Saint Thomas d ’Aquin - Somme Théologique
2a 2ae = Secunda Secundae
= 2ème partie de la 2ème Partie
Question 121 : De la piété
Nous avons
maintenant à examiner le don qui correspond à la justice, c’est-à-dire le don
de piété. — A cet égard nous avons deux questions à traiter : 1° La piété est-
elle un don de l’Esprit-Saint ? — 2° Qu’y a-t-il dans les béatitudes et les
fruits qui lui corresponde ?
Article 1 : La
piété est-elle un don ?
Objection N°1. Il semble que la
piété ne soit pas un don. Car les dons diffèrent des vertus, comme nous l’avons
vu (1a 2æ, quest. 68, art. 1). Or, la piété est une
vertu, comme nous l’avons dit (quest. 101, art. 3). Elle n’est donc pas un don.
Réponse à l’objection N°1 : La piété qui rend un devoir et un
culte aux parents selon la chair est une vertu ; mais la piété par laquelle
nous rendons ces mêmes hommages à Dieu comme à notre père est un don.
Objection N°2. Les dons sont plus excellents que les vertus et
surtout que les vertus morales, comme nous l’avons vu (1a 2æ,
quest. 68, art. 3). Or, parmi les parties de la justice, la religion l’emporte
sur la piété. Par conséquent, si une partie de la justice devait être un don,
il semble que la religion devrait avoir la préférence sur la piété.
Réponse à l’objection N°2 : Il est plus noble de rendre un
culte à Dieu comme créateur, ce que fait la religion, que de rendre un culte
aux parents, comme le fait la piété, qui est une vertu. Mais rendre un culte à
Dieu comme à notre père est encore une chose plus noble que de le lui rendre
comme à notre créateur et maître. Par conséquent la religion l’emporte sur la
vertu de la piété, et la piété, considérée comme don, l’emporte sur la
religion.
Objection N°3. Les dons restent dans le ciel ainsi que leurs
actes, comme nous l’avons vu (1a 2æ, quest. 68, art. 6).
Or, l’acte de la piété ne peut pas subsister dans le ciel. Car saint Grégoire
dit (Mor., liv. 1, chap. 15) que la
piété du cœur remplit de bonnes œuvres les entrailles de la miséricorde ; par
conséquent il n’y aura plus d’acte de piété dans le ciel, puisqu’il n’y aura
plus de misère. La piété n’est donc pas un don.
Réponse à l’objection N°3 : Comme par la piété, qui est une
vertu, on rend un hommage et un culte non seulement à son père, mais encore à
tous ses parents, selon qu’ils appartiennent à celui de qui on a reçu le jour,
de même la piété, considérée comme un don, ne rend pas seulement un culte et
des hommages à Dieu, mais elle le fait encore à l’égard de tous les hommes,
selon qu’ils appartiennent à Dieu (Elle nous fait honorer et respecter tous les
hommes par amour pour Dieu, comme on aime les membres d’une famille par amour
pour leur chef.). C’est pourquoi il lui appartient d’honorer les saints, de ne pas
contredire l’Ecriture, soit que nous l’entendions, soit que nous ne
l’entendions pas, comme le dit saint Augustin (De doct. christ., liv. 2, chap. 7). Elle vient conséquemment en
aide à ceux qui sont dans la misère. Et quoique cet acte n’ait pas lieu dans le
ciel, surtout après le jour du jugement, elle pourra cependant toujours exercer
son acte principal, qui consiste à révérer Dieu d’une affection filiale, ce qui
se fera principalement alors, d’après ces paroles du Sage (Sag., 5, 8) : Les voilà placés
au rang des enfants de Dieu. Les saints s’honoreront mutuellement, et
maintenant en attendant le jour du jugement ils ont compassion de ceux qui
vivent ici-bas dans un état de misère.
Mais c’est le contraire. Isaïe met la piété au nombre des dons (chap.
11).
Conclusion La piété qui nous fait rendre à Dieu, comme à notre
père, d’après l’impulsion de l’Esprit-Saint, le culte et les devoirs qui lui
sont dus, est un don de ce même Esprit.
Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (1a 2æ,
quest. 68, art. 1, et quest. 69, art. 1 et 3), les dons de l’Esprit-Saint sont
des dispositions habituelles de l’âme qui la rendent apte à suivre facilement
l’impulsion de l’Esprit-Saint. Or, entre autres choses, l’Esprit-Saint nous
meut pour que nous ayons une affection filiale envers Dieu, d’après ces paroles
de l’Apôtre (Rom., 8, 15) : Vous avez reçu l’esprit de l’adoption des
enfants, par lequel nous crions : Abba, notre Père. Et parce que le propre
de la piété est de rendre un devoir et un culte à nos parents, il s’ensuit que
la piété par laquelle nous rendons un culte et des devoirs à Dieu comme à notre
père par l’impulsion de l’Esprit-Saint, est un don de l’Esprit-Saint lui-même.
Article 2 : La
seconde béatitude : Bienheureux ceux qui
sont doux, répond-elle au don de piété ?
Objection N°1. Il semble que la
seconde béatitude : Bienheureux ceux qui
sont doux, ne réponde pas au don de piété. Car la piété est un don qui
répond à la justice, à laquelle appartient plutôt la quatrième béatitude : Bienheureux ceux qui ont soif et faim de la
justice, ou la cinquième : Bienheureux
ceux qui sont miséricordieux ; parce que, comme nous l’avons dit (art. préc., Objection
N°3), l’œuvre de la miséricorde appartient à la piété. La seconde béatitude
n’appartient donc pas à ce don.
Objection N°2. Le don de piété est dirigé par le don de science
qui lui est adjoint dans l’énumération que fait le prophète (chap. 11). Or,
celui qui dirige et celui qui exécute se rapportent au même. Par conséquent,
puisque la troisième béatitude : Bienheureux
ceux qui pleurent, appartient à la science, il semble que la seconde
n’appartienne pas à la piété.
Réponse à l’objection N°2 : Selon la nature propre des
béatitudes et des dons, la même béatitude doit nécessairement répondre à la
science et à la piété ; mais, selon la raison d’ordre, des béatitudes
différentes leur correspondent, tout en tenant compte cependant d’une certaine
convenance, comme nous l’avons dit (dans le corps de cet article.).
Objection N°3. Les fruits répondent aux béatitudes et aux dons,
comme nous l’avons vu (1a 2æ, quest. 70, art. 2). Or, parmi les fruits, la bonté et la
bienfaisance paraissent plutôt s’harmoniser avec la piété que la mansuétude,
qui appartient à la douceur. La seconde béatitude ne répond donc pas au don de piété.
Réponse à l’objection N°3 : Pour les fruits on peut attribuer
directement la bonté et la bienfaisance à la piété, et indirectement la
douceur, en ce sens qu’elle détruit ce qui empêche la piété d’agir, comme nous
l’avons dit (dans le corps de cet article.).
Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (lib. 1 in serm. Dom. in
mont., chap. 4) : La piété convient à ceux qui sont doux.
Conclusion La seconde béatitude : Bienheureux ceux qui sont doux, répond au don de piété, si nous
considérons cette convenance selon la raison de l’ordre ; mais ce sont la
quatrième et la cinquième qui y correspondent, si on la considère d’après la
nature propre du don et de la béatitude.
Il faut répondre que dans le rapport des béatitudes aux dons on
peut considérer deux sortes de convenance. L’une repose sur la raison d’ordre (Cette
raison d’ordre consiste à établir un rapport entre le dernier don et la
première béatitude, qui est la moins parfaite, entre l’avant-dernier don, qui
est la piété, avec la seconde béatitude, et ainsi de suite jusqu’au premier
don, qui se rapporte à la dernière béatitude, qui est la plus parfaite.) que
saint Augustin paraît avoir suivi. Ainsi il attribue la première béatitude au don
le plus infime, c’est-à-dire au don de crainte ; et il attribue la seconde : Bienheureux ceux qui sont doux, au don
de piété, et ainsi des autres. — La convenance peut aussi se considérer d’après
la nature propre du don et de la béatitude. De cette manière il faut faire
correspondre les béatitudes aux dons d’après leurs objets et leurs actes. En ce
sens, la quatrième (Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice.) et la
cinquième béatitude (Bienheureux ceux qui pratiquent des œuvres de miséricorde.
Ces deux béatitudes répondent au don de piété, parce que, comme lui, leurs
actes se rapportent ad alterum.) répondent à la piété
plutôt que la seconde. Cependant la seconde béatitude a
quelque convenance avec la piété, en tant que la douceur détruit ce qui empêche
la piété d’exercer ses actes.
La réponse à la
première objection est par là même évidente.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
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