Saint Thomas d ’Aquin - Somme Théologique

2a 2ae = Secunda Secundae = 2ème partie de la 2ème Partie

Question 153 : Du vice de la luxure

 

            Nous avons maintenant à nous occuper du vice de la luxure qui est opposé à la chasteté. — Nous traiterons : 1° de la luxure en général ; 2° de ses espèces. — Sur la luxure en général cinq questions se présentent : 1° Quelle est la matière de la luxure ? — 2° L’œuvre de la chair est-elle toujours défendue ? — 3° La luxure est-elle un péché mortel ? (Tout péché de luxure est mortel et n’admet pas de légèreté de matière, du moins quand il est directement contraire à la chasteté.) — 4° Est-elle un vice capital ? — 5° Quels sont les autres vices qu’elle engendre ?

 

Article 1 : La luxure n’a-t-elle pour matière que les désirs et les délectations charnelles ?

 

Objection N°1. Il semble que la luxure n’ait pas seulement pour matière les désirs et les jouissances charnelles. Car saint Augustin dit (Conf., liv. 2, chap. 6) que la luxure désire arriver jusqu’à la satiété et l’abondance. Or, la satiété se dit des aliments et de la boisson, et l’abondance se rapporte aux richesses. La luxure n’a donc pas pour objet propre les désirs et les jouissances charnelles.

Réponse à l’objection N°1 : Comme la tempérance a pour objet propre et principal les délectations du tact, et qu’on l’applique par voie de conséquence et par analogie à d’autres matières, de même la luxure consiste principalement dans les voluptés charnelles qui énervent le plus l’âme humaine ; mais on la rapporte secondairement à tous les autres genres d’excès. C’est en ce sens que la glose dit (interl., sup. illud Luxuria, Gal., chap. 5) que la luxure désigne toute espèce de superfluité.

 

Objection N°2. L’Ecriture dit (Prov., 20, 1) : Le vin rend luxurieux. Or, le vin appartient aux plaisirs de la table. Il semble donc que ces plaisirs soient principalement l’objet de la luxure.

Réponse à l’objection N°2 : On dit que le vin est une chose luxurieuse, dans le sens que tout ce qu’il y a d’excessif dans un genre se rapporte à la luxure, ou parce que l’usage superflu du vin est un excitant pour les jouissances charnelles.

 

Objection N°3. On appelle luxure le désir des joies voluptueuses. Or, ces joies ne consistent pas seulement dans les plaisirs charnels, mais elles consistent dans beaucoup d’autres. La luxure n’a donc pas seulement pour objet les convoitises et les voluptés charnelles.

Réponse à l’objection N°3 : Quoiqu’on appelle d’autres choses des jouissances voluptueuses, cependant ce mot est spécialement employé pour désigner les plaisirs charnels dans lesquels la volupté consiste tout particulièrement, comme le dit saint Augustin (De civ. Dei, liv. 14, chap. 15).

 

Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (Lib. de verâ relig., chap. 3), en parlant des luxurieux : Celui qui sème dans la chair moissonnera la corruption. Or, cette action se produit au moyen des voluptés charnelles. La luxure a donc ces voluptés pour objet.

 

Conclusion La luxure a pour objet les voluptés charnelles et elle se rapporte principalement à leur désir.

Il faut répondre que, comme l’observe saint Isidore (Etym., liv. 10, ad litt. L), on dit que quelqu’un est luxurieux parce qu’il est amolli par les plaisirs. Or, les plaisirs charnels sont ceux qui énervent le plus le cœur de l’homme. C’est pourquoi la luxure a principalement pour objet ces jouissances (Billuart définit la luxure : Appetitus inordinatus delectationis venereæ.).

 

Article 2 : L’œuvre de la chair peut-elle exister sans péché ?

 

Objection N°1. Il semble que l’œuvre de la chair ne puisse jamais exister sans péché. En effet, il n’y a que le péché qui puisse empêcher la vertu. Or, toute œuvre charnelle est la plus grande entrave à la vertu. Car saint Augustin dit (Solil., liv. 1, chap. 10) : Je sens qu’il n’y a rien qui jette plus l’âme de l’homme hors d’elle-même que les caresses des femmes et les rapports charnels qu’on a avec elles. L’œuvre de la chair ne peut donc pas se produire sans péché.

