Saint Thomas d ’Aquin - Somme Théologique

2a 2ae = Secunda Secundae = 2ème partie de la 2ème Partie

Question 142 : Des vices opposés à la tempérance

 

            Nous avons maintenant à nous occuper des vices opposés à la tempérance. — A ce sujet quatre questions se présentent : 1° L’insensibilité est-elle un péché ? (Billuart définit ainsi l’insensibilité : Insensibilitas est cùm quis ità aversatur delectationes sensuum, maximè tactûs et gustûs, ut nolit eis uti, ubi, quendò, quomodò, aut quantùm recta ratio dictat esse illis utendum.) — 2° L’intempérance est-elle un vice puéril ? (Nous avons conservé cette expression, empruntée d’Aristote, puisque cet article n’est autre chose que l’explication de cette épithète métaphorique.) — 3° De la comparaison de l’intempérance avec la timidité. (La timidité étant opposée à la force, et l’intempérance à la tempérance, saint Thomas est amené à ce parallèle par le rapport qu’il y a entre ces deux vertus.) — 4° Le vice de l’intempérance est-il le plus ignominieux ? (Saint Thomas décide que ce vice est le plus honteux, mais les péchés qu’il fait commettre ne sont pas les plus graves.)

 

Article 1 : L’insensibilité est-elle un vice ?

 

Objection N°1. Il semble que l’insensibilité ne soit pas un vice. Car on appelle insensibles ceux qui ne se laissent pas émouvoir par les délectations du tact. Or, il semble que cette disposition soit une chose louable et vertueuse ; car le prophète dit (Dan., 10, 2) : En ces jours-là, moi, Daniel, je fus dans les pleurs tous les jours, pendant trois semaines ; je ne mangeai d’aucun pain agréable ; il n’entra ni chair ni vin dans ma bouche, et je ne me parfumai en aucune manière. L’insensibilité n’est donc pas un péché.

Réponse à l’objection N°1 : Daniel s’abstenait de toutes les jouissances sensibles, non parce qu’il les considérait comme mauvaises en elles-mêmes (C’était le sentiment des manichéens.) ; mais il le faisait dans un but louable, pour se rendre apte à la sublimité des contemplations, en se privant ainsi des délectations corporelles. C’est pourquoi l’Ecriture ajoute immédiatement qu’il eut une révélation.

 

Objection N°2. Le bien de l’homme consiste à être conforme à la raison, d’après saint Denis (De div. nom., chap. 4). Or, l’abstinence de toutes les choses qui délectent le tact fait faire à l’homme beaucoup de progrès dans le bien de la raison ; puisqu’il est dit (Dan., 1, 17) que Dieu donna aux jeunes gens qui ne mangeaient que des légumes, la science et la connaissance de tous les livres et de toute la sagesse. L’insensibilité qui repousse universellement ces délectations n’est donc pas vicieuse.

Réponse à l’objection N°2 : L’homme ne pouvant pas faire usage de sa raison sans les puissances sensitives qui ont besoin d’un organe corporel, comme nous l’avons vu (1a pars., quest. 34, art. 7 et 8), il est nécessaire que l’homme sustente son corps pour qu’il se serve de sa raison. Or, il le sustente par des opérations qui le délectent. Par conséquent, le bien de la raison ne peut exister dans l’homme, s’il s’abstient de tout ce qui le délecte. Cependant selon que l’homme en exécutant l’acte de sa raison a plus ou moins besoin de la vertu corporelle, il doit aussi nécessairement user plus ou moins des délectations sensibles. C’est pourquoi les hommes qui ont pour devoir de vaquer à la contemplation et de transmettre aux autres le bien spirituel en le propageant, ont raison de s’abstenir d’une foule de jouissances auxquelles ne doivent pas renoncer ceux qui ont pour fonction de se livrer aux travaux du corps et qui sont mariés.

