Saint Thomas d ’Aquin - Somme Théologique
2a 2ae = Secunda Secundae
= 2ème partie de la 2ème Partie
Question
174 : De la division de la prophétie
Nous avons à nous
occuper en dernier lieu de la division de la prophétie. — A ce sujet six
questions se présentent : 1° De la division de la prophétie en ses espèces. —
2° La prophétie qui existe sans la vision imaginaire est-elle la plus élevée ?
— 3° De la diversité des degrés de la prophétie. — 4° Moïse fut-il le plus
excellent des prophètes ? — 5° Un bienheureux peut-il être un prophète ? — 6°
La prophétie s’est-elle développée avec le cours des siècles ? (Cet article a pour objet de montrer comment la foi s’est
développée et la manière dont on doit entendre le progrès dans l’Eglise de
Dieu.
Objection N°1. Il semble que la
glose ait mal divisé la prophétie (ordin. sup. illud Ut adimpleretur,
super Matth., chap. 1, Ecce virgo), quand elle dit : qu’il y a la prophétie de la
prédestination de Dieu, qui doit nécessairement de toutes manières avoir son
accomplissement sans notre libre arbitre, comme celle dont il s’agit en cet
endroit ; il y a la prophétie de la prescience divine, à laquelle notre volonté
se mêle ; enfin il y a la prophétie de la menace, qui se fait pour manifester
l’animadversion de Dieu. Car ce qui résulte de toute prophétie ne doit pas être
considéré comme un des membres de la division de la prophétie. Or, toute
prophétie a lieu selon la prescience divine, parce que les prophètes lisent
dans le livre de la prescience, comme le dit la glose (Is., chap. 38, ord. sup. illud Dispone). Il semble donc qu’on ne
doive pas considérer la prophétie de la prescience comme une espèce de
prophétie.
Réponse à l’objection N°1 : La prescience proprement dite
consiste à connaître à l’avance les événements futurs, selon qu’ils existent en
eux-mêmes, et c’est en ce sens qu’on en fait une espèce de prophétie ; mais si
on la rapporte aux événements futurs, selon ce qu’ils sont en eux- mêmes, ou
selon ce qu’ils sont dans leurs causes, elle embrasse en général toute espèce
de prophétie.
Objection N°2. Comme on prophétise par menace, de même aussi par
promesse, et ces deux choses alternent. Car il est dit (Jérem.,
18, 7) : En un instant je prononce l’arrêt contre un peuple
et contre un royaume, pour le déraciner, le détruire et le perdre. Si cette
nation fait pénitence des maux pour lesquels je l’avais menacée, je me
repentirai aussi, ce qui appartient à la prophétie comminatoire. Puis il
ajoute, en se servant de la prophétie de la promesse : En un moment, je me déclare en faveur d’un peuple et d’un royaume, pour
l’établir et pour l’affermir. Mais s’il pèche devant mes yeux, je me repentirai
du bien que j’avais résolu de lui faire. Par conséquent, puisqu’on
distingue la prophétie de la menace, on aurait dû aussi distinguer la prophétie
de la promesse.
Réponse à l’objection N°2 : La prophétie de la promesse est
comprise sous la prophétie de la menace, parce que dans l’une et l’autre c’est
la même nature de vérité. Cependant on tire sa dénomination de la menace, parce
que Dieu est plus porté à adoucir la peine qu’à retirer les bienfaits qu’il a
promis.
Objection N°3. Saint Isidore dit (Etym., liv. 7, chap. 8) : Il y a sept genres de prophétie. Le
premier genre est l’extase, qui fait que l’esprit est hors de lui-même, comme
saint Pierre vit un vase descendre du ciel avec des animaux différents. Le
second genre est la vision, comme dans Isaïe (chap. 6), qui dit : J’ai vu le Seigneur assis, etc. Le
troisième genre est le songe, comme Jacob vit en dormant une échelle. Le
quatrième est la nue par laquelle le Seigneur parlait à Moïse. Le cinquième est
la voix du ciel ; c’est elle qui se fit entendre à Abraham, en lui disant : Ne mettez pas la main sur votre enfant.
Le sixième est la parabole, comme dans Balaam. Enfin le septième est le don du
Saint-Esprit, qui a rempli presque tous les prophètes. Il distingue encore
trois genres de vision : l’une qui se fait par les yeux du corps, l’autre par
l’imagination, et la troisième par l’intuition de l’intelligence. Or, ces
choses ne se trouvent pas dans la première division. Elle est donc
insuffisante.
