Saint Thomas d ’Aquin - Somme Théologique

2a 2ae = Secunda Secundae = 2ème partie de la 2ème Partie

Question 122 : Des préceptes de la justice

 

Nous avons à nous occuper en dernier lieu des préceptes de la justice. — A cet égard six questions sont à examiner : 1° Les préceptes du Décalogue sont-ils des préceptes de justice ? — 2° Du premier précepte. (L’objet de cet article et des suivants est de justifier jusqu’aux moindres expressions des livres saints, ce que saint Thomas a déjà fait à propos du récit de la Genèse et dans une foule d’autres circonstances.) — 3° Du second. (Le second commandement est ainsi conçu : Vous ne prendrez pas le nom du Seigneur votre Dieu en vain, car le Seigneur ne tiendra point pour innocent celui qui aura pris en vain le nom du Seigneur son Dieu, (Ex., 20, 7).) — 4° Du troisième. (Le troisième commandement est ainsi conçu : Souvenez-vous de sanctifier le jour du sabbat. Vous travaillerez durant six jours, et vous y ferez tous vos travaux ; mais le septième jour est le jour du repos du Seigneur votre Dieu (Ex., 20, verset 8 à 10) — 5° Du quatrième. (Le quatrième précepte est ainsi conçu : Honorez votre père et votre mère, afin que vous viviez longtemps sur la terre que vous donnera le Seigneur votre Dieu (Ex., 20, 12).) — 6° Des six autres préceptes.

 

Article 1 : Les préceptes du décalogue sont-ils des préceptes de justice ?

 

Objection N°1. Il semble que les préceptes du Décalogue ne soient pas des préceptes de justice. Car l’intention du législateur est de rendre les citoyens vertueux en leur faisant pratiquer toutes les vertus, comme on le voit (Eth., liv. 2, chap. 1). D’où il est dit (Eth., liv. 5, chap. 1) que la loi ordonne des actes de toutes les vertus. Or, les préceptes du Décalogue sont les principes premiers de toute la loi divine. Ces préceptes n’appartiennent donc pas-exclusivement à la justice.

Réponse à l’objection N°1 : La loi a pour but de rendre tous les hommes vertueux, mais d’après un certain ordre, c’est-à-dire qu’elle leur donne d’abord des préceptes pour les choses qui sont le plus évidemment des choses dues et obligatoires, comme nous l’avons dit (dans le corps de cet article.).

 

Objection N°2. Les préceptes judiciels, que l’on distingue des préceptes moraux, paraissent appartenir principalement à la justice, comme nous l’avons vu (1a 2æ, quest. 99, art. 4). Or, les préceptes du Décalogue sont des préceptes moraux, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (1a 2æ, quest. 100, art. 3). Ils ne sont donc pas des préceptes de justice.

Réponse à l’objection N°2 : Les préceptes judiciels sont des déterminations des préceptes moraux, selon qu’ils se rapportent au prochain ; comme les préceptes cérémoniels sont des déterminations de ces mêmes préceptes, selon qu’ils se rapportent à Dieu. D’où il résulte que les préceptes judiciels et cérémoniels ne sont contenus, ni les uns ni les autres, dans le Décalogue. Néanmoins ils sont des déterminations des préceptes du Décalogue, et par conséquent ils appartiennent à la justice.

 

Objection N°3. La loi donne principalement des préceptes à l’égard des actes de justice qui appartiennent au bien général, par exemple, ce qui regarde les charges publiques et d’autres choses semblables. Or, il n’est pas fait mention de ces actes dans les préceptes du Décalogue. Il semble donc que ces préceptes n’appartiennent pas proprement à la justice.

Réponse à l’objection N°3 : Ce qui appartient au bien général doit être réglé de différentes manières, selon la diversité des hommes (Ces lois varient selon le caractère des nations.). C’est pourquoi on n’a pas dû mettre ces choses au nombre des préceptes du Décalogue, mais au nombre des préceptes judiciels.

 

Objection N°4. Les préceptes du Décalogue sont divisés en deux tables, selon l’amour de Dieu et l’amour du prochain ; ce qui se rapporte à la vertu de charité. Ils appartiennent donc à la charité plutôt qu’à la justice.

Réponse à l’objection N°4 : Les préceptes du Décalogue appartiennent à la charité comme à leur fin, d’après ces paroles de saint Paul (1 Tim., 1, 5) : La fin de la loi est la charité. Mais ils appartiennent à la justice, en ce sens que ce sont les actes de cette vertu qui sont leur objet immédiat.

 

Mais c’est le contraire. La justice seule paraît être la vertu qui règle nos rapports avec les autres. Or, tous les préceptes du Décalogue nous mettent en rapport avec autrui, comme on le voit en les examinant successivement en particulier. Ils appartiennent donc tous à la justice.

 

Conclusion Tous les préceptes du Décalogue appartiennent à la justice.