 

Objection N°3. La chose par laquelle on s’écarte le plus du péché ne paraît pas être vicieuse. Or, le meilleur moyen de s’abstenir de péché c’est de fuir les délectations, ce qui appartient à l’insensibilité. Car Aristote dit (Eth., liv. 2, chap. ult.) que nous péchons moins quand nous renonçons aux délectations. L’insensibilité n’est donc pas une chose vicieuse.

Réponse à l’objection N°3 : Pour éviter le péché, on ne doit pas fuir totalement la délectation, mais on doit ne pas s’y arrêter plus que la nécessité ne le demande.

 

Mais c’est le contraire. Il n’y a que le vice qui soit opposé à la vertu. Or, l’insensibilité est opposée à la vertu de tempérance, comme on le voit dans Aristote (Eth., liv. 2, chap. 7, et liv. 3, chap. 11). Elle est donc un vice.

 

Conclusion L’insensibilité par laquelle on fuit la délectation au point que pour l’éviter on omet ce qui est nécessaire à la conservation de la nature est un vice.

Il faut répondre que tout ce qui est contraire à l’ordre naturel est vicieux. Or, la nature a attaché une délectation aux opérations nécessaires à la vie de l’homme. C’est pourquoi l’ordre naturel exige que l’homme fasse usage de ces jouissances, autant qu’il est nécessaire à la conservation de son existence ou de son espèce. Par conséquent si quelqu’un se refusait ces plaisirs, au point d’omettre ce qui est nécessaire à la conservation de son être, il pécherait (Ce pèché est très rare. Il est véniel dans son genre, mais il deviendrait mortel si on allait jusqu’à se refuser la nourriture nécessaire pour vivre ou négliger d’autres devoirs auxquels on est tenu sub gravi.) parce qu’il irait contre l’ordre naturel ; et c’est ce qui appartient au vice de l’insensibilité. Cependant il faut savoir qu’il est quelquefois louable ou même nécessaire de s’abstenir, pour une fin, de certains plaisirs qui résultent de ces opérations. Ainsi il y en a qui, dans l’intérêt de leur santé, s’abstiennent de certaines jouissances à l’égard du boire, du manger et des actes charnels. Il y en a aussi qui sont obligés de le faire pour pouvoir remplir les devoirs de leur charge, comme les athlètes et les soldats. De même les pénitents, pour recouvrer la santé de l’âme, s’abstiennent de ces jouissances et s’imposent une sorte de diète. Il faut aussi que ceux qui veulent se livrer à la contemplation et à la méditation des choses divines, se dégagent beaucoup des désirs charnels. Mais aucune de ces mortifications n’appartient au vice de l’insensibilité, parce qu’elles sont conformes à la droite raison.

 

Article 2 : L’intempérance est-elle un péché puéril ?

 

Objection N°1. Il semble que l’intempérance ne soit pas un péché puéril. Car à l’occasion de ces paroles de l’Evangile (Matth., chap. 18) : Si vous ne vous convertissez et si vous ne devenez comme des enfants, etc., saint Jérôme dit : qu’un enfant ne persévère pas dans la colère, qu’il oublie le coup qu’il a reçu, qu’à la vue d’une belle femme il n’éprouve pas de plaisir ; ce qui est contraire à l’intempérance. L’intempérance n’est donc pas un péché puéril.

Réponse à l’objection N°1 : Ce raisonnement suppose que le mot puéril désigne ici ce qui se trouve dans les enfants. Mais ce n’est pas en ce sens qu’on l’applique à l’intempérance, on l’entend métaphoriquement, comme nous l’avons dit (dans le corps de cet article.).

 

Objection N°2. Les enfants n’ont que des concupiscences naturelles. Or, à l’égard de ces concupiscences il y en a peu qui pèchent par intempérance, comme le dit Aristote (Eth., liv. 3, chap. 11). L’intempérance n’est donc pas un péché puéril.

