Saint Thomas d ’Aquin - Somme Théologique
2a 2ae = Secunda Secundae
= 2ème partie de la 2ème Partie
Question 132 : De la vaine gloire
Nous avons
maintenant à nous occuper de la vaine gloire, et à ce sujet cinq questions se
présentent : 1° Le désir de la gloire est-il un péché ? — 2° La vaine gloire
est-elle opposée à la magnanimité ? — 3° Est-elle un péché mortel ? — 4°
Est-elle un vice capital ? — 5° Des vices qu’elle produit.
Article 1 : Le
désir de la gloire est-il un péché ?
Objection N°1. Il semble que le
désir de la gloire ne soit pas un péché. Car personne ne pèche en se rendant
semblable à Dieu. Au contraire, l’Apôtre l’ordonne (Eph., 5, 1) : Soyez les
imitateurs de Dieu comme ses enfants les plus chers. Or, en recherchant la
gloire, l’homme paraît imiter Dieu qui cherche la gloire qui lui vient des
hommes. Ainsi il dit (Is., 43, 6) : Amenez
mes fils des climats les plus éloignés et mes filles des extrémités de la
terre. Car c’est moi qui ai créé pour ma gloire tous ceux qui invoquent mon
nom. Le désir de la gloire n’est donc pas un péché.
Réponse à l’objection N°1 : Comme le dit saint Augustin (Tract. in Joan. 58) à l’occasion de ces
paroles de Notre-Seigneur (Jean, chap. 13) : Vous m’appelez maître et Seigneur, et vous faites bien ; il est
dangereux pour celui qui doit se prémunir contre l’orgueil de se plaire à
lui-même, au lieu que celui qui est au-dessus de tout, ne s’enorgueillit pas,
quelque louange qu’il se donne. Car c’est à nous et non à lui que la
connaissance que nous avons de ses perfections est utile, et on ne le connaît
qu’autant qu’il se fait connaître lui-même. D’où il est évident que Dieu ne
cherche pas sa gloire à cause de lui-même, mais à cause de nous. De même
l’homme peut légitimement désirer sa propre gloire dans l’intérêt des autres,
d’après ces paroles de l’Evangile (Matth., 5, 16) : Qu’ils voient vos bonnes œuvres et qu’ils
glorifient votre Père qui est dans les cieux.
Objection N°2. Ce qui nous excite au bien ne paraît pas être un
péché. Or, le désir de la gloire nous porte au bien. Car Cicéron dit (De Tuscul., liv.
1) que l’amour de la gloire nous enflamme tous pour l’étude ; et l’Ecriture
nous promet la gloire en récompense de nos bonnes œuvres (Rom., 2, 7) : Ceux qui
persévèrent dans les bonnes œuvres auront la gloire et l’honneur. Le désir
de la gloire n’est donc pas un péché.
Réponse à l’objection N°2 : La gloire que Dieu possède n’est
pas vaine, mais elle est véritable. C’est cette gloire qui nous est promise en
récompense de nos bonnes œuvres et dont il est dit (2 Cor., 10, 17) : Que celui
qui se glorifie ne se glorifie que dans le Seigneur ; car ce n’est pas celui
qui se rend témoignage à lui-même qui est vraiment estimable, mais c’est celui
à qui Dieu rend témoignage. Il y en a qui sont portés à faire des actes de
vertu par le désir de la gloire humaine, aussi bien que par le désir des autres
biens terrestres. Cependant celui qui est véritablement vertueux ne fait pas le
bien pour être glorifié par ses semblables, comme le prouve saint Augustin (De civ. Dei, liv. 5, chap. 12).
Objection N°3. Cicéron dit (De
invent., liv. 2) que la gloire consiste à
faire parler souvent de quelqu’un avec éloge. Saint Augustin exprime la même
pensée quand il dit que la gloire consiste à être connu avec éclat et avec
louange (Cicéron définit la gloire : frequens de aliquo fama cum laude, et saint
Ambroise : clara
laude notitia de bono alicujus.). Or, ce n’est pas un péché que de désirer
une bonne réputation ; il semble même que ce soit une chose louable, d’après
ces passages de l’Ecriture (Ecclésiastique,
41, 15) : Ayez soin de vous procurer une
bonne réputation. (Rom., 12, 17)
: Ayez soin de faire le bien non seulement
devant Dieu, mais encore devant tous les hommes. Le désir de la vaine
gloire n’est donc pas un péché.