Il faut répondre que les préceptes du Décalogue sont les premiers principes de la loi, ceux auxquels la raison naturelle donne immédiatement son assentiment comme aux principes les plus évidents. Or, la raison de chose due que requiert le précepte se montre le plus évidemment dans la justice qui se rapporte à autrui. Car, pour les choses qui le regardent lui-même, il semble au premier aspect que l’homme soit son maître et qu’il lui soit permis de faire tout ce qu’il veut. Au lieu que pour celles qui se rapportent à un autre, il est évident qu’il est obligé de lui rendre ce qu’il lui doit. C’est pourquoi les préceptes du Décalogue ont dû appartenir à la justice. Ainsi les trois premiers ont pour objet les actes de religion, qui est la première partie de la justice ; le quatrième ordonne les actes de piété, qui en est la seconde partie ; enfin les six derniers portent sur les actes de cette vertu qu’on désigne communément sous le nom de justice et qui s’observe entre égaux.

 

Article 2 : Le premier précepte du Décalogue est-il convenablement exprimé ?

 

Objection N°1. Il semble que le premier précepte du Décalogue ne soit pas convenablement rendu. Car l’homme est plus obligé envers Dieu qu’envers son père selon la chair, d’après ces paroles de l’Apôtre (Héb., 12, 9) : Combien plus devons-nous être soumis à celui qui est le père des esprits, afin de jouir de la vie ? Or, le précepte de la piété qui nous fait honorer nos parents est affirmatif, puisqu’il est dit : Honorez votre père et votre mère. Par conséquent à plus forte raison le premier précepte de la religion qui nous fait honorer Dieu aurait-il dû être affirmatif ; surtout quand on considère que l’affirmation est naturellement avant la négation.

Réponse à l’objection N°1 : A l’égard de la religion il n’y a qu’un précepte affirmatif : Souvenez-vous de sanctifier le jour du sabbat. Il a dû être précédé de préceptes négatifs qui écartent ce qui fait obstacle à cette vertu. Car quoique l’affirmation soit naturellement avant la négation ; cependant, dans l’ordre de génération, la négation qui écarte les obstacles est antérieure, comme nous l’avons dit (dans le corps de cet article.), et surtout dans les choses divines où les négations sont préférées aux affirmations (Nous connaissons mieux ce que Dieu n’est pas que ce qu’il est.), à cause de notre faiblesse, comme le dit saint Denis (De cælest. hier., chap. 2).

 

Objection N°2. Le premier précepte du Décalogue appartient à la religion, comme nous l’avons dit (art. préc.). La religion étant une vertu unique n’a qu’un seul acte. Or, dans le premier précepte on défend trois actes. Car on dit : 1° Vous n’aurez pas de dieux étrangers en ma présence ; 2° vous ne ferez pas d’images ciselées ; 3° vous ne les adorerez pas, ni vous n’aurez pas de culte pour elles. Le premier précepte n’est donc pas convenablement exprimé.

Réponse à l’objection N°2 : Le culte des dieux étrangers s’observait de deux manières. Car il y a eu des peuples qui adoraient des créatures sans les représenter sous des images. Ainsi Varron (Nous n’avons plus le livre de Varron dont parle saint Augustin, mais on trouve la même chose dans Pline (liv. 34, chap. 4), dans Plutarque (Vie de Numa), et les Pères de l’Eglise ont rapporté ces mêmes faits (Clém. Alex., Strom., liv. 1 ; Tertul., Apolog., chap. 23).) rapporte que les anciens Romains ont longtemps adoré leurs dieux sans avoir d’idoles. Ce culte est défendu par ce premier article : Vous n’aurez pas de dieux étrangers. D’autres peuples ont adoré les fausses divinités sous des images. C’est pourquoi il était à propos de défendre de faire des images en disant : Vous ne vous ferez pas d’idoles ciselées, et il importait aussi d’empêcher qu’on ne leur offrît un culte en ajoutant : Vous n’aurez pas de culte pour elles.

 

Objection N°3. Saint Augustin dit (Lib. de decem chordis, chap. 9) que le premier précepte exclut le vice de la superstition. Or, il y a beaucoup d’autres superstitions funestes indépendamment de l’idolâtrie, comme nous l’avons dit (quest. 92, art. 2). Il ne suffit donc pas de défendre l’idolâtrie exclusivement.

Réponse à l’objection N°3 : Toutes les autres superstitions proviennent d’un pacte tacite ou exprès qu’on a fait avec les démons. C’est pourquoi elles sont toutes comprises dans ces paroles : Vous n’aurez pas de dieux étrangers.

 

Mais c’est le contraire. L’autorité de l’Ecriture est là pour l’établir.

 

Conclusion En donnant à l’homme une loi divine, il était convenable que le premier de ces préceptes mît de côté le culte des faux dieux.

Il faut répondre qu’il appartient à la loi de rendre les hommes bons ; c’est pourquoi il faut que les préceptes soient ordonnés conformément à l’ordre de génération, d’après lequel l’homme devient vertueux. Or, dans l’ordre de la génération il y a deux choses à examiner. 1° C’est que le premier rang appartient à la partie qui est constituée la première. Ainsi dans la génération d’un animal, l’organe le premier formé est le cœur ; et dans une maison ce qu’on pose d’abord, c’est le fondement. Pour la bonté de l’âme la première partie est la bonté de la volonté, qui met l’homme à même de faire un bon usage de toute autre bonté. Or, la bonté de la volonté se considère par rapport à son objet qui est la fin qu’elle se propose. C’est pourquoi à l’égard de l’homme que la loi devait former pour la vertu, il a fallu d’abord établir en lui le fondement de la religion, par laquelle il est mis légitimement en rapport avec Dieu qui est la fin dernière de la volonté humaine. — 2° Il faut considérer dans l’ordre de la génération qu’il y a des obstacles et des contraires qu’on détruit avant tout. Ainsi le laboureur purge d’abord son champ, puis il l’ensemence, d’après ces paroles du prophète (Jérem., 4, 3) : Préparez- vous avec soin une terre nouvelle et ne semez pas sur des épines. C’est pourquoi, pour rendre l’homme religieux, il fallait tout d’abord écarter ce qui fait obstacle à la vraie religion. Le principal obstacle à la religion étant l’attachement à une fausse divinité, d’après ces paroles de l’Evangile (Matth., 6, 24) : Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon, il s’ensuit que le premier précepte devait défendre le culte des faux dieux.