Réponse à l’objection N°3 : Saint Isidore distingue la
prophétie d’après le mode de prophétiser. Ce mode peut se distinguer soit
d’après les puissances cognitives qui sont dans l’homme et qui comprennent les
sens, l’imagination et l’entendement, et c’est de là que vient la triple vision
qu’il reconnaît avec saint Augustin (Sup.
Gen. ad litt., liv. 12, chap. 6). Ou bien on peut
le distinguer d’après la différence de l’influence prophétique : ce qui est
désigné, quant à l’illumination de l’intellect, par le don de l’Esprit-Saint qu’il met en septième lieu. Par rapport à
l’impression des formes imaginatives il établit trois choses : le songe, qu’il met au troisième rang ; la vision, qui se passe pendant la veille à
l’égard de toutes les choses communes, et qu’il met au second ; et l’extase, qui résulte de ce que l’esprit
s’élève à ce qu’il y a de plus haut et qu’il place au premier. Pour les signes
sensibles il fait aussi trois distinctions. Car le signe sensible est une chose
corporelle qui se montre extérieurement aux regards, comme la nue, qu’il place en quatrième lieu, ou
une parole produite extérieurement
pour frapper les oreilles de l’homme, ce qu’il met en cinquième lieu, ou une
parole que l’homme joint à des similitudes, ce qui appartient à la parabole, qu’il place en sixième lieu.
Mais c’est le contraire. Nous devons nous en tenir à l’autorité de
saint Jérôme qui est cité dans la glose (Objection N°1).
Conclusion C’est avec raison qu’on divise la prophétie en trois
parties : la prophétie de la prédestination, celle de la prescience, et celle
de la menace.
Il faut répondre que les espèces des habitudes et des actes se
distinguent en morale d’après les objets. Or, l’objet de la prophétie est ce
qu’il y a dans la connaissance divine de supérieur à la faculté humaine. C’est
pourquoi, d’après la différence qu’il y a entre ces choses, on distingue
différentes espèces de prophétie, comme on l’a fait d’après la division
précédente. Ainsi nous avons dit (quest. 171 , art. 6 ad 2) que le futur existe
dans la connaissance divine de deux manières : 1° selon qu’il est dans sa
cause, et c’est ainsi que l’on entend la prophétie de la menace qui ne
s’accomplit pas toujours (Cette prophétie de la menace est toujours
conditionnelle, comme la prophétie de Jonas aux Ninivites.), mais elle fait
connaître à l’avance le rapport de la cause à l’effet, rapport qui est
quelquefois empêché par d’autres choses qui surviennent ; 2° Dieu connaît à
l’avance les choses en elles-mêmes, soit qu’il doive les faire, et c’est à cet
égard qu’a lieu la prophétie de la prédestination (Cette prophétie est souvent
accompagnée d’un serment dans l’Ecriture : Le Seigneur a fait à David un
jurement véridique, et il ne le trompera point : J’établirai sur ton trône
le fruit de ton sein (Ps. 131, 11).), parce que d’après saint
Jean Damascène (Orth. fid., liv. 2,
chap. 30) Dieu prédestine les choses qui ne sont pas en nous ; soit qu’elles
doivent être faites par le libre arbitre de l’homme, et alors c’est la
prophétie de la prescience (La prophétie de la prescience est ainsi indiquée (Ez., 33, 13-15) : Même lorsque j’aurai
dit au juste qu’il vivra, s’il se confie dans sa justice et commet l’iniquité,
toutes ses œuvres justes seront mises en oubli, et il mourra dans l’iniquité
qu’il aura commise. Et lorsque j’aurai dit à l’impie : Tu mourras
certainement, s’il fait pénitence de son péché, et pratique l’équité et la
justice, si cet impie rend le gage, s’il restitue ce qu’il a ravi, s’il marche
dans les commandements de la vie, et s’il ne fait rien d’injuste, il vivra
certainement, et ne mourra pas.), qui peut avoir pour objet les bons et les
méchants ; ce qu’on ne peut pas dire de la prophétie de la prédestination qui
se rapporte seulement aux bons. — Et parce que la prédestination est comprise
sous la prescience, c’est pour ce motif que dans la glose (Cassiod.
sup. prolog. Hier. et glos. ord. sup. illud Matth.,
chap. 1, Ut adimpleretur),
au commencement du Psautier on ne distingue que deux espèces de prophétie,
celle de la prescience et celle de la menace.
