Saint Thomas d ’Aquin - Somme Théologique
2a 2ae = Secunda Secundae
= 2ème partie de la 2ème Partie
Question 154 :
Des parties de la luxure
Nous
allons maintenant nous occuper des parties de la luxure ; à ce sujet nous
avons douze choses à examiner : 1° La division des parties de la luxure ;
2° la fornication simple est-elle un péché mortel ? (Les nicolaïtes et les
gnostiques ont prétendu que la fornication n’était pas défendue. Cette erreur a
été aussi celle des anabaptistes.) ; 3° Est-elle le plus grand des péchés ?
; 4° Les attouchements, les baisers et les autres plaisirs de ce genre sont-ils
des péchés mortels ? ; 5° La pollution nocturne est-elle un péché ? ;
6° Du stupre ; 7° du rapt ; 8° de l’adultère ; 9° de l’inceste ; 10° du sacrilège ;
11° du péché contre nature ; 12° de l’ordre de gravité dans lequel il faut
ranger les espèces précédentes.
Article 1 :
Est-ce avec raison que l’on divise la luxure en six espèces différentes :
la fornication simple, l’adultère, l’inceste, le stupre, le rapt et
le péché contre nature ?
Objection
N°1. Il semble que ces six espèces soient mal
assignées à la luxure, à savoir : la
fornication simple, l’adultère, l’inceste, le stupre, le rapt et le péché
contre nature. La diversité de matière ne diversifie pas l’espèce. La
division ci-dessus est faite d’après la diversité de matière, dans la mesure où
la femme avec qui un homme a un rapport sexuel est mariée, vierge ou d’une
autre condition. Par conséquent, il semble que ces espèces de luxure ne sont pas
distinctes.
Réponse à l’objection N°1 :
La diversité mentionnée précédemment d’après une différence formelle de
l’objet, laquelle différence résulte de modes différents d’opposition à la
droite raison, comme nous l’avons dit (dans le corps de cet article.).
Objection N°2. Les espèces d’un
vice ne sont pas différenciées par ce qui appartient à un autre vice. Or,
l’adultère ne diffère de la simple fornication que parce qu’un homme a un rapport
sexuel avec une autre, et qu’il commet une injustice. Il semble donc que
l’adultère ne devrait pas être une espèce de la luxure.
Réponse à l’objection N°2 :
Comme nous l’avons dit (1a 2æ, quest. 18, art. 7), rien
n’empêche la difformité de différents vices concourant dans le même acte, et de
cette manière, l’adultère est comprise sous la luxure et l’injustice. Cette
difformité d’injustice n’est pas du tout accidentelle à la luxure : parce
que la luxure qui obéit à la concupiscence mène jusqu’à l’injustice, et se
montre par là même plus grave.
Objection N°3. Comme un homme
peut avoir un rapport avec une femme qui est liée à un autre homme par le
mariage, il peut aussi le faire avec une femme vouée à Dieu par un vœu. Par
conséquent, le sacrilège devrait être une des espèces de la luxure, comme l’est
l’adultère.
Réponse à l’objection N°3 :
Une femme qui a fait vœu de continence, a contracté un mariage spirituel avec
Dieu, et le sacrilège qui est commis par sa violation est un adultère
spirituel. De la même manière, les autres genres de sacrilèges se rattachant au
sensuel sont réduits aux autres espèces de luxure. (Cajétan observe que saint
Thomas parle ici, d’après le Maître des sentences et Gratien, par respect pour
leur autorité, ce qui ne l’empêche pas de faire du sacrilège charnel une espèce
particulière de luxure (art. 10).).
Objection N°4. Un homme marié ne
pèche pas seulement s’il est avec une autre femme, mais aussi s’il utilise mal
la sienne. Or ce dernier péché est compris sous la luxure. Il devrait donc en
constituer une autre espèce.
Réponse à l’objection N°4 :
Le péché d’un mari envers sa femme n’est pas lié avec la matière défendue, mais
à d’autres circonstances, ce qui ne constitue pas une espèce d’un acte moral,
comme nous l’avons dit (dans le corps de cet article, et 1a 2æ,
quest. 18, art. 2.)
Objection N°5. L’Apôtre (2 Cor., 12, 21) dit : Ne permettez pas que quand j’irai vous voir,
Dieu m’humilie encore à cause de vous, et que j’aie à pleurer sur ceux qui
ayant péché auparavant, n’ont pas fait pénitence des péchés immondes et de la
fornication, et de l’impudicité qu’ils ont commis. Par conséquent, il
semble que l’impureté et l’impudicité devraient être des espèces de la luxure,
tout comme la fornication.
Réponse à l’objection N°5 :
Comme le dit la Glose (interl.)
l’impureté représente la luxure contre nature, tandis que l’impudicité est un
abus que l’on commet avec une personne non mariée ; pour cette raison,
cette dernière semble appartenir au stupre. Nous pouvons aussi répondre que
l’impureté s’étend jusqu’à certains actes circonstanciels de l’acte vénérien,
comme les baisers, les attouchements, etc.
Objection N°6. Le genre ne
saurait être une division de l’espèce. Or la luxure est considérée avec ce qui
a été dit plus haut, car il est écrit (Gal.,
5, 19) : Les œuvres de la chair sont
manifestes, qui sont la fornication, l’impureté, l’impudicité, la luxure. Il
semble donc que la fornication ne soit pas une partie de la luxure.
Réponse à l’objection N°6 :
D’après la Glose (interl.), la luxure
signifie ici tout type de superfluité.
Mais c’est le contraire. La
division que nous avons donnée se trouve dans le Décret. 36, quæst. 1 (in
appendice Grat. ad chap. Lex illa).
Conclusion Les espèces de la
luxure sont : la fornication simple, l’adultère, l’inceste, le stupre, le rapt,
le vice contre nature.
Comme nous l’avons dit (quest. préc.,
art. 2 et 3), le péché de luxure consiste à rechercher le plaisir vénérien sans
l’accord de la droite raison. Ceci peut se produire de deux façons : premièrement
à cause de l’objet où le plaisir est recherché ; deuxièmement, quand,
tandis qu’il y a une matière de dette, les autres conditions de dettes ne sont
pas observées. Et puisqu’une circonstance, en tant que telle, ne spécifie pas
un acte moral, dont les espèces viennent de son objet qui est aussi sa matière,
il faut pour cette raison que les espèces de la luxure soient assignées avec
respect à sa matière ou à son objet. Cette matière peut être incompatible avec
la droite raison de deux manières. D’abord, lorsqu’elle s’oppose à la fin de
l’acte vénérien ; soit en empêchant la génération des enfants, c’est le vice contre nature, qui fait que chaque
acte vénérien empêche la génération ; soit en privant l’enfant de l’éducation
qui lui est due, ce qui constitue la fornication
simple, qui est l’union d’un homme et d’une femme libres. Ensuite, la
matière d’où l’acte vénérien est consommé peut être incompatible avec la droite
raison en relation avec d’autres personnes ; et ceci de deux façons. Premièrement,
en ce qui concerne la femme, avec qui un homme a une liaison, à cause du
respect qu’il n’a pas eu pour elle ; et ainsi il y a inceste, qui consiste dans l’abus d’une femme à qui l’on est lié
par consanguinité ou affinité. Deuxièmement, en ce qui concerne la personne
sous l’autorité de laquelle la femme est placée ; si celle-ci est sous
l’autorité d’un mari, c’est l’adultère ;
si c’est l’autorité de son père, c’est le stupre en
l’absence de violence et le rapt si
elle est utilisée. Ces espèces sont plus différenciées du côté de la femme que
de celui de l’homme, parce que dans l’acte vénérien, la femme est passive et la
matière, tandis que l’homme est l’agent. Il a été dit plus haut (in arg. 4) que les espèces susdites
étaient assignées selon la différence de matière.
Article 2 :
La fornication simple est-elle un péché mortel ?
Objection
N°1. Il semble que la fornication simple ne
soit pas un péché mortel. Car les choses qu’on énumère ensemble paraissent avoir
la même nature. La fornication est énumérée avec des choses qui ne sont pas des
péchés mortels ; car il est écrit (Actes,
15, 20) : Que vous vous absteniez des
viandes sacrifiées aux idoles, du sang, des animaux étouffés, et de la
fornication. Mais il n’y a pas de péché mortel dans ces observances,
d’après 1 Tim., 4, 4 : Rien ne doit être rejeté de ce qui est reçu
avec action de grâces. Par conséquent la fornication n’est pas un péché
mortel.
Réponse à l’objection N°1 :
La fornication est mentionnée avec ces choses, pas parce qu’elle est leur est
égale en culpabilité, mais parce que les matières mentionnées étaient également
responsables de disputes entre les Juifs et les gentils, et les empêchaient
ainsi d’être d’accord. Car pour ces derniers la fornication simple n’était pas
considérée comme illicite, en raison de la corruption de la raison
naturelle ; tandis que les Juifs, enseignés par la loi divine, la
considéraient illicite. Les autres choses mentionnées étaient abominables pour
les Juifs à cause de la tradition légale de leur vie de tous les jours. D’où
les Apôtres interdirent ces choses aux gentils, moins parce qu’elles étaient
illicites en elles-mêmes, que parce qu’elles étaient abominables aux Juifs,
comme nous l’avons dit (1a 2æ, quest. 103, art. 4, Réponse
N°3).