 

Article 3 : Le second précepte du décalogue est-il convenablement exprimé ?

 

Objection N°1. Il semble que le second précepte du Décalogue ne soit pas convenablement ordonné. Car ce précepte : Vous ne prendrez pas le nom de votre Dieu en vain est ainsi interprété dans la glose (interl., Ex., chap. 20) : Ne croyez pas que le Fils de Dieu soit une créature ; par là on défend une erreur contre la foi. En expliquant ces mêmes paroles (Deut., chap. 5) la glose (interl.) dit encore : Vous ne prendrez pas le nom de Dieu en vain, en l’attribuant au bois ou à la pierre ; et par là on défend une fausse confession, qui est un acte d’infidélité aussi bien qu’une erreur. Or, l’infidélité étant avant la superstition, et la foi avant la religion, il s’ensuit que ce précepte aurait dû être mis avant le premier qui défend la superstition.

Réponse à l’objection N°1 : Ces interprétations sont mystiques. L’interprétation littérale de ces paroles (Deut., chap. 5) : Vous ne prendrez pas le nom de votre Dieu en vain, c’est de ne pas jurer pour une chose qui n’est pas.

 

Objection N°2. On emploie le nom de Dieu pour beaucoup de choses. Ainsi on s’en sert pour louer, pour faire des miracles, et en général pour tout ce que nous disons ou ce que nous faisons, d’après ces paroles de saint Paul (Col., 3, 17) : Quelque chose que vous fassiez en parlant ou en agissant, faites-le au nom du Seigneur. Le précepte par lequel on défend de prendre en vain le nom de Dieu, parait donc être plus universel que celui par lequel on défend la superstition, et par conséquent on aurait dû le mettre avant.

Réponse à l’objection N°2 : Ce précepte ne défend pas absolument de faire usage du nom de Dieu, mais il défend proprement de l’employer par manière de serment pour confirmer une chose que l’on a dite, parce que les hommes l’emploient trop souvent de cette manière. Cependant on peut entendre conséquemment que l’on défend par là tout emploi déréglé de ce nom sacré. Et c’est de là que viennent les différentes interprétations dont il est parlé (in arg. 1).

 

Objection N°3. La glose (interl.) expliquant ce précepte (Ex., chap. 20) : Vous ne prendrez pas le nom de votre Dieu en vain, ajoute, c’est-à-dire en jurant pour rien. Il semble donc que l’on défende par là les vains serments qui se font sans jugement. Or, le faux serment qui est sans vérité et le serment injuste qui est sans justice sont bien plus graves. On aurait donc dû plutôt défendre ceux-là par ce précepte.

Réponse à l’objection N°3 : On dit qu’il jure pour rien celui qui jure pour ce qui n’est pas ; ce qui appartient au faux serment qu’on désigne principalement sous le nom de parjure, comme nous l’avons dit (quest. 98, art. 1, Réponse N°3). Car, quand on fait un faux serment, alors le serment est vain par lui-même parce qu’il ne repose pas sur la vérité ; au lieu que quand on jure sans jugement par légèreté, si le serment est vrai, la vanité ne tombe pas sur le serment lui-même, mais sur celui qui le fait.

 

Objection N°4. Le blasphème ou toute parole ou toute action injurieuse à Dieu est un péché beaucoup plus grave que le parjure. On aurait donc dû surtout défendre par ce précepte le blasphème et les autres fautes de cette nature.

Réponse à l’objection N°4 : Comme on propose d’abord des principes généraux à celui qui est instruit dans une science ; de même la loi qui forme l’homme à la vertu lui a proposé dans le Décalogue ses premières règles de conduite, en lui défendant ou en lui commandant les choses qui arrivent le plus communément dans le cours de la vie humaine. C’est pourquoi parmi ces préceptes se trouve la défense du parjure qui est une faute bien plus commune que le blasphème, dans lequel l’homme tombe plus rarement.

 

Objection N°5. Dieu a beaucoup de noms. On n’aurait donc pas dû dire d’une manière vague : Vous ne prendrez pas le nom de votre Dieu en vain.

Réponse à l’objection N°5 : On doit respecter les noms de Dieu par rapport à la chose qu’ils signifient et qui est une ; mais non en raison des mots qui l’expriment et qui sont multiples. C’est pourquoi il est dit au singulier : Vous ne prendrez pas le nom de votre Dieu en vain ; parce que le parjure est le même, quel que soit le nom de Dieu qu’on emploie.