Réponse à l’objection N°1 : Une chose peut être un obstacle pour la vertu de deux manières : 1° Elle peut l’empêcher quant à son état commun ou général ; il n’y a que le péché qui l’empêche de cette manière. 2° Elle peut l’empêcher quant à son état de perfection. La vertu peut être ainsi gênée par une chose qui n’est pas un péché, mais qui est un bien moindre. C’est ainsi que tout commerce avec la femme éloigne l’âme non de la vertu, mais du sommet ou de la perfection de la vertu. C’est ce qui fait dire à saint Augustin (Lib. de bon. conjug., chap. 8) : Comme Marthe faisait une bonne chose en s’occupant avec tant de soin au service des saints, mais que Marie en faisait encore une meilleure en écoutant la parole du Seigneur ; de même nous louons la chasteté conjugale de Suzanne comme un bien, mais nous lui préférons le bien de la veuve Anne, et beaucoup plus encore celui de la vierge Marie.

 

Objection N°2. Partout où l’on rencontre quelque chose d’excessif qui éloigne du bien de la raison, c’est un vice. Car la vertu est altérée par ce qui dépasse le but et par ce qui reste en deçà, comme l’observe Aristote (Eth., liv. 2, chap. 2 et 6). Or, dans tout acte charnel il y a un excès de délectation qui absorbe la raison au point qu’il lui est alors impossible de rien comprendre, d’après le même philosophe (Eth., liv. 7, chap. 11). Saint Jérôme dit aussi (Epist. 11 ad Ageruch.) que dans cet acte l’esprit de prophétie ne touchait pas le cœur des prophètes. Aucun acte de cette nature ne peut donc exister sans péché.

Réponse à l’objection N°2 : Comme nous l’avons dit (quest. préc., art. 2, Réponse N°2, et 1a 2æ, quest. 64, art. 2), le milieu de la vertu ne se considère pas d’après la quantité, mais d’après ce qui convient à la droite raison. C’est pourquoi l’abondance de la jouissance que l’on trouve dans l’acte de la chair, réglé par la raison, n’est pas contraire au milieu de la vertu. De plus, la vertu n’a pas à s’inquiéter de l’étendue des jouissances qu’éprouvent les sens extérieurs, ce qui résulte de la disposition du corps, mais de la manière dont l’appétit intérieur est affecté à l’égard de ces jouissances. L’impossibilité où est la raison de se porter librement vers les choses spirituelles, au moment même où elle est absorbée par ces jouissances, ne prouve pas que cet acte soit contraire à la vertu. Car il n’est pas contraire à la vertu que l’acte de la raison soit quelquefois interrompu pour que l’on fasse ce que la raison elle-même approuve. Autrement il paraîtrait contraire à la vertu de se laisser aller au sommeil. Toutefois, si la concupiscence et les jouissances charnelles ne sont pas soumises à la raison et réglées par elle, ce désordre est la peine du premier péché, en ce sens que la raison, en se révoltant contre Dieu, a mérité de perdre son empire sur la chair, qui lui est devenue rebelle, comme on le voit dans saint Augustin (De civ. Dei, liv. 13, chap. 13).

 

Objection N°3. La cause l’emporte sur l’effet. Or, le péché originel dans les enfants vient de la concupiscence, sans laquelle l’œuvre de la chair ne peut exister, comme on le voit dans saint Augustin (De nupt., liv. 1, chap. 24). Cette œuvre ne peut donc jamais se produire sans péché.

Réponse à l’objection N°3 : Saint Augustin dit que la concupiscence de la chair que l’on n’impute pas à péché à ceux qui sont baptisés, fait néanmoins que tous les enfants qui naissent de cette concupiscence, qui est, pour ainsi dire, la fille du péché, sont tous coupables du péché originel. Il ne s’ensuit donc pas que cet acte soit un péché, mais seulement qu’il y a en lui quelque chose de pénal qui découle du premier péché.

 

Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (De bon. conjug., chap. 25) : Nous avons suffisamment répondu aux hérétiques, si toutefois ils comprennent qu’il n’y a pas de péché en ce qui n’est contraire ni à la nature, ni à l’usage, ni aux préceptes. Ce grand docteur parle en cet endroit des Pères de l’Ancien Testament, qui avaient plusieurs femmes, et il justifie leurs actes, ce qui prouve que l’œuvre de la chair n’est pas toujours un péché.

