Saint Thomas d ’Aquin - Somme Théologique

2a 2ae = Secunda Secundae = 2ème partie de la 2ème Partie

Question 136 : De la patience

 

            Nous devons maintenant nous occuper de la patience. — A cet égard cinq questions se présentent : 1° La patience est-elle une vertu ? — 2° Est-elle la plus grande des vertus ? — 3° Peut-on la posséder sans la grâce ? — 4° Est-elle une partie de la force ? — 5° Est-elle la même chose que la longanimité ? (La longanimité est ce qui nous fait tendre à un bien que nous ne devons obtenir qu’après un long temps.)

 

Article 1 : La patience est-elle une vertu ?

 

Objection N°1. Il semble que la patience ne soit pas une vertu. Car les vertus existent de la manière la plus parfaite dans le ciel, comme le dit saint Augustin (De Trin., liv. 14, chap. 9). Or, la patience ne s’y trouve pas, car là il n’y a pas de maux à supporter, d’après ces paroles de l’Ecriture (Is. 49, 10 ; Apoc., 7, 16) : Ils n’éprouveront le tourment ni de la faim, ni de la soif ; ils ne seront incommodés ni par le soleil, ni par aucun vent brûlant. La patience n’est donc pas une vertu.

Réponse à l’objection N°1 : Les vertus morales ne subsisteront pas relativement aux mêmes actes dans le ciel que sur la terre, c’est-à-dire qu’elles ne se rapporteront plus aux biens de la vie présente, qui n’existeront plus au delà du tombeau, mais elles subsisteront par rapport à la fin qu’on aura alors atteinte. Ainsi, dans le ciel, la justice n’aura plus pour objet les achats et les ventes, et les autres choses qui appartiennent à la vie présente ; elle consistera seulement à être soumise à Dieu. De même l’acte de la patience dans le ciel n’aura pas pour but de supporter quelque chose, mais il consistera dans la jouissance des biens auxquels nous voulons parvenir en pratiquant cette vertu. C’est ce qui fait dire à saint Augustin (De civ. Dei, liv. 14, chap. 9) que dans le ciel il n’y a pas de patience, puisque cette vertu n’est nécessaire que là où il y a des maux à supporter, mais que nous posséderons éternellement le bien auquel la patience nous aura conduits.

 

Objection N°2. On ne peut trouver aucune vertu dans les méchants, parce que la vertu est ce qui rend bons ceux qui la possèdent. Or, la patience se trouve quelquefois chez les méchants, comme on le voit dans les avares, qui supportent avec patience une foule de peines pour amasser de l’argent, d’après ce témoignage de l’Ecriture (Ecclésiaste, 5, 16) : Tous les jours de sa vie il a mangé dans les ténèbres, et il a vécu avec beaucoup de peine, d’infirmité et de chagrin. La patience n’est donc pas une vertu.

Réponse à l’objection N°2 : Comme le dit saint Augustin (Lib. de patientiâ, chap. 2 et 5), on appelle patients, à proprement parler, ceux qui aiment mieux supporter le mal sans le commettre que de le commettre sans rien supporter. Quant à ceux qui s’imposent de grands maux pour faire de grandes iniquités, on ne doit ni admirer, ni louer leur patience, qui est nulle, mais il faut plutôt s’étonner de leur dureté et lui refuser le nom de patience.

 

Objection N°3. Les fruits diffèrent des vertus, comme nous l’avons vu (1a 2æ, quest. 70, art. 1, Réponse N°3). Or, la patience est mise au nombre des fruits, comme on le voit (Gal., chap. 5). Elle n’est donc pas une vertu.

Réponse à l’objection N°3 : Comme nous l’avons dit (1a 2æ, quest. 11, art. 1), le fruit implique par sa nature une délectation. Or, les opérations des vertus sont agréables par elles-mêmes, comme on le voit (Eth., liv. 1, chap. 8), et on désigne ordinairement sous le nom de vertu les actes vertueux. C’est pourquoi la patience est une vertu quant à son habitude ; mais relativement à la délectation qu’elle trouve dans son acte, c’est un fruit, surtout si on la considère comme un préservatif qui empêche l’âme de succomber sous la tristesse.

