Saint Thomas d ’Aquin - Somme Théologique
2a 2ae = Secunda Secundae
= 2ème partie de la 2ème Partie
Question 140 : Des préceptes de la force
Nous avons enfin
à examiner les préceptes de la force. — Nous parlerons : 1° des préceptes qui
regardent la force elle-même (Dans cet article et le suivant, saint Thomas a
pour but de justifier l’Ecriture relativement aux préceptes qu’elle renferme à
l’égard de la force et de ses parties.) ; 2° de ceux qui concernent ses
parties. (Ces parties de la force sont la patience
et la persévérance.)
Objection N°1. Il semble que
les préceptes de la force ne soient pas convenablement formulés dans la loi de
Dieu. Car la loi nouvelle est plus parfaite que l’ancienne. Or, dans la loi
ancienne il y a des préceptes qui concernent cette vertu, comme on le voit (Deut., chap. 20). On aurait donc dû en mettre
aussi dans la loi nouvelle.
Réponse à l’objection N°1 : L’Ancien Testament renfermait des
promesses temporelles, mais que le Nouveau en renferme de spirituelles et
d’éternelles, comme le dit saint Augustin (Cont.
Faust., liv. 4, chap. 2). C’est pourquoi il a été nécessaire, dans
l’ancienne loi, d’apprendre au peuple comment il devait combattre
corporellement pour faire la conquête de ses possessions terrestres ; au lieu
que dans la nouvelle on a dû apprendre aux hommes comment, en combattant
spirituellement, ils parviendraient à la possession de la vie éternelle,
d’après ces paroles de l’Evangile (Matth., 11, 12) : Le royaume des cieux souffre violence, et ce
sont les violents qui le ravissent. D’où saint Pierre nous donne ce
précepte (1 Pierre, 5, 8) : Le démon,
votre ennemi, tourne autour de vous comme un lion rugissant, cherchant qui il
pourra dévorer ; résistez-lui en demeurant fermes dans la foi. Et saint
Jacques (4, 7) : Résistez au diable et il
vous fuira. Mais parce que les hommes qui tendent aux biens spirituels
peuvent en être détournés par les dangers corporels, on a dû mettre dans la loi
nouvelle des préceptes à l’égard de la force pour qu’on supporte courageusement
tous les maux temporels, d’après ces paroles de saint Matthieu (10, 28) : Ne craignez pas ceux qui tuent le corps.
Objection N°2. Les préceptes affirmatifs paraissent l’emporter sur
les préceptes négatifs, parce que ce qui est affirmatif renferme ce qui est
négatif, mais non réciproquement. C’est donc à tort que dans la loi nouvelle on
n’a donné à l’égard de la force que des préceptes négatifs qui défendent la
crainte.
Réponse à l’objection N°2 : La loi se propose, dans ses
préceptes, de donner un enseignement général. Or, ce que l’on doit faire dans
les périls ne peut pas être ramené à quelque chose de général, comme ce que
l’on doit éviter. C’est pourquoi les préceptes de la force sont plutôt négatifs
qu’affirmatifs.
Objection N°3. La force est une des vertus principales, comme nous
l’avons vu (quest. 123, art. 11, et 1a 2æ, quest. 61,
art. 2). Or, les préceptes se rapportent aux vertus comme à leurs fins ; par
conséquent ils doivent leur être proportionnés. On aurait donc dû mettre les
préceptes qui regardent la force au nombre des préceptes du Décalogue, qui sont
les préceptes principaux de la loi.
Réponse à l’objection N°3 : Tel que nous l’avons dit (quest.
122, art. 1), les préceptes du Décalogue sont dans la loi comme les premiers
principes qui doivent être immédiatement connus de tout le monde. C’est
pourquoi ces préceptes ont dû avoir principalement pour objet les actes de
justice, dans lesquels la raison du devoir paraît se montrer avec la plus
grande évidence, mais non les actes de force, parce que l’on ne voit pas aussi
clairement qu’on doive ne pas redouter les dangers de mort.
Mais on voit le contraire, d’après la sainte Ecriture ((Jos., 8, 1)
: Ne craignez point, et ne vous effrayez
point ; (Is., 7, 4) : Ne crains point, et que ton cœur ne se
trouble pas ; (Luc, 12, 4) : Ne craignez pas ceux qui tuent le
corps.).
Conclusion Quoiqu’il n’ait pas été nécessaire, cependant il a été
convenable que la loi divine donnât aux hommes des préceptes à l’égard de la
force pour que les dangers corporels ne les détournassent pas du culte de Dieu.
Il faut répondre que les préceptes de la loi se rapportent à
l’intention du législateur. Par conséquent, selon les fins différentes que le
législateur se propose, il faut qu’il établisse dans sa loi différentes espèces
de préceptes. C’est ainsi que dans les choses humaines
autres sont les lois démocratiques, autres les lois royales et autres les lois
tyranniques. Or, la fin de la loi divine, c’est que l’homme s’attache à Dieu.