Réponse à l’objection N°3 : Il appartient à la perfection de
l’homme de se connaître lui-même, mais il n’est pas de sa perfection d’être
connu par les autres. C’est pourquoi ce n’est pas une chose que l’on doive
absolument rechercher. Cependant on peut la désirer selon qu’elle est utile
pour que Dieu soit glorifié par les hommes, ou pour que les hommes profitent du
bien qu’ils voient dans un de leurs semblables, ou parce que le témoignage des
éloges que l’homme reçoit pour le bien qui est en lui, l’excite à persévérer
dans la même voie et à y faire des progrès. C’est en ce sens qu’on est louable
de prendre soin de sa réputation, et de faire le bien devant Dieu et devant les
hommes ; de manière cependant qu’on ne prenne pas vainement plaisir à leurs
éloges.
Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (De civ. Dei, liv. 5, chap. 13) : Il a des idées plus saines celui
qui sait que l’amour de la louange est un vice.
Conclusion Quoique ce ne soit pas un vice de rechercher la gloire,
cependant c’est un péché de désirer la vaine gloire, soit en se faisant
glorifier ou de ce qui n’est pas, ou de ce qui n’en est pas digne, ou de ce qui
n’est louable qu’au jugement des hommes ; soit en rapportant la gloire elle-même
à une fin illégitime.
Il faut répondre que la gloire indique une certaine illustration.
Ainsi être glorifié est la même chose qu’être illustré, comme le dit saint
Augustin (Sup. Joan. Tract. 82 et 100,
et 104). Or, la splendeur et l’éclat ont une certaine manifestation. C’est
pourquoi le nom de gloire implique proprement la manifestation de quelque chose
de ce qui paraît beau et éclatant aux yeux des hommes, soit qu’il s’agisse de
quelque bien corporel ou ac quelque bien spirituel. Et comme ce qui est absolument
éclatant peut être vu par une foule de personnes et par celles qui sont le plus
éloignées, le mot de gloire désigne, à proprement parler, que ce qu’il y a de
bon dans un individu est arrivé à la connaissance d’une multitude d’autres et
qu’il a obtenu leurs éloges, d’après cette expression de Salluste, qui dit (Bell. Catil.) qu’on ne peut pas être glorifié devant un seul. Toutefois,
en prenant le mot de gloire dans un sens plus large, il consiste non seulement
dans la connaissance d’une multitude d’individus, mais encore dans celle d’un
petit nombre ou dans celle d’un seul, ou dans celle qu’on a de soi-même, quand
on considère son propre bien comme étant digne d’éloges. Or, il n’y a pas de
péché à connaître ce qu’on a de bon et à le louer ; car saint Paul dit (1 Cor., 2, 12) : Nous n’avons point reçu l’esprit du monde, mais l’esprit qui procède de
Dieu, afin que nous connaissions les dons que le ciel nous a faits. Il n’y
a pas non plus de péché à vouloir que les bonnes œuvres que l’on fait soient
approuvées par les autres. Car l’Evangile dit (Matth.,
5, 16) : Que votre lumière brille devant
tous les hommes. C’est pourquoi le désir de la gloire n’indique pas par
lui-même quelque chose de vicieux. Mais le désir de la vaine gloire est un
vice. Car le désir de tout ce qui est vain est une chose vicieuse, d’après ces
paroles de David (Ps. 4, 3) : Pourquoi aimez-vous la vanité et
cherchez-vous le mensonge ? — Or, la gloire peut être vaine de trois
manières : 1° Par rapport à la chose dans laquelle on la cherche, comme quand
on veut tirer gloire de ce qui n’est pas ou d’une chose qui n’en est pas digne,
comme une chose fragile et périssable (Ou comme une chose mauvaise ; car il v
en a qui se glorifient de leurs bassesses et de leurs crimes.). 2° De la part
de celui dont on recherche les applaudissements ; par exemple, d’un homme dont
le jugement n’est pas sûr. 3° De la part de celui qui recherche la gloire ; par
exemple, s’il ne la rapporte pas à une fin légitime, telle que l’honneur de
Dieu ou le salut du prochain.