 

Conclusion L’œuvre de la chair peut être permise si on s’en acquitte selon la manière et l’ordre qui sont convenables pour la fin de la génération humaine.

Il faut répondre que dans les actes humains le péché est ce qui est contraire à l’ordre de la raison. L’ordre de la raison veut que chaque chose se rapporte d’une manière convenable à sa fin. C’est pourquoi il n’y a pas de péchés, si par la raison l’homme se sert des choses pour la fin à laquelle elles sont destinées, et s’il le fait avec le mode et l’ordre qui conviennent, pourvu que cette fin soit quelque chose de véritablement bon. Or, comme la conservation de l’existence corporelle d’un individu est une chose véritablement bonne, de même la conservation de la nature de l’espèce humaine est aussi un bien excellent. Et comme l’usage des aliments a pour but la conservation individuelle des hommes, de même l’usage des jouissances charnelles a pour but la conservation de tout le genre humain. C’est ce qui fait dire à saint Augustin (De bon. conjug., chap. 16) que le mariage est à la conservation du genre humain ce que la nourriture est à la conservation de chaque individu. C’est pourquoi comme on peut user des aliments sans péché, si on le fait de la manière et selon l’ordre qui conviennent au salut du corps, de même on peut faire usage des jouissances charnelles, sans faire de mal, si on en use selon le mode et l’ordre qui conviennent à la fin de la génération humaine.

 

Article 3 : La luxure qui a pour objet les jouissances charnelles peut-elle être un péché ?

 

Objection N°1. Il semble que la luxure qui a pour objet les jouissances charnelles ne puisse pas être un péché. Car l’acte vénérien consiste dans l’émission de semence qui est surplus de nourriture, d’après Aristote (de Gener. anim., liv. 1, chap. 18, à med., et chap. 19). Mais il n’y a pas de péché attaché à l’émission d’autres superfluités. Par conséquent il ne peut pas y avoir d’autres péchés non plus dans les actes vénériens.

Réponse à l’objection N°1 : Comme le Philosophe le dit dans le même livre (loc. cit. in arg.), la semence est un superflu dont on a besoin. Il est dit qu’elle est superflue parce qu’elle est le résidu de l’action de la puissance nutritive, cependant on en a besoin pour l’œuvre de la puissance génératrice. Mais les autres superfluités du corps humain ne sont pas nécessaires : ainsi la façon dont elles sont émises n’a pas d’importance tant qu’elles observent la décence de la vie sociale. Ce qui est différent avec l’émission de semence qui doit être effectuée d’une manière conforme à la fin pour laquelle elle est nécessaire.

 

Objection N°2. N’importe qui peut légalement faire ce qu’il veut de ce qui est à lui. Mais dans l’acte vénérien, un homme utilise uniquement ce qui est sien sauf peut-être dans le cas d’adultère ou de viol. Il peut donc n’y avoir aucun péché dans les actes vénériens, et par conséquent la luxure n’est pas un péché.

Réponse à l’objection N°2 : Comme le dit l’Apôtre (1 Cor., 6, 20) : Vous avez été achetés d’un grand prix, glorifiez donc Dieu et portez-le dans votre corps. Par là même qu’on fait de son corps un indigne usage par la luxure, on fait injure à Dieu qui est le maître principal de tous nos membres. C’est ce qui fait dire à saint Augustin (Lib. de decem chordis, chap. 10) : Dieu, qui gouverne ses serviteurs dans leur intérêt et non dans le sien, leur a ordonné et commandé de ne pas détruire, par des plaisirs et des jouissances charnelles illicites, ce corps qu’il a choisi pour son temple.

 

Objection N°3. Tout péché a un vice opposé. Or, il n’y a pas de vice qui paraisse opposé à la luxure. Elle n’est donc pas un péché.

Réponse à l’objection N°3 : Le vice opposé à la luxure est assez rare, parce que les hommes sont surtout enclins aux jouissances. Cependant ce vice opposé est compris sous l’insensibilité et se trouve chez quelqu’un qui déteste tellement les rapports sexuels qu’il ne s’acquitte pas de la dette du mariage.

