Saint Thomas d ’Aquin - Somme Théologique
2a 2ae = Secunda Secundae
= 2ème partie de la 2ème Partie
Question 164 : Des peines du péché du premier homme
Nous avons maintenant à examiner les peines du péché du premier
homme. — A ce sujet il y a deux questions à traiter. — Nous parlerons : 1° de
la mort qui est la peine générale (Pelage a soutenu que la mort était l’effet
de la condition primitive de l’homme, et que nos premiers parents seraient
morts, quand même ils n’auraient pas péché. Mais le sentiment traire est de foi
(Voy. 1a 2æ, quest. 85, art.
4).) ; 2° des autres peines particulières qui sont exprimées dans la Genèse.
(Selon son habitude, saint Thomas tient à justifier jusqu’aux moindres
expressions de l’Ecriture, s’appuyant sur ces paroles (Prov., 8, 8) : Tous mes
discours sont justes.)
Article 1 :
La mort est-elle la peine du péché de nos premiers parents ?
Objection N°1. Il semble que la
mort ne soit pas la peine du péché de nos premiers parents. Car ce qui est
naturel à l’homme ne peut être appelé la peine du péché, parce que le péché ne
perfectionne pas la nature, mais il la corrompt. Or, la mort est naturelle à l’homme
; ce qui est évident, puisque son corps se compose d’éléments
contraires et que le mot mortel entre dans sa définition. La mort n’est
donc pas la peine du péché de nos premiers parents.
Réponse à l’objection N°1 : On appelle naturel ce qui est
produit par les principes de la nature. Or, les principes de la nature sont par
eux-mêmes la forme et la matière. La forme de l’homme est l’âme raisonnable,
qui est par elle-même immortelle. C’est pourquoi la mort n’est pas naturelle à
l’homme du côté de sa forme. Sa matière est au contraire un corps composé
d’éléments opposés, d’où résulte nécessairement la corruptibilité. Sous ce
rapport la mort est naturelle à l’homme. Cette condition de la nature du corps
humain est une conséquence nécessaire de sa matière ; car il fallait que le
corps humain fût l’organe du tact, et que par conséquent il tint le milieu
entre les choses tangibles, ce qui ne pouvait avoir lieu qu’à la condition
d’être composé d’éléments contraires, comme on le voit dans Aristote (De an., liv. 2, text.
3). Mais cette condition ne résulte pas de ce que la matière est adaptée à la
forme. Car si on le pouvait, puisque la forme est incorruptible, il faudrait
plutôt que la matière fût incorruptible aussi. C’est ainsi qu’il convient à la
forme et à l’action d’une scie, qu’elle soit de fer ou que sa dureté la rende
apte à couper ; mais qu’elle soit susceptible de prendre la rouille, ceci
provient nécessairement de la nature de sa matière, et n’est pas le fait de la
volonté libre de l’ouvrier qui la fabrique. Car si l’artisan le pouvait, il
ferait une scie de fer qui ne pût jamais contracter la rouille. Mais Dieu, qui
est le créateur de l’homme, étant tout-puissant, il a, par un effet de sa
bonté, exempté l’homme primitif de la nécessité de la mort qui découle de sa
matière ; puis il lui a retiré ce bienfait par suite du péché de nos premiers
parents. Par conséquent, la mort est naturelle à cause de la condition de la
matière, et elle est pénale parce que l’homme a perdu le bienfait de Dieu, qui
le préservait de ce malheur (Le concile de Trente est très formel à cet égard
(sess. 5, De peccato orig.) :
Si quis non confitetur,
primum hominem Adam incurisse per offensam
prævaricationis indignationem Dei, atque ideò mortem, totumque
Adam per illam prævaricationis offensam
secundum corpus et animam in deterius commutatum fuisse, anathema sit.).
