu’ils devaient chercher à tenir leurs vertus cachées, bien qu’elles dussent être divulguées malgré eux pour l’édification des autres.

 

Objection N°2. Personne n’est tenu de faire quelque chose contre la vertu. Or, il y a des préceptes de Dieu qui sont contraires à la vertu. Ainsi il a ordonné à Abraham de tuer son fils innocent (Gen., chap. 22) ; il a dit aux Juifs de voler les vases des Egyptiens (Ex., chap. 11), ce qui est contraire à la justice ; et il a commandé à Osée d’épouser une femme adultère, ce qui est opposé à la chasteté. On ne doit donc pas obéir à Dieu en tout.

Réponse à l’objection N°2 : Dieu ne fait rien contre nature, parce que la nature de chaque chose consiste principalement en ce que Dieu opère en elle, comme on le voit (Gloss. ad Rom. chap. 11 ex August., lib. 20, cont. Faust., chap. 3), mais il agit quelquefois contre le cours ordinaire de la nature. De même Dieu ne peut rien commander de contraire à la vertu, parce que la vertu et la droiture de la volonté humaine consistent principalement à se conformer à la volonté de Dieu et à suivre ses ordres, quand même ils seraient contraires au mode ordinaire de la vertu. Ainsi l’ordre que reçut Abraham de tuer son fds innocent ne fut pas contraire à la justice ; parce que Dieu est l’auteur de la vie et de la mort. De même il n’était pas contraire à la justice qu’il ordonnât aux Juifs d’enlever ce qui appartenait aux Egyptiens ; parce que tous les biens sont à lui et il les donne à qui il lui plaît. Il n’était pas non plus contraire à la chasteté qu’il eut commandé à Osée d’épouser une femme adultère ; parce que Dieu est l’ordonnateur de la génération humaine, et l’usage légitime que l’on doit faire des femmes, c’est celui qu’il a prescrit. D’où il est évident qu’aucun de ces personnages n’a péché en lui obéissant ou en voulant le faire.

 

Objection N°3. Celui qui obéit à Dieu conforme sa volonté à la volonté divine à l’égard de l’objet voulu. Or, nous ne sommes pas tenus de conformer de cette manière notre volonté à la volonté de Dieu, comme nous l’avons vu (1a 2æ, quest. 19, art. 10). Nous ne sommes donc pas tenus d’obéir à Dieu en tout.

Réponse à l’objection N°3 : Quoique l’homme ne soit pas toujours tenu de vouloir ce que Dieu veut ; cependant il est toujours tenu de vouloir ce que Dieu veut qu’il veuille ; et c’est ce qui lui est principalement manifesté par le précepte divin. C’est pourquoi l’homme est tenu d’obéir en tout aux préceptes de Dieu.

 

Mais c’est le contraire. (Ex., 24, 9) : Tout ce que le Seigneur a dit, nous le ferons et nous lui obéirons.

 

Conclusion Comme tous les êtres sont soumis à la motion de Dieu par une nécessité de nature, de même tous les hommes sont tenus d’obéir à ses ordres par une nécessité de justice.

Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. 1), celui qui obéit est mû par l’ordre de celui qui le commande, comme les choses naturelles sont mues par leurs moteurs. Or, comme Dieu est le premier moteur de tout ce qui est mû naturellement, de même il est le premier moteur de toutes les volontés, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (1a 2æ, quest. 9, art. 6). C’est pourquoi comme toutes les choses naturelles sont soumises à son impulsion par une nécessité naturelle, de même toutes les volontés sont tenues d’obéir à ses ordres par une nécessité de justice.

 

Article 5 : Les inférieurs sont-ils tenus d’obéir en tout à leurs supérieurs ?

 

Objection N°1. Il semble que les inférieurs soient tenus d’obéir en tout à leurs supérieurs. Car l’Apôtre dit (Col., 3, 20) : Enfants, obéissez en tout à vos parents ; puis il ajoute : Serviteurs, obéissez en tout à vos maîtres selon la chair. Donc pour la même raison les autres inférieurs doivent obéir en tout à leurs supérieurs.