 

Mais c’est le contraire. La cause l’emporte sur son effet. Or, le vin est défendu à cause de la luxure, d’après ces paroles de saint Paul (Eph., 5, 18) : Ne vous laissez pas aller aux excès du vin, qui est une source de luxure. La luxure est donc défendue. De plus, l’Apôtre la compte parmi les œuvres de la chair (Gal., chap. 5).

 

Conclusion La luxure, par laquelle on use des jouissances charnelles contre le mode et l’ordre de la raison, est un péché.

Il faut répondre que plus une chose est nécessaire et plus il faut observer à son égard l’ordre de la raison. Si on vient à le transgresser, on n’en est donc que plus coupable. Or, l’œuvre de la chair, comme nous l’avons dit (art. préc.), est surtout nécessaire au bien commun qui est la conservation du genre humain. C’est pourquoi on doit principalement respecter l’ordre de la raison à cet égard, et par conséquent si on ne le fait pas et qu’on transgresse cet ordre, c’est une faute. La luxure ayant principalement pour but de se livrer sous ce rapport à des excès que la raison condamne, il s’ensuit qu’elle est certainement un péché.

 

Article 4 : La luxure est-elle un vice capital ?

 

Objection N°1. Il semble que la luxure ne soit pas un vice capital. Car la luxure paraît être la même chose que l’impureté, comme on le voit par la glose (interl., sup. illud, Omni immunditiâ, ad Ephes., chap.  5). Or, l’impureté est la fille de la gourmandise, comme le dit saint Grégoire (Mor., liv. 31, chap. 17). La luxure n’est donc pas un vice capital.

Réponse à l’objection N°1 : D’après quelques auteurs, l’impureté que l’on fait la fille de la gourmandise est une impureté corporelle, comme nous l’avons dit (quest. 148, art. 6), et par conséquent l’objection ne revient pas à la question. Si on l’entend de l’impureté de la luxure, il faut répondre qu’elle est produite matériellement par la gourmandise, dans le sens que la gourmandise fournit la matière corporelle de la luxure ; mais elle ne produit pas la luxure à titre de cause finale, ce qui est le point de vue d’après lequel on considère l’origine des autres vices qui proviennent des vices capitaux.

 

Objection N°2. Saint Isidore dit (De sum. bono, liv. 2, chap. 39) que comme l’orgueil de l’esprit mène à la prostitution, de même l’humilité est la sauvegarde de la chasteté. Or, il est contraire à la nature d’un vice capital qu’il découle d’un autre. La luxure n’est donc pas un vice de ce genre.

Réponse à l’objection N°2 : Comme nous l’avons dit (quest. 132, art. 4) en traitant de la vaine gloire, la superbe est considérée comme la mère commune de tous les péchés. C’est pour ce motif que les vices capitaux en découlent.

 

Objection N°3. La luxure est produite par le désespoir, d’après ces paroles de l’Apôtre (Eph., 4, 19) : Ceux qui se désespèrent s’abandonnent eux-mêmes à la débauche. Or, le désespoir n’est pas un vice capital ; il est plutôt une des suites de la paresse, comme nous l’avons vu (quest. 35, art. 4, Réponse N°2). La luxure en est donc encore moins un.

Réponse à l’objection N°3 : Il y en a qui s’abstiennent des plaisirs de la luxure, surtout parce qu’ils espèrent la gloire future. Le désespoir détruisant cette espérance, il produit la luxure en écartant ce qui y faisait obstacle, mais non comme cause directe ; ce qui paraît nécessaire pour les vices capitaux.

 

Mais c’est le contraire. Saint Grégoire (Mor., liv. 35, chap. 17) met la luxure au nombre des vices capitaux.

 

Conclusion On met avec raison la luxure au nombre des péchés capitaux, puisqu’elle a pour fin une chose qui est très désirée, à savoir les jouissances charnelles, qui portent les hommes à commettre une foule de péchés différents.

