Saint Thomas d ’Aquin - Somme Théologique
2a 2ae = Secunda Secundae
= 2ème partie de la 2ème Partie
Question 170 : Des préceptes de la tempérance
Nous avons enfin
à nous occuper des préceptes de la tempérance. — Nous traiterons : 1° des
préceptes qui regardent la tempérance elle-même ; 2° des préceptes qui
concernent ses parties.
Objection N°1. Il semble que
les préceptes de la tempérance ne soient pas convenablement exprimés dans la
loi de Dieu. Car la force est une vertu plus noble que la tempérance, comme
nous l’avons dit (quest. 141, art. 8, et 1a 2æ, quest. 66,
art. 4). Or, il n’y a aucun précepte à l’égard de la force parmi les préceptes
du Décalogue, qui sont les premiers préceptes de la loi. C’est donc à tort que
parmi les préceptes du Décalogue se trouve la défense de l’adultère, qui est
contraire à la tempérance, comme on le voit d’après ce que nous avons dit
(quest. 154, art. 8).
Réponse à l’objection N°1 : Parmi les espèces de vices
opposés à la force, il n’y en a pas qui soit aussi directement contraire à
l’amour du prochain que l’adultère, qui est une espèce de luxure opposée à la
tempérance. Cependant le vice de l’audace, qui est opposé à la force, est
quelquefois cause de l’homicide, qui est défendu dans les préceptes du
Décalogue. Car il est dit (Ecclésiastique,
8, 18) : Ne vous engagez pas à aller avec
l’homme audacieux, de peur que le mal qu’il fera ne tombe sur vous.
Objection N°2. La tempérance n’a pas seulement pour objet les
jouissances charnelles, mais encore celles de la table. Or, parmi les préceptes
du Décalogue, il n’y a pas de défense qui se rapporte au vice qui regarde le
boire et le manger, ni qui appartienne à aucune autre
espèce de luxure. Il ne doit donc pas non plus y avoir de précepte qui défende
l’adultère, ce qui appartient à la délectation charnelle.
Réponse à l’objection N°2 : La gourmandise n’est pas
directement opposée à l’amour du prochain, comme l’adultère, et on en peut dire
autant de toute autre espèce de luxure. Car on ne fait pas à un père en
séduisant sa fille, qui ne lui a pas été donnée en mariage, autant d’injures
qu’on en fait à un mari en s’emparant par l’adultère de la femme dont le corps
est en sa puissance.
Objection N°3. Le législateur a plutôt l’intention d’exciter à la
vertu que de défendre le vice. Car on ne défend les vices que pour détruire ce
qui fait obstacle aux vertus. Or, les préceptes du Décalogue sont les
principaux préceptes de la loi de Dieu. On aurait donc dû mettre, parmi ces
préceptes, plutôt un précepte affirmatif, qui porte directement à la vertu de
la tempérance, qu’un précepte négatif défendant l’adultère qui est un vice
directement opposé à cette vertu.
Réponse à l’objection N°3 : Les préceptes du Décalogue, comme
nous l’avons dit (quest. 122, art. 1), sont des principes universels de la loi
de Dieu, et par conséquent il faut qu’ils soient généraux. Or, on ne pouvait
pas donner des préceptes généraux affirmatifs sur la tempérance, parce que son
usage varie selon les temps, comme le dit saint Augustin (Lib. de bon. conj.,
chap. 45), et selon les lois diverses et les coutumes différentes des hommes.
Mais l’autorité de l’Ecriture établit le contraire (Ex., chap. 20).
Conclusion Parmi les préceptes du Décalogue, on a dû mettre un
précepte de tempérance qui se rapporte principalement à l’adultère, et qui en
défende non seulement l’acte, mais encore le désir.
Il faut répondre que, comme le dit l’Apôtre (1 Tim., 1, 5), la fin de la
loi est la charité, à laquelle nous sommes portés par deux préceptes qui
appartiennent à l’amour de Dieu et du prochain. C’est pourquoi on a mis dans le
Décalogue les préceptes qui ont un rapport plus direct avec ce double amour.