Réponse à l’objection N°2 : Une concupiscence peut être appelée naturelle de deux manières : 1 ° selon son genre. En ce sens la tempérance et l’intempérance ont pour objet les concupiscences naturelles, car elles se rapportent aux plaisirs de la table et aux jouissances charnelles qui ont pour but la conservation de la nature. 2° On peut appeler naturelle une concupiscence selon l’espèce de la chose que la nature requiert pour sa propre conservation. Il n’arrive pas souvent qu’on pèche à l’égard de ces concupiscences naturelles, car la nature ne requiert que ce qu’il faut pour subvenir à ses propres nécessités, et en désirant ces choses on ne peut pécher qu’en tombant dans l’excès sous le rapport de la quantité. On ne pèche que de cette manière à l’égard de la concupiscence naturelle, comme le dit Aristote (Eth., liv. 3, chap. 11). Les autres choses qui sont souvent une occasion de péché, ce sont les attraits que l’industrie humaine a inventés pour exciter la concupiscence ; tels que les mets préparés avec recherche, les parures des femmes. Quoique les enfants s’inquiètent peu de toutes ces choses, on n’en appelle pas moins l’intempérance un péché puéril, pour la raison que nous avons donnée (dans le corps de cet article.).

 

Objection N°3. On doit élever et nourrir les enfants. Or, la concupiscence et la délectation qui sont l’objet de l’intempérance doivent être toujours affaiblies et extirpées, d’après ces paroles de l’Apôtre (Col., 3, 5) : Faites mourir les membres de l’homme terrestre qui est en vous, qui sont la concupiscence, etc. L’intempérance n’est donc pas un péché puéril.

Réponse à l’objection N°3 : Ce qui appartient à la nature doit être nourri et développé dans les enfants, mais qu’il n’en est pas de même de ce qui appartient en eux au défaut de raison ; on doit plutôt le corriger, comme nous l’avons dit (dans le corps de cet article.).

 

Mais c’est le contraire. Aristote dit (Eth., liv. 3, chap. ult.) que nous rapportons le mot d’intempérance aux péchés puérils.

 

Conclusion L’intempérance est appelée par les philosophes un péché puéril, non parce que ce vice est propre aux enfants, mais parce qu’il a beaucoup d’analogie avec le caractère de l’enfance.

Il faut répondre qu’on dit qu’une chose est puérile de deux manières : 1° parce qu’elle convient aux enfants ; ce n’est pas dans ce sens qu’Aristote a dit que le péché de l’intempérance est puéril. 2° On peut employer cette expression métaphoriquement, et c’est de cette manière qu’on dit que les péchés d’intempérance sont puérils. Car le péché d’intempérance est un péché de concupiscence superflue qu’on assimile à un enfant sous trois rapports : 1° Par rapport à ce que l’un et l’autre désire. Car comme l’enfant, de même la concupiscence désire quelque chose de honteux. La raison en est que le beau dans les choses humaines se considère selon qu’une chose est ordonnée conformément à la raison. C’est ce qui fait dire à Cicéron (De offic., liv. 1, tit. Duplex decorum) que le beau est ce qui est conforme à l’excellence de l’homme dans les choses par lesquelles sa nature diffère des autres animaux. Or, l’enfant ne fait aucune attention à l’ordre de la raison, et la concupiscence n’écoute pas non plus cette faculté, comme le dit Aristote (Eth., liv. 7, chap. 6). 2° Par rapport à l’événement. Car l’enfant, s’il est abandonné à sa volonté, s’attache de plus en plus à son propre sentiment ; d’où l’Ecriture dit (Ecclésiastique, 30, 8) : Un cheval indompté devient intraitable, et l’enfant abandonné à sa volonté devient insolent. De même aussi la concupiscence, si on la satisfait, n’en devient que plus forte. C’est pour cela que saint Augustin dit (Confess., liv. 8, chap. 5) : Quand on écoute la passion, elle devient une habitude, et quand on ne résiste pas à l’habitude, elle devient une nécessité. 3° Par rapport au remède qui leur convient. Car on améliore l’enfant en le corrigeant : d’où il est dit (Prov., 23, 13) : N’épargnez pas la correction à l’enfant. C’est à vous à le frapper avec la verge, et vous délivrerez son âme de l’enfer. De même quand on résiste à la concupiscence, elle finit par se renfermer dans les bornes de l’honnête. C’est la pensée de saint Augustin qui dit (Mus., liv. 6, chap. 6) que quand l’esprit est attaché d’une manière fixe et inébranlable aux choses spirituelles, l’impétuosité de la coutume, c’est-à-dire de la concupiscence charnelle, est détruite et elle s’éteint après avoir été peu à peu réprimée. Car elle était plus grande, ajoute-t-il, quand nous la suivions ; et si elle n’est pas absolument nulle, elle est certainement moindre quand nous lui imposons un frein. C’est pourquoi Aristote dit (Eth., liv. 3, chap. ult. in fin.) que, comme il faut que l’enfant vive conformément aux ordres de son précepteur, de même il faut que la concupiscence soit réglée par la raison.