Il faut répondre que, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (quest. 148, art. 5, et 1a 2a, quest. 84, art. 3 et 4), un vice capital est celui qui a une fin très désirable (Les péchés de luxure sont fort communs, et ils sont cause de la perte d’un très grand nombre d’âmes, selon l’observation de S. Liguori : Frequetior atque abundantior confessionum materia propter quam major animarum, numerus ad infernum ditabitur (liv. 3, n° 413).), de telle sorte que son désir pousse l’homme à faire une multitude de péchés que l’on regarde tous comme issus principalement (A l’occasion de ce mot, Sylvius observe que les vices qui naissent d’un péché ne se rapportent pas toujours à ce péché comme les moyens à leur fin, il suffit que l’attachement que l’on a pour ce vice capital mène à ses défauts, ou qu’il y dispose, ou qu’il les produise comme cause efficiente.) de ce vice. Or, la luxure a pour lin la jouissance des plaisirs charnels qui est la plus grande des délectations. Cette jouissance est donc très désirable pour l’appétit sensitif, soit à cause de la vivacité des plaisirs qu’elle procure, soit parce que cette concupiscence est tout à fait naturelle. D’où il est évident que la luxure est un vice capital.

 

Article 5 : Est-il convenable de dire que la luxure produit l’aveuglement de l’esprit, l’inconsidération, la précipitation, l’inconstance, l’amour de soi, la haine de Dieu, l’attachement à la vie présente et l’horreur de la vie future ?

 

Objection N°1. Il semble que ce soit à tort que l’on considère comme des suites de la luxure, l’aveuglement de l’esprit, l’inconsidération, la précipitation, l’inconstance, l’amour de soi, la haine de Dieu, l’attachement à la vie présente et l’horreur ou le désespoir de la vie à venir. Car l’aveuglement de l’esprit, l’inconsidération et la précipitation appartiennent à l’imprudence qui se rencontre dans tout péché, comme la prudence dans toute vertu. On ne doit donc pas en faire des suites particulières de la luxure.

Réponse à l’objection N°1 : Comme le dit Aristote (Eth., liv. 6, chap. 5), c’est l’intempérance qui altère le plus la prudence. C’est pourquoi les vices opposés à cette vertu viennent surtout de la luxure, qui est la principale espèce d’intempérance.

 

Objection N°2. On regarde la constance comme une partie de la force, ainsi que nous l’avons vu (quest. 128, et 137, art. 3). Or, la luxure n’est pas opposée à la force, mais à la tempérance. L’inconstance n’est donc pas issue de la luxure.

Réponse à l’objection N°2 : La constance dans ce qui est difficile et terrible est une partie de la force, mais la constance qui consiste à s’abstenir des jouissances appartient à la continence qui est une partie de la tempérance, comme nous l’avons dit (quest. 143) ; c’est pourquoi l’inconstance qui lui est opposée est issue de la luxure. Cependant la première inconstance vient aussi de la luxure, dans le sens que ce vice amollit le cœur et le rend efféminé, d’après ces paroles d’Osée (4, 11) : La fornication, le vin et l’ivresse abattent le cœur. Et Végèce dit (De re milit., liv. 1, chap. 3) qu’il craint moins la mort celui qui connaît le moins les plaisirs. Il n’est pas nécessaire, comme nous l’avons dit souvent (quest. 35, art. 4, Réponse N°2, et quest. 118, art. 8, et quest. 148, art. 6) que les vices issus des péchés capitaux aient la même matière qu’eux.

 

Objection N°3. L’amour de soi porté jusqu’au mépris de Dieu est le principe de tout péché, comme on le voit dans saint Augustin (De civ. Dei, liv. 14, chap. ult.). On ne doit donc pas en faire la fille de la luxure.

Réponse à l’objection N°3 : L’amour de soi, considéré par rapport à tous les biens qu’on recherche, est le principe commun des péchés ; mais si on le considère spécialement par rapport aux jouissances charnelles qu’on se souhaite, il est issu de la luxure.

 

Objection N°4. Saint Isidore (Comm. in Deut., chap. 16) distingue quatre autres défauts issus de la luxure : les entretiens honteux, les bavardages, les paroles lascives et les discours insensés. L’énumération précédente paraît donc superflue.