 

Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (Lib. de patientia, chap. 1) : La vertu de l’âme qu’on appelle patience est un don de Dieu si excellent, que ce Dieu qui nous l’accorde est lui-même loué dans l’Ecriture de la patience avec laquelle il supporte les pécheurs.

Conclusion La patience est une vertu par laquelle on conserve le bien de la raison malgré la tristesse, parce qu’elle empêche la raison de se laisser abattre par elle.

Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (quest. 123, art. 1), les vertus morales se rapportent au bien, en ce qu’elles conservent le bien de la raison contre le choc impétueux des passions. Or, entre les autres passions, la tristesse a beaucoup de force pour empêcher le bien de la raison, d’après ces paroles de l’Ecriture (2 Cor., 7, 10) : La tristesse du siècle produit la mort ; (Ecclésiastique, 30, 25) La tristesse en a tué une multitude, et elle n’est utile à rien. Par conséquent il est nécessaire que l’on ait une vertu par laquelle on conserve le bien de la raison contre la tristesse et qui empêche la raison de succomber sous les assauts de cette passion. C’est précisément ce que fait la patience. C’est pourquoi saint Augustin dit (Lib. de pat., chap. 2) que la patience consiste à supporter les maux de cette vie avec une grande égalité d’esprit, c’est-à-dire sans se laisser troubler par la tristesse, et qu’elle nous empêche d’abandonner par notre mauvaise humeur les biens par lesquels nous pouvons arriver à un bonheur plus parfait. D’où il est évident que la patience est une vertu.

 

Article 2 : La patience est-elle la plus excellente des vertus ?

 

Objection N°1. Il semble que la patience soit la plus excellente des vertus. Car ce qui est parfait est ce qu’il y a de meilleur dans chaque genre. Or, la patience est parfaite dans ses œuvres, comme le dit saint Jacques (1, 4). Elle est donc la plus excellente des vertus.

Réponse à l’objection N°1 : L’œuvre de la patience est appelée parfaite dans la souffrance des adversités, d’où découle 1° la tristesse, que la patience modère ; 2° la colère, que règle la mansuétude ; 3° la haine, que détruit la charité ; 4° le dommage injuste, que défend la justice. Car ce qui détruit le principe d’une chose est toujours plus parfait. Mais de ce que la patience est plus parfaite en ce genre, il ne s’ensuit pas qu’elle soit plus parfaite absolument.

 

Objection N°2. Toutes les vertus se rapportent au bien de l’âme. Or, il semble que ce bien appartienne principalement à la patience ; car il est dit (Luc, 21, 19) : C’est par votre patience que vous sauverez les âmes. La patience est donc la plus grande des vertus.

Réponse à l’objection N°2 : La possession implique un domaine paisible. C’est pourquoi on dit que l’homme possède son âme par la patience, dans le sens qu’il arrache dans leurs racines les passions qui résultent de l’adversité et qui inquiètent l’âme.

 

Objection N°3. Ce qui conserve les autres choses et ce qui en est la cause paraît être ce qu’il y a de meilleur. Or, comme le dit saint Grégoire (Hom. 35 in Ev.), la patience est la racine et la gardienne de toutes les vertus. Elle est donc la plus grande d’entre elles.

Réponse à l’objection N°3 : On dit que la patience est la racine et la gardienne de toutes les vertus, non comme si elle les produisait et les conservait directement, mais uniquement parce qu’elle écarte ce qui leur fait obstacle (Si la patience n’est pas la plus excellente des vertus, il résulte de ces considérations qu’elle est une des plus utiles. Car, dans cette vie de peines et de larmes, on a l’occasion de la pratiquer constamment.).

 

Mais c’est le contraire. Elle n’est pas au nombre des quatre vertus que saint Grégoire (Mor., liv. 22, chap. 1) et saint Augustin (Lib. de mor. Ecclesiæ, chap. 15) appellent vertus cardinales.

 

Conclusion La patience n’est pas la première de toutes les vertus, puisqu’elle a au-dessus d’elle les trois vertus théologales et les quatre vertus cardinales, parmi lesquelles la prudence et la justice établissent l’homme directement dans le bien, tandis que la force et la tempérance lui font surmonter tous les plus graves obstacles.