Réponse à l’objection N°1 : Dans ce passage de l’Apôtre, le mot tout doit s’entendre de tout ce qui appartient au droit des pères ou de la puissance des maîtres.

 

Objection N°2. Les supérieurs sont des intermédiaires entre Dieu et ceux qui leur sont soumis, d’après ces paroles de la loi (Deut., 5, 5) : Je fus dans ce temps médiateur entre Dieu et vous, pour vous annoncer ses paroles. Or, on ne va d’un extrême à l’autre qu’en passant par le milieu. Par conséquent on doit considérer les ordres d’un supérieur comme les ordres de Dieu. C’est ainsi que l’Apôtre dit (Gal., 4, 14) : Vous m’avez reçu comme l’ange de Dieu, comme Jésus-Christ ; et ailleurs (1 Thess., 2, 13) : Ayant entendu la parole de Dieu que nous vous prêchons, vous l’avez reçue, non comme la parole des hommes, mais comme étant, ainsi qu’elle l’est véritablement, la parole de Dieu. Donc, comme l’homme doit obéir à Dieu en tout, de même il doit obéir de la sorte à ses supérieurs.

Réponse à l’objection N°2 : L’homme est soumis à Dieu absolument pour toutes choses, pour les choses intérieures et extérieures. C’est pourquoi il est tenu de lui obéir en tout. Mais les inférieurs ne sont pas ainsi soumis à leurs supérieurs, ils ne le sont que pour des choses déterminées. A l’égard de ces choses les supérieurs sont des intermédiaires entre Dieu et leurs inférieurs ; mais pour le reste, ces derniers sont immédiatement soumis à Dieu qui les éclaire par la loi naturelle ou écrite.

 

Objection N°3. Comme les religieux dans leur profession font vœu de chasteté et de pauvreté, de même ils font vœu d’obéissance. Or, un religieux est tenu de conserver en tout la chasteté et la pauvreté. Il est donc tenu pareillement d’obéir en tout.

Réponse à l’objection N°3 : Les religieux font profession d’obéissance à l’égard de la règle, d’après laquelle ils sont soumis à leurs supérieurs. C’est pourquoi ils ne sont tenus de leur obéir que pour les choses qui peuvent se rapporter à cette règle, et cette obéissance suffit pour qu’ils soient sauvés. S’ils veulent leur obéir en d’autres points, ce sera le comble de la perfection ; pourvu que ces choses ne soient pas contre Dieu ou contre la règle qu’ils ont embrassée, parce que cette obéissance serait illicite. Ainsi on peut donc distinguer trois sortes d’obéissance : l’une qui suffit au salut, et qui obéit pour tout ce qui est d’obligation ; l’autre parfaite qui obéit en tout ce qui est permis ; et la troisième qui manque de discernement et qui obéit même dans ce qui est illicite (Il est à remarquer que pour être dispensé de l’obéissance il faut que la chose commandée soit évidemment contraire à la loi de Dieu. S’il y a doute on doit obéir. On excuse même un enfant qui irait contre une loi de l’Eglise pour obéir à ses parents, s’il ne pouvait faire autrement sans de graves inconvénients.).

 

Mais c’est le contraire. Il est dit (Actes, 5, 29) qu’il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes. Or, quelquefois les ordres des supérieurs sont contre Dieu. On ne doit donc pas leur obéir en tout.

 

Conclusion Les inférieurs sont tenus d’obéir à leurs supérieurs seulement dans les choses pour lesquelles ils leur sont soumis, et pour lesquelles les supérieurs ne sont pas en opposition avec l’ordre d’une puissance plus élevée.

Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. 1 et 4), celui qui obéit est mû d’après l’ordre de celui qui le commande par une nécessité de justice ; comme les choses naturelles sont mues d’après la vertu de leur moteur par une nécessité de nature. Or, il peut arriver de deux manières qu’une chose naturelle ne soit pas mue par son moteur : 1° par suite d’un obstacle qui provient de la vertu plus forte d’un autre moteur. C’est ainsi que le bois n’est pas brûlé par le feu, si la puissance plus forte de l’eau l’en empêche ; 2° parce que le mobile est imparfaitement soumis au moteur. Car quoiqu’il lui soit soumis sous un rapport, il ne lui est cependant pas soumis pour tout. Ainsi l’humeur est quelquefois soumise à l’action de la chaleur autant qu’il faut pour s’échauffer, mais non pour se dessécher ou se consumer. — De même il peut se faire pour deux raisons qu’un inférieur ne soit pas tenu d’obéir en tout à son supérieur. 1° A cause de l’ordre d’une puissance supérieure. Car, comme le dit la glose (Ord. Aug., Serm. 6 de verb. Dom., chap. 8) à l’occasion de ces paroles de l’Apôtre (Rom., 13, 2) : Celui qui résiste à l’autorité, etc. : Si le curiale (Le curiale était le magistrat chargé du trésor de la cité, et le proconsul le chef de la province. Ces rapports hiérarchiques sont ceux qui existent actuellement du maire au préfet, du préfet au chef de l’Etat.) vous donne un ordre, devez-vous l’exécuter s’il est en opposition avec le proconsul ? Si le proconsul vous commande une chose et l’empereur une autre, est-il douteux que vous devez mépriser le premier pour obéir au second ? Par conséquent, si l’empereur ordonne une chose et Dieu une autre, on doit mépriser l’ordre de l’empereur pour obéir à Dieu. 2° L’inférieur n’est pas tenu d’obéir à son supérieur, s’il lui ordonne une chose pour laquelle il ne lui soit pas soumis. Car Sénèque dit (De benef., liv. 3, chap. 20) : Il se trompe celui qui croit que la servitude pèse sur l’homme entier. Car la meilleure partie lui échappe. Les corps sont soumis à la volonté du maître, mais l’esprit reste libre. C’est pourquoi, en ce qui appartient au mouvement intérieur de la volonté, l’homme n’est pas tenu d’obéir à l’homme, mais seulement à Dieu. — L’homme est tenu d’obéir à son semblable dans les choses que l’on doit exécuter extérieurement au moyen du corps ; mais il n’est pas tenu de lui obéir en ce qui appartient à la nature du corps ; il ne doit à cet égard obéissance qu’à Dieu ; parce que tous les hommes sont égaux par nature, par exemple, en ce qui regarde l’entretien du corps et la génération des enfants. Les serviteurs ne sont donc pas tenus d’obéir à leurs maîtres, ni les enfants à leurs parents, quand il s’agit de se marier (Les enfants doivent consulter leurs parents sur le choix d’un état, mais quand la vocation d’un enfant se manifeste, les parents abusent de leur autorité s’ils veulent l’empêcher de la suivre.), ou de garder la virginité, ou dans toute autre circonstance semblable. Mais pour ce qui regarde la disposition des actes et des choses humaines, l’inférieur est tenu d’obéir à son supérieur selon la nature du pouvoir de ce dernier. Ainsi le soldat doit obéir à son général pour tout ce qui a rapport à la guerre ; le serviteur doit obéir à son maître en ce qui regarde l’exécution de toutes les œuvres serviles ; enfin le fils doit être soumis à son père en tout ce qui concerne l’éducation et les soins domestiques, et ainsi des autres.

 

Article 6 : Les chrétiens sont-ils tenus d’obéir aux puissances séculières ?

 

Objection N°1. Il semble que les chrétiens ne soient pas tenus d’obéir aux puissances séculières. Car sur ces paroles de l’Evangile (Matth., 17, 25) : Donc, les enfants en sont affranchis, la glose dit (Ord. August., liv. 1, quest. Evang., chap. 22) : Si, dans tout royaume, les enfants du roi qui en est le chef, sont libres, alors les enfants du roi auquel tous les royaumes sont soumis, doivent être libres partout. Or, les chrétiens sont devenus par la foi du Christ les enfants de Dieu, d’après ces paroles (Jean, 1, 12) : Il a donné à ceux qui croient en son nom la puissance de devenir les enfants de Dieu. Ils ne sont donc pas tenus d’obéir aux puissances du siècle.