Objection N°2. La mort et les autres défauts corporels se trouvent
dans l’homme aussi bien que dans les autres animaux, d’après ces paroles de l’Ecriture
(Ecclésiaste, 3, 19) : L’homme meurt et la bête aussi, leur
condition est égale. Or, pour les animaux, la mort n’est pas la peine du
péché. Elle ne l’est donc pas non plus pour les hommes.
Réponse à l’objection N°2 : Cette ressemblance de l’homme
avec les animaux se considère quant à la condition de la matière, c’est-à-dire
quant au corps composé d’éléments contraires, mais non quant à la forme. Car
l’âme de l’homme est immortelle, au lieu que celles des animaux périssent.
Objection N°3. Le péché de nos premiers parents a été le péché de
deux personnes spéciales. Or, la mort est une suite de toute la nature humaine.
Il semble donc qu’elle ne soit pas la peine du péché de nos premiers parents.
Réponse à l’objection N°3 : Nos premiers parents ont été
établis par Dieu, non seulement comme des personnes particulières, mais comme
les principes de toute la nature humaine, qu’ils devaient transmettre à leurs
descendants simultanément avec le bienfait divin qui les préservait de la mort.
C’est pourquoi, par leur péché, toute la nature humaine a été privée de ce
bienfait dans leur postérité, et a été soumise à la mort.
Objection N°4. Tous les hommes viennent également de nos premiers
pères. Si donc la mort était une peine de leur péché, il s’ensuivrait que tous
les hommes la subiraient également ; ce qui est évidemment faux, parce que les uns
meurent plutôt que d’autres et ont une fin plus pénible. La mort n’est donc pas
la peine du premier péché.
Réponse à l’objection N°4 : Un défaut résulte du péché de
deux manières : 1° comme une peine déterminée par le juge. Ce défaut doit être
égal dans ceux qui sont également coupables. 2° Il y a un autre défaut qui est,
par accident, la conséquence de cette peine ; comme si, par exemple, un
individu auquel on a fait perdre la vue pour un crime vient à tomber dans un
chemin. Ce défaut n’est pas proportionné à la faute, et il n’est pas apprécié
par le jugement de l’homme, qui ne peut pas connaître à l’avance les événements
fortuits. Par conséquent, la peine déterminée pour le premier péché et qui lui
correspond proportionnellement, c’est le retrait du bienfait divin qui
conservait la droiture et l’intégrité de la nature humaine. Les défauts qui
résultent de la soustraction de ce bienfait sont la mort et les autres
afflictions de la vie présente. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire que ces
peines soient égales dans ceux auxquels le premier péché appartient également.
Mais parce que Dieu prévoit tous les événements futurs, d’après la disposition
de sa prescience et de sa providence divine, ces afflictions sont diverses dans
les divers individus, non à cause de leurs mérites ou de leurs démérites
antérieurs à cette vie, comme l’a supposé Origène (Periar., liv. 2, chap. 9), ce qui est contraire à ces paroles de saint
Paul (Rom., 9, 11) : lorsqu’ils n’avaient encore fait ni bien ni
mal, et ce qui est aussi opposé à ce que nous avons démontré (1a
pars, quest. 47, art. 2, et quest. 75, art. 7, et quest. 90, art. 4), en
établissant que l’âme n’a pas été créée avant le corps ; mais soit en punition
des péchés des parents, dans le sens que le fils étant la chose du père, il
arrive souvent que les parents sont punis dans leurs enfants ; soit aussi dans
l’intérêt du salut de celui qui est soumis à ces épreuves, afin que par là il
soit détourné du péché ou qu’il ne s’enorgueillisse pas de ses vertus et qu’il
les couronne par la patience.
Objection N°5. Le mal de la peine vient de Dieu, comme nous l’avons
vu (1a pars, quest. 49, art. 2). Or, la mort ne paraît pas en venir,
puisqu’il est dit (Sag., 1, 13) que Dieu n’a pas fait la mort. La mort n’est donc pas la peine du premier
péché.