Il faut répondre que les vertus se rapportent au bien d’après leur propre essence. Car la vertu est ce qui rend bon celui qui la possède, et qui rend bonnes aussi ses actions, d’après Aristote (Eth., liv. 2, chap. 6). Par conséquent, plus une vertu est élevée et importante, plus elle doit mettre l’homme en rapport direct avec le bien. Ainsi les vertus qui établissent le bien mettent l’homme plus directement en rapport avec lui que celles qui empêchent les choses qui le détournent de son devoir. Parmi celles qui établissent le bien, on remarque qu’elles sont d’autant plus nobles qu’elles établissent l’homme dans un bien d’un ordre plus élevé. Ainsi la foi, l’espérance et la charité sont au-dessus de la prudence et de la justice. De même, parmi celles qui font obstacle à ce qui le détourne de son devoir, la plus excellente est celle qui triomphe de l’obstacle le plus puissant. Or, les dangers de mort, qui sont l’objet de la force, et les délectations du tact, qui sont l’objet de la tempérance, nous écartent du bien plus que toutes les adversités qui sont l’objet de la patience. C’est pourquoi la patience n’est pas la plus excellente des vertus, mais elle reste au-dessous, non seulement des vertus théologales, de la prudence et de la justice, qui établissent directement l’homme dans le bien, mais elle est encore au-dessous de la force et de la tempérance qui le font triompher d’obstacles plus graves.

 

Article 3 : Peut-on avoir la patience sans la grâce ?

 

Objection N°1. Il semble qu’on puisse avoir la patience sans la grâce. Car plus la raison a d’inclination pour une chose, et plus la créature raisonnable a de facilité pour l’accomplir. Ainsi il est plus raisonnable de souffrir pour un bien que pour un mal. Or, il y en a qui endurent des souffrances pour le mal, d’après leur propre vertu, sans le secours de la grâce. Car saint Augustin dit (Lib. de pat., chap. 3) que les hommes souffrent de grandes peines et de grandes fatigues pour des choses que leur dérèglement leur fait aimer. L’homme peut donc, à plus forte raison, supporter beaucoup de souffrances pour le bien, ce qui forme le véritable patient, sans le secours de la grâce.

Réponse à l’objection N°1 : Dans la nature humaine, si elle était intègre, l’inclination de la raison l’emporterait ; mais, dans notre état de dégradation, l’inclination de la concupiscence, qui domine dans l’homme, a le dessus. C’est pourquoi l’homme est plus porté à s’imposer des peines pour les biens dans lesquels la concupiscence trouve présentement ses jouissances, qu’à endurer des souffrances pour les biens à venir que la raison nous fait désirer ; ce qui est cependant le propre de celui qui est véritablement patient.

 

Objection N°2. Il y a des hommes qui ne sont pas en état de grâce et qui abhorrent plus le mal du péché que les maux corporels. Ainsi l’histoire rapporte qu’il y a des gentils qui ont mieux aimé souffrir une foule de supplices que de trahir leur patrie ou de commettre quelque autre action déshonorante. Or, c’est là ce qui constitue la véritable patience. Il semble donc qu’on puisse la posséder sans avoir le secours de la grâce.

Réponse à l’objection N°2 : Le bien de la vertu civile est proportionné à la nature humaine. C’est pourquoi, sans le secours de la grâce sanctifiante, la volonté humaine peut y tendre, quoiqu’elle ne le puisse sans le secours de la grâce de Dieu (La patience, telle qu’elle existe dans les philosophes, ne suppose pas la grâce proprement dite, mais elle demande toujours un secours de Dieu qui fortifie l’âme, et c’est de ce secours naturel dont parle saint Thomas.). Au contraire le bien de la grâce est surnaturel ; par conséquent l’homme ne peut y tendre par la vertu de sa nature. C’est pourquoi il n’y a pas de parité.

 

Objection N°3. Il est évident que pour recouvrer la santé il y en a qui endurent de graves privations et d’amères épreuves. Or, le salut de l’âme n’est pas moins désirable que la santé du corps. Donc, pour le même motif, on peut supporter pour le salut de l’âme une multitude de maux, ce qui constitue la véritable patience, sans le secours de la grâce.

