Saint Thomas d ’Aquin - Somme Théologique
2a 2ae = Secunda Secundae
= 2ème partie de la 2ème Partie
Question 143 : Des parties de la tempérance en général
Après avoir parlé
des vices opposés à la tempérance, nous devons nous occuper des parties de
cette vertu. — Nous en parlerons d’abord en général et ensuite nous étudierons
chacune d’elles en particulier. (Dans cet
article, saint Thomas trace le plan général de son Traité sur la tempérance, en
indiquant les différentes parties de cette vertu. Il résume avec sa pénétration
accoutumée ce qu’ont dit à ce sujet les philosophes anciens.)
Article
unique : Cicéron détermine-t-il bien les parties de la tempérance,
en désignant la continence, la clémence et la modestie ?
Objection
N°1. Il semble que Cicéron ait mal déterminé
les parties de la tempérance en disant (De
invent., liv. 2) que ces parties sont : la
continence, la clémence et la modestie. Car la continence se distingue de la
vertu par opposition (Eth., liv. 4, chap. ult.,
et liv. 7, in princ.),
et la tempérance est au contraire contenue dans la vertu. La continence n’est
donc pas une partie de la tempérance.
Réponse à l’objection N°1 :
La continence diffère de la vertu, comme l’imparfait du parfait, ainsi que nous
le dirons (quest. 155, art. 1). C’est dans ce sens qu’on la distingue de la
vertu par opposition. Cependant elle a la même matière que la tempérance, parce
qu’elle a pour objet les délectations du tact, et elle s’accorde avec elle pour
le mode, parce qu’elle consiste à mettre un frein aux passions. On a donc eu
raison d’en faire une partie de cette vertu.
Objection N°2. La clémence paraît
être un adoucissement de la haine ou de la colère. Or, la tempérance n’a pas
pour objet ces passions, mais elle se rapporte aux délectations du tact, comme
nous l’avons vu (quest. 141, art. 4). La clémence n’est donc pas une partie de
la tempérance.
Réponse à l’objection N°2 :
La clémence ou la mansuétude n’est pas considérée comme une partie de la
tempérance parce qu’elle a la même matière qu’elle, mais parce qu’elle
s’accorde avec elle dans la manière de régler et de modérer les passions, comme
nous l’avons dit (dans le corps de cet article.).
Objection N°3. La modestie
consiste dans les actes extérieurs ; c’est pourquoi l’Apôtre dit (Phil., 4, 5) : Que votre modestie soit connue de tous les hommes. Or, les actes
extérieurs sont la matière de la justice, comme nous l’avons vu (quest. 58,
art. 8). La modestie est donc plutôt une partie de la justice qu’une partie de
la tempérance.
Réponse à l’objection N°3 :
A l’égard des actes extérieurs la justice a pour objet ce que l’on doit aux
autres. Ce n’est pas là ce que considère la modestie, mais elle a exclusivement
pour objet une certaine modération. C’est pourquoi on n’en fait pas une partie
de la justice, mais de la tempérance.
Objection N°4. Macrobe (Sup. Somn. Scip., liv. 1, chap. 8) suppose dans la tempérance un
bien plus grand nombre de parties : car il dit que cette vertu a pour suivantes
la modestie, la pudeur, l’abstinence, la chasteté, l’honnêteté, la modération,
l’économie, la sobriété et la pudicité. Andronic lui donne pour compagnes
l’austérité, la continence, l’humilité, la simplicité, l’ornement, la bonne
conduite, ce qui fait qu’on se suffit à soi-même. Il semble donc que Cicéron
n’ait pas convenablement énuméré les parties de la tempérance.
Réponse à l’objection N°4 :
Cicéron comprend sous le nom de modestie tout ce qui regarde la modération des
mouvements corporels et des choses extérieures, ainsi que la modération de
l’espérance qui appartient, avons-nous dit (dans le corps de cet article.), à
l’humilité.
Conclusion La prudence et
l’honnêteté sont les parties intégrantes de la tempérance ; l’abstinence, la
sobriété, la chasteté, la pudicité en sont les parties subjectives ; la
continence, l’humilité, la mansuétude ou la clémence, la modestie, etc., en
sont les parties potentielles.
Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (quest. 48 et 128),
il peut y avoir dans une vertu cardinale trois sortes de parties : les parties
intégrantes, subjectives et potentielles. On appelle parties intégrantes d’une
vertu les conditions qui doivent nécessairement concourir à sa formation. La
tempérance a deux parties de ce genre : la pudeur
par laquelle on évite la turpitude contraire à cette vertu ; et l’honnêteté par laquelle on aime sa
beauté. Car, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (quest. 141, art. 2,
Réponse N°3), de toutes les vertus la tempérance est celle qui a le plus d’éclat et les vices qui lui sont opposés sont les
plus honteux. — On donne le nom de parties subjectives aux espèces diverses
d’une même vertu. Or, il faut que les espèces des vertus changent selon la
diversité de leur matière ou de leur objet. La tempérance a pour objet les
délectations du tact qui se divisent en deux genres. Car les unes ont pour but
la nourriture, et la nourriture comprend le manger, qui est l’objet de l’abstinence, et le boire qui se rapporte
à la sobriété. Les autres regardent
la génération. A leur égard on distingue la chasteté
qui règle la délectation principale de l’union des sexes, et la pudicité qui comprend les délectations
secondaires qui accompagnent cette union qui consistent dans les baisers, les
embrassements, etc. — Les parties potentielles d’une vertu principale sont les
vertus secondaires qui font à l’égard de certaines matières particulières qui
n’offrent pas de grandes difficultés ce que fait la vertu principale à l’égard
d’une matière plus importante. Ainsi il appartient à la tempérance de régler
les délectations du tact qu’il est très difficile de modérer. Par conséquent
toute vertu qui produit de la modération dans une matière quelconque, et qui
met un frein à l’appétit relativement à ses tendances, peut être considérée comme
une partie de la tempérance, c’est-à-dire comme une vertu qui lui est adjointe.
Cette modération est applicable de trois manières : 1° dans les mouvements
intérieurs de l’âme ; 2° dans les mouvements extérieurs et les actes du
corps ; 3° dans les choses extérieures. Outre le mouvement de la concupiscence
que la tempérance règle et modère, il y a dans l’âme trois mouvements qui
tendent vers quelque chose. Le premier est le mouvement de la volonté ébranlée
par le choc impétueux des passions. Ce mouvement est réglé par la continence qui fait que la volonté de
l’homme ne se laisse pas vaincre, quelque vives que
soient les concupiscences qu’il éprouve. Le second mouvement intérieur qui se
porte vers une chose, c’est le mouvement de l’espérance et de l’audace qui est
une conséquence de cette vertu. L’humilité
le calme ou l’arrête. Enfin le troisième est celui de la colère qui tend à la
vengeance et qui a pour frein la mansuétude
ou la clémence. A l’égard des actes et des mouvements du corps, ils ont pour
règle la modestie qu’Andronic divise
en trois parties (Saint Thomas n’entre pas dans ces dernières subdivisions. Il se
contente de parler de la modestie relativement aux mouvements extérieurs du
corps et aux ornements.). La première a pour
fonction de discerner ce que l’on doit faire, et ce que l’on ne doit pas faire
; il lui appartient de déterminer l’ordre dans lequel on doit agir et de rester
ferme dans ce sentiment ; c’est ce qu’il appelle la bonne conduite ou la bonne
direction. La seconde a pour but de faire observer à l’homme la bienséance
dans ses actes, et c’est à cela qu’il rapporte l’ornement. Enfin la troisième existe dans les entretiens des amis ou
dans d’autres relations semblables, ce qui est l’objet de l’austérité (Cette expression désigne ici la gravité des entretiens.). Pour les choses extérieures on peut faire usage de deux
sortes de modération. L’une empêche qu’on ne demande des choses superflues, et
c’est le propre de l’économie dont
parle Macrobe, et de la vertu qui fait qu’on se suffit à soi-même, d’après Andronic. La seconde nous empêche de
rechercher ce qui est trop exquis, et c’est pour cela que Macrobe désigne la modération et Andronic la simplicité.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
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