Objection N°2. Aucun péché mortel
n’est la matière d’un précepte divin. Or, le Seigneur commanda (Osée, 1, 2) : Va et prends-toi une femme de fornication et aies-en des enfants de
fornication. La fornication n’est donc pas un péché mortel.
Réponse à l’objection N°2 :
La fornication est un péché, parce qu’elle est contraire à la droite raison. La
raison de l’humaine est droite, tant qu’elle est dirigée par la volonté divine,
la règle première et suprême. Pour cette raison, ce que fait un homme fait par
la volonté de Dieu et en obéissant à son commandement n’est pas contraire à la
droite raison, même si cela peut sembler contraire à l’ordre général de la
raison, comme ce qui est fait miraculeusement par la puissance divine n’est pas
contraire à la nature, bien que ce soit contraire au cours normal de la nature.
Par conséquent, comme Abraham n’a pas péché en voulant tuer son fils innocent,
parce qu’il obéissait à Dieu, même si considéré en soi cet acte était contraire
à la droite raison, de même Osée n’a pas péché en forniquant selon le
commandement de Dieu. Une telle union ne devrait pas être strictement appelée
fornication, bien qu’il y ait de la ressemblance avec l’acte commun. D’où saint
Augustin dit (Conf., liv. 3, chap. 8,
à princ.) : Quand Dieu commande une chose qui est en opposition avec les
coutumes ou les accords de n’importe quel peuple, on doit le faire, même si ça
n’a jamais été fait auparavant ; et il ajoute plus loin : Dans les pouvoirs de
la société humaine, on obéit d’abord à la plus grande autorité, puis à celle
qui est moindre, ainsi Dieu commande sur tout (Saint Thomas a déjà répondu à
cette objection (1a 2æ, quest. 6, art. 8, Réponse N°3).).
Objection N°3. Aucun péché mortel
n’est mentionné dans la Sainte Ecriture sans désapprobation. La simple
fornication y est mentionnée sans désapprobation avec les patriarches. Ainsi
nous lisons (Gen., 16, 4), qu’Abraham s’approcha de sa servante Agar ;
et plus loin (ibid., 30, 5-6), Jacob
de Bala et Zelpha, les servantes de ses femmes, et encore (ibid., 38, 18), Juda de Thamar qu’il pensait être une prostituée.
Par conséquent la fornication simple n’est pas un péché mortel.
Réponse à l’objection N°3 :
Abraham et Jacob se sont approchés de leurs servantes sans dessein de
fornication, comme nous le montrerons plus loin dans notre traité du mariage
(incomplet ; voy. 4 Sent.). Pour Juda il n’est pas nécessaire
de l’excuser, car il est aussi celui qui a fait vendre Joseph.
Objection N°4. Tous les péchés
mortels sont contraires à la charité. Mais la fornication simple n’est pas
contraire à la charité, ni en envers l’amour de Dieu, car ce n’est pas un péché
direct contre lui, ni envers l’amour de notre prochain, puisque il ne fait
d’injure à personne. La fornication simple n’est donc pas un péché mortel.
Réponse à l’objection N°4 :
La fornication simple est contraire à l’amour du prochain, parce qu’elle est en
opposition avec le bien de l’enfant qui naîtra, comme nous l’avons montré (dans
le corps de cet article), puisque c’est un acte de génération accomplit d’une
manière désavantageuse pour l’enfant.
Objection N°5. Tous les péchés
mortels mènent à la perdition éternelle. Mais ce n’est pas le cas de la
fornication simple parce la Glose de Pierre Lombard qui se réfère à saint
Ambroise dit sur 1 Tim., 4, 8 : La piété est utile à tout : Tout
l’enseignement chrétien se résume à la miséricorde et la piété : si un homme y
est conforme, bien qu’il cède à cause de l’inconstance de la chair, il sera
puni sans aucun doute, mais il ne périra pas. Par conséquent la fornication
simple n’est pas un péché mortel.
Réponse à l’objection N°5 :
Une personne qui a cédé à l’inconstance de la chair, évite la perte éternelle
par ses œuvres de piété, tant que celles-ci le disposent à recevoir la grâce de
se repentir, et parce que par ces œuvres il satisfait pour son inconstance
passée ; mais il n’est pas sauvé par celles-ci s’il persiste dans l’inconstance
de la chair jusqu’à l’impénitence finale.
Objection N°6. Saint Augustin dit
(de Bono conjug., chap. 16, in princ.),
que ce que la nourriture est au bien-être du corps, les rapports sexuels le
sont pour celui de la race humaine. Or, l’utilisation déréglée de la nourriture
n’est pas toujours un péché mortel. Par conséquent il en est de même des rapports
sexuels ; et il semble que cela s’applique en particulier à la fornication
simple, qui est la moins grave des espèces de la luxure dites précédemment.
Réponse à l’objection N°6 :
Un rapport sexuel peut résulter dans la génération d’un homme, d’où des
rapports mal réglés, qui peuvent empêcher le bien du futur enfant, sont un
péché mortel, comme le genre même de l’acte, et pas seulement une concupiscence
déréglée. D’un autre côté, un repas n’empêche pas le bien de la vie entière
d’un homme, c’est pourquoi l’acte de la gourmandise n’est pas un péché mortel
en raison de son genre. Cependant, elle serait un péché mortel si un homme
savait sciemment que s’il prenait de la nourriture ceci altérerait la condition
totale de sa vie, comme ce fut le cas d’Adam. Il est faux que la fornication
est le moindre des péchés compris sous la luxure, puisque l’acte du mariage qui
est fait par passion est un péché moindre.
Mais c’est le contraire. Il est
dit (Tobie, 4, 13) : Fais bien attention de te garder de toute fornication, et
en dehors de ta femme, ne commet aucun crime envers personne. Le crime signifie
un péché mortel. Donc la fornication et tout rapport avec une autre que sa
femme est un péché mortel.
Seul le péché mortel exclut du
royaume de Dieu. La fornication en exclut, d’après ces mots de l’Apôtre (Gal., 5, 21) qui après avoir
mentionné la fornication et certains autres vices ajoute : Ceux qui font de telles choses n’obtiendront
pas le royaume de Dieu. Par conséquent la fornication simple est un péché
mortel.
Il est dit dans Decret., 22, quæst. 1, chap. Prædicandum : Ils doivent savoir que la
même pénitence est imposée pour le parjure que pour l’adultère, la fornication,
le meurtre volontaire et les autres offenses criminelles. La fornication simple
est donc un péché criminel ou mortel.
Conclusion Comme la fornication
simple s’oppose à la bonne éducation de l’enfant, elle est illicite et un péché
mortel.
Nous devons tenir sans aucun
doute la simple fornication pour un péché mortel, nonobstant que la Glose (ord. Augustini, lib. de QQ. in Deut., quæst. 37) sur le passage Deut., 23, 17, dise : Il est interdit d’aller aux prostituées,
dont la turpitude est vénielle. Car au lieu de vénielle, il devrait y avoir vénale,
puisque c’est le propre de la prostitution. Afin de rendre ceci évident, nous
devons prendre note que chaque péché commis directement contre la vie humaine
est un péché mortel. La fornication simple implique une irrégularité qui tend à
faire tort à la vie du rejeton né de cette union. Car nous trouvons dans tous
les animaux où l’éducation de la progéniture demande à la fois le mâle et la
femelle, que ceux-ci restent unis, le mâle avec la femelle, une ou plusieurs, c’est
le cas de tous les oiseaux ; pendant que, d’un autre côté, parmi ces
animaux où la femelle seule suffit pour l’éducation de la progéniture, l’union
est passagère, comme dans le cas des chiens ou autres animaux semblables. Il
est évident que l’éducation d’un enfant humain ne requiert pas seulement les
soins de sa mère pour sa nourriture, mais surtout de ceux de son père en tant
que guide et gardien et qui doit lui fournir des biens à la fois intérieurs et
extérieurs. D’où la nature humaine s’oppose à une union passagère des sexes et
demande qu’un homme soit uni à une femme et doit demeurer avec elle longtemps
ou même toute la vie. D’où il vient que dans la race humaine c’est le mâle qui
a une sollicitude naturelle pour la certitude du rejeton, parce que c’est à lui
qu’incombe l’éducation de l’enfant. Ceci cesserait certainement si l’union des
sexes était passagère. Cette union avec une femme précise est appelée mariage, et
appartient à la loi naturelle pour la raison dite ci-dessus. Puisque,
cependant, l’union des sexes a pour but le bien commun de la race humaine et
que le bien commun dépend d’une loi pour sa détermination, comme nous l’avons
dit (1a 2æ, quest. 90, art. 2), la conséquence est que
cette union d’un homme et d’une femme, qui est appelée mariage, est déterminée
par une loi. Ce que cette détermination est pour nous sera énuméré dans la
troisième partie (quam non absolvit ; voy. Suppl., et 4, dist. 26, et suiv.), où nous traiterons
du sacrement du mariage. Pour cette raison, puisque la fornication est une
union passagère des sexes, comme elle est incompatible avec le mariage, elle
est opposée au bien de l’éducation de l’enfant, et par conséquent elle est un
péché mortel (Il y a eu quelques théologiens qui ont avancé que la fornication
n’était pas intrinsèquement mauvaise et qu’elle n’était un péché que parce
qu’elle était défendue par le droit positif. Cette opinion a été condamnée par
Innocent XI.). Il importe peu que l’homme ait suffisamment pourvu à l’éducation
de l’enfant, parce qu’une matière qui tombe sous la détermination d’une loi est
jugée selon ce qu’il se passe communément, et non pas selon ce qui aurait pu se
produire dans un cas particulier.