Article 2 : La
prophétie qui est accompagnée de la vision intellectuelle et
imaginaire est-elle plus noble que celle qui n’est accompagnée que de la vision
intellectuelle ?
Objection
N°1. Il semble que la prophétie qui est
accompagnée de la vision intellectuelle et imaginaire l’emporte sur celle qui
n’a que la vision intellectuelle. Car saint Augustin dit (Sup. Gen., liv. 12, chap. 9), et on le
trouve dans la glose (ordin. 1 Cor., chap. 14, sup. illud, Spiritus
autem loquitur) : Il est moins prophète celui qui par les images des choses
corporelles ne voit dans son esprit que les signes des choses signifiées ; il
l’est davantage celui qui ne possède que leur intelligence ; mais le prophète
le plus parfait est celui qui l’emporte sous ces deux rapports. Or, c’est ce
qui appartient au prophète qui a tout à la fois l’intelligence et la vision
imaginaire. Cette espèce de prophétie est donc la plus élevée.
Réponse à l’objection N°1 :
Quand une vérité surnaturelle doit être révélée par des images corporelles,
alors celui qui a les deux choses, la lumière intellectuelle et la vision
imaginaire, est plus élevé que celui qui n’a que l’une des deux ; parce que la
prophétie est plus parfaite, et c’est le sens des paroles de saint Augustin.
Mais la prophétie dans laquelle la vérité intelligible se révèle telle qu’elle
est, l’emporte sur toutes les autres.
Objection N°2. Plus la vertu
d’une chose est grande et plus elle s’étend à des choses éloignées. Or, la
lumière prophétique appartient principalement à l’esprit, comme on le voit
d’après ce que nous avons dit (quest. préc., art. 2). La prophétie qui arrive jusqu’à l’imagination
paraît donc être plus parfaite que celle qui n’existe que dans l’intellect.
Réponse à l’objection N°2 :
On ne doit pas juger de la même manière des choses que l’on cherche pour
elles-mêmes et de celles que l’on cherche pour une autre fin. Car dans les
choses qu’on cherche pour elles-mêmes, plus la vertu de l’agent est excellente
et plus les choses auxquelles elle s’étend sont nombreuses et éloignées. Ainsi
un médecin est d’autant meilleur qu’il peut guérir un plus grand nombre de
personnes, et des malades plus éloignés de la santé. Au contraire, dans les
choses qu’on ne cherche qu’en vue d’une autre, l’agent paraît d’autant plus
puissant qu’il emploie des moyens moins nombreux et plus rapprochés pour
arriver à ce qu’il se propose. Ainsi on loue davantage un médecin qui peut
guérir son malade par les remèdes les plus simples et les plus doux. Or, la
vision imaginaire n’étant pas requise dans la connaissance prophétique pour
elle-même, mais pour la manifestation de la vérité intelligible, il s’ensuit
que la prophétie est d’autant plus élevée qu’elle en a moins besoin.
Objection N°3. Saint Jérôme (in prol. Reg.)
distingue les prophètes des agiographes
(D’après le canon des Hébreux, saint Jérôme distingue dans l’Ancien Testament
vingt-deux livres : le Pentateuque ou les cinq livres de Moïse, huit
livres prophétiques, parmi lesquels il comprend les livres historiques de Josué
des Juges, des Rois, et les livres d’Isaïe, de Jérémie, d’Ezéchiel et des douze
petits prophètes, et neuf livres des agiographes,
parmi lesquels se trouvent les prophéties de Daniel.). Or, tous ceux qu’on
appelle prophètes (comme Isaïe, Jérémie et les autres) ont eu simultanément la
vision imaginaire avec la vision intellectuelle ; mais il n’en est pas de même
des agiographes, comme ceux qui écrivent d’après
l’inspiration de l’Esprit-Saint (tels que Job, David, Salomon, etc.). Il semble
donc que ceux qui ont la vision imaginaire et la vision intellectuelle tout à
la fois méritent plus proprement le nom de prophètes que ceux qui n’ont que la
vision intellectuelle.