Réponse à l’objection N°5 : On peut considérer la mort de
deux manières : 1° selon qu’elle est un mal de la nature humaine. En ce sens
elle ne vient pas de Dieu, mais elle est un défaut qui résulte du péché de
l’homme. 2° On peut l’envisager selon ce qu’elle a de bon, c’est-à-dire selon
qu’elle est une juste peine ; de cette façon elle vient de Dieu. C’est ce qui
fait dire à saint Augustin (Retract., liv. 1,
chap. 21) que Dieu n’est auteur de la mort qu’en tant qu’elle est une peine.
Objection N°6. Les peines ne paraissent pas être méritoires ; car
le mérite est compris sous le bien et la peine sous le mal. Or, la mort est
quelquefois méritoire, comme on le voit à l’égard de la mort des martyrs. Il
semble donc que la mort ne soit pas une peine.
Réponse à l’objection N°6 : D’après la pensée de saint
Augustin (De civ. Dei, liv. 13, chap.
5), comme les méchants font un mauvais usage non seulement des maux, mais
encore des biens ; de même les justes font un bon usage non seulement des
biens, mais encore des maux. De là il arrive que les méchants font un mauvais usage de la loi, quoiqu’elle soit un bien,
tandis que les bons font une bonne mort, quoiqu’elle soit un mal. Par
conséquent, selon que les saints font un bon usage de la mort, elle leur devient
méritoire.
Objection N°7. La peine paraît être afflictive. Or, la mort ne
peut l’être, comme on le voit, parce que quand elle existe on ne la sent pas,
et quand elle n’existe pas on ne peut pas la sentir. La mort n’est donc pas une
peine du péché.
Réponse à l’objection N°7 : On peut considérer la mort de
deux manières : 1° pour la privation même de la vie. Dans ce cas on ne peut la
sentir, puisqu’elle est la privation du sentiment et de l’existence. Elle n’est
pas de la sorte la peine du sens, mais du dam. 2° On peut l’envisager selon
qu’elle désigne la corruption elle-même, qui a pour terme cette privation. Nous
pouvons parler de la corruption aussi bien que de la génération de deux
manières : 1° selon qu’elle est le terme de l’altération. Ainsi au premier
instant où l’on est privé de la vie, nous disons que la mort existe. De cette
manière la mort n’est pas non plus la peine du sens. 2° On peut prendre la
corruption pour l’altération antérieure à la mort. C’est ainsi que l’on dit
qu’on meurt quand on s’avance vers sa fin ; comme on dit qu’une chose est
engendrée quand elle est en voie de l’être : et dans cette hypothèse la mort
peut être afflictive.
Objection N°8. Si la mort était la peine du péché, elle en aurait
été immédiatement la conséquence. Or, il n’en a pas été ainsi ; car nos
premiers parents ont vécu longtemps après leur péché, comme on le voit (Gen., chap. 4). La mort ne paraît donc pas
être la peine du péché.
Réponse à l’objection N°8 : Comme le dit saint Augustin (Sup. Gen. ad litt.,
liv. 11, chap. 32), la mort est arrivée le jour où l’on a fait ce que Dieu a
défendu ; parce qu’il en est résulté pour nos premiers parents dans leur corps
mortel une affection qui a produit la maladie et la mort. Ou bien, comme il
l’observe ailleurs (Lib. de peccat., meritis et remissione, chap.
16) : Quoique nos premiers parents aient vécu beaucoup d’années après,
cependant ils ont commencé à mourir le jour où ils ont été soumis à la loi de
la mort, qui les a obligés d’avancer chaque jour vers leur terme en vieillissant.
Mais c’est le contraire. L’Apôtre dit (Rom., 5, 12) : Le péché est
entré en ce monde par un seul homme, et par le péché la mort.
Conclusion La mort et les défauts corporels sont des peines qui
résultent du péché de nos premiers parents.