Article 3 :
La fornication est-elle le plus grave des péchés ?
Objection N°1. Il semble que la
fornication soit le plus grave des péchés. Un péché est d’autant plus grave qu’il
provient d’un plus grand plaisir sensuel. Or, le plus grand plaisir sensuel se
trouve dans la fornication car la Glose (interl., implicitè sup. illud : Melius est nubere) sur
le passage 1 Cor., 7, 9, dit que l’ardeur
du plaisir sensuel est la plus importante dans la luxure. Il semble donc que la
fornication soit le plus grave des péchés.
Réponse à l’objection N°1 :
Le désir qui aggrave un péché consiste dans l’inclination de la volonté. Mais
celui qui se trouve dans l’appétit sensitif, diminue le péché, parce qu’un
péché est moins grave quand il est commis sous l’impulsion d’une plus grande
passion. C’est de cette manière que le plus grand plaisir sensuel se trouve
dans la fornication. D’où saint Augustin dit (lib. de Agone christiano
(Serm. 293 ; 250 de temp. ; voir l’appendice des œuvres de saint Augustin)),
que de tous les combats du chrétien, les plus difficiles sont ceux de chasteté,
lesquels sont quotidiens, et la victoire est rare. Saint Isidore dit aussi (de sumno Bono,
liv. 2, chap. 39, circ. fin.), que l’humanité est soumise au démon par la
luxure de la chair plus que par n’importe quel autre moyen, parce que la
véhémence de cette passion est la plus difficile à vaincre.
Objection N°2. Un péché est plus
grave s’il est commis contre une personne proche du pécheur ; on pèche
ainsi plus gravement si on frappe son père qu’un étranger. D’après saint Paul (1 Cor., 6, 48) : Celui qui commet la fornication pèche contre
son propre corps, qui est plus intimement uni à l’homme. Par conséquent il
semble que la fornication soit le plus grave des péchés.
Réponse à l’objection N°2 :
On dit que le fornicateur pèche contre son propre corps, non seulement parce
que le plaisir de la fornication est consommé dans la chair, ce qui est aussi
le cas de la gourmandise, mais aussi parce qu’il agit à l’encontre du bien de
son propre corps qu’il souille et par une association défendue avec un autre.
Il s’ensuit de ceci que la fornication n’est pas le péché le plus grave, parce
que dans l’homme la raison a plus de valeur que le corps, par conséquent, s’il
y a un péché qui s’oppose plus à la raison, il sera plus grave.
Objection N°3. Plus le bien est
le grand, plus le péché commis contre lui sera grave. Or, le péché de
fornication est apparemment opposé au bien de la race humaine tout entière,
comme il a été dit à l’article précédent. Il l’est aussi au Christ selon saint
Paul (1 Cor., 6, 15) : Devrais-je prendre les membres du Christ
pour en faire les membres d’une prostituée ? La fornication est donc
le plus grave des péchés.
Réponse à l’objection N°3 :
Le péché de fornication est contraire au bien de la race humaine, en empêchant
l’éducation de celui qui aurait pu naître. Celui qui est déjà un membre actuel
de l’espèce humaine atteint la perfection de son espèce plus que celui qui est
un homme potentiellement, et de ce point de vue le meurtre est un péché plus
grave que la fornication et tout genre de luxure, étant plus opposé au bien de
l’espèce humaine. Le bien divin est plus grand que le bien de la race
humaine ; et par conséquent les péchés qui sont contre Dieu sont plus
graves. De plus, la fornication est un péché contre Dieu, pas directement comme
si le fornicateur voulait offenser Dieu, mais par voie de conséquence, de la
même façon que tous les péchés mortels. Et comme les membres de notre corps
sont ceux du Christ, de même notre esprit fait un avec le Christ, d’après ces
paroles de saint Paul (1 Cor., 6, 17)
: Celui qui est uni avec le Seigneur ne
fait qu’un esprit avec lui. Donc les péchés spirituels offensent plus le
Christ que la fornication.
Mais c’est le contraire. Saint Grégoire
dit (implic., liv. 33 Moral., chap.
11), que les péchés de la chair sont moins graves que les péchés spirituels.
Conclusion Quoique la fornication
soit un péché plus grave que les péchés opposés aux biens extérieurs de l’homme,
elle est cependant un péché moindre que l’homicide et les péchés commis
directement contre Dieu.
La gravité d’un péché peut être
mesurée de deux façons, d’abord par ce qui concerne le péché lui-même, ensuite par
ce qui est accidentel. La gravité d’un péché est mesurée par ce qui concerne le
péché lui-même, en raison de ses espèces, ce qui est déterminé d’après le bien
auquel le péché est opposé. La fornication est contraire au bien de l’enfant à
naître. Pour cette raison, si c’est un péché plus grave que ses espèces, que
ces péchés sont contraires aux biens extérieurs, comme le vol et autres semblables ;
tandis que c’est moins grave que ceux qui sont directement contre Dieu, et les
péchés qui blessent la vie de quelqu’un qui est déjà né, comme le meurtre.
Article 4 :
Les attouchements et les baisers peuvent-ils être des péchés mortels ?
Objection
N°1. Il semble qu’il n’y ait pas de péché
mortel dans les attouchements et les baisers. L’Apôtre dit (Eph., 5, 3) : Que l’on ne
prononce pas parmi vous les noms de fornication, d’impureté, ni d’avarice, comme
il convient à des saints ; puis il ajoute : ni de turpitude, la Glose (interl. vetus Ms.) dit : les
embrassements et les caresses ; ni de
langage sot, ni bouffonnerie. Et après il continue : Sachez ceci et comprenez qu’aucun fornicateur ni impur, ni avare (qui
est une forme d’idolâtrie) n’héritera du royaume du Christ et de Dieu. Il
n’est pas fait mention de turpitudes, ni de langage sot ou de bouffonnerie. Par
conséquent, ce ne sont pas des péchés mortels.
Réponse à l’objection N°1 :
L’Apôtre ne fait pas mention de ces trois parce qu’ils ne sont pas des péchés,
sauf s’ils sont liés avec ceux qui ont été mentionnés précédemment.
Objection N°2. On dit que la
fornication est un péché mortel parce qu’elle est préjudiciable au bien de
l’éducation du futur enfant. Mais les baisers, les attouchements ou les
flatteries y sont étrangères et ne sont donc pas des péchés mortels.
Réponse à l’objection N°2 :
Bien que les baisers et les attouchements n’empêchent pas par eux-mêmes
l’éducation de l’enfant, ils procèdent de la luxure, qui est la source de cet
empêchement ; et c’est ce qui en fait des péchés mortels.
Objection N°3. Les choses qui
sont des péchés mortels en elles-mêmes ne peuvent faire aucune bonne action. Cependant,
les baisers et les attouchements et autres choses semblables peuvent parfois être
faites sans péché. Elles ne sont donc par conséquent pas des péchés mortels en
elles-mêmes.
Réponse à l’objection N°3 :
Cet argument prouve que de telles choses ne sont pas des péchés mortels dans
leur espèce.
Mais c’est le contraire. Un
regard lubrique est moindre qu’un attouchement, une caresse ou un baiser. Mais
selon Matthieu (5, 28) : Celui qui
regarde une femme avec luxure a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur.
Bien plus, les baisers impurs et autres choses du même genre sont des péchés
mortels.
Saint Cyprien dit à Pompon (de Virginitate, liv. 1, epist. 11, circa med.) : Par leurs
rapports sexuels, leurs flatteries, leurs conversations, leurs embrassements,
ceux qui sont associés au lit ne connaissent ni l’honneur ni la honte, et reconnaissent
leur infamie et leur crime. Par conséquent, en faisant ces choses, un homme est
coupable d’un crime, qui est un péché mortel.
Conclusion Les attouchements et les
baisers ne sont pas des péchés mortels par eux-mêmes, mais ils le deviennent
quand ils sont faits par passion.
On dit qu’une chose est un péché
mortel de deux façons. Premièrement, en raison de ses espèces, et de cette
façon, un baiser, une caresse ou un attouchement n’impliquent pas un péché
mortel de leur propre nature, car il est possible de faire ces choses sans
plaisir impur, parce que c’est la coutume d’un pays, que c’est nécessaire ou
pour une cause raisonnable. Deuxièmement, une chose peut être un péché mortel
en raison de sa cause ; ainsi celui qui fait l’aumône afin de mener
quelqu’un à l’hérésie, pèche mortellement à cause de son intention corrompue. Comme
nous l’avons dit plus haut (1a 2æ, quest. 74, art. 7 et 8),
un péché mortel ne consiste pas seulement à consentir à l’acte, mais aussi à se
délecter d’un péché mortel. Pour cette raison, puisque la fornication est un
péché mortel, et plus encore les autres espèces de luxure, il s’ensuit que dans
de tels péchés, consentir à l’acte ou au plaisir est un péché mortel. Par
conséquent, quand ces baisers et ces caresses sont faits pour cette seule
délectation, il s’ensuit que ce sont des péchés mortels, et on dit qu’ils sont
lubriques uniquement de cette manière. Ils sont donc des péchés mortels tant qu’ils
sont lubriques.
