Saint Thomas d ’Aquin - Somme Théologique

2a 2ae = Secunda Secundae = 2ème partie de la 2ème Partie

Question 139 : Du don de force

 

            Nous avons à examiner le don qui répond à la force et qui porte le même nom. —- A cet égard deux questions se présentent : 1° La force est-elle un don ? — 2° Quelle est la béatitude et quels sont les fruits qui lui correspondent ?

 

Article 1 : La force est-elle un don ?

 

Objection N°1. 1l semble que la force ne soit pas un don. Car les vertus diffèrent des dons. Or, la force est une vertu ; on ne doit donc pas en faire un don.

Réponse à l’objection N°1 : La force qui est une vertu perfectionne l’âme pour qu’elle supporte tous les périls ; mais elle ne suffit pas pour lui donner la confiance d’y échapper ; c’est ce qui appartient à la force qui est un don de l’Esprit-Saint.

 

Objection N°2. Les actes des dons demeurent dans le ciel, comme nous l’avons vu (1a 2æ, quest. 68, art. 6). Or, l’acte de la force n’y subsiste pas : car saint Grégoire dit (Mor., liv. 1, chap. 15) que la force donne confiance à celui qui redoute l’adversité, et l’adversité n’existe pas dans le ciel. La force n’est donc pas un don.

Réponse à l’objection N°2 : Les dons ne produisent pas dans le ciel les mêmes actes que sur la terre ; là ils produisent des actes qui ont pour objet la jouissance de la fin. Ainsi dans le ciel l’acte de la force consiste à jouir avec une pleine sécurité, sans craindre ni fatigues, ni peines.

 

Objection N°3. Saint Augustin dit (De doct. christ., liv. 2, chap. 7) qu’il appartient à la force de nous éloigner absolument de toutes les jouissances mortelles qu’offrent les choses qui passent. Or, les jouissances nuisibles ou les plaisirs coupables sont plutôt l’objet de la tempérance que de la force. Il semble donc que la force ne soit pas un don qui réponde à la vertu du même nom.

Réponse à l’objection N°3 : Le don de force se rapporte à la vertu de ce nom, non seulement selon qu’elle consiste à supporter les dangers, mais encore selon qu’elle consiste à faire quelques bonnes œuvres difficiles. C’est pourquoi le don de force est dirigé par le don de conseil qui paraît avoir surtout pour objet les biens les plus parfaits.

 

Mais c’est le contraire. Le prophète (Is., chap. 11) met la force au nombre des autres dons de l’Esprit-Saint.

 

Conclusion La force par laquelle l’homme persiste jusqu’à la fin de sa vie dans une bonne œuvre commencée et par laquelle il surmonte tous les périls qui le menacent, est un don de l’Esprit-Saint.

Il faut répondre que la force implique une certaine fermeté d’esprit, comme nous l’avons dit (quest. 123, art. 2, et 1a 2æ, quest. 61, art. 3). Cette fermeté d’esprit est requise pour faire le bien et pour supporter le mal, surtout quand il s’agit de biens ou de maux qui sont ardus. Or, l’homme peut avoir, selon le mode qui lui est propre et naturel, cette fermeté sous ces deux rapports, de manière qu’il n’abandonne pas le bien à cause de la difficulté qu’il trouve soit à exécuter quelque œuvre difficile, soit à supporter quelque peine grave. C’est ainsi que la force est une vertu générale ou spéciale, comme nous l’avons dit (quest. 123, art. 2). — Mais en outre l’Esprit-Saint meut le cœur de l’homme pour qu’il parvienne à achever toutes les œuvres qu’il commence et qu’il échappe à tous les périls qui le menacent ; ce qui est au-dessus de la nature humaine. Car quelquefois il n’est pas au pouvoir de l’homme de mener son œuvre à sa fin ou d’échapper aux maux et aux périls, puisqu’ils sont quelquefois pour lui des causes de mort ; mais le Saint-Esprit opère en lui cet effet, puisqu’il le mène à la vie éternelle qui est la fin de toutes les bonnes œuvres et le terme de tous les dangers. Il communique à cet égard une certaine confiance à l’âme, il en bannit la crainte contraire, et c’est ainsi que la force est un de ses dons (Par le don de force, l’âme agit surnaturellement d’après une lumière supérieure aux règles de la prudence, et elle se trouve animée d’une confiance qui exclut toute crainte contraire. Ces deux conditions distinguent le don de force de la vertu qui porte le même nom.). Car nous avons vu (1a 2æ, quest. 68, art. 1 et 2) que les dons se rapportent à l’impulsion que l’âme reçoit de l’Esprit-Saint.

 

Article 2 : La seconde béatitude : Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, répond-elle au don de force ?

 

Objection N°1. Il semble que la quatrième béatitude : Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, ne réponde pas au don de force. Car le don de force ne répond pas à la vertu de la justice, mais c’est plutôt le don de piété. Or, il appartient à l’acte de la justice d’avoir faim et soif de cette vertu. Cette béatitude appartient donc plus au don de piété qu’au don de force.

Réponse à l’objection N°1 : Comme le dit saint Chrysostome (Sup. Matth., hom. 15), la justice peut ici s’entendre, non seulement de la justice particulière, mais encore de la justice universelle, qui se rapporte aux œuvres de toutes les vertus, comme le dit Aristote (Eth., liv. 5, chap. 1) ; et c’est ce qu’il y a de difficile dans ces œuvres qui est l’objet du don de force.

 

Objection N°2. La faim et la soif de la justice impliquent le désir du bien. Or, ce désir appartient proprement à la charité, à laquelle ne répond pas le don de force, mais plutôt le don de sagesse, comme nous l’avons dit (quest. 45). Cette béatitude ne répond donc pas au don de force, mais au don de sagesse.

Réponse à l’objection N°2 : La charité est la racine de tous les dons et de toutes les vertus, comme nous l’avons dit (quest. 23, art. 8, Réponse N°3, et 1a 2æ, quest. 68, art. 4, Réponse N°3). C’est pourquoi tout ce qui appartient à la force peut aussi appartenir à la charité.

 

Objection N°3. Les fruits sont les conséquences des béatitudes, parce que la délectation est de l’essence de la béatitude, comme le dit Aristote (Eth., liv. 1, chap. 8). Or, il ne semble pas que dans les fruits il y ait quelque chose qui appartienne à la force. Il n’y a donc aucune béatitude qui réponde à ce don.

Réponse à l’objection N°3 : Parmi les fruits il y en a deux qui répondent assez bien au don de force : la patience, qui nous fait supporter les maux, et la longanimité, qui peut se rapporter à la longue attente du bien et à sa réalisation.

 

Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (liv. 1 de serm. Dom. in mont., chap. 4) : La force convient à ceux qui ont faim et soif ; car ils travaillent ceux qui souhaitent jouir des vrais biens et qui désirent éloigner leur amour des choses terrestres et corporelles.

 

Conclusion La béatitude qui proclame bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice répond au don de force.

Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (quest. 121, art. 2), saint Augustin attribue les béatitudes aux dons selon l’ordre où ils sont énumérés, tout en observant cependant entre eux une certaine convenance. C’est pour cela qu’il attribue la quatrième béatitude, qui a pour objet la faim et la soif de la justice, au quatrième don, qui est le don de la force, il y a cependant entre ces deux choses un certain rapport. Car, comme nous l’avons dit (art. préc.), la force consiste dans ce qu’il y a de difficile. Or, il est très difficile, non seulement de faire des œuvres de vertu qui sont appelées en général des œuvres de justice, mais encore de les faire avec ce désir insatiable que l’on peut entendre par la faim et la soif de la justice.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

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