Réponse à l’objection N°3 : Si l’on supporte des peines pour recouvrer la santé, c’est uniquement parce que l’homme aime naturellement sa chair. C’est pourquoi on ne peut faire le même raisonnement sur la patience qui provient de l’amour surnaturel (Pour s’exciter à la patience, on peut considérer la patience de Dieu qui tolère les pécheurs, celle de Jésus-Christ, celle des saints, les fruits qu’on retire de cette vertu, et les inconvénients du vice contraire.).

 

Mais c’est le contraire. Le Psalmiste dit (Ps. 61, 6) : Ma patience vient de Dieu.

 

Conclusion Puisque la patience qui est une véritable vertu vient de la charité, il est clair qu’on ne peut pas l’avoir sans la grâce.

Il faut répondre que, comme le dit saint Augustin (Lib. de pat., circ. fin.), c’est la force des désirs qui fait qu’on s’expose à souffrir le travail et la douleur, car jamais on ne s’y expose volontairement que pour quelque chose qui plaît. La raison en est que l’esprit déteste la douleur et la tristesse en elle-même ; par conséquent il ne se déciderait jamais à la souffrir pour elle-même, mais il le fait seulement pour une fin. Ainsi il faut donc que le bien pour lequel on veut endurer des souffrances soit plus désiré et plus aimé que le bien dont la privation nous cause une douleur que nous supportons patiemment. Or, il appartient à la charité qui aime Dieu par-dessus toutes choses de préférer le bien de la grâce à tous les biens de la nature dont la perte peut nous causer une douleur. D’où il est évident que la patience, selon qu’elle est une vertu, est produite par la charité, d’après ces paroles de saint Paul (1 Cor., 13, 4) : La charité est patiente. Et comme il est manifeste qu’on ne peut avoir la charité qu’au moyen de la grâce, d’après ces autres paroles de l’Apôtre (Rom., 5, 5) : La charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné, il s’ensuit qu’on ne peut pas avoir la patience sans le secours de la grâce (On ne peut pas avoir la patience parfaite quoad statum, sans la grâce sanctifiante ; pour avoir la patience imparfaite, telle qu’elle se trouve dans les pénitents et les catéchumènes qui n’ont pas encore été justifiés, on a seulement besoin de la grâce naturelle.).

 

Article 4 : La patience est-elle une partie de la force ?

 

Objection N°1. Il semble que la patience ne soit pas une partie de la force. Car une même chose n’est pas une partie d’elle-même. Or, la patience paraît être la même chose que la force ; parce que, comme nous l’avons dit (quest. 123, art. 6), l’acte propre de la force consiste à supporter, et c’est aussi ce qui appartient à la patience, puisque saint Grégoire dit (Hom. 35 in Ev.) que la patience consiste à supporter les maux qui nous viennent de nos semblables. Elle n’est donc pas une partie de la force.

Réponse à l’objection N°1 : Il appartient à la force non de résister à toutes les épreuves quelles qu’elles soient, mais à ce qu’il y a de plus difficile à supporter, par exemple aux dangers de mort. Au contraire, la patience peut supporter toutes sortes de maux.

 

Objection N°2. La force a pour objet la crainte et l’audace, comme nous l’avons vu (quest. 123, art. 5), par conséquent elle existe dans l’irascible. Or, la patience paraît avoir pour objet la tristesse et conséquemment résider dans le concupiscible. Elle n’est donc pas une partie de la force, mais elle est plutôt une partie de la tempérance.