Article 5 :
La pollution nocturne est-elle un péché ?
Objection
N°1. Il semble que la pollution est un péché.
Pour la même chose, il y a matière à mérite et démérite. Un homme peut mériter
pendant qu’il dort, comme dans le cas de Salomon, qui, tandis qu’il dormait
obtint le don de sagesse de la part du Seigneur (3 Rois, chap. 3 et 2 Para.,
chap. 1). Par conséquent un homme peut démériter pendant qu’il dort, et donc la
pollution nocturne est un péché.
Réponse à l’objection N°1 :
Salomon n’a pas mérité de recevoir la sagesse de Dieu pendant qu’il dormait. Il
l’a reçue en gage de son désir antérieur. C’est pour cette raison qu’on dit que
sa requête a plu à Dieu comme l’observe saint Augustin (super Gen. ad litt., liv. 12, chap. 25,
in fin.).
Objection N°2. Quiconque a
l’utilisation de la raison peut pécher. Or, un homme raisonne pendant qu’on
dort, puisque dans notre sommeil nous réfléchissons souvent sur des sujets, nous
en choisissons un plutôt qu’un autre, consentons à une chose ou nous opposons à
une autre. Par conséquent, on peut pécher en étant endormi, donc la pollution
nocturne n’est pas empêchée par le sommeil d’être un péché, étant coupable d’après
son genre.
Réponse à l’objection N°2 :
L’utilisation de la raison est plus ou moins affaiblie dans le sommeil, selon
les puissances sensibles intérieures sont plus ou moins dépassées par le
sommeil, en raison de la violence de l’atténuation des évaporations. Néanmoins
elle est toujours gênée d’une manière suffisante pour qu’elle soit incapable de
faire un jugement libre, comme nous l’avons dit (1a pars, quest. 84,
art. 8). Par conséquent ce qu’elle fait n’est pas imputé à péché.
Objection N°3. Il est inutile de
réprimer ou d’instruire celui qui ne peut ni suivre ni combattre la droite
raison ou non. Or, l’homme, pendant qu’il dort, est instruit et réprimé par
Dieu, d’après Job (33, 15-16) : C’est
dans les songes de nuit, pendant le sommeil, qu’il ouvre les oreilles des
hommes, et les instruit de ce qu’ils doivent apprendre. Un homme, pendant
qu’il dort, peut donc agir conformément ou non à la droite raison, ceci donnant
des actions bonnes ou mauvaises. Il semble donc que la pollution nocturne soit
un péché.
Réponse à l’objection N°3 :
L’appréhension de la raison n’est pas empêchée pendant le sommeil au même point
que son jugement, car ceci est accompli par la raison qui se tourne vers les
objets sensibles, qui sont les premiers principes de la pensée humaine. D’où
que, pendant le sommeil, rien n’empêche la raison d’appréhender quelque chose
de nouveau des traces laissées par les précédentes pensées et fantasmes qui lui
ont été présentés, ou encore par la révélation divine ou par l’interférence
d’un bon ou d’un mauvais ange.
Mais c’est le contraire. Saint Augustin
(sup. Gen. ad litter., liv. 12, chap. 15, in med.)
: Quand la même image qui vient à l’esprit d’une personne qui parle se présente
à l’esprit d’une personne endormie, cette dernière est incapable de distinguer
l’imaginaire de l’union réelle des corps, la chair réagit tout de suite, avec
ce qui résulte habituellement de tels mouvements, et il y a aussi peu de péché
qu’il y en a quand on parle et donc en pensant à de telles choses quand on est
réveillé.
Conclusion La pollution nocturne
est soit coupable soit non coupable, suivant la cause d’où elle provient.
La pollution nocturne peut-être
considérée de deux manières. Premièrement, en elle-même, et ainsi elle n’a pas
le caractère d’un péché. Car tout péché dépend du jugement de la raison,
puisque même le premier mouvement de la sensualité n’a rien d’un péché, s’il
peut être réprimé par la raison ; d’où dans le cas de l’absence de
jugement de la raison, il n’y a pas de péché. Or, pendant le sommeil, la raison
ne juge pas librement. Il n’y a en effet personne qui, pendant qu’il dort, ne croit
que ce que son imagination lui présente ne soit réel, comme nous l’avons dit (1a
pars, quest. 84, art. 8). Pour cette raison, ce qu’un homme fait quand il dort
et est privé du jugement de sa raison ne lui est pas imputé à péché, comme le
sont les actions d’un furieux ou d’un insensé. Deuxièmement, la pollution
nocturne peut être considérée en relation avec sa cause. Il peut y en avoir
trois : la première est une cause corporelle ; car quand il y a un excès
d’humeur séminale dans le corps, ou quand l’humeur est désintégrée soit par un excès
de chaleur du corps soit par certaines gênes, celui qui dort rêve de choses qui
sont liées avec la décharge de cette humeur excessive ou désintégrée ; la même
chose se produit quand la nature est encombrée d’autres choses superflues : ainsi,
ce fantasme lié à la décharge de ces superfluités est formé dans l’imagination.
Si cet excès d’humeur est dû à une cause de péché (par exemple, trop manger ou
trop boire), la pollution nocturne a le caractère de péché de sa cause. Tandis
que si l’excès ou la désintégration de ces choses superflues n’est pas dû à une
cause de péché, la pollution nocturne sera non coupable, que ce soit en
elle-même ou en sa cause. — La seconde cause de pollution nocturne vient en
partie de l’âme et de l’homme intérieur ; par exemple à cause d’une pensée
précédant le sommeil. Car la pensée qui a précédé pendant que le dormeur était
éveillé est quelque chose de purement spéculatif, par exemple quand quelqu’un
pense aux péchés de la chair dans une discussion ; parfois elle est accompagnée
d’une certaine émotion de concupiscence ou de terreur. Or, la pollution nocturne
est plus apte à monter quand on pense aux péchés de la chair pour de tels
plaisirs, parce que ceci laisse une trace et une inclination dans l’âme, afin
que celui qui dort soit plus facilement amené dans son imagination à consentir à
des actes produisant la pollution. Et Aristote dit en ce sens (Eth., liv. 1, chap. ult., à med.), que les mouvements de la veille passant peu à peu
dans le sommeil, les rêves des hommes bons sont meilleurs que ceux de n’importe
quelles autres personnes ; et saint Augustin (super Gen. ad litt., liv. 12, cap. 15, ad
fin.) dit, que même pendant le sommeil, l’âme peut avoir des mérites selon sa
bonne disposition. Il est ainsi évident que la pollution nocturne peut être un
péché en fonction de son origine. D’un autre côté, il peut arriver que la
pollution nocturne s’ensuive après des pensées sur des actes charnels, même si
elles étaient spéculatives, ou accompagnées de dégoût, et alors elle n’est pas
un péché, ni en elle-même ni en sa cause. — La troisième cause est spirituelle
et externe, par exemple quand par l’œuvre d’un démon les fantasmes du dormeur
sont dérangés pour induire le résultat dit au-dessus. Parfois elle est associée
avec un ancien péché, savoir la négligence à se protéger contre les illusions
du démon : d’où ces mots de l’office du soir :
Repoussez nos ennemis, de peur
que nos corps soient souillés.
Elle peut aussi apparaître sans
aucune faute de l’homme, et par la malice du seul démon ; ainsi nous lisons
dans les Conférences des Pères (Collât. 22,
chap. 6), qu’un homme avait l’habitude de subir une pollution nocturne tous les
festivals et que le démon le faisait pour l’empêcher de recevoir la sainte communion.
D’où il est manifeste que la pollution nocturne n’est jamais un péché, mais
elle est parfois la résultante d’un ancien péché.
Article 6 :
Le stupre est-il une espèce de la luxure ?
Objection
N°1. Il semble que le stupre ne doive pas être
reconnu comme une espèce de la luxure. Car le stupre dénote une violation
illicite d’une vierge, selon la Décrétale 36, quest. 1 (in appendice Grat., ad
chap. Lex illa). Or, ceci peut se produire entre un homme et une femme libres,
ce qui s’applique à la fornication. Par conséquent, le stupre ne doit pas être considéré
comme une espèce de luxure distincte de la fornication.
Réponse à l’objection N°1 :
Bien qu’une vierge soit libre du lien du mariage, elle ne l’est pas du pouvoir
de son père. De plus, le sceau de virginité est un obstacle au rapport de
fornication, qui ne doit seulement être enlevé par le mariage. D’où le stupre
n’est pas une simple fornication, puisque cette dernière est un rapport avec
des prostituées, des femmes qui ne sont plus vierges, comme l’observe la Glose
(interl.) sur ce passage de l’Ecriture (2 Cor.,
12, 21) : Et n’ont pas fait pénitence
pour l’impureté et la fornication, etc.
Objection N°2. Saint Ambroise (de Patriarch.
(liv. 1, de Abraham, chap. 4)) dit : Qu’aucun homme ne soit trompé par les lois
humaines ; tout stupre est un adultère. Or une espèce n’est pas contenue
sous une autre qui y est opposée. Donc, puisque l’adultère est une espèce de la
luxure, il semble que le stupre ne doit pas être considéré comme l’une d’elles.