Article 2 : La
vaine gloire est-elle opposée à la magnanimité ?
Objection N°1. Il semble que la
vaine gloire ne soit pas opposée à la magnanimité. Car il appartient à la vaine
gloire, comme nous l’avons dit (art. préc.), qu’on se
réjouisse dans ce qui n’existe pas, ce qui se rapporte à la fausseté, ou dans
les choses terrestres et périssables, ce qui revient à la cupidité ; ou dans le
témoignage des hommes, dont le jugement n’est pas certain, ce qui est le fait
de l’imprudence. Or, ces vices ne sont pas opposés à la magnanimité. La vaine
gloire ne l’est donc pas non plus.
Réponse à l’objection N°1 : Il répugne à la grandeur de l’âme
que l’on estime des choses médiocres au point de s’en glorifier. Ainsi il est
dit du magnanime (Eth., liv. 4, chap. 3) que l’honneur est
pour lui peu de chose. De même il estime peu les autres choses qu’on recherche
à cause de l’honneur, comme les puissances et les richesses. Il répugne aussi à
une grande âme de se glorifier de ce qui n’existe pas. Aussi Aristote fait
observer que le magnanime s’inquiète plus de la vérité que de l’opinion (loc. cit.). Pareillement il est
contraire à la grandeur d’âme de se glorifier du témoignage des éloges des hommes,
comme si on en avait une haute idée. C’est pourquoi il est encore dit du
magnanime (ibid.) qu’il ne cherche
pas à se faire louer. Par conséquent rien n’empêche que ces choses qui sont
opposées à d’autres vertus ne le soient à la magnanimité, selon qu’on regarde
comme grand ce qui est petit en effet.
Objection N°2. La vaine gloire n’est pas opposée à la magnanimité
par défaut, comme la pusillanimité qui paraît répugner à la vaine gloire ; elle
ne l’est pas non plus par excès, car l’ambition et la présomption lui sont
opposées de la sorte, comme nous l’avons vu (quest. 130, art. 2, et quest. préc.,
art. 2), et la vaine gloire diffère de ces deux vices. Elle ne lui est donc
opposée d’aucune manière.
Réponse à l’objection N°2 : Celui qui désire la vaine gloire
est en réalité au-dessous du magnanime, parce qu’il se glorifie dans des choses
que le magnanime considère comme petites, ainsi que nous l’avons vu (Réponse
N°1). Mais si l’on considère l’opinion qu’il s’en fait, il est opposé au
magnanime par excès, parce qu’il considère la gloire qu’il désire comme quelque
chose de grand, et qu’il la recherche plus qu’elle ne le mérite.
Objection N°3. A l’occasion de ces paroles de saint Paul (Philip., 2, 3) : Ne faisant par esprit de parti, ni par vaine gloire, la glose dit (ord. Ambros.) : Il y avait parmi eux des
esprits séditieux, inquiets, qui disputaient par vaine gloire. Or, la
contention ou la dispute n’est pas opposée à la magnanimité. Donc la vaine
gloire non plus.
Réponse à l’objection N°3 : Comme nous l’avons vu (quest.
127, art. 2, Réponse N°2), l’opposition des vices ne se considère pas d’après
leurs effets (Elle ne considère que d’après leur nature.). Cependant il est
opposé à la grandeur d’âme que l’on cherche querelle. Car on ne se dispute
jamais que pour une chose qu’on croit importante. Ainsi Aristote dit (Eth., liv. 4, chap. 3) que le magnanime
n’est pas querelleur, parce qu’il n’y a rien qu’il considère comme grand.
Mais c’est le contraire. Cicéron dit (De offic., liv. 1, in tit. Magnam.) : Il faut prendre garde au désir de
la gloire, car il nous prive de cette liberté d’esprit pour laquelle les hommes
magnanimes doivent toujours lutter. La vaine gloire est donc opposée à la
magnanimité.