 

Mais c’est le contraire. L’autorité de l’Ecriture est formelle.

 

Conclusion Le premier précepte ayant enlevé un premier empêchement contraire à la vertu de religion, qui est le vice de la superstition, il était convenable que le second précepte, qui défend de prendre le nom de Dieu en vain, en écartât un autre qui est le mépris de Dieu.

Il faut répondre qu’avant d’établir la véritable religion, il faut d’abord écarter ce qui empêche de pratiquer cette vertu. Or, il y a deux sortes d’obstacles qui sont opposés à la véritable religion. L’un pèche par excès ; quand on rend, par exemple, des devoirs religieux à quelqu’un à qui on n’en doit point ; ce qui appartient à la superstition. L’autre pèche par défaut ; comme quand on méprise Dieu, ce qui appartient au vice de l’impiété, comme nous l’avons vu (quest. 97). La superstition est un obstacle à la religion dans le sens qu’elle empêche qu’on s’attache à Dieu pour l’adorer. Car celui dont le cœur est attaché à un culte illégitime, ne peut plus en même temps offrir à Dieu le culte qui lui est dû, d’après ces paroles du prophète (Is., 28, 20) : Le lit est si resserré qu’il n’y a pas de place pour un second, c’est-à-dire que le Dieu véritable ou les fausses divinités doivent être hors du cœur de l’homme ; la couverture est trop étroite pour les envelopper l’un et l’autre. — L’impiété est un obstacle à la religion dans le sens qu’elle empêche d’honorer Dieu, après qu’on l’a admis. Et parce qu’il faut admettre Dieu pour lui offrir un culte, avant que de l’honorer, lorsqu’on l’a admis, il s’ensuit que le premier précepte qui défend la superstition est mis avant le second précepte qui défend le parjure qui appartient à l’impiété et à l’irréligion.

 

Article 4 : Le troisième précepte qui regarde la sanctification du sabbat, a-t-il été convenablement conçu ?

 

Objection N°1. Il semble que le troisième précepte sur la sanctification du sabbat ne soit pas convenable. Car ce précepte pris spirituellement est général ; puisqu’à l’occasion de ces paroles de l’Evangile (Luc, 13, 14) : Or le chef de la synagogue, prenant la parole et s’indignant de ce que Jésus l’avait guérie le jour du sabbat, le vénérable Bède dit (Com., liv. 4, chap. 13) : La loi du sabbat ne défend pas de guérir quelqu’un ; mais elle empêche de faire des œuvres serviles, c’est-à-dire de faire des péchés. Dans le sens littéral c’est un précepte cérémoniel, puisqu’il est dit (Ex., 31, 13) : Ayez soin d’observer mes jours de repos, car ce sera un signe entre vous et moi dans la suite des générations. Or, les préceptes du Décalogue sont des préceptes spirituels et des préceptes moraux. C’est donc à tort que ce précepte en fait partie.

Réponse à l’objection N°1 : Le précepte de la sanctification du sabbat, entendu littéralement, est en partie moral et en partie cérémoniel. Il est moral en ce que l’homme emploie une partie de sa vie à s’occuper des choses divines ; car l’homme est naturellement porté à consacrer quelque temps à tout ce qui lui est nécessaire. Ainsi il lui faut un temps pour renouveler ses forces corporelles, pour dormir et pour remplir d’autres fonctions de cette nature. Il lui faut donc aussi un temps, d’après le dictamen de la raison naturelle, pour se procurer cette réfection spirituelle par laquelle l’âme humaine se retrempe en Dieu. Par conséquent l’obligation de consacrer un temps quelconque au service de Dieu relève d’un précepte moral. Mais quand il s’agit de préciser à ce sujet un temps spécial en signe de la création du monde, alors c’est un précepte cérémoniel. Il est également cérémoniel, si on l’interprète allégoriquement, comme le signe du repos du Christ dans le sépulcre, qui eut lieu le septième jour. Il en est de même si on le considère selon sa signification morale, c’est-à-dire comme indiquant la cessation de tout péché et le repos de l’âme en Dieu. A ce point de vue, c’est en quelque sorte un précepte général. Il est aussi cérémoniel d’après sa signification anagogique, c’est-à-dire selon qu’il figure à l’avance le repos dont nous jouirons en Dieu, lorsque nous serons dans le ciel. Par conséquent le précepte de la sanctification du sabbat est placé dans le Décalogue comme précepte moral ; mais non comme précepte cérémoniel.

 

Objection N°2. Les préceptes cérémoniels de la loi renferment les choses sacrées, les sacrifices, les sacrements et les observances, comme nous l’avons dit (1a 2æ, quest. 101, art. 4). Or, les choses sacrées ne comprenaient pas les jours sacrés, mais les lieux, les vases et les autres choses semblables. D’ailleurs il y avait beaucoup de jours sacrés indépendamment du sabbat. On a donc eu tort de faire mention exclusivement de l’observation du sabbat, sans parler de tous les autres préceptes cérémoniels.

Réponse à l’objection N°2 : Les autres cérémonies de la loi sont des signes de certains bienfaits particuliers de Dieu, au lieu que l’observation du sabbat est le signe d’un bienfait général, c’est-à-dire de la production de toute créature. C’est pourquoi il était plus convenable de le mettre dans le Décalogue que tout autre précepte cérémoniel de la loi.