Réponse à l’objection N°2 :
Saint Ambroise parle ici du stupre dans un autre sens, en tant qu’il est
applicable à chaque espèce de luxure d’une manière générale. D’où le stupre,
dans ce qu’il a dit, signifie le rapport entre un homme marié et une femme
autre que son épouse ; ce qui est clair quand il ajoute : Il n’est pas
licite pour un mari de faire ce que sa femme ne peut faire. Nous pouvons aussi
comprendre dans ce sens ce passage de l’Ecriture (Nomb., 5, 13) : Si l’adultère est
secret et qu’on ne peut pas fournir de témoin, parce qu’elle n’a pas été
trouvée dans le stupre, etc.
Objection N°3. Faire une injure à
une personne semble plus s’appliquer à l’injustice qu’à la luxure. Or, celui qui
commet le stupre fait une injure à un autre, à savoir le père de la jeune fille
qu’il a violée, qui peut prendre l’injure comme faite à lui-même, et demander
des dédommagements. Par conséquent, le stupre ne doit pas être considéré comme
une espèce de la luxure.
Réponse à l’objection N°3 :
Rien n’empêche un péché d’avoir une plus grande difformité si elle est unie à
un autre péché. Or, le péché de luxure obtient une plus grande difformité du
péché d’injustice, parce que la concupiscence semble être plus déréglée, en
voyant qu’il ne renonce pas à l’objet désirable, afin d’éviter une injustice.
En fait, une double injustice s’y attache. La première est du côté de la vierge
qui, même si elle n’est pas violée, est néanmoins séduite et ceci demande une
compensation. D’où il est écrit (Ex.,
22, 16) : Si un homme séduit une vierge
qui n’est pas encore mariée, et couche avec elle, il doit la doter et la
prendre pour femme. Si le père de la jeune fille ne veut pas la lui donner, il
lui donnera de l’argent d’après la dot que les vierges doivent recevoir.
L’autre injure est faite au père de la jeune fille : et le séducteur est obligé
par la loi à subir une peine. Il est écrit (Deut., 22, 28) : Si un homme
trouve une jeune fille qui est vierge, qui n’est pas mariée, la prend, couche
avec elle et que la matière vienne en jugement, celui qui a couché avec elle
devra donner au père de la jeune fille cinquante sicles d’argent, et devra la
prendre pour femme ; et puisqu’il l’a humiliée, il ne pourra la répudier
tous les jours qu’elle vivra ; et ceci de peur qu’il prouve qu’il ne se
marie avec elle par dérision, comme l’observe saint Augustin (QQ. in Deuteron., quæst. 34).
Mais c’est le contraire. Le
stupre consiste dans un rapport sexuel par le moyen duquel une vierge est déflorée
(Soto, Navarre, Sanchez, Lessius, Henno
et plusieurs autres théologiens demandent que l’on ait ajouté à ce crime la
violence et ils la définissent violenta virginis defloratio. Saint
Bonaventure, saint Antonin, Bannès, Cajétan, Sylvius, Bonacina
sont du sentiment de saint Thomas.). Par conséquent, puisque la luxure a les
rapports sexuels pour objet, il semble que le stupre soit une espèce de la
luxure.
Conclusion Le stupre, qui
consiste à violer une vierge qui vit chez ses parents, est une espèce particulière
de la luxure.
Quand la matière d’un vice a une
difformité spéciale, elle doit être considérée comme une espèce déterminée de
ce vice. Or, la luxure est un péché en rapport avec la matière vénérienne,
comme nous l’avons dit (quest. 153, art. 1 et 4). Une difformité spéciale s’attache
à la violation d’une vierge qui est sous la garde de son père : du côté de la
jeune fille d’abord, qui, en étant violée sans aucun contrat de mariage est à
la fois empêchée de contracter un mariage licite et est mise sur la route d’une
vie de dévergondée, dont elle était tenue éloignée de peur qu’elle ne perde le
sceau de virginité ; et du côté du père, dont on abuse de la sollicitude,
car il a la garde de sa fille, d’après cette parole de l’Ecriture (Ecclésiastique, 42, 2) : Surveille consciencieusement une fille
luxurieuse, de peur qu’elle ne te rende la risée de tes ennemis. Par
conséquent il est évident que le stupre, qui dénote la défloration illicite
d’une vierge alors qu’elle est encore sous la garde de ses parents, est une
espèce particulière de la luxure.
Article 7 :
Le rapt est-il une espèce de luxure distincte du stupre ?
Objection
N°1. Il semble que le rapt ne soit pas une
espèce de luxure distincte du stupre. Car saint Isidore (Etym., liv. 5, chap. 26, ante med.) dit
que le stupre ou le rapt, est un rapport illicite, et prend son nom de la
corruption qu’il cause ; d’où celui qui est coupable de rapt est un
séducteur. Par conséquent, il semble que le rapt ne doit pas être considéré
comme une espèce de la luxure distincte du stupre.
Réponse à l’objection N°1 :
Comme le rapt est fréquemment joint au stupre, l’un de ces mots est souvent
utilisé pour signifier l’autre.
Objection N°2. Le rapt,
apparemment, implique la violence. Car il est dit dans les Décrétales (Decret. 36, quæst. 1 (in append. Grat., ad cap. Lex illa))
que le rapt est commis quand une jeune fille est prise de force de la maison paternelle
pour qu’après avoir été violée elle soit prise pour femme. Mais l’utilisation
de la force est accidentelle à la luxure, car elle regarde essentiellement les
plaisirs des rapports sexuels. Il semble donc le rapt ne doive pas être
considéré comme une espèce particulière de la luxure.
Réponse à l’objection N°2 :
L’emploi de la force semble provenir de l’ardeur de la concupiscence, le
résultat en étant que l’homme ne craint pas de se mettre en danger par
l’utilisation de la violence.
Objection N°3. Le péché de luxure
est réfréné par le mariage, car il est écrit (1 Cor., 7, 2) : A cause de la
fornication, que chaque homme aie une femme. Or, le rapt est un obstacle au
mariage qui suit ; car cela a été promulgué par le concile de Meaulx (habetur, chap. Placuit,
36, quæst. 2) : Nous décrétons que ceux qui sont coupables de rapt, ou
d’enlèvement ou de séduction de femmes, ne doivent pas avoir ces femmes pour
épouses, même si leurs parents avaient donné leur consentement. Par conséquent
le rapt n’est pas une espèce particulière de la luxure distincte du stupre.
Réponse à l’objection N°3 :
Le rapt d’une jeune fille qui a été promise en mariage est à juger différemment
de celui d’une qui ne l’était pas. Car celle qui a été promise en mariage doit
être rendue à son fiancé qui a un droit sur elle en raison de ses fiançailles ;
tandis que celle qui n’était pas promise doit avant tout être rendue à la
puissance de son père ; et ensuite celui qui l’a enlevée peut légitimement
l’épouser avec l’accord de ses parents. Sinon, le mariage est illicite (Nous
parlerons de cet empêchement en traitant du mariage.), puisque que quiconque
vole quelque chose est obligé de la rendre. Néanmoins, le rapt ne dissout pas
un mariage déjà contracté, bien qu’il soit un obstacle au contrat. Comme le
décret du concile cité dans l’objection, il a été fait à cause de l’horreur de
ce crime, et a été abrogé. D’où saint Jérôme (habetur, chap. Tria. 36, quæst.
2) dit : Trois sortes de mariage, dit-il, sont mentionnés dans la sainte
Ecriture. Le premier est celui d’une jeune fille chaste et vierge donnée
légalement à un homme. Le second est quand un homme trouve une jeune fille dans
la ville, et a par force commerce charnelle avec elle. Si le père le veut,
l’homme peut la doter d’après l’estimation du père, et il paiera le prix de la
pureté (voir Deut., 22, 23-29). Le troisième est quand la
jeune fille est enlevée d’un homme et donnée à une autre choisi par son père.
Nous pouvons aussi prendre ce décret pour nous référer à celles qui sont
promises à d’autres dans le mariage, en particulier si les fiançailles ont été exprimées
par des mots dans le présent.
Objection N°4. Un homme peut s’unir
avec sa femme nouvellement mariée sans commettre de péché de luxure. On peut
cependant commettre un rapt si on la prend de force de la maison paternelle, et
si l’on a commerce charnel avec elle. Le rapt n’est donc pas une espèce
particulière de la luxure.
Réponse à l’objection N°4 :
L’homme qui vient tout juste de se marier a, en vertu des fiançailles, un
certain droit sur elle ; d’où bien qu’il pèche en utilisant la violence,
il n’est pas coupable du crime de rapt. C’est pourquoi le pape Gélase dit (habetur, chap.
Lex. 36, quæst. 1) : D’après la loi des anciens dirigeants, le rapt était
commis quand une jeune fille, en ce qui concerne ceux dont le mariage n’a
encore rien de décidé, a été enlevée de force.
Mais c’est le contraire. Le rapt
est un rapport sexuel illicite, comme le dit saint Isidore (Etym., liv., 5, chap. 26, ante med). Or ceci s’applique au péché de luxure. Donc le rapt
est une espèce de la luxure.