Conclusion Le désir déréglé de la vaine gloire est opposé à la
magnanimité.
Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (quest. 103, art. 1,
Réponse N°3), la gloire est un effet de l’honneur et de la louange, car par là
même qu’on loue quelqu’un ou qu’on lui rend des honneurs, il devient illustre
dans l’opinion des autres. Et parce que la magnanimité a l’honneur pour objet,
ainsi que nous l’avons dit (quest. 129, art. 1 et 2), il s’ensuit qu’elle se
rapporte aussi à la gloire, afin que, comme on use de l’honneur avec
modération, on use de même de la gloire (Ainsi la magnanimité est le désir bien
réglé de l’honneur et de la gloire, au lieu que la vaine gloire en est le désir
déréglé.). C’est pourquoi le désir déréglé de la gloire est directement opposé
à la magnanimité.
Article 3 : La
vaine gloire est-elle un péché mortel ?
Objection N°1. Il semble que la
vaine gloire soit un péché mortel. Car il n’y a que le péché mortel qui prive
de la récompense éternelle. Or, la vaine gloire en prive, puisqu’il est dit (Matth., 5, 1) : Prenez
garde de ne pas faire vos bonnes œuvres devant les hommes pour attirer leurs
regards ; autrement vous n’en recevrez point la récompense de votre Père qui
est dans le ciel. La vaine gloire est donc un péché mortel.
Réponse à l’objection N°1 : Personne en péchant ne mérite la
vie éternelle. Ainsi une bonne œuvre ne peut pas mériter la vie éternelle, si
on la fait par vaine gloire, quoique cette vaine gloire ne soit pas un péché
mortel. Mais quand on perd absolument la vie éternelle par vaine gloire et
qu’il n’y a pas seulement que l’acte que l’on fait qui soit perdu pour elle,
alors la vaine gloire est un péché mortel.
Objection N°2. Quiconque
s’attribue ce qui est le propre de Dieu, pèche mortellement. Or, par le désir de
la vaine gloire on s’attribue ce qui est le propre de Dieu ; car il est dit (Is.,
42, 8) : Je ne donnerai pas ma gloire à
un autre, et dans saint Paul (1 Tim.,
1, 17) : A Dieu seul honneur et gloire.
La vaine gloire est donc un péché mortel.
Réponse à l’objection N°2 : Tous ceux qui désirent la vaine
gloire ne se souhaitent pas cette excellence qui n’appartient qu’à Dieu. Car
autre est la gloire qui n’appartient qu’à Dieu, et autre celle qu’on doit à un
homme riche ou vertueux.
Objection N°3. Le péché qui est le plus dangereux et le plus
nuisible est le péché mortel. Or, le péché de la vaine gloire a ce double
caractère ; car, à l’occasion de ces paroles de l’Apôtre (1 Thess., 2, 4) : Dieu, qui sonde nos coeurs, la glose dit (ord. Aug. et epist. 22) : On ne sait pas tout ce que peut
pour nuire l’amour de la gloire humaine, tant qu’on ne lui a pas fait la guerre
; parce que, quoiqu’il soit facile à tout le monde de ne pas désirer la gloire,
quand on la lui refuse, il est très difficile de ne pas y mettre son plaisir,
quand on la lui offre. Saint Chrysostome dit aussi (Hom. 19 in Matth.) que la vaine gloire entre
secrètement et qu’elle enlève insensiblement tout ce qu’il y a au dedans de
l’âme. Elle est donc un péché mortel.
Réponse à l’objection N°3 : La vaine gloire est un péché
dangereux, non seulement à cause de sa gravité, mais encore parce qu’elle est
une disposition à des péchés graves. Ainsi c’est la vaine gloire qui rend
l’homme présomptueux, qui lui inspire trop de confiance en lui-même et qui le dispose
ainsi peu à peu à la perte de ses biens intérieurs.
Mais c’est le contraire. Saint Chrysostome dit (Hom. 13 in op. imperf.
in Matth.) que les autres vices se trouvent dans
les serviteurs du démon, mais que la vaine gloire existe aussi dans les serviteurs
du Christ, où il n’y a cependant pas de péché mortel. Elle n’en est donc pas
un.