 

Objection N°3. Celui qui transgresse un précepte du Décalogue pèche. Or, sous l’ancienne loi, il y en a qui transgressaient l’observation du sabbat sans pécher ; tels étaient ceux qui faisaient circoncire leurs enfants le huitième jour, les prêtres qui remplissaient leurs fonctions dans le temple le samedi ; tel fut Elie, qui vint à la montagne d’Oreb (3 Rois, chap. 19), après avoir marché quarante jours ; ce qui suppose qu’il voyagea le samedi. Il est pareillement rapporté (Jos., chap. 6) que les prêtres portèrent l’arche du Seigneur pendant sept jours, ce qui suppose qu’ils la portèrent le samedi. Enfin on lit (Luc, 13, 15) : Ya-t-il quelqu’un de vous qui ne délie pas son bœuf ou son âne le jour du sabbat, pour les mener boire ? C’est donc à tort qu’on met ce précepte dans le Décalogue.

Réponse à l’objection N°3 : Dans l’observation du sabbat il y a deux choses à considérer : La première c’est la fin ; ce précepte a été établi pour que l’homme s’occupe des choses divines, ce que signifient ces paroles : Souvenez-vous de sanctifier le jour du sabbat. Car la loi dit qu’une chose est sanctifiée du moment qu’elle est employée au culte de Dieu. La cessation des œuvres que l’on indique plus loin est toute autre chose. Il est dit : Le septième jour du Seigneur votre Dieu, vous ne ferez aucune œuvre. On voit de quelle œuvre il s’agit, d’après ce qui est dit dans un autre endroit (Lév., 23, 3) : Vous ne ferez en ce jour aucune œuvre servile. L’œuvre servile vient de la servitude. Or, il y a trois sortes de servitude : l’une qui assujettit l’homme au péché, d’après ces paroles de saint Jean (8, 34) : Le pécheur est l’esclave du péché. En ce sens tout acte coupable est une œuvre servile. La seconde servitude est celle qui assujettit l’homme à son semblable. L’homme n’est pas l’esclave d’un autre quant à l’esprit, il l’est seulement quant au corps, comme nous l’avons vu (quest. 104, art. 5, et 6 ad 1). C’est pour cela que sous ce rapport on entend par œuvres serviles, les œuvres corporelles par lesquelles un homme en sert un autre. La troisième servitude est celle de Dieu. On pourrait ainsi donner le nom d’œuvre servile à tout acte de latrie qui appartient au service divin. Si on prend l’œuvre servile dans ce dernier sens, elle n’est pas défendue le jour du sabbat, parce que ce serait contraire à la fin pour laquelle on observe ce jour-là. Car l’homme s’abstient en ce jour des autres œuvres pour vaquer à celles qui regardent le service de Dieu. D’où il résulte que, comme on le voit (Jean, 7, 23), L’homme est circoncis le jour du sabbat, sans que la loi de Moïse soit détruite. Il s’ensuit aussi que, comme il est dit (Matth., 12, 5) : Les prêtres violent le sabbat, c’est-à-dire qu’ils travaillent corporellement dans le temple, sans être coupables. De même les prêtres qui portaient l’arche ne transgressaient pas non plus ce précepte. Quand on fait un acte spirituel, par exemple, si l’on enseigne de vive voix ou par écrit, on ne manque pas pour cela d’observer la loi. D’où la glose dit (Ord. Orig., hom. 23, in Serm. sup. illud Die autem sabbati) : que les forgerons et tous les autres artisans se reposent le jour du sabbat ; mais celui qui lit la loi de Dieu ou celui qui l’enseigne n’interrompt pas son travail, et que le sabbat n’est pas pour cela violé ; mais qu’ils sont innocents comme les prêtres qui violent le sabbat dans le temple. Quant aux œuvres serviles prises dans le premier et le second sens, elles sont contraires à l’observation du sabbat, en ce qu’elles empêchent l’homme de s’appliquer aux choses divines. Mais parce que l’homme est plus détourné du service de Dieu par une œuvre coupable que par une œuvre licite, quoiqu’elle soit corporelle ; il s’ensuit que celui qui pèche dans un jour de fête pèche plus contre ce précepte que celui qui fait une œuvre corporelle qui est licite. C’est ce qui fait dire à saint Augustin (Lib. de dec. chordis, chap. 3) : Le juif ferait mieux de travailler utilement dans son champ que d’aller exciter une sédition au théâtre ; et il vaudrait mieux que leurs femmes travaillassent la laine le jour du sabbat que d’aller danser, d’une manière impudique, pendant toute la journée, dans leurs néoménies. Toutefois, celui qui pèche véniellement le jour du sabbat ne pèche pas contre ce précepte, parce que le péché véniel n’exclut pas la sainteté. — Pour les œuvres corporelles qui n’appartiennent pas au culte spirituel de Dieu, elles sont d’autant plus serviles qu’elles sont plus propres à ceux qui servent les autres ; quand elles sont communes aux esclaves et aux hommes libres, on ne les appelle pas des œuvres serviles. Or, tout homme, qu’il soit esclave ou libre, est tenu de pourvoir dans le cas de nécessité, non seulement à lui-même, mais encore au prochain. Il doit le faire d’abord en ce qui regarde le salut du corps, d’après ces paroles de l’Ecriture (Prov., 24, 11) : Délivrez ceux qu’on mène à la mort ; ensuite pour éviter la perte de ce que l’on possède, d’après ces recommandations de la loi (Deut., 22, 4) : Lorsque vous verrez le bœuf ou la brebis de votre frère égarés, vous ne passerez pas outre, mais vous les ramènerez à votre frère. C’est pourquoi l’œuvre corporelle, qui a pour but la conservation de son propre corps, n’est pas une transgression du sabbat. On ne le viole pas non plus quand on mange et qu’on fait tout ce qui est nécessaire pour vivre. Ainsi les Macchabées n’ont pas violé le sabbat en combattant ce jour-là pour leur propre défense, comme on le voit (1 Mach., chap. 2). Il en est de même d’Elie qui s’enfuit de la face de Jézabel un jour de sabbat. Pour la même raison, le Seigneur (Matth., chap. 12) excuse ses disciples qui cueillaient des épis le jour du sabbat, parce qu’ils étaient pressés par la nécessité. De même l’œuvre corporelle, qui a pour but de sauver la vie du prochain, n’est pas contraire à l’observation du sabbat. C’est pour cela que le Seigneur dit (Jean, 7, 23) : Pourquoi vous indignez-vous contre moi, parce que j’ai guéri un homme, dans tout son corps, un jour de sabbat ? De même, celui qui travaille pour éviter la perte imminente d’une chose extérieure, ne viole pas le sabbat. D’où le Seigneur dit encore (Matth., 12, 11) : Quel est l’homme d’entre vous qui, ayant une brebis, si elle tombe dans un fossé le jour du sabbat, ne la prenne pas pour l’en retirer ?