Il faut répondre que si l’on est privé, par sa faute, d’un
bienfait que l’on avait reçu, la privation de ce bienfait est la peine de cette
faute. Or, comme nous l’avons dit (quest. 95, art. 1, et quest. 97, art. 1), l’homme,
dans son état primitif, avait reçu de la Providence ce bienfait, de manière que
tant que son âme serait soumise à Dieu, ses puissances inférieures devraient
être soumises à sa raison et son corps obéir à son intelligence. Mais parce que
l’âme humaine s’est écartée, par le péché, de la soumission divine, il s’en est
suivi que les puissances inférieures n’ont plus été totalement soumises à la
raison. Et il est résulté de là une si grande révolte de l’appétit charnel
contre la raison, que le corps n’a plus été totalement soumis à l’âme, et c’est
ce qui a produit la mort et les autres défauts corporels. Car la vie et l’intégrité
du corps consistent en ce qu’il soit soumis à l’âme, comme ce qui est
perfectible est soumis à sa perfection. Par conséquent, par opposition, la mort
et les maladies et tous les autres défauts corporels proviennent de ce que le
corps n’est pas soumis à l’âme. D’où il est évident que, comme la rébellion de
l’appétit charnel contre l’esprit est la peine du péché de nos premiers
parents, de même aussi la mort et tous les défauts corporels.
Objection N°1. Il semble que
les peines particulières de nos premiers parents ne soient pas convenablement
déterminées dans l’Ecriture. Car on ne doit pas assigner comme une peine du
péché ce qui existerait même sans le péché. Or, la femme aurait enfanté avec
douleur, même quand le péché n’aurait pas existé, parce que la disposition de
son corps est telle que l’enfant ne peut naitre sans la faire souffrir. De même
la soumission de la femme à l’homme est une conséquence de la perfection de
l’homme et de l’imperfection de la femme ; il appartient aussi à la nature de
la terre de porter des épines et des ronces. On ne peut donc considérer ces
choses comme des peines du premier péché.
Réponse à l’objection N°1 : Dans l’état d’innocence
l’enfantement aurait été sans douleur : car saint Augustin dit (De civ. Dei, liv. 14, chap. 26) : que
comme pour l’enfantement ce n’eût pas été le gémissement de la douleur, mais la
maturité du fruit qui eût dilaté les entrailles maternelles, de même, dans la
conception, ce n’eût pas été l’attrait de la passion, mais le bon plaisir de la
volonté qui eût décidé l’union des sexes. Quant à la soumission de la femme
envers l’homme, on doit comprendre qu’elle est devenue une peine pour la femme,
non quant à la subordination (parce qu’avant le péché l’homme aurait été
également le chef de la femme et son guide), mais parce que la femme est
maintenant forcée d’obéir à la volonté de l’homme contre sa propre volonté. —
Sans le péché, la terre aurait porté des épines et des ronces, pour nourrir les
animaux, mais non pour causer de la peine à l’homme ; parce que leur production
n’aurait été pour ce dernier l’occasion d’aucune fatigue, ni d’aucun châtiment,
comme le dit saint Augustin (Sup. Gen. ad litt., liv. 3, chap. 18). — A la vérité Alcuin
(Interrogationes et responsiones
in Genesim (Interrog. 79).) dit qu’avant le péché
la terre n’aurait produit absolument ni épines, ni ronces ; mais la première
réponse est préférable.
Objection N°2. Ce qui appartient à la dignité de quelqu’un ne
semble pas être pour lui une peine. Or, il est de la dignité de la femme
d’avoir beaucoup d’enfants. On ne doit donc pas considérer cela comme une
peine.
Réponse à l’objection N°2 : La multiplicité des enfantements
est une peine pour la femme, non à cause de la production des enfants qui
aurait existé avant le péché, mais à cause de cette foule d’afflictions que la
mère éprouve par là même qu’elle porte un enfant dans son sein. C’est pourquoi
l’Ecriture dit expressément : Je
multiplierai vos peines et vos enfantements.