Conclusion Le rapt est une espèce
de la luxure qui est tantôt unie au stupre et tantôt séparée.
Le rapt, dans le sens où nous en parlons,
est une espèce de la luxure, et il est parfois joint avec le stupre ;
parfois il y a rapt sans stupre, et parfois stupre sans rapt. Ils sont joints
quand un homme emploie la force afin de déflorer une vierge illicitement. Cette
force est parfois utilisée envers la vierge et son père ; et parfois
envers le père et non la vierge, par exemple si elle s’autorise à être prise de
force de la maison paternelle. La force utilisée dans le rapt peut différer
d’une autre manière, parce que parfois une jeune fille est prise de force de la
maison paternelle, et est violée par la force ; tandis que parfois, même si
elle a été enlevée de force, elle n’est pas violée par la force, mais d’après
son propre consentement, soit par l’acte de fornication soit par l’acte du
mariage ; car les conditions du rapt demeurent peu importe l’emploi de la
force ou non. Il y a rapt sans stupre si un homme enlève une veuve ou une femme
qui n’est pas vierge. C’est pourquoi le pape Symmache
dit (Epist. 5 ad Cæsarium,
chap. 4, tom. 4 Concil. (habetur, chap. Raptores. 36, quest.
2) : Nous abhorrons ceux qui enlèvent les veuves ou les vierges à cause de l’atrocité
de leur crime. Il y a stupre sans rapt quand un homme, sans utiliser la force,
déflore une vierge illicitement (On peut, d’après saint Thomas, définir le rapt
: Vit illata cuicumque personæ ; aut ejus parentibus causâ expiendæ libidinis.).
Article 8 :
L’adultère est-il une espèce particulière de la luxure, distincte des
autres ?
Objection
N°1. Il semble que l’adultère ne soit pas une
espèce particulière de la luxure, distincte des autres espèces. Car l’adultère
prend son nom d’un homme qui a un rapport sexuel avec une femme qui n’est pas
la sienne (ad alteram), d’après une Glose (Augustini, Serm. 51, 13, de Divers. 63) sur Exode, 10, 14. Or, cette autre femme
peut être de diverses conditions, à savoir vierge, ou sous la garde de son
père, ou prostituée ou d’une autre condition. Il semble donc que l’adultère ne
soit pas une espèce de luxure distincte des autres.
Réponse à l’objection N°1 :
Si un homme marié a un rapport sexuel avec une autre femme, son péché peut être
dénommé soit par rapport à lui, et ainsi c’est toujours un adultère, puisque
son action est contraire à la fidélité du mariage ; soit par rapport à la
femme avec qui il a eu un rapport sexuel. Ainsi c’est parfois un adultère,
comme quand un homme marié a un rapport sexuel avec la femme d’un autre ;
parfois il y a le caractère du stupre, ou d’un autre péché, en fonction des
diverses conditions affectant la femme avec qui il a eu un rapport sexuel.
Comme nous l’avons dit (art. 1), les espèces de luxure correspondent à diverses
conditions de femmes.
Objection N°2. Saint Jérôme dit (cont. Jovin., liv.
1) : Il importe peu de savoir pour quelle raison un homme se comporte comme un fou ;
d’où Xyste le Pythagoricien dit dans ses Sentences : Celui qui est
insatiable de sa femme est un adultère et de la même manière tous ceux qui sont
trop amoureux d’une femme. Or, chaque espèce de luxure inclut un amour trop
ardent. L’adultère est donc dans chaque espèce de luxure et par conséquent elle
ne doit pas être considérée comme une espèce de luxure.
Réponse à l’objection N°2 :
Le mariage est spécialement ordonné pour le bien de l’enfant humain, comment
nous l’avons dit (art. 2). Mais l’adultère est particulièrement opposé au
mariage, au point de briser la confiance qui est due entre le mari et sa femme.
Et quoique que l’homme qui est aime trop sa femme agit contre le bien du
mariage s’il l’utilise indécemment, bien qu’il ne soit pas infidèle, il peut
être appelé adultère, et plus encore s’il aime trop une autre femme.
Objection N°3. Là où il y a le
même genre de difformité, il semble y avoir aussi la même espèce de péché. Or,
apparemment, il y a le même genre de difformité dans le rapt et dans l’adultère
; puisque dans chaque cas une femme est violée tout en étant sous l’autorité
d’un autre. Par conséquent, l’adultère n’est pas une espèce déterminée de la
luxure, distincte des autres.
Réponse
à l’objection N°3 : La femme qui est sous l’autorité de son mari lui est
unie dans le mariage ; tandis que la jeune fille est sous l’autorité de
son père, pour être marié par cette même
autorité. Pour cette raison, le péché d’adultère est contraire au bien du
mariage d’une façon, et le péché de stupre d’une autre ; ils sont donc
considérés comme des espèces de luxure différentes. Nous parlerons de la
matière de l’adultère dans la troisième partie (incomplète ; voy. 4, dist. 41), où nous traiterons du mariage.
Mais c’est le contraire. Le pape
saint Léon (id habetur Aug.,
de Bono conj., chap. 4, voy. append. Grat., ad chap. Illæ
autem, 32, quest. 5) dit que l’adultère est un
rapport sexuel avec un autre homme ou une autre femme en violation du contrat
de mariage, que ce soit à l’instigation de sa propre passion ou avec le
consentement de l’autre partie. Or, ceci implique une difformité spéciale de la
luxure. L’adultère est donc une espèce particulière de luxure.
Conclusion L’adultère est une
espèce particulière de la luxure, par laquelle un homme s’unit à la femme d’un
autre, ou la femme au mari d’une autre.
L’adultère, comme son nom
l’indique, est accéder au lit d’autrui. En le faisant, un homme est coupable
d’une double offense envers la chasteté et le bien de la génération humaine. Premièrement,
en s’unissant à une femme qui n’est pas sienne par le mariage, ce qui est
contraire au bien de l’éducation de ses propres enfants ; deuxièmement en s’unissant
à une femme qui appartient à un autre par le mariage, et de la sorte il empêche
le bien des enfants d’un autre. La même chose s’applique à une femme mariée qui
est corrompue par l’adultère. D’où il est écrit (Ecclésiastique, 23, 32) : Toute
femme… qui quitte son mari… sera coupable de péché. D’abord parce qu’elle a
été infidèle à la loi la plus sainte (puisqu’il est commandé : Tu ne commettras pas d’adultère.), ensuite
elle a offensé son mari en rendant incertain d’être le père de ses enfants ; troisièmement,
elle a forniqué en adultère et a eu des enfants d’un autre mari, ce qui est le
contraire du bien de l’enfant. La première de ces raisons, cependant, est
commune à tous les péchés mortels, tandis que les deux autres appartiennent
spécialement à la difformité de l’adultère. D’où il est manifeste que
l’adultère est une espèce particulière de luxure, ayant une difformité spéciale
dans les actes vénériens.
Article 9 :
L’inceste est-il une espèce particulière de luxure ?
Objection
N°1. Il semble que l’inceste ne soit pas une
espèce particulière de luxure. Car l’inceste prend son nom de la perte de la
chasteté. Or, chaque espèce de la luxure est opposée à la chasteté. Par
conséquent il semble que l’inceste ne soit pas une espèce de la luxure, mais la
luxure elle-même prise en général.
Réponse à l’objection N°1 :
Un rapport sexuel illicite entre parents serait le plus préjudiciable à la
chasteté, à la fois à cause des opportunités qu’elle permet, et à cause de
l’ardeur de l’amour, comme nous l’avons dit (dans le corps de cet article.).
Pour cette raison, un rapport sexuel illicite entre de telles personnes est
appelé inceste par antonomase.
Objection N°2. Il est dit dans
les Décrétales (36, quest. 1 (in append. Grat. ad cap. Lex illa)), que l’inceste est un rapport sexuel entre un homme
et une femme qui lui est lié par consanguinité ou affinité. Or l’affinité
diffère de la consanguinité. L’inceste ne constitue donc pas une mais deux
espèces de luxure.
Réponse à l’objection N°2 :
Des personnes sont liées par affinité à quelqu’un qui est lié par consanguinité
: et par conséquent puisque que l’une dépend de l’autre, la consanguinité et
l’affinité entraîne le même genre d’inconvenance.
Objection N°3. Ce qui, de
soi-même, n’implique pas une difformité, ne constitue pas une espèce
particulière d’un vice. Or, les rapports sexuels entre ceux qui sont liés par
consanguinité ou par affinité ne contient pas de difformité en soi, sinon ce ne
serait jamais licite. Par conséquent, l’inceste n’est pas une espèce
particulière de luxure.
Réponse à l’objection N°3 :
Il y a quelque chose d’essentiellement inconvenant et de contraire à la raison
naturelle dans un rapport sexuel entre personnes consanguines, par exemple
entre les parents et les enfants qui sont directement et immédiatement liés
l’un à l’autre, puisque les enfants doivent naturellement du respect à leurs
parents. D’où Aristote donne l’exemple d’un cheval (De anim., liv. 9, chap. 17) ayant fait
une action de ce genre à sa mère par erreur, s’est jeté dans un précipice,
étant horrifié de ce qu’il avait fait, parce que les animaux ont eux-mêmes ont
un respect naturel pour ceux qui les ont engendrés. Il n’y a pas la même inconvenance
essentielle attachée à d’autres personnes qui sont liées à une autre
indirectement pas leurs parents ; et à ceci, la convenance ou l’inconvenance
varie selon la tradition et les lois humaines ou divines, parce que, comme nous
l’avons dit (art. 2), le rapport sexuel, étant dirigé vers le bien commun est
sujet à la loi. Pour cette raison, saint Augustin dit (de Civitate Dei, liv. 15, chap. 16), que
tandis que l’union des frères et sœurs renvoie aux anciens temps, il est devenu
bien plus digne de condamnation depuis que la religion l’a interdit.