Réponse à l’objection N°2 : L’acte de la force ne consiste pas seulement en ce que l’on persiste dans le bien malgré la crainte des dangers futurs, mais il consiste encore à ne pas se laisser abattre par la tristesse ou la douleur des maux présents, et sous ce rapport la patience a de l’affinité avec la force. Cependant la force a principalement pour objet la crainte qui par sa nature nous porte à fuir ce que la force évite ; au lieu que la patience a plutôt pour objet la tristesse. Car on dit qu’un homme est patient, non parce qu’il ne fuit pas, mais parce qu’il supporte admirablement ce qui lui nuit pour le présent, c’est-à-dire de telle sorte qu’il ne s’en attriste pas déréglément. C’est pourquoi la force consiste proprement dans l’irascible et la patience dans le concupiscible. Mais cela n’empêche pas que la patience ne soit une partie de la force, parce que l’adjonction d’une vertu à une autre ne se considère pas d’après le sujet, mais d’après la matière ou la forme. Toutefois la patience n’est pas une partie de la tempérance, quoiqu’elles existent l’une et l’autre dans le concupiscible. Car la tempérance a seulement pour objet les peines qui sont opposées aux jouissances des sens, telles que celles qui résultent de la privation des plaisirs de la table ou de la chair ; au lieu que la patience a surtout pour objet les peines que nos semblables nous causent. De plus il appartient à la tempérance de modérer ces peines aussi bien que les délectations contraires, tandis que la patience a pour but d’empêcher l’homme de s’écarter de la vertu, à cause de ces ennuis qu’il éprouve, quels qu’ils soient.

 

Objection N°3. Le tout ne peut pas exister sans la partie. Si donc la patience était une partie de la force, la force ne pourrait jamais exister sans la patience. Cependant le fort ne supporte pas toujours le mal qu’on lui fait avec patience, mais il attaque aussi celui qui en est l’auteur. La patience n’est donc pas une partie de la force.

Réponse à l’objection N°3 : On peut considérer la patience comme une partie intégrale de la force, si on la considère sous un certain rapport, c’est-à-dire selon qu’elle supporte patiemment les maux qui appartiennent aux dangers de mort (Les craintes que ces dangers excitent produisent la tristesse que la patience modère ; par conséquent elle contribue à parfaire l’acte de la force.), et c’est à ce point de vue que se place l’objection, Il n’est pas non plus contraire à la nature de la patience que, quand il le faut, on attaque celui qui est l’auteur des maux qu’on endure. Car, comme le dit saint Chrysostome (Hom. 5 in op. imperf.) à l’occasion de ces paroles de l’Evangile (Matth., chap. 4) : Vade Satana ; il est louable de supporter avec patience les injures que l’on reçoit ; mais il y a une impiété extrême à supporter avec patience les injures que l’on fait à Dieu. Et saint Augustin dit (Epist. ad Marcellinum 138), que les préceptes de la patience ne sont pas contraires au bien de l’Etat, pour la conservation duquel on combat contre les ennemis. Mais, selon que la patience se rapporte à tous les autres maux, elle est unie à la force comme une vertu secondaire à une vertu principale.

 

Mais c’est le contraire. Cicéron (De invent., liv. 2) fait de la patience une partie de la force.

 

Conclusion La patience est adjointe à la force, comme une vertu modérée à une vertu principale, et par conséquent elle est avec raison appelée une partie potentielle de cette vertu.

Il faut répondre que la patience est une partie potentielle de la force, parce qu’elle lui est unie comme une vertu secondaire à une vertu principale. En effet, il appartient à la patience de supporter avec égalité d’âme les maux qui nous viennent d’autrui, comme le dit saint Grégoire (loc. cit.). Or, les plus graves des maux que nous font les autres et les plus difficiles à supporter sont ceux qui se rapportent aux dangers de mort qui sont l’objet de la force. D’où il est évident que la force se rapporte à ce qu’il y a de principal dans cette matière, parce qu’elle s’approprie en quelque sorte ce qu’il y a de plus important. C’est pourquoi la patience lui est unie comme une vertu secondaire l’est à une vertu principale.

 

Article 5 : La patience est-elle la même chose que la longanimité ?

 

Objection N°1. Il semble que la patience soit la même chose que la longanimité. Car saint Augustin dit (Lib. de pat., chap. 1) qu’on ne loue pas la justice de Dieu parce qu’il supporte quelque peine, mais parce qu’il attend que les méchants se convertissent. D’où il est dit (Ecclésiastique, 5, 4) : Le Très-Haut est patient, mais il punit les crimes. Il semble donc que la patience soit la même chose que la longanimité.

 

Objection N°2. Une même chose n’est pas opposée à deux autres. Or, l’impatience est opposée à la longanimité, par laquelle on attend le retard ; car on dit qu’on est impatient à l’égard du retard aussi bien que des autres maux. Il semble donc que la patience soit la même chose que la longanimité.