Réponse à l’objection N°3 :
Il n’y a pas de répugnance à admettre que ce qui est absolument le meilleur
reçoive cependant dans une acception moins propre certain prédicat ou certaine
dénomination. Ainsi la connaissance du ciel est plus noble que celle qu’on a
sur la terre, quoique cette dernière porte dans un sens plus propre le nom de
foi, parce que le mot de foi implique une imperfection de connaissance. De même
la prophétie implique une obscurité et un éloignement de la vérité
intelligible. C’est pourquoi on donne, dans un sens plus propre, le nom de
Prophète à ceux qui voient au moyen de la vision imaginaire, quoique la
prophétie qui se fait par la vision intellectuelle soit plus noble ; pourvu
cependant que ce soit la même vérité révélée de part et d’autre. Car si un
homme reçoit de Dieu la lumière intellectuelle, non pour connaître des choses
surnaturelles, mais pour juger avec la certitude de la vérité divine, ce qui
peut être connu par la raison humaine ; cette prophétie intellectuelle serait
inférieure à celle qui se produirait avec la vision imaginaire et qui aurait
pour but une vérité surnaturelle. Tous ceux que l’on met au rang des prophètes
ont eu cette dernière espèce de prophétie, et on leur a donné spécialement ce
nom, parce qu’ils remplissaient un ministère prophétique. Ainsi ils parlaient
au nom de Dieu, en disant au peuple : Voici
ce que dit le Seigneur. Ceux qui ont écrit les livres saints n’agissaient
pas ainsi. La plupart parlaient le plus souvent de ce que l’on peut connaître
par la raison humaine ; ils ne le faisaient pas au nom de Dieu, mais en leur
propre nom ; à l’aide toutefois de la lumière divine.
Objection N°4. Saint Denis dit (De cæl. hier., chap. 1)
qu’il est impossible que le rayon divin brille en nous s’il n’est enveloppé de
différents voiles sacrés. Or, la révélation prophétique se fait par l’émission
du rayon divin. Il semble donc qu’elle ne puisse exister sans être voilée par
des images.
Réponse à l’objection N°4 :
La lumière de Dieu ne se manifeste dans la vie présente que sous le voile
d’images quelconques ; parce qu’il est naturel à l’homme ici-bas de ne
comprendre que par des images. Mais quelquefois les images qui sont abstraites
des sens d’une manière commune suffisent, et il n’est pas nécessaire que Dieu
produise dans l’âme une vision imaginaire. Alors on dit que la révélation
prophétique a lieu sans cette dernière espèce de vision (On voit d’après
cette réponse que la vision prophétique proprement dite est conforme au mode
naturel de la connaissance humaine, et qu’elle n’a jamais lieu sans image.).
Mais c’est le contraire. La glose
dit au commencement du Psautier : que ce mode de prophétiser l’emporte sur tous
les autres, c’est-à-dire quand on prophétise d’après la seule inspiration de
l’Esprit-Saint, sans le secours extérieur de l’action, de la parole, de la
vision ou des songes.
Conclusion La prophétie par
laquelle on voit la vérité surnaturelle d’après la vision intellectuelle, est
bien plus noble que celle dans laquelle on voit cette même vérité par l’image
des choses corporelles au moyen de la vision imaginaire.
Il faut répondre que la noblesse
des moyens se considère principalement d’après la fin. Or, la fin de la
prophétie est la manifestation d’une vérité qui est au-dessus de l’homme. Par
conséquent plus cette manifestation est excellente et plus la prophétie est
noble. Il est évident que la manifestation de la vérité divine qui se produit
par la contemplation simple de la vérité est supérieure à celle qui se produit
sous l’image des choses corporelles. Car elle approche davantage de la vision
céleste qui fait voir la vérité dans l’essence de Dieu. D’où il suit que la
prophétie par laquelle on découvre une vérité surnaturelle d’après la vision
intellectuelle est plus noble que celle qui manifeste une vérité surnaturelle
par l’image des choses corporelles, au moyen de la vision imaginaire. — Il
résulte aussi de là que l’esprit du prophète est plus élevé. C’est ainsi que
dans l’enseignement humain l’auditeur qui peut percevoir la vérité intelligible
présentée toute nue par le maître, fait preuve d’une intelligence meilleure que
celui qui a besoin d’être guidé par des exemples sensibles. C’est pourquoi il
est dit à la louange de la prophétie de David (2 Rois, 21, 3) : Le fort
d’Israël m’a parlé ; puis on ajoute : Il
brille comme la lumière de l’aurore ; il est comme le soleil du matin dans un
ciel sans nuages.
Article 3 :
Peut-on distinguer les degrés de prophétie selon la vision imaginaire ?