Objection N°3. La peine du péché de nos premiers parents est
passée à tous les humains, comme nous l’avons dit au sujet de la mort (art. préc.). Or, toutes les femmes n’ont pas beaucoup d’enfants,
et tous les hommes ne mangent pas leur pain à la sueur de leur front. Les
peines du premier péché ne sont donc pas convenables.
Réponse à l’objection N°3 : Ces peines appartiennent en
quelque sorte à tout le monde. Car toute femme qui conçoit doit nécessairement
éprouver des souffrances et enfanter avec douleur, à l’exception de la
bienheureuse Vierge Marie qui conçut sans corruption et qui enfanta sans
douleur, parce que sa conception ne vint pas de nos premiers parents, selon la
loi de la nature. S’il y en a qui ne conçoivent et qui n’enfantent point, elles
éprouvent le défaut de la stérilité qui l’emporte sur les peines dont nous
venons de parler. De même il faut que tout homme qui travaille la terre mange
son pain à la sueur de son front. Ceux qui ne se livrent pas par eux-mêmes à
l’agriculture s’occupent d’autres travaux : car l’homme est né pour le travail, dit Job (5, 7) ; et par conséquent
ils mangent un pain que d’autres ont fait venir à la sueur de leur visage.
Objection N°4. Le lieu du paradis avait été fait pour l’homme.
Comme il ne doit rien y avoir d’inutile dans la nature, il semble que le bannissement
de l’homme du paradis n’ait pas été une peine convenable.
Réponse à l’objection N°4 : Ce lieu du paradis terrestre,
quoiqu’il ne serve pas à l’homme pour son usage, lui sert cependant pour son
instruction (Saint Thomas insinue ici, d’après les témoignages des anciens
Pères, que le paradis terrestre existe encore ; il l’a déjà insinué plus haut (Voy. 1a pars, quest. 102).), puisqu’il sait
qu’il en a été chassé à cause du péché, et que d’ailleurs les choses qui sont
corporellement dans ce paradis lui apprennent celles qui font partie du paradis
céleste, dont l’entrée est préparée à l’homme par le Christ.
Objection N°5. Il est dit que le paradis terrestre était de
lui-même inaccessible. Il était donc inutile d’y mettre d’autres obstacles pour
empêcher l’homme d’y retourner, c’est-à-dire d’y mettre un chérubin avec un
glaive flamboyant qu’il agitait autour de lui.
Réponse à l’objection N°5 : Sans parler des mystères attachés
au sens spirituel, ce lieu paraît être inaccessible principalement à cause de la
violence de la chaleur qu’il reçoit du voisinage du soleil, et c’est ce que
signifie le glaive de flamme que le chérubin agitait autour de lui pour marquer
le mouvement circulaire qui produit cette chaleur. Et, parce que le mouvement
des créatures corporelles est dirigé par le ministère des anges, d’après la
remarque de saint Augustin (De Trin.,
liv. 3, chap. 4), il était convenable que l’on mît un chérubin avec son épée
flamboyante pour garder le chemin qui mène à l’arbre de vie. C’est ce qui fait
dire à saint Augustin (Sup. Gen. ad litt., liv. 11, chap. 40) : Nous devons croire
que cela s’est fait véritablement par les puissances célestes dans le paradis
visible, afin qu’il y eût là une garde de feu au moyen du ministère des anges.
Objection N°6. Immédiatement après son péché l’homme a été
nécessairement condamné à la mort, et par conséquent il ne pouvait plus par le
bienfait de l’arbre de vie se rendre immortel. Il était donc inutile de lui
interdire de toucher à cet arbre, en disant (Gen., 3, 22) : Prenons garde
qu’il ne prenne du fruit de l’arbre de vie et qu’il ne vive éternellement.
Réponse à l’objection N°6 : Si l’homme après son péché eût
mangé de l’arbre de vie, il n’aurait pas pour cela recouvré l’immortalité, mais
il aurait pu par le bienfait de cet aliment prolonger davantage son existence.