Réponse à l’objection N°4 : La distinction que fait saint Isidore porte sur les actes extérieurs déréglés et principalement sur ce qui regarde la parole, qui peut être déréglée de quatre manières : 1° de la part de la matière ; car, comme la bouche parle de l’abondance du cœur, d’après l’Evangile (Matth., 12, 34), les luxurieux, dont le cœur est rempli de désirs honteux, se laissent aller facilement à des discours déshonnêtes. 2° De la part de la cause. Car la luxure produisant l’inconsidération et la précipitation, il s’ensuit qu’elle excite à parler légèrement et inconsidérément, et c’est ce qu’on appelle du bavardage. 3° Quant à la fin. Car le luxurieux cherchant le plaisir sensuel, tend à s’en procurer par ses discours, et il aime les paroles lascives. 4° Quant au sens des paroles. La luxure le pervertit, parce qu’elle produit l’aveuglement de l’esprit. Alors elle se livre à des discours insensés, puisque dans ses paroles elle préfère les jouissances qu’elle recherche à toutes les autres choses.

 

Mais c’est le contraire. Saint Grégoire établit lui-même cette filiation (Mor., liv. 31, chap. 17).

 

Conclusion L’aveuglement de l’esprit, l’inconsidération, la précipitation, l’inconstance, l’amour de soi, la haine de Dieu, l’attachement à la vie présente et l’horreur de la vie future, sont considérés avec raison comme les suites de la luxure.

Il faut répondre que quand les puissances inférieures sont vivement affectées par rapport à leurs objets, il s’ensuit que les puissances supérieures sont entravées et déréglées dans leurs actes. Or, par la luxure l’appétit inférieur, c’est-à-dire l’appétit concupiscible, se porte de la manière la plus vive vers son objet, qui est la chose qui le délecte, par suite de la violence de la passion et de la délectation. C’est pourquoi il en résulte que la luxure dérègle le plus profondément les puissances supérieures, qui sont la raison et la volonté. Or, pour la pratique on distingue dans la raison quatre sortes d’actes. Il y a 1° l’intelligence simple qui perçoit la fin comme une bonne chose. Cet acte est empêché par la luxure, d’après ces paroles (Dan., 13, 56) : La beauté vous a séduit et la concupiscence vous a perverti le cœur. C’est à cela que se rapporte l’aveuglement de l’esprit. 2° Il y a le conseil qui a pour objet ce que l’on doit faire pour arriver à la fin. Cet acte est aussi empêché par la concupiscence de la luxure. C’est ce qui fait dire à Térence (Eunuch., act. 1, sc. 1) en parlant de l’amour passionné : c’est une chose qui n’a en elle ni conseil, ni mesure, et vous ne pouvez la régir par de bons avis. A cet égard on désigne la précipitation, qui implique l’absence de tout conseil, comme nous l’avons vu (quest. 53, art. 3). 3° Il faut juger ce que l’on doit faire, et cet acte est empêché par la luxure ; car le prophète dit des luxurieux (Dan., 13, 9) : Ils ont détourné leurs yeux pour ne point se rappeler les justes jugements. C’est pour cela qu’on distingue l’inconsidération. 4° C’est à la raison à commander ce qu’il faut faire. Elle en est aussi empêchée par la luxure, dans le sens que l’impétuosité de la concupiscence empêche l’homme d’exécuter ce qu’il a résolu de faire, et c’est pour ce motif qu’on ajoute l’inconstance. Ainsi Térence (loc. cit.) dit d’un personnage qui parlait de se séparer de son maître : Une petite larme anéantira toutes ces résolutions. — Du côté de la volonté il y a deux sortes d’acte désordonné. L’un est le désir de la fin. C’est à celui-là que se rapporte l’amour de soi quant à la délectation qu’on recherche d’une manière déréglée, et par opposition la haine de Dieu, qui résulte de ce qu’il empêche (Dieu empêche cette jouissance par ses commandements.) la jouissance que l’on désire. L’autre est le désir des moyens qui se rapportent à la fin. A cet égard on parle de l’attachement à la vie présente, dans laquelle on veut jouir de la volupté, et par opposition on ajoute le désespoir de la vie future (Le luxurieux a horreur de la vie future, parce qu’il sait que la mort doit le priver des jouissances charnelles et les lui faire expier par les plus rudes tourments, et il se désespère, parce que son attachement pour ces jouissances ne lui permet pas de prendre goût aux choses spirituelles.), parce que quand on est trop attaché aux jouissances charnelles, on ne cherche pas à arriver aux jouissances spirituelles, mais on a pour elles du dégoût.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

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