Réponse à l’objection N°1 : Comme nous l’avons dit (art. préc.), l’asservissement par lequel l’homme est soumis à son semblable, touche au corps, mais non à l’âme qui reste libre. Maintenant ici-bas la grâce du Christ nous délivre des défauts de l’âme, mais non des misères du corps, comme on le voit par saint Paul qui dit de lui-même (Rom., 7, 23) que par l’esprit il obéit à la loi de Dieu, mais que par la chair il obéit à la loi du péché. C’est pourquoi ceux qui deviennent enfants de Dieu par la grâce sont affranchis de la servitude spirituelle du péché, mais non de la servitude corporelle qui enchaîne les serviteurs à la volonté de leurs maîtres, comme le dit la glose (Ordin.) à l’occasion de ces paroles de saint Paul (1 Tim., 6, 1) : Que tous les esclaves qui sont sous le joug, etc.

 

Objection N°2. Saint Paul dit (Rom., 7, 4) : Vous êtes morts à la loi par le corps du Christ, et il parle de la loi de l’Ancien Testament. Or, la loi humaine par laquelle les hommes sont soumis aux puissances séculières est moindre que la loi divine de l’Ancien Testament. Donc, à plus forte raison, les hommes par là même qu’ils sont devenus les membres du corps du Christ sont affranchis de la loi de soumission qui les liait aux princes séculiers.

Réponse à l’objection N°2 : La loi ancienne fut la figure du Nouveau Testament ; c’est pourquoi elle a dû cesser à l’avènement de la vérité. Mais il n’en est pas de même de la loi humaine par laquelle l’homme est soumis à son semblable. Toutefois c’est aussi d’après la loi divine que l’homme est tenu d’obéir à l’homme (L’honneur que nous rendons aux princes se rapporte à Dieu, selon la remarque du catéchisme du concile de Trente : Si quem eis cultum tribuimus, is ad Deum refertur.).

 

Objection N°3. Les hommes ne sont pas tenus d’obéir aux brigands qui les oppriment par la violence. Or, saint Augustin dit (De civ. Dei, liv. 4, chap. 4) : Sans la justice, que sont les Etats, sinon de vastes repaires de brigands ? Par conséquent, puisque l’autorité des princes séculiers s’exerce ordinairement avec injustice ou qu’elle a pour origine une injuste usurpation, il semble que les chrétiens ne doivent pas leur obéir.

Réponse à l’objection N°3 : L’homme doit obéir aux princes séculiers autant que l’ordre de la justice l’exige. C’est pourquoi si leur pouvoir n’est pas légitime, mais qu’il soit usurpé, ou s’ils commandent des choses injustes, on n’est pas tenu de leur obéir, sinon par accident pour éviter un scandale ou un danger.

 

Mais c’est le contraire. Saint Paul dit à Tite (3, 1) : d’avertir les fidèles d’être soumis aux princes et aux puissances, et saint Pierre ajoute (1 Pierre, 2, 13) : Soyez donc soumis pour l’amour de Dieu à tout homme qui a du pouvoir sur vous, soit au roi comme au souverain, soit aux gouverneurs, comme à des personnes qu’il a envoyées.

 

Conclusion Puisque la foi du Christ affermit l’ordre de la justice plutôt qu’il ne le détruit, il est nécessaire que les chrétiens soient soumis aux puissances séculières.

Il faut répondre que la foi du Christ est le principe et la cause de la justice, d’après ces expressions de saint Paul (Rom., 3, 12) : La justice de Dieu par la foi de Jésus-Christ. C’est pourquoi la foi de Jésus-Christ ne renverse pas l’ordre de la justice, mais elle l’affermit plutôt. Or, l’ordre de la justice demande que les inférieurs obéissent à leurs supérieurs ; car autrement la société ne pourrait se conserver. La foi du Christ n’affranchit donc pas les fidèles de l’obéissance qu’ils doivent aux princes séculiers.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

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