Conclusion La vaine gloire n’est pas un péché mortel, à moins
qu’elle ne soit absolument opposée à la charité.
Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (quest. 24, art. 12 ;
quest. 110, art. 4, et quest. 112, art. 2), un péché est mortel par là même
qu’il est contraire à la charité. Or, le péché de vaine gloire, considéré en
lui-même, ne paraît pas être contraire à la charité, quant à l’amour du
prochain ; mais il peut lui être contraire de deux manières, quant à l’amour de
Dieu : 1° En raison de la matière dont on se glorifie, comme quand on se
glorifie d’une chose fausse qui est contraire au respect dû à la Divinité (On
doit dire la même chose de celui qui se glorifie d’un vol, d’une fornication ou
de tout autre péché mortel.), d’après ces paroles du prophète (Ezéch., 28, 2) : Votre
cœur s’est élevé et vous avez dit : Je suis Dieu. Et l’Apôtre dit (1 Cor., 4, 7) : Qu’avez-vous que vous ne l’ayez reçu ? et
si vous l’avez reçu, pourquoi vous en glorifiez-vous comme si vous ne l’aviez
pas reçu ? Ou, quand on préfère à Dieu le bien temporel dont on se glorifie
; c’est ce qui fait dire à Jérémie (9, 23) : Que le sage ne se glorifie point dans sa sagesse, ni le fort dans sa
force, ni le riche dans ses richesses ; mais que celui qui se glorifie mette sa
gloire à me connaître et à savoir que je suis le Seigneur. Ou quand on
préfère le témoignage des hommes au témoignage de Dieu, comme ceux qui ont mieux aimé la gloire des hommes que
celle de Dieu, d’après l’Evangile (Jean, 12, 43). 2° De la part de celui
qui se glorifie, quand il rapporte son intention à la gloire comme à sa fin
dernière ; c’est-à-dire quand il rapporte à elle toutes ses bonnes actions et
que pour l’atteindre il ne craint pas de faire des choses qui sont contre Dieu.
Dans ce cas elle est un péché mortel. D’où saint Augustin observe (De civ. Dei, liv. 5, chap. 14) que
l’amour de la gloire humaine est tellement contraire à la loi divine, quand le
désir de la gloire l’emporte dans le cœur sur la crainte de l’amour de Dieu,
que le Seigneur disait (Jean, 5, 44) : Comment
pouvez-vous croire, vous qui recherchez la gloire que vous vous donnez les uns
aux autres, et qui ne recherchez point celle qui vient de Dieu seul ? (Il y
a aussi péché mortel, si, par vaine gloire, on refuse de rétracter une erreur
qui devient préjudiciable au prochain ; comme un médecin qui ne veut pas avoir
l’air de s’être trompé, qui refuse de s’adjoindre un de ses collègues, et qui
s’obstine par vanité dans une voie mauvaise.) Mais cependant si l’amour de la
gloire humaine, toute vaine qu’elle est, ne répugne pas à la charité, quant à
la chose dont on se glorifie, ni quant à l’intention de celui qui s’en
glorifie, ce n’est pas un péché mortel, mais un péché véniel.
Article 4 : La
vaine gloire est-elle un vice capital ?
Objection N°1. Il semble que la
vaine gloire ne soit pas un vice capital. Car un vice qui vient toujours d’un
autre ne paraît pas être un vice capital. Or, la vaine gloire vient toujours de
l’orgueil. Elle n’est donc pas un vice capital.
Réponse à l’objection N°1 : Un vice peut venir de la superbe
et être néanmoins un vice capital, parce que, comme nous l’avons dit (dans le
corps de cet article et 1a 2æ, quest. 84, art. 2), la
superbe est la reine et la mère de tous les vices.
Objection N°2. L’honneur paraît être quelque chose de plus
principal que la gloire qui est son effet. Or, l’ambition qui est le désir déréglé
de l’honneur n’est pas un vice capital. Le désir de la vaine gloire n’en est
donc pas un non plus.