 

Article 3 : La timidité est-elle un vice plus grand que l’intempérance ?

 

Objection N°1. Il semble que la timidité soit un vice plus grand que l’intempérance. Car on blâme un vice par là même qu’il est opposé au bien de la vertu. Or, la timidité est opposée à la force qui est une vertu plus noble que la tempérance, à laquelle l’intempérance est opposée, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (art. préc. et quest. préc., art. 8). La timidité est donc un vice plus grand que l’intempérance.

Réponse à l’objection N°1 : La supériorité de la force sur la tempérance peut se considérer de deux manières : 1° De la part de la fin, ce qui appartient à la nature du bien, parce que la force se rapporte plutôt au bien commun que la tempérance. Sous ce rapport la timidité a sur l’intempérance une certaine supériorité, parce qu’il y en a qui par timidité abandonnent la défense du bien général. 2° De la part de la difficulté, parce qu’il est plus difficile d’affronter les dangers de mort que de s’abstenir de certaines jouissances, et à ce point de vue il n’est pas nécessaire que la timidité l’emporte sur l’intempérance. Car comme il est d’une vertu supérieure de n’être pas vaincu par ce qu’il y a de plus fort ; de même il appartient au contraire au moindre vice d’être renversé par ce qu’il y a de plus fort, et au plus grand vice par ce qu’il y a de plus faible.

 

Objection N°2. On est d’autant moins blâmable que les choses où l’on pèche sont plus difficiles à vaincre. D’où Aristote dit (Eth., liv. 7, chap. 7) que si on se laisse vaincre par des jouissances ou des peines très vives et très violentes, il n’y a rien de surprenant, mais qu’on mérite quelque indulgence. Or, il paraît plus difficile de vaincre les délectations que les autres passions. C’est ce qui fait dire encore au philosophe (Eth., liv. 2, chap. 3) qu’il est plus difficile de combattre la volupté que la colère qui paraît être plus forte que la crainte. L’intempérance qui est vaincue par la délectation est donc un péché moindre que la timidité qui est vaincue par la crainte.

Réponse à l’objection N°2 : L’amour de sa conservation propre pour lequel on évite les dangers de mort est beaucoup plus naturel que les jouissances de la table et les plaisirs charnels qui sont des moyens qu’on emploie pour la conservation de sa vie. C’est pourquoi il est plus difficile de vaincre la crainte des dangers de mort que la concupiscence des délectations qui consiste dans les mets et les voluptés. Cependant il est plus difficile de résister à cette concupiscence qu’à la colère, à la tristesse et à la crainte d’autres maux.

 

Objection N°3. Il est de l’essence du péché qu’il soit volontaire. Or, la timidité est plus volontaire que l’intempérance : car personne ne désire être intempérant, mais il y en a qui désirent fuir les dangers de mort ; ce qui appartient à la timidité. La timidité est donc un péché plus grave que l’intempérance.