 

Objection N°3. Comme le temps est une circonstance des maux que l’on supporte, de même aussi le lieu. Or, de la part du lieu, il n’y a pas de vertu qui soit distincte de la patience. La longanimité, qui se considère d’après le temps et qui consiste en ce qu’on attend longtemps, n’en est donc pas non plus distincte.

Réponse à l’objection N°3 : Ce qui est distant localement, quoiqu’il soit éloigné de nous, n’est cependant pas éloigné absolument par la nature des choses, comme ce qui est loin de nous quant au temps. C’est pourquoi il n’y a pas de parité. De plus ce qui est éloigné localement n’offre de difficulté qu’en raison du temps ; parce que ce qui est éloigné de nous quant au lieu, peut arriver à nous plus tard.

 

Objection N°4. Mais c’est le contraire. A l’occasion de ces paroles de l’Apôtre (Rom., chap. 2) : Est-ce que vous méprisez les richesses de sa bonté, de sa patience et de sa longanimité ? la glose dit (Orig., liv. 2 Comment. in hanc Epist., chap. 2) : La longanimité paraît différer de la patience ; car on dit que ceux qui pèchent par faiblesse plutôt que par malice doivent être supportés avec longanimité, mais que ceux qui s’opiniâtrent et qui tressaillent dans le mal doivent être supportés avec patience.

Réponse à l’objection N°4 : Nous accordons la quatrième. Cependant il faut considérer la raison de cette différence que la glose assigne : car dans ceux qui pèchent par faiblesse il n’y a qu’une chose qui soit insupportable, c’est le long temps qu’ils persévèrent dans le mal ; c’est pour cela qu’on les supporte par longanimité. Mais si l’on pèche par orgueil, cette faute est par elle-même difficile à supporter ; c’est pourquoi on dit que ceux qui pèchent de la sorte sont supportés par patience.

 

Conclusion Quoique la longanimité et la patience ne soient pas absolument la même chose, il y a cependant beaucoup de rapport entre ces deux vertus.

Il faut répondre que comme on appelle magnanimité la vertu par laquelle on a la pensée de tendre à quelque chose de grand, de même on appelle longanimité celle qui nous fait tendre à quelque chose qui est très éloigné. C’est pourquoi, comme la magnanimité se rapporte plutôt à l’espérance qui tend à ce qui est bon, qu’à l’audace ou à la crainte ou à la tristesse qui ont pour objet le mal, de même aussi la longanimité. Par conséquent la longanimité paraît avoir plus de rapport avec la magnanimité qu’avec la patience. Cependant elle peut s’accorder avec la patience de deux manières : 1° Parce que la patience, comme la force, supporte certains maux pour un bien. Si on attend ce bien à une époque rapprochée, il est plus facile de supporter la peine ; mais si ce bien est longtemps différé, et qu’il faille dans le présent endurer des maux, c’est plus difficile. 2° Parce que le retard d’un bien qu’on espère est naturellement propre à produire de la tristesse, d’après ces paroles de l’Ecriture (Prov., 13, 12) : L’espérance qui est différée afflige l’âme. Par conséquent il peut y avoir de la patience à supporter cette affliction, comme il y en a à supporter toutes les autres peines. Ainsi, selon qu’on peut comprendre au point de vue du mal qui attriste, le délai du bien qu’on espère, ce qui appartient à la longanimité, et la peine que l’homme se donne en continuant à exécuter une bonne œuvre, ce qui appartient à la constance ; la longanimité aussi bien que cette dernière vertu sont comprises sous la patience. — C’est pourquoi Cicéron définissant la patience, dit (De invent., liv. 2) : que dans l’intérêt de l’honnête et de l’utile elle supporte volontairement et longtemps ce qui est ardu et difficile. Il emploie le mot ardu pour désigner la constance dans le bien ; le mot difficile se rapporte à la gravité du mal qui est l’objet propre de la patience, et il ajoute le mot longtemps qui regarde la longanimité, selon ce qu’elle a de commun avec la patience.

La réponse à la première et à la seconde objection est par là même évidente.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

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