Or, parmi les vices opposés à la tempérance, celui qui paraît le plus opposé à
l’amour du prochain, c’est l’adultère, par lequel on s’approprie la chose
d’autrui, en abusant de la femme du prochain. C’est pour cette raison que dans
les préceptes du Décalogue on défend principalement l’adultère, non seulement
par rapport à l’acte, mais encore par rapport au désir qu’on en conçoit dans
son cœur (Vous
avez entendu qu’il a été dit aux anciens : Tu ne commettras point
d’adultère. Mais moi je vous dis : Quiconque regarde une femme pour la
convoiter, a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur (Matth., 5, 27-28).).
Objection
N°1. Il semble que les préceptes qui regardent
les vertus annexées à la tempérance ne soient pas convenablement exprimés dans
la loi de Dieu. Car les préceptes du Décalogue, comme nous l’avons dit (art. préc., Réponse
N°3), sont les principes Universels de toute la loi divine. Or, l’orgueil est le commencement de tout péché,
d’après l’Ecriture (Ecclésiastique,
10, 15). On aurait donc dû mettre dans le Décalogue un précepte qui défendît ce
vice.
Réponse à l’objection N°1 :
L’orgueil est le commencement du péché, mais il est caché dans le cœur ; son
dérèglement n’est pas non plus saisi communément par tout le monde. On n’a donc
pas dû mettre sa défense parmi les préceptes du Décalogue, qui sont des
premiers principes évidents par eux-mêmes.
Objection N°2. On doit surtout
mettre dans le Décalogue les préceptes qui portent le plus l’homme à
l’accomplissement de la loi ; parce que ce sont ceux-là qui paraissent les plus
importants. Or, il semble que ce soit principalement par l’humilité, qui rend
l’homme soumis à Dieu, que l’on soit disposé à observer la loi divine,
puisqu’on compte l’obéissance parmi les degrés de cette vertu, comme nous l’avons
vu (quest. 161, art. 6). On doit raisonner de même sur la douceur, qui fait que
l’on ne se met pas en opposition avec l’Ecriture sainte, comme le dit saint
Augustin (De doct. christ., liv. 2, chap. 7). Il semble donc
qu’on aurait dû mettre dans le Décalogue des préceptes sur l’humilité et la
douceur.
Réponse à l’objection N°2 :
Les préceptes qui portent par eux-mêmes à l’observance de la loi présupposent
la loi préalablement existante. On ne peut donc pas les placer dans le
Décalogue à titre de premiers préceptes.
Objection N°3. Nous avons dit
(art. préc.) que l’adultère est défendu dans le
Décalogue, parce qu’il est contraire à l’amour du prochain. Or, le dérèglement
des mouvements extérieurs, qui est contraire à la modestie, est aussi opposé à
l’amour du prochain. C’est ce qui fait dire à saint Augustin (Ep. 212) : Qu’il n’y ait rien dans tous
vos mouvements qui blesse les regards de quelqu’un. Il semble donc que ce
dérèglement doive être défendu par un précepte du Décalogue.
Réponse à l’objection N°3 :
Le dérèglement des mouvements extérieurs n’est pas une offense envers le
prochain d’après l’espèce même de l’acte, comme l’homicide, l’adultère et le
vol que le Décalogue défend : il ne s’y rapporte qu’autant qu’il est le signe
d’un dérèglement intérieur, comme nous l’avons vu (quest. 168, art. 1, Réponse
N°4).
Mais l’autorité de l’Ecriture
nous suffit pour affirmer le contraire.
Conclusion Il a été convenable
qu’il y eût des préceptes, non seulement pour la tempérance, mais encore à
l’égard des vertus qui lui sont annexées.
Il faut répondre que les vertus annexées à la tempérance
peuvent être considérées de deux manières : en soi et dans leurs effets. 1° En
soi, elles n’ont pas de rapport direct avec l’amour de Dieu ou du prochain ;
mais elles ont plutôt pour objet la modération des choses qui appartiennent à
l’homme lui-même. 2° Quant à leurs effets, elles peuvent se rapporter à l’amour
de Dieu ou du prochain. Ainsi il y a dans le Décalogue des préceptes qui ont
pour but de défendre les effets des vices opposés aux parties de la tempérance.
C’est ainsi que la colère qui est contraire à la mansuétude mène quelquefois à
l’homicide que le Décalogue défend, ou elle nous empêche aussi de rendre à nos
parents l’honneur qui leur est dû ; ce qui peut aussi provenir de l’orgueil qui
est cause qu’une foule d’hommes transgressent les préceptes de la première
table.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
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