Par conséquent dans ces mots : qu’ils
vivent éternellement, le mot éternel désigne une longue durée. D’ailleurs
il n’était pas avantageux à l’homme de rester plus longtemps dans les misères
de cette vie.
Objection N°7. Insulter aux malheureux paraît contraire à la
miséricorde et à la clémence qui sont, d’après l’Ecriture, les principaux
attributs de Dieu, suivant ces paroles du Psalmiste (Ps. 144, 9) : Ses
miséricordes s’étendent sur toutes ses œuvres. C’est donc à tort que l’on
fait insulter par Dieu nos premiers parents que le péché avait précipités dans
la misère, en lui faisant dire (Gen., 3, 22) : Voici qu’Adam est devenu comme l’un de nous,
sachant le bien et le mal.
Réponse à l’objection N°7 : Comme le dit saint Augustin (Sup. Gen. ad litt.,
liv. 11, chap. 39), ces paroles de Dieu sont moins une insulte pour nos
premiers parents qu’un moyen de détourner de l’orgueil les autres hommes pour
lesquels elles ont été écrites ; parce que non seulement Adam ne devint pas tel
qu’il eût voulu devenir, mais il ne conserva pas le bien pour lequel il avait
été fait.
Objection N°8. Le vêtement est nécessaire à l’homme aussi bien que
la nourriture, d’après ces paroles de saint Paul (1 Tim., 5, 8) : Ayant de quoi
nous nourrir et nous vêtir, nous nous en contentons. Par conséquent, comme
avant le péché on avait désigné à nos premiers parents ce qu’ils devaient
manger, on avait dû aussi leur donner des habits. C’est donc à tort qu’on dit
qu’après leur péché Dieu leur fit des tuniques de peaux.
Réponse à l’objection N°8 : Les habits sont nécessaires à
l’homme dans son état actuel de misère pour deux raisons : 1° pour le défendre
de ce qui pourrait lui nuire extérieurement, comme la chaleur et le froid
immodéré ; 2° pour couvrir son ignominie, dans la crainte qu’on ne voie la
turpitude des membres, dans lesquels se manifeste principalement la rébellion
de la chair contre l’esprit. Ces deux choses n’existaient pas dans l’état
primitif, parce que dans cet état le corps de l’homme ne pouvait pas être
blessé par quelque chose d’extrinsèque, comme nous l’avons dit (1a
pars, quest. 97, art. 2). Il n’y avait pas non plus alors en lui de turpitude
qui le couvrit de confusion. C’est pourquoi l’Ecriture dit (Gen., 2, 25) : Ils étaient nus
l’un et l’autre, Adam et son épouse, et ils n’en rougissaient pas. Il n’en
est pas de même de la nourriture qui est nécessaire pour entretenir la chaleur
naturelle et développer le corps.
Objection N°9. La peine que l’on inflige à un péché doit être plus
funeste que les avantages qu’on retire du péché lui-même ; autrement le
châtiment ne détournerait pas du péché. Or, nos premiers parents ont retiré du
péché que leurs yeux se soient ouverts, comme le dit la Genèse (Gen., chap. 3). Cet avantage l’emporte sur
toutes les peines qui ont été la suite du péché. On n’énumère donc pas d’une
manière convenable les peines qui ont été la suite du péché de nos premiers
parents.
Réponse à l’objection N°9 : Comme le dit saint Augustin (Sup. Gen. ad litt.,
liv. 11, chap. 31), on ne doit pas croire que nos premiers parents ont été
créés les yeux fermés, puisqu’il est dit de la femme qu’elle vit un arbre qui
était beau et dont les fruits étaient bons à manger. Leurs yeux se sont donc
ouverts pour voir et pour penser ce qui ne les avait jamais frappés auparavant,
c’est-à-dire pour avoir l’un pour l’autre une concupiscence qu’ils n’avaient
point connue jusqu’alors.