Réponse à l’objection N°2 : La louange et l’honneur sont par
rapport à la gloire, ainsi que nous l’avons dit (art. 2 et quest. 103, art. 1,
Réponse N°3), comme les causes qui la produisent. Par conséquent la gloire est
leur fin. Car on aime à être honoré et à être loué, parce qu’on pense qu’on
arrivera par-là à être connu avec éclat par les autres.
Objection N°3. Un vice capital paraît avoir une certaine
prééminence. Or, la vaine gloire ne paraît pas en avoir, ni quant à la nature
du péché, parce qu’elle n’est pas toujours un péché mortel ; ni quant à la
nature du bien que l’on désire, parce que la gloire humaine paraît être quelque
chose de fragile qui existe hors de l’homme. La vaine gloire n’est donc pas un
vice capital.
Réponse à l’objection N°3 : La vaine gloire est éminemment
désirable pour la raison que nous avons dite (dans le corps de cet article.),
et il n’en faut pas davantage pour l’essence d’un vice capital. Mais il n’est
pas nécessaire que ce vice soit toujours un péché mortel, parce qu’un péché
mortel peut venir d’un péché véniel, puisque celui-ci est une disposition à
l’autre.
Mais c’est le contraire. Saint Grégoire (Mor., liv. 31, chap. 17) compte la vaine gloire parmi les sept
péchés capitaux.
Conclusion Le désir de la vaine gloire est un vice capital,
puisqu’il donne naissance à beaucoup d’autres vices.
Il faut répondre qu’à l’égard des vices capitaux il y a deux
sortes de classification. Car il y en a qui font de l’orgueil un des vices
capitaux et qui ne mettent pas de ce nombre la vaine gloire (Voyez ce que nous
avons dit sur ces différentes classifications, 1a 2æ,
quest. 84.) ; au lieu que saint Grégoire (Mor.,
liv. 31, loc. cit.) fait de la superbe la reine de tous les vices, et il fait
de la vaine gloire, qui en naît immédiatement, un vice capital. Et c’est avec
raison ; car l’orgueil, comme nous le verrons (quest. 162, art. 1 et 2),
implique un désir déréglé d’excellence ou de supériorité. Or, de tout bien que
l’on désire, il résulte une perfection, une excellence, et c’est pour cela que
les fins de tous les vices se rapportent à la fin de l’orgueil. Pour cette
raison il semble que l’orgueil soit la cause générale des autres vices, et
qu’on ne doive pas le compter parmi leurs principes spéciaux, qui sont les
péchés capitaux (Cependant on a remplacé la vaine gloire par l’orgueil dans la
classification actuelle, sans doute parce que ce dernier mot offre au peuple un
sens plus facile à saisir.). — Or, entre les biens par lesquels l’homme s’élève
à une certaine supériorité, on distingue principalement la gloire, en tant
qu’elle implique la manifestation de ce qu’il y a de bon dans un individu. Car
on aime ce qui est bon naturellement et tout le monde l’honore. C’est pourquoi,
comme par la gloire qui est en Dieu, l’homme arrive à exceller dans les choses
divines ; de même, par la gloire qui vient des hommes, il arrive à exceller
dans les choses humaines. Et parce que la gloire nous rapproche de cette
excellence que les hommes désirent le plus, il s’ensuit qu’elle est très désirable.
Mais quand on la désire d’une manière déréglée, il en résulte une foule de
vices, et c’est ce qui en fait un vice capital.
Article 5 : Est-il
convenable de dire que les filles de la vaine gloire sont la désobéissance, la jactance, l’hypocrisie, la contention,
l’opiniâtreté, la discorde et la présomption des nouveautés ?
Objection N°1. Il semble que
l’on ait tort de dire que les filles de la vaine gloire sont la désobéissance,
la jactance, l’hypocrisie, la contention, l’opiniâtreté, la discorde et la
présomption des nouveautés. Car saint Grégoire (Mor., liv. 23, chap. 4, 5 et 7) met la jactance au nombre des
espèces de l’orgueil. Or d’après ce même docteur (Mor., liv. 31, chap. 17), l’orgueil ne vient pas de la vaine
gloire, mais c’est plutôt le contraire. On ne doit donc pas faire de la
jactance une fille de la vaine gloire.