Réponse à l’objection N°3 : Dans la timidité on considère plus le volontaire en général, mais moins en particulier ; c’est pourquoi le volontaire existe davantage en elle relativement, mais non absolument.

 

Mais c’est le contraire. Aristote dit (Eth., liv. 3, chap. 12) que l’intempérance a plus de rapport avec le volontaire que la timidité. Elle est donc plus coupable.

 

Conclusion L’intempérance est absolument parlant un plus grand péché que la timidité.

Il faut répondre qu’un vice peut être comparé à un autre de deux manières : par rapport à sa matière ou son objet ; par rapport au pécheur lui-même (Ou au sujet qui le commet.). Sous ces deux rapports l’intempérance est un vice plus grand que la timidité. En effet : 1° sous le rapport de la matière. Car la timidité fuit les dangers de mort que la nécessité de notre conservation nous engage à éviter. Au contraire, l’intempérance a pour objet les délectations dont l’appétit n’est pas aussi nécessaire à la conservation de la vie. Car ce vice, comme nous l’avons dit (art. préc., Réponse N°2), a plutôt pour objet les délectations ou les concupiscences qui sont l’effet de l’art que les concupiscences ou les délectations naturelles. Et comme le péché est d’autant plus léger que ce qui nous porte au mal paraît être plus nécessaire, il s’ensuit que l’intempérance est un vice plus grand que la timidité relativement à l’objet ou à la matière qui nous y porte. 2° Il en est de même du côté de l’homme qui pèche, et cela pour trois raisons. 1° Un péché est d’autant plus grave que celui qui le commet est plus parfaitement maître de sa raison : ainsi on n’impute pas aux aliénés leurs fautes. Or, les craintes et les afflictions graves, principalement dans les dangers de mort, stupéfient l’esprit de l’homme ; ce que ne produit pas la délectation qui porte à l’intempérance. 2° Plus un péché n’est volontaire et plus il est grave. Or, l’intempérance a plus de volontaire que la timidité, et cela pour deux raisons : d’abord, parce que les choses que l’on fait par crainte ont pour principe une impulsion extérieure, par conséquent elles ne sont pas absolument volontaires, mais mixtes, comme le dit Aristote (Eth., liv. 3, chap. 1) ; au lieu que les choses que l’on fait par plaisir sont absolument volontaires. Ensuite, parce que les choses qui appartiennent à l’intempérant sont plus volontaires en particulier, mais elles le sont moins en général. Car personne ne voudrait être intempérant ; cependant on y est excité par les jouissances particulières qui font contracter à l’homme ce défaut. C’est pourquoi pour éviter l’intempérance le meilleur remède n’est pas de s’arrêter à la méditation de chacune des choses qui en sont l’objet, au lieu que pour ce qui regarde la timidité, c’est le contraire. Chacun des actes en particulier est moins volontaire, comme jeter son bouclier ou faire quelque autre chose semblable ; mais ce qu’il y a de général, comme le salut qu’on cherche dans la fuite, l’est davantage. Or, ce qu’il y a de plus volontaire absolument, c’est ce qui l’est davantage dans les choses particulières, puisque c’est dans ces choses particulières que les actes consistent. C’est pourquoi l’intempérance étant absolument plus volontaire que la timidité est un plus grand vice. 3° Parce qu’on peut plus facilement remédier à l’intempérance qu’à la timidité : car les jouissances de la table et les plaisirs charnels qui sont l’objet de l’intempérance se présentent toute la vie, et l’homme peut, sans péril, s’exercer à leur égard pour se rendre tempérant ; au lieu que les dangers de mort s’offrent plus rarement et que l’homme ne peut pas s’y exposer avec sécurité pour s’aguerrir contre la timidité. C’est pourquoi la tempérance est un péché absolument plus grave que la timidité.

 

Article 4 : Le péché d’intempérance est-il le plus répréhensible ?