Mais c’est le contraire. Les
espèces de luxure sont distinguées selon les diverses condition des femmes avec
qui l’homme a un rapport sexuel illicite. Or, l’inceste implique une condition
spéciale de la part de la femme, parce que c’est un rapport sexuel illicite
avec une femme liée à nous par consanguinité ou affinité, comme nous l’avons
dit (Objection N°2, et art. 1). L’inceste est donc une espèce particulière de
luxure.
Conclusion L’inceste, qu’il soit consanguin
ou par affinité, est une espèce particulière de luxure, distincte des autres.
Comme nous l’avons dit (art. 1 et
6), où que nous trouvons quelque chose d’incompatible avec la bonne utilisation
des actes vénériens, il doit y avoir une espèce particulière de luxure. Or les
rapports sexuels avec des femmes liées à nous par consanguinité ou affinité ne
convient pas à l’union vénérienne, et ceci pour trois raisons. D’abord, parce
que l’homme doit naturellement un certain respect à ses parents et par conséquent
aux autres personnes de même sang, qui sont nés des mêmes parents, à tel point
que parmi les anciens, comme le dit Valère Maxime (liv. 2, chap. 1, n. 7), il
n’était pas convenable à un fils de se baigner avec son père, de crainte qu’ils
ne se voient nus. Or, comme nous l’avons dit (quest. 142, art. 4, et quest. 151,
art. 4), il est évident que dans les actes vénériens il y a une certaine honte
incompatible avec le respect, et pour cette raison, les hommes ont honte d’eux.
D’où il est peu convenable que de telles personnes soient unies dans un rapport
sexuel. Cette raison semble indiquée (Lév., 18, 7), où
nous lisons : C’est ta mère, tu ne
révéleras pas sa nudité. Et la même chose est exprimée plus loin en ce qui
concerne les autres proches. La seconde raison est parce que ceux qui sont liés
par le sang ont besoin de vivre les uns avec les autres. Pour cette raison,
s’ils ne sont pas interdits d’union vénérienne, les opportunités de plaisir
sexuel seraient très fréquentes et ainsi les pensées des hommes seraient affaiblies
par la luxure. Ainsi, dans l’ancienne Loi (Lév., chap. 18), l’interdiction était apparemment dirigée en
particulier à ces personnes qui étaient obligées de vivre ensemble. La
troisième raison est que ceci empêcherait un homme d’avoir beaucoup d’amis. Puisque
quand un homme prend une étrangère pour femme, toutes les relations de sa femme
lui sont unies par une espèce spéciale d’amitié, comme s’ils étaient de la même
famille. D’où saint Augustin dit (de Civitate Dei, liv. 15, chap. 16) : Les demandes de la
charité sont plus parfaitement satisfaites par les hommes qui s’unissent
ensemble dans des liens que l’amitié requiert, afin qu’ils puissent vivre
ensemble dans une amitié utile et convenable ; un homme ne doit pas avoir
beaucoup de relations en une, mais chacun doit en voir une. Aristote ajoute une
autre raison (Pol., liv. 2, chap. 2),
car puisqu’il est naturel pour un homme d’aimer une femme de sa parenté, si l’on
y ajoutait l’amour qui a ses origines dans les rapports sexuels, cet amour
serait trop ardent et deviendrait une grande incitation à la luxure ; ce
qui est le contraire de la chasteté. Il est donc évident que l’inceste est une
espèce particulière de luxure.
Article 10 :
Le sacrilège peut-il être une espèce de la luxure ?
Objection
N°1. Il semble que le sacrilège n’est pas une
espèce de la luxure. Car la même espèce n’est pas contenue sous différents
genres qui ne sont pas subordonnés à un autre. Or, le sacrilège est une espèce
d’irréligion, comme nous l’avons dit (quest. 99, art. 1). Par conséquent, le
sacrilège ne peut pas être considéré comme une espèce de luxure.
Réponse à l’objection N°1 :
La luxure, en étant dirigée vers un autre vice comme sa fin, devient une espèce
de celui-ci. Et ainsi une espèce de luxure peut aussi être une espèce
d’irréligion, en tant que supérieure en malice.
Objection N°2. Les Décrétales (36,
quest. 1
(in appendice Grat. ad cap. Lex illa)), ne placent pas le
sacrilège parmi d’autres péchés qui sont considérés comme des espèces de la luxure.
Il semble donc qu’il ne soit pas une espèce de luxure.
Réponse à l’objection N°2 :
L’énumération qui a été faite inclut ces péchés qui sont des espèces de luxure
de par leur nature propre. Le sacrilège est une espèce de luxure selon qu’elle
est dirigée vers un autre vice comme sa fin, et peut coïncider avec diverses
espèces de luxure. Car un rapport sexuel illicite entre des personnes unies
mutuellement par une relation spirituelle, est un sacrilège à la manière de
l’inceste. Un rapport sexuel avec une vierge consacrée à Dieu, en tant qu’elle
est épouse du Christ est un sacrilège qui ressemble à l’adultère. Si la jeune
fille est sous l’autorité de son père, ce sera du stupre spirituel ; et si
on emploie la force, ce sera un rapt spirituel ; lequel genre de rapt la loi
civile punit plus sévèrement que les autres. Ainsi l’empereur Justinien dit
(liv. Si quis, chap. de Episcop. et Cleric.) : Si un
homme ose, je ne dirai pas violer, mais tenter une vierge consacrée afin de
l’épouser, il sera puni de la peine capitale.
Objection
N°3. On peut faire quelque chose de
désobligeant envers une chose sacrée par divers genres de vices, comme la
luxure. Or le sacrilège n’est pas considéré comme une espèce de gourmandise ou
d’un autre vice similaire. Par conséquent, il ne devrait pas être considéré
comme une espèce de luxure.
Réponse à l’objection N°3 :
Le sacrilège se commet contre une chose consacrée. Or, une chose consacrée peut
être une personne consacrée, qu’on désire pour des rapports sexuels, et ainsi
c’est le genre de la luxure, ou quelque chose qu’on désire posséder, et dans ce
cas c’est une injustice. Le sacrilège peut aussi venir de la colère, par
exemple, si par celle-ci on fait injure à une personne consacrée. On peut aussi
commettre un sacrilège par gourmandise en prenant de la nourriture sacrée.
Cependant, le sacrilège est plus particulièrement imputé à la luxure, qui est
opposée à la chasteté, dont l’observance est nécessaire pour les personnes
consacrées.
Mais c’est le contraire. Saint Augustin
dit (de Civ. Dei, liv. 15, chap. 16) que
s’il est mauvais, à cause de la convoitise, de transgresser les bornes des biens
terrestres de quelqu’un, combien plus le sera-ce de dépasser celles de la morale
à cause de la luxure ! Or c’est un sacrilège que de franchir les limites
des biens religieux. Il semble donc qu’il en va de même de ce péché qui dépasse
les bornes de la morale par le désir des plaisirs vénériens dans ce qui est
sacré. Or, ce désir appartient à la luxure. Le sacrilège est donc une espèce de
la luxure.
Conclusion Le sacrilège qui
consiste à violer une femme consacrée à Dieu, est une espèce particulière de
luxure, différente des autres.
Comme nous l’avons dit (quest. 119,
art. 1, et art. 2, Réponse N°2, et 1a 2æ, quest. 18, art.
7), l’acte d’une vertu ou d’un vice qui est dirigée vers la fin d’une autre
vertu ou d’un autre vice suppose l’espèce de ces derniers ; ainsi, le vol
commis dans un but d’adultère, devient une espèce de l’adultère. Or, il est
évident que saint Augustin dit (de
Virgin., chap. 8) que l’observation de la chasteté, en étant dirigée par
l’adoration de Dieu, devient un acte de religion dans le cas de ceux qui font
vœu de chasteté et la gardent. D’où il est manifeste que la luxure aussi, en
violant quelque chose qui appartient au culte de Dieu (On distingue trois
sortes de sacrilège charnel, suivant que le péché que l’on commet se rapporte
aux personnes, au lieu ou aux choses saintes.), devient une espèce du sacrilège,
et de cette manière, le sacrilège peut être mis dans les espèces de la luxure.
Article 11 :
Le vice contre nature est-il une espèce de la luxure ?
Objection
N°1. Il semble que le vice contre nature n’est
pas une espèce de la luxure, car on ne trouve aucune mention de ce vice dans
les espèces de la luxure donné dans cette question (art. 1). Par conséquent, il
n’est pas une espèce de la luxure.
Réponse à l’objection N°1 :
Nous avons énuméré les espèces de la luxure qui ne sont pas contraires à la
nature humaine ; pour cette raison le vice contre nature a été omis.