 

Objection N°4. Les préceptes du Décalogue doivent être aussi observés sous la loi nouvelle. Or, on n’observe ce précepte sous la loi nouvelle ni le samedi, ni le dimanche, où l’on prépare les aliments, on voyage, on pêche et l’on fait d’autres choses semblables. C’est donc à tort qu’on a donné ce précepte sur la sanctification du sabbat.

Réponse à l’objection N°4 : L’observation du dimanche a succédé sous la loi nouvelle à l’observation du sabbat, non en vertu du précepte, mais d’après l’institution de l’Eglise (C’est ce qu’exprime le catéchisme du concile de Trente : Placuit Ecclesiæ Dei ut diei sabbati cultus et celebritasin dominicam transferatur diem. Saint Alphonse de Liguori regarde ce sentiment comme beaucoup plus grave que le sentiment contraire, et il en conclut que le pape pourrait restreindre l’observation du dimanche à quelques heures et permettre certaines œuvres serviles (Theolog. moral., liv. 3, n° 265).) et la coutume du peuple chrétien. Car cette observation n’est pas figurative, comme le fut celle du sabbat, sous la loi ancienne. C’est pourquoi la défense de travailler n’est pas aussi stricte pour le dimanche que pour le sabbat. Il y a des choses qu’on laisse faire le dimanche et qui étaient défendues le jour du sabbat, comme la préparation des aliments. A l’égard des choses défendues, on dispense aussi plus facilement, dans le cas de nécessité, sous la loi nouvelle que sous l’ancienne, parce que la figure doit être l’expression de la vérité à laquelle on ne doit porter la plus légère atteinte ; au lieu que les œuvres, considérées en elles- mêmes, peuvent changer selon les lieux et les temps.

 

Mais c’est le contraire. L’autorité de l’Ecriture le prouve.

 

Conclusion Il a été convenable, après avoir éloigné l’homme de ce qui est contraire à la religion par le premier et le second précepte, qu’on lui prescrivit par le troisième ce que demande cette vertu, quant au culte extérieur de la Divinité.

Il faut répondre qu’après avoir écarté les obstacles de la vraie religion, par le premier et le second précepte du Décalogue, comme nous l’avons dit (art. 2 et 3), il a fallu ensuite que le troisième précepte établît ce que l’homme avait à faire pour jeter les fondements de cette vertu. Or, il appartient à la religion de rendre à Dieu un culte ; car comme l’Ecriture sainte nous est donnée sous des images de choses corporelles, de même nous devons à Dieu un culte extérieur qui s’exprime par quelque signe sensible. La loi a dû particulièrement prescrire ce culte extérieur, parce que l’homme est principalement porté par l’impulsion intérieure de l’Esprit-Saint au culte intérieur qui consiste dans la prière et la dévotion. De plus, les préceptes du Décalogue étant les principes premiers et généraux de la loi, c’est pour ce motif que le troisième précepte ordonne le culte extérieur de Dieu en signe d’un bienfait commun qui regarde tous les hommes. Car ce fut pour représenter l’œuvre de la création du monde, dont il est dit que Dieu se reposa le septième jour, qu’il a été ordonné de sanctifier ce septième jour, c’est-à-dire de l’employer au service de Dieu. C’est pourquoi, après avoir exprimé le précepte de la sanctification du sabbat, l’Ecriture en donne la raison en disant (Ex., 20, 11) que Dieu fit en six jours le ciel et la terre, et qu’il se reposa le septième.