Réponse à l’objection N°1 : Comme nous l’avons dit (quest.
112, art. 1, Réponse N°2), la jactance est une espèce d’orgueil quant à sa
cause intérieure qui est l’arrogance ; mais la jactance extérieure, comme le
dit Aristote (Eth., liv. 4, chap. 7), a quelquefois pour
fin le lucre, mais le plus souvent la gloire et l’honneur, et par conséquent
elle vient de la vaine gloire.
Objection N°2 : Les contentions et les discordes paraissent
provenir surtout de la colère. Or, la colère est un vice capital qui se
distingue par opposition de la vaine gloire. Il semble donc qu’elles ne
naissent pas de ce dernier vice.
Réponse à l’objection N°2 : La colère ne produit pas la
discorde et la contention, à moins qu’elle n’ait pour compagne la vaine gloire,
c’est-à-dire à moins qu’on ne considère comme une chose glorieuse de ne pas
céder à la volonté ou aux discours des autres.
Objection N°3. Saint Chrysostome dit (Hom. 19 sup. Matth.) que la vaine gloire est
partout un mal, mais principalement dans les œuvres de charité ou de
miséricorde. Il n’y a cependant là rien de nouveau, mais c’est au contraire
quelque chose de très ordinaire parmi les hommes. L’amour présomptueux des
nouveautés ne doit donc pas être considéré spécialement comme une suite de la
vaine gloire.
Réponse à l’objection N°3 : La vaine gloire est blâmable à
l’égard de l’aumône, à cause du défaut de charité qui paraît se trouver dans
celui qui préfère la vaine gloire à l’intérêt du prochain, puisqu’il fait
l’aumône pour elle. Mais on ne blâme pas un individu de ce qu’il a la présomption
de faire l’aumône, comme quelque chose de nouveau.
Mais c’est le contraire. Saint Grégoire (Mor., liv. 31, cap. 17) désigne lui-même ces vices comme naissant
tous de la vaine gloire.
Conclusion C’est avec raison qu’on dit que la désobéissance, la
jactance, l’hypocrisie, la contention, l’opiniâtreté, la discorde, l’amour
présomptueux des nouveautés naissent de la vaine
gloire.
Il faut répondre
que, comme nous l’avons vu (quest. 34, art. 5, et quest. 35, art. 4, et 1a
2æ, quest. 84, art. 3 et 4), on dit que les vices qui se rapportent
d’eux-mêmes naturellement à la fin d’un vice capital, naissent de lui. Or, la
vaine gloire a pour fin la manifestation de sa propre excellence, comme on le
voit d’après ce que nous avons dit (art. préc. et
art. 1). L’homme peut tendre à cela de deux manières : 1° Directement ; soit
par des paroles, et alors c’est de la jactance
; soit par des actions, et dans ce cas, s’il s’agit de choses véritables
qui excitent de l’étonnement, c’est la présomption
des nouveautés (On appelle ainsi les nouveautés que l’on invente ou dont on
se sert pour exciter l’admiration chez les autres, et se glorifier ; ce
qui peut avoir lieu dans les différentes manières de parler, de se vêtir, de
vivre, etc. La présomption fait qu’on entreprend sous ce rapport des choses
supérieures à ses forces.) que les hommes admirent
ordinairement ; si au contraire il s’agit d’actes qui sont faux, c’est de l’hypocrisie. 2° On s’efforce de
manifester indirectement son excellence, en montrant qu’on n’est pas au-dessous
d’un autre, et cela de quatre manières : 1° quant à l’intelligence, et alors il
y a opiniâtreté, parce que l’homme
s’appuie trop sur son propre sentiment, se refusant de croire à un sentiment
meilleur ; 2° quant à la volonté, et il en résulte la discorde, quand on ne veut pas s’écarter de sa propre volonté pour
tomber d’accord avec les autres ; 3° quant à la parole, c’est la contention, quand on s’élève contre
quelqu’un en poussant de grands cris ; 4° quant à l’action, dans cette
hypothèse il y a désobéissance, quand
on ne veut pas suivre les ordres de ses supérieurs.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
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puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect
de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune
évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de
la morale catholique et des lois justes.
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