Objection N°2. La luxure s’oppose
à la vertu : elle est ainsi comprise sous le nom de malice. Mais le vice
contre nature n’est compris sous aucune malice, mais sous la bestialité,
d’après Aristote (Eth., liv. 7, chap. 5.) Le vice contre
nature n’est donc pas une espèce de la luxure.
Réponse à l’objection N°2 :
La bestialité diffère, car cette dernière est opposée à la vertu humaine par un
certain excès dans la même matière que la vertu, et par conséquent, peut être
réduite au même genre.
Objection N°3. La luxure consiste
dans des actes dirigés vers la génération humaine, comme nous l’avons dit (quest.
préc., art. 1). Tandis que le vice contre nature consiste
dans des actes qui ne peuvent pas engendrer d’enfants. Par conséquent, le vice
contre nature n’est pas une espèce de la luxure.
Réponse à l’objection N°3 :
L’homme luxurieux ne cherche pas la génération humaine mais le seul plaisir
vénérien, qu’il est possible d’obtenir sans entraîner de génération humaine. Et
c’est ce qu’on recherche dans le vice contre nature.
Mais c’est le contraire. Il est
reconnu avec les autres espèces de luxure dans ce passage de saint Paul (2 Cor., 12, 21), où nous lisons : Et n’ont pas fait pénitence pour le vice
immonde, et la fornication, et l’impudicité, où une Glose dit (int.) : le vice immonde, c’est-à-dire la
luxure contre nature.
Conclusion Le vice contre nature
(qui a une difformité spéciale et rend l’acte inconvenant) est une espèce
particulière de luxure.
Comme nous l’avons dit (art. 6 et
9), là où apparaît une espèce spéciale de difformité, par lequel l’acte
vénérien devient inconvenant, il y a une espèce particulière de luxure. Ceci
peut se produire de deux façons : 1° en étant le contraire de la droite
raison, et ceci est commun à tous les vices luxurieux ; 2° parce que, en
addition, ce vice est contraire à l’ordre naturel de l’acte vénérien convenable
à la race humaine, et celui-ci est appelé vice contre nature. Ceci peut arriver
de plusieurs façons (Ces divers modes produisent autant d’espèces de péché.) : 1°
en procurant une pollution, sans aucun rapport sexuel, pour le seul plaisir
vénérien, ce qui appartient au péché d’impureté, que certains appellent mollesse
; 2° en ayant des rapports sexuels avec un animal, ce qu’on appelle la
bestialité. 3° En les ayant avec un sexe qui ne convient pas, homme avec homme
ou femme avec femme, comme le dit l’Apôtre (Rom.,
1, 27) et ceci est appelé le vice de sodomie. 4° En n’employant pas les moyens
qui conviennent comme il le faut, ce qui constitue la monstruosité.
Article 12 : Le
vice contre nature est-il le plus grand péché parmi les espèces de luxure
?
Objection
N°1. Il semble que le vice contre nature n’est
pas le plus grand péché parmi les espèces de luxure. Car plus un péché est
contraire à contraire et plus il est grave. Or, l’adultère, le rapt et le
stupre qui font injure à notre prochain sont apparemment plus contraires à
l’amour de celui-ci que les péchés contre nature où on ne fait injure à
personne. Par conséquent, le péché contre nature n’est pas le plus grand péché
parmi les espèces de la luxure.
Réponse à l’objection N°1 :
Comme l’ordre de la droite raison procède de l’homme, de même l’ordre de la
nature vient de Dieu lui-même. Pour cette raison, dans les péchés contraires à
la nature, au moyen duquel l’ordre même de la nature est violé, une injure est
faite à Dieu qui a ordonné la nature. Ainsi, saint Augustin dit (Conf., liv. 3, chap. 8) : Ces stupides
offenses qui sont contre la nature devraient être détestées et punies n’importe
où et de tout temps, comme l’ont été les habitants de Sodome, que, si toutes
les nations l’avaient commis, elles auraient été toutes coupables du même
crime, par la loi de Dieu qui n’a pas fait les hommes pour qu’ils abusent
d’eux-mêmes. Car même ce rapport qu’il y a entre Dieu et nous est violé, quand
la même nature dont il est l’auteur, est polluée par la perversité de la
luxure.
Objection N°2. Les péchés commis
contre Dieu semblent être les plus graves. Or, le sacrilège est commis
directement contre Dieu, puisque c’est une injure faite au culte divin. Le
sacrilège est donc un péché plus grave que le vice contre nature.
Réponse à l’objection N°2 :
Les vices contre nature sont aussi contre Dieu, comme nous l’avons dit (Réponse
N°1), et sont même encore plus graves que la corruption du sacrilège, comme
l’ordre imprimé sur la nature humaine est antérieur et plus ferme que tout ce
qui y a été établi par la suite.
Objection
N°3. Apparemment, un péché est plus grave
quand nous devons un plus grand amour à la personne contre qui le péché est
commis. Or, l’ordre de la charité requiert qu’un homme aime plus les personnes
qui lui sont unies, et c’est précisément le cas de ceux qu’il souille par
l’inceste, que des étrangers, ce qui arrive parfois dans le vice contre nature.
Par conséquent, l’inceste est un péché plus grave que le vice contre nature.
Réponse à l’objection N°3 :
La nature de l’espèce est plus intimement unie à chaque individu que ne l’est
n’importe quel individu. Pour cette raison, les péchés contre l’espèce de la
nature humaine sont les plus graves.
Objection N°4. Si le vice contre
nature est le plus grave, plus il est à l’encontre de la nature, plus il semble
grave. Or, le vice immonde ou mollesse semble être plus contraire à la nature,
puisqu’il semble particulièrement en accord avec celle-ci que celui qui agit et
celui qui subit soient distincts l’un de l’autre. Il semble que donc que le
vice immonde soit le plus grave des péchés contre nature. Or ceci est faux. Par
conséquent, le vice contre nature n’est pas le plus grave parmi les péchés de luxure.
Réponse à l’objection N°4 :
La gravité d’un péché dépend plus de l’abus d’une chose que de l’omission de
son utilisation convenable. Pour cette raison, parmi les péchés contre nature,
les moindres sont ceux du vice immonde, qui consistent dans la simple omission
de rapport sexuel avec un autre. Les plus graves sont les péchés de bestialité,
parce que les espèces ne sont pas observées. Ainsi, une Glose sur Gen., 37, 2, dit : Il a accusé ses frères
du péché le plus grave, disant qu’ils ont eu des rapports sexuels avec du
bétail. Après celui-ci vient le péché de sodomie, parce que l’utilisation du
bon sexe n’est pas observée. Vient enfin le péché qui n’observe pas la bonne
manière d’avoir des rapports sexuels, ce qui est plus grave si l’abus concerne
le vase plus qu’il n’affecte la manière de s’unir en respectant les autres
circonstances.
Mais c’est le contraire. Saint
Augustin dit (de adult.
Conjugiis (habetur in
lib. de Bono conjug., chap. 9 et 41, et habetur cap. Adulterii, 32, quest.
7) que de tous ceux-ci, à savoir les péchés appartenant à la luxure, le pire
est celui contre nature.
Conclusion Le vice contre nature
est le péché le plus grave et le plus honteux des espèces de la luxure ;
car l’homme y transgresse les lois de la nature par l’utilisation qu’il fait
des actes vénériens.
Dans chaque genre, le pire est la corruption du principe
duquel dépend le reste. Or, les principes de la raison sont ces choses qui
correspondent à la nature ; car la raison présuppose des choses en tant
que déterminées par la nature, avant de disposer comme il convient des autres
choses. Ceci peut être observé à la fois dans des matières spéculatives et
pratiques. D’où, dans les matières spéculatives, l’erreur la plus grave et la
plus honteuse concerne la connaissance de ce qui est naturellement accordé à l’homme,
ainsi, l’action la plus grave et la plus honteuse consiste à agir contre ce qui
a été déterminé par la nature. Par conséquent, puisque par les vices contre
nature l’homme transgresse ce qui a été déterminé par la nature en ce qui
concerne l’utilisation des actes vénériens, il s’ensuit que dans cette matière
ce péché est le plus grave de tous. Après vient l’inceste, qui, comme nous
l’avons dit (art. 9), est contraire au respect naturel que nous devons aux
personnes qui nous sont proches. En ce qui concerne les autres espèces de
luxure elles impliquent une transgression seulement en ce qui est déterminé par
la droite raison, sur la présupposition, toutefois, de principes naturels. Or, il
est plus contraire à la raison d’utiliser l’acte vénérien non seulement pour
faire préjudice au futur enfant, mais aussi pour faire injure à une autre
personne. Pour cette raison, la fornication simple, qui est commise sans
injustice envers une autre personne, est l’espèce de luxure la moins grave. Ainsi,
c’est une plus grande injustice d’avoir un rapport sexuel avec une femme qui
est sujette à l’autorité d’un autre en ce qui concerne l’acte de génération,
plutôt qu’en ce qui constitue sa tutelle. D’où l’adultère est plus grave que le
stupre ; et ces deux espèces sont aggravées par l’utilisation de la
violence. Ainsi, le rapt d’une vierge est grave que le stupre, et le rapt d’une
femme mariée que l’adultère. Et tous ceux-ci sont aggravés en étant unis avec
le sacrilège, comme nous l’avons dit (art. 10, Réponse N°2).
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
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