 

Article 5 : Le quatrième précepte qui nous ordonne d’honorer nos parents, est-il convenablement exprimé ?

 

Objection N°1. Il semble que le quatrième précepte qui nous ordonne d’honorer nos parents ne soit pas convenable. Car ce précepte est celui qui appartient à la piété. Or, comme la piété est une partie de la justice, de même aussi le respect, la reconnaissance et toutes les autres vertus dont nous avons parlé (quest. 101 et 102, et suiv.). Il semble donc qu’on n’aurait pas dû faire un précepte spécial pour la piété, sans en faire pour les autres vertus.

Réponse à l’objection N°1 : Comme nous l’avons dit (quest. 101, art. 2), la piété a pour objet ce que l’on doit aux parents, ce qui est commun à tout le monde. Comme les préceptes du Décalogue sont des préceptes généraux, on a dû y mettre ce qui regarde la piété plutôt que ce qui regarde les autres parties de la justice qui ont pour objet quelque devoir spécial.

 

Objection N°2. La piété ne rend pas seulement un culte aux parents, mais elle en rend encore un à la patrie, à ceux qui nous sont unis par le sang et aux bienfaiteurs de notre pays, comme nous l’avons dit (quest. 101, art. 1 et 2). C’est donc à tort que dans ce quatrième précepte il est seulement fait mention de l’honneur que l’on doit à son père et à sa mère.

Réponse à l’objection N°2 : Nous sommes obligés envers nos parents, avant de l’être envers notre patrie et nos proches ; parce que notre patrie et nos proches ne nous touchent que parce que nos parents nous ont donné le jour. C’est pourquoi les préceptes du Décalogue étant les premiers préceptes de la loi, le quatrième précepte règle plutôt les rapports de l’homme avec son père et sa mère, que ceux qu’il doit avoir avec sa patrie et ses proches. Néanmoins, dans ce précepte qui a pour objet de nous faire honorer nos parents (Sous le nom de Père on comprend tous ceux que la Providence a placés au-dessus de nous dans l’ordre spirituel et dans l’ordre temporel.), on comprend tout ce qui regarde les devoirs qu’on doit rendre à toutes les autres personnes, comme ce qui est secondaire se trouve renfermé dans ce qui est principal.

 

Objection N°3. On ne doit pas seulement honorer ses parents, mais on doit encore les soutenir. Il ne suffit donc pas d’ordonner de les honorer exclusivement.

Réponse à l’objection N°3 : On doit respecter les parents, comme tels, mais on ne doit les sustenter qu’en raison de quelque accident, par exemple, parce qu’ils sont indigents ou esclaves, ou pour quelque autre motif semblable, comme nous l’avons dit (quest. 101, art. 2). Et parce que ce qui est par soi est avant ce qui est par accident ; on recommande spécialement, parmi les premiers préceptes de la loi qui sont les préceptes du Décalogue, d’honorer les parents, mais par là on entend que l’on commande, à plus forte raison, de les sustenter et de leur donner tout ce qu’on leur doit.

 

Objection N°4. Il arrive quelquefois que ceux qui honorent leurs parents meurent très jeunes, et qu’au contraire, ceux qui ne les honorent pas vivent longtemps. C’est donc à tort que l’on ajoute à ce précepte cette promesse : Pour que vous soyez longtemps sur la terre.

Réponse à l’objection N°4 : On promet à ceux qui honorent leurs parents une longue vie, non seulement par rapport à la vie future, mais encore par rapport à la vie présente, d’après ces paroles de l’Apôtre (1 Tim., 4, 8) : La piété est utile à tout, et c’est à elle que les biens de la vie présente et de la vie future ont été promis. Et c’est avec raison. Car celui qui se montre reconnaissant pour un bienfait, mérite que ce bienfait lui soit conservé, ou du moins il y a là une certaine convenance ; au lieu que quand on est ingrat, on mérite de perdre le bienfait qu’on a reçu. Or, après Dieu, nous devons à nos parents le bienfait de la vie corporelle ; c’est pourquoi celui qui honore ses parents mérite de conserver la vie, parce qu’il est reconnaissant pour le bienfait qu’il a reçu, tandis que celui qui ne les honore pas mérite de la perdre, comme un ingrat. Toutefois les biens ou les maux actuels n’étant l’objet du mérite ou du démérite qu’autant qu’ils se rapportent à la récompense future, comme nous l’avons dit (1a 2æ, quest. 114, art. 12), il s’ensuit que parfois, d’après la raison secrète des jugements de Dieu qui regardent surtout la rémunération à venir, il y en a qui sont pieux envers leurs parents et qui meurent de bonne heure, tandis qu’il y en a d’autres qui se conduisent très mal à leur égard et qui vivent plus longtemps.

 

Mais c’est le contraire. L’autorité de l’Ecriture le démontre.

 

Conclusion Après les préceptes qui règlent nos rapports avec Dieu, notre principe universel, il était convenable de placer le précepte qui nous ordonne d’honorer nos parents, qui sont notre principe particulier.

Il faut répondre que les préceptes du Décalogue se rapportent à l’amour de Dieu et du prochain. Or, parmi le prochain nous avons surtout des obligations envers nos parents. C’est pourquoi, après les préceptes qui règlent nos rapports avec Dieu, on place immédiatement celui qui règle nos rapports avec nos parents qui sont le principe particulier de notre être, comme Dieu en est le principe universel. Il y a par conséquent une certaine affinité entre ce précepte et ceux de la première table.