 

Objection N°1. Il semble que le péché d’intempérance ne soit pas le plus répréhensible. Car comme on doit honorer la vertu, de même on doit blâmer le péché. Or, il y a des péchés plus graves que l’intempérance, tels que l’homicide, le blasphème, etc. Le péché d’intempérance n’est donc pas le plus répréhensible.

Réponse à l’objection N°1 : Comme le dit saint Grégoire (Mor., liv. 33, chap. 11), les vices charnels que l’intempérance renferme sont les plus déshonorants, quoiqu’ils ne soient pas les fautes les plus graves. Car la grandeur de la faute se rapporte à ce qu’elle éloigne de la fin, au lieu que l’infamie résulte de la turpitude que l’on considère principalement d’après ce qu’il y a d’inconvenant dans l’acte de celui qui pèche.

 

Objection N°2. Les péchés qui sont les plus communs paraissent être les moins répréhensibles, parce que les hommes en rougissent moins. Or, les péchés d’intempérance sont les plus communs, parce qu’ils ont pour objet les choses dont les hommes font usage communément et à l’égard desquels le plus grand nombre pèchent. Les péchés d’intempérance ne paraissent donc pas être les plus répréhensibles.

Réponse à l’objection N°2 : L’habitude de pécher diminue la honte et l’infamie de la faute d’après l’opinion des hommes, mais non d’après la nature même des vices.

 

Objection N°3. Aristote dit (Eth., liv. 7, chap. 4) que la tempérance et l’intempérance ont pour objet les concupiscences et les délectations humaines. Or, il y a des concupiscences et des délectations plus honteuses que les concupiscences et les délectations humaines ; ce sont celles qu’on appelle des affections brutales ou maladives, comme le dit le philosophe (ibid., chap. 5). L’intempérance n’est donc pas le vice le plus répréhensible.

Réponse à l’objection N°3 : Quand on dit que l’intempérance est le vice le plus répréhensible, on doit entendre qu’il s’agit des vices humains que l’on considère d’après les passions qui ont une certaine conformité avec la nature humaine. Quant aux vices qui sortent des limites de notre nature, ils sont encore plus blâmables. Mais ils rentrent toujours néanmoins dans le genre de l’intempérance par le fait même de leur excès, comme si par exemple quelqu’un trouvait son plaisir à manger de la chair humaine (A cette occasion, tes théologiens ont examiné, si dans le cas de nécessité, il est permis de manger de la chair humaine. Sylvius le nie, mais la plupart des autres soutiennent le contraire.) ou à faire des actes contre nature (In coitu bestiarum aut masculorum.).

 

Mais c’est le contraire. Aristote dit (Eth., liv., 3, chap. 12) qu’entre les autres vices l’intempérance paraît être celui qui mérite le plus d’être blâmé.

 

Conclusion Parmi tous les vices de l’homme l’intempérance est le plus blâmable.

Il faut répondre que le blâme paraît être opposé à l’honneur et à la gloire. Or, on doit l’honneur à ce qui excelle, comme nous l’avons vu (quest. 103, art. 1 et 2), et la gloire implique la célébrité. L’intempérance est donc le vice le plus blâmable pour deux motifs : 1° parce qu’elle répugne le plus à l’excellence de l’homme. Car elle a pour objet les délectations qui nous sont communes avec les animaux, comme nous l’avons vu (quest. 141, art. 2, Réponse N°3). C’est ce qui fait dire au Psalmiste (Ps., 48, 21) : Que l’homme était en honneur, il n’a pas compris, il a été comparé aux bêtes qui n’ont pas de raison et il est devenu semblable à elles. 2° Parce que c’est le vice qui est le plus contraire à l’éclat ou à la beauté de la vertu, car c’est dans les délectations qui sont l’objet de l’intempérance qu’on voit le moins briller la lumière de la raison à laquelle la vertu emprunte toute sa splendeur et toute sa beauté. C’est pour cela qu’on appelle ces jouissances des jouissances absolument serviles.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

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