C’est pourquoi les préceptes de la loi divine sur la force aussi bien que sur
les autres vertus sont donnés de la manière qu’il convient pour mettre l’âme en
rapport avec Dieu. C’est pour ce motif qu’il est dit (Deut., 20, 3) : Ne les craignez
pas, parce que le Seigneur votre Dieu est au milieu de vous, et il combattra
pour vous contre vos adversaires. Au contraire, les lois humaines ont pour
but les biens de ce monde, et c’est d’après la nature de ces biens qu’elles
renferment des préceptes à l’égard de la force.
Objection
N°1. Il semble que la loi divine ne renferme
pas de préceptes convenables à l’égard des parties de la force. Car, comme la
patience et la persévérance sont des parties de la force, de même aussi la
magnificence et la magnanimité ou la confiance, comme on le voit d’après ce que
nous avons dit (quest. 128). Or, on trouve dans la loi de Dieu des préceptes à
l’égard de la patience ainsi que de la persévérance. Pour la même raison il
devrait donc aussi y en avoir à l’égard de la magnificence et de la
magnanimité.
Réponse à l’objection N°1 :
La magnificence et la magnanimité n’appartiennent pas au genre de la force,
sinon par rapport à cette excellence de grandeur qu’elles considèrent à l’égard
de leur matière propre. Or, ce qui a pour but d’exceller est plutôt l’objet
d’un conseil de perfection que d’un précepte obligatoire. C’est pourquoi la loi
n’a pas dû renfermer des préceptes, mais plutôt des conseils à l’égard de la
magnificence et de la magnanimité. Au contraire, les affections et les peines
de la vie présente appartiennent à la patience et à la persévérance, non en
raison de ce qu’il y a de grand en elles, mais d’après leur propre nature.
C’est pourquoi il a fallu qu’il y eût des préceptes à l’égard de la patience et
de la persévérance.
Objection N°2. La patience est la
vertu la plus nécessaire, puisqu’elle est la gardienne des autres, comme le dit
saint Grégoire (Hom. 35 in Evang.).
Or, il y a des préceptes absolus sur les autres vertus. On n’aurait donc pas
dû, à l’égard de la patience, donner des préceptes qui s’entendent
exclusivement de la préparation de l’âme, comme le dit saint Augustin (liv. 1 de serm. Dom.,
chap. 19 et 21).
Réponse à l’objection N°2 :
Comme nous l’avons dit (quest. 3, art. 2), les préceptes affirmatifs,
quoiqu’ils obligent toujours, n’obligent cependant pas à toujours (ad semper), mais selon le lieu et le
temps. C’est pourquoi, comme les préceptes affirmatifs qui regardent les autres
vertus doivent s’entendre de la préparation de l’âme, en ce sens que l’homme
doit toujours être prêt à les accomplir quand il le faut, ainsi il en est des
préceptes qui concernent la patience.
Objection N°3. La patience et la
persévérance sont des parties de la force, comme nous l’avons dit (quest. 128
et 136, art. 4, et 137, art. 2). Or, il n’y a pas de préceptes affirmatifs sur
la force, mais il n’y a que des préceptes négatifs, comme nous l’avons vu (art.
préc.,
Réponse N°2). On n’aurait donc pas dû donner des préceptes affirmatifs pour la
patience et la persévérance, mais seulement des préceptes négatifs.
Réponse à l’objection N°3 :
La force, selon qu’elle est distincte de la patience et de la persévérance, a
pour objet les plus grands périls, dans lesquels il faut agir avec le plus de
précaution. Il n’est pas nécessaire que l’on détermine en particulier ce que
l’on doit faire alors. Mais la patience et la persévérance ont pour objet les
moindres afflictions et les moindres peines. C’est pourquoi il est plus facile
de déterminer sans péril ce que l’on doit faire dans ces circonstances, surtout
si on le détermine en général.
Mais le témoignage de l’Ecriture
sainte prouve le contraire (Pour la patience (Ecclésiastique, 2, 4) : Dans
ton humiliation conserve la patience ; (Jacques, 5, 7) : Soyez donc patients, frères, jusqu’à
l’avènement du Seigneur ; sur la persévérance (1 Cor., 15, 58) : Soyez
fermes et inébranlables, travaillant toujours de plus en plus à l’œuvre du
Seigneur.).
Conclusion Puisque la loi de Dieu
instruit parfaitement l’homme de tout ce qui est nécessaire au salut, elle a dû
renfermer les préceptes et les conseils convenables, non seulement à l’égard de
la force, mais encore à l’égard de ses parties.
Il faut répondre que la loi de Dieu forme parfaitement
l’homme à l’égard de tout ce qui est nécessaire pour vivre saintement. Or, pour
vivre ainsi, l’homme a besoin non seulement des vertus principales, mais encore
des vertus secondaires qui leur sont unies. C’est pourquoi, comme il y a dans
la loi de Dieu des préceptes convenables pour les actes des vertus principales,
il faut aussi qu’il y en ait pour les actes des vertus secondaires qui leur
sont unies.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
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