 

Article 6 : Les six autres préceptes du Décalogue sont-ils convenablement exprimés ?

 

Objection N°1. Il semble que les six autres préceptes du Décalogue soient mal conçus. Car il ne suffît pas pour être sauvé de ne pas nuire à son prochain, mais il faut encore lui rendre ce qu’on lui doit, d’après ces paroles de saint Paul (Rom., 13, 17) : Rendez à chacun ce qui lui est dû. Or, les six derniers préceptes défendent seulement de faire tort au prochain. Ils ne sont donc pas convenablement exprimés.

Réponse à l’objection N°1 : L’homme est tenu en général de ne faire tort à personne. C’est pourquoi on a dû mettre dans le Décalogue des préceptes négatifs qui défendent de nuire au prochain, parce que ce sont des préceptes généraux. Quant aux choses que nous devons à nos semblables, nous devons les rendre à divers individus et d’une manière diverse. C’est pour cela qu’on n’a pas dû mettre à cet égard de préceptes affirmatifs dans le Décalogue.

 

Objection N°2. Ces préceptes défendent l’homicide, l’adultère, le vol et le faux témoignage. Or, on peut nuire au prochain de beaucoup d’autres manières comme on le voit d’après ce que nous avons dit (quest. 72 et suiv.). Il semble donc que ces préceptes soient mal conçus.

Réponse à l’objection N°2 : Tous les autres torts que l’on fait au prochain peuvent être ramenés à ce que ces préceptes défendent, comme à des choses communes et plus importantes. Ainsi tout ce que l’on peut faire pour nuire à la personne du prochain, se trouve compris dans la défense de l’homicide, comme dans la chose la plus principale. Tout ce que l’on peut faire contre une personne mariée, surtout d’après l’inspiration de la passion, est simultanément défendu avec l’adultère. Ce qui regarde le dommage causé dans les biens est renfermé dans la défense du vol. Les mauvaises paroles, comme les détractions, les blasphèmes et tout le reste, sont comprises dans le faux témoignage qui est plus directement opposé à la justice.

 

Objection N°3. On peut considérer la concupiscence de deux manières : 1° Comme un acte de la volonté ; c’est ainsi qu’il est dit (Sag., chap. 6) : La concupiscence de la sagesse mène au royaume éternel. 2° Comme un acte de la sensualité, et c’est de la sorte que l’entend saint Jacques quand il dit (4, 1) : D’où viennent les guerres et les disputes qui s’élèvent parmi vous ? N’est-ce pas de la concupiscence qui combat dans votre chair ? Or, le précepte du Décalogue ne défend pas la concupiscence de la sensualité, parce que, d’après cette hypothèse, les mouvements premiers seraient des péchés mortels, comme étant contraires au précepte du Décalogue ; il ne défend pas non plus la concupiscence de la volonté, parce qu’elle est renfermée dans tout précepte. C’est donc à tort que, parmi les préceptes du Décalogue, on en a mis qui défendent la concupiscence.

Réponse à l’objection N°3 : Par les préceptes qui défendent la concupiscence, on n’entend pas qu’ils interdisent les mouvements premiers de la concupiscence qui se renferme dans les limites de la sensibilité, mais on entend qu’ils défendent directement le consentement de la volonté qui se rapporte à l’action ou à la jouissance.

 

Objection N°4. L’homicide est un péché plus grave que l’adultère ou le vol. Or, il n’y a pas de précepte qui défende de désirer l’homicide. C’est donc à tort qu’on en a fait qui défendent de désirer le vol et l’adultère.

Réponse à l’objection N°4 : L’homicide n’est pas par lui-même une chose désirable, mais c’est plutôt une chose horrible, parce qu’il n’a rien de bon en lui-même. Au contraire, l’adultère a quelque chose de bon qui consiste dans l’agréable, et le vol a quelque chose de bon qui consiste dans l’utile. Et comme ce qui est bon est de soi-même désirable, il s’ensuit qu’il a fallu défendre par des préceptes particuliers le désir du vol et de l’adultère, et non celui de l’homicide.

 

Mais le contraire est établi par l’Ecriture.

 

Conclusion Indépendamment des préceptes qui règlent les œuvres de religion et de piété dont l’homme doit s’acquitter envers Dieu et le prochain, il a été nécessaire d’ajouter d’autres préceptes qui lui ordonnent d’observer la justice envers ses semblables.

Il faut répondre que, comme au moyen des parties de la justice, on rend ce que l’on doit aux personnes particulières à l’égard desquelles on est obligé d’après une raison spéciale ; de même par la justice proprement dite on rend en général à tout le monde ce qui lui est dû. C’est pourquoi après les trois préceptes qui regardent la religion par laquelle on rend à Dieu ce qu’on lui doit ; après le quatrième précepte qui a pour objet la piété par laquelle on rend aux parents ce qui leur est dû, ce qui comprend tout ce que l’on doit d’après une raison spéciale, il a fallu donner ensuite des préceptes à l’égard de la justice proprement dite, qui rend indifféremment à tout le monde ce qui lui appartient.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

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