Mais c’est le contraire. Car ces peines ont été fixées par Dieu,
qui fait tout avec nombre, poids et
mesure, comme le dit l’Ecriture (Sag., chap. 11).
Conclusion Le crime de nos premiers parents a été dignement et
convenablement puni par les divers genres de peines que l’Ecriture décrit.
Il faut répondre
que, comme nous l’avons dit (art. préc.), nos
premiers parents ont été privés à cause de leur péché du bienfait de Dieu qui
conservait en eux l’intégrité de la nature humaine, et par suite de la
soustraction de ce bienfait la nature humaine est tombée dans des défauts qui
sont des châtiments. C’est pourquoi ils ont été punis de deux manières : 1° Ils
l’ont été en ce qu’ils ont perdu ce qui convenait à l’état d’intégrité,
c’est-à-dire le lieu du paradis terrestre ; ce que la Genèse exprime (3, 23) en
disant : Dieu le chassa du paradis de
volupté. Et, parce qu’il ne pouvait pas retourner par lui-même à son
innocence première, il était convenable qu’on mît des obstacles pour l’empêcher
de retourner à ce qui constituait son état primitif ; on lui interdit ainsi son
ancienne nourriture en lui défendant de toucher à l’arbre de vie, et on
l’éloigna du lieu où il avait été créé, et c’est pour cela que Dieu mit devant
le paradis un chérubin avec un glaive de feu. 2° Ils ont été punis en ce qu’on
leur a attribué les peines qui conviennent à la nature privée d’un pareil
bienfait, et cela quant au corps et quant à l’âme. Quant au corps d’où vient la
différence des sexes, la peine de la femme n’a pas été la même que celle de
l’homme. La femme a été punie sous les deux rapports pour lesquels elle est
unie à l’homme : la génération des enfants et la communication des œuvres qui
appartiennent à la vie domestique. Par rapport à la génération, elle a été
punie de deux manières : 1° Quant à l’ennui qu’elle endure en portant l’enfant
dans son sein, et c’est ce que la Bible explique quand il est dit (Gen., 3, 16) : Je multiplierai vos maux pendant votre grossesse. 2° Quant à la
douleur qu’elle éprouve en enfantant, et dont il est dit : Vous enfanterez dans la douleur. Relativement à la vie domestique
elle est punie selon qu’elle est soumise à la domination du mari, d’après ces
paroles : Vous serez sous la puissance de
l’homme. Mais comme il appartient à la femme d’être soumise à l’homme en ce
qui appartient à la vie domestique ; de même il appartient à l’homme de lui
procurer ce qui est nécessaire à la vie. A cet égard il est puni de trois
façons : 1° par la stérilité de la terre, puisqu’il est dit : La terre sera maudite à cause de vous ;
2° par la peine du travail qui est nécessaire pour que la terre donne des
fruits, et c’est ce qu’expriment ces paroles : Vous n’en retirerez de quoi vous nourrir tous les jours de votre vie
qu’avec beaucoup de travail ; 3° à cause des obstacles que rencontrent ceux
qui cultivent la terre ; d’où il est dit : elle
produira pour vous des épines et des ronces. — De même du côté de l’âme il
y a trois sortes de peines. La première se rapporte à la confusion qu’ils
éprouvèrent à l’occasion de la rébellion de la chair contre l’esprit ; d’où il
est dit : Leurs yeux s’ouvrirent et ils
connurent qu’ils étaient nus. La seconde regarde le reproche que Dieu leur
fit de leur propre faute ; c’est ce qu’indiquent ces mots : Voilà qu’Adam est devenu comme un de nous.
La troisième a pour objet le souvenir de leur mort future, d’après ces paroles
: Vous êtes poussière et vous retournerez
en poussière. C’est pour cela que Dieu leur fit des tuniques de peaux en
signe de leur mortalité (Cette double action du péché originel sur le corps et
l’âme est indiquée dans le passage du concile de
Trente que nous avons cité dans l’article précédent.).
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements
du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était
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ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit
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littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique
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