Objection N°1. Il semble que
les degrés de prophétie ne puissent pas se distinguer selon la vision
imaginaire. Car on ne distingue pas les degrés d’une chose selon ce qu’elle est
à cause d’une autre, mais selon ce qu’elle est à cause d’elle-même. Or, dans la
prophétie on cherche la vision intellectuelle pour elle-même, et la vision
imaginaire pour une autre fin, comme nous l’avons dit (art. préc., Réponse N°2). Il
semble donc que les degrés de la prophétie ne se distinguent pas d’après la
vision imaginaire, mais seulement d’après la vision intellectuelle.
Réponse à l’objection N°1 : Nous ne pouvons connaître la
différence de la lumière intelligible qu’autant que nous en jugeons par des
signes imaginaires ou sensibles. C’est pourquoi la différence de la lumière
intellectuelle s’apprécie d’après la diversité des images.
Objection N°2. Il semble que le même prophète possède le don de
prophétie à un seul et même degré. Or, la révélation se fait au même prophète
d’après des visions imaginaires différentes. La diversité de la vision
imaginaire ne change donc pas les degrés de prophétie.
Réponse à l’objection N°2 : Comme nous l’avons dit (quest.
171, art. 2), la prophétie n’existe pas à la manière d’une habitude immanente,
mais plutôt à la manière d’une impression qui passe. Il ne répugne donc pas que
le même prophète reçoive à différentes reprises des révélations prophétiques
qui soient de degrés différents.
Objection N°3. D’après la glose (Cassiod.
sup. prolog. Hier. in Psal.),
la prophétie consiste dans des paroles et des actions, dans des songes et des
visions. On ne doit donc pas plus distinguer les degrés de prophétie d’après la
vision imaginaire, qui comprend les visions et les songes, que d’après les
paroles et les actions.
Réponse à l’objection N°3 : Les paroles et les actions dont
il est fait mention en cet endroit n’appartiennent pas à la révélation de la
prophétie, mais à sa promulgation, qui se fait selon les dispositions de ceux
auxquels on annonce ce qui a été révélé au prophète ; ce qui a lieu tantôt
par paroles et tantôt par actions. Quant à l’annonce et à l’accomplissement des
miracles, c’est une conséquence de la prophétie elle-même, comme nous l’avons
dit (quest. 171, art. 1).
Mais c’est le contraire. Le moyen change les degrés de la
connaissance. Ainsi la science d’une chose par sa cause (propter quid) est plus noble que la science de cette même chose par
ses effets (quià est) ; parce que le
moyen de connaître est plus élevé ; elle est aussi plus noble que l’opinion.
Or, la vision imaginaire est, par rapport à la connaissance prophétique, une
sorte de moyen. Les degrés de prophétie doivent donc se distinguer d’après
cette vision.
Conclusion Les degrés de la prophétie proprement dite se
distinguent d’après la vision imaginaire.
Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (quest. préc., art.
2), la prophétie dans laquelle la lumière intelligible révèle une vérité
surnaturelle, au moyen de la vision imaginaire, tient le milieu entre la
prophétie dans laquelle la vérité surnaturelle est révélée sans cette vision,
et celle dans laquelle la lumière intelligible dirige l’homme pour lui faire
connaître ou exécuter ce qui regarde la vie humaine, sans avoir recours, pour
cela, à la vision imaginaire. Mais la connaissance est plus propre à la
prophétie que l’opération. C’est pourquoi le dernier degré de la prophétie,
c’est quand on est mû par un instinct intérieur à faire quelque chose
extérieurement. C’est ainsi qu’il est dit de Samson (Juges, 15, 14), que l’esprit du Seigneur l’ayant saisi, il brisa
et rompit en pièces les cordes dont il était lié, comme le bois se consume à
l’ardeur du feu. Le second degré de la prophétie, c’est quand on est
éclairé par la lumière intérieure pour connaître des choses qui ne surpassent
cependant pas les limites de la connaissance naturelle. Ainsi il est dit de
Salomon (3 Rois, 4, 32) qu’il composa des paraboles, qu’il traita de
tous les arbres, depuis le cèdre qui est sur le Liban jusqu’à l’hysope qui
vient près des murailles ; et qu’il traita de même des animaux de la terre, des
oiseaux, des reptiles et des poissons. Il fit tous ces ouvrages d’après
l’inspiration divine, puisqu’il est dit auparavant que Dieu donna à Salomon une sagesse et une prudence prodigieuse. — Ces
deux degrés sont cependant inférieurs à la prophétie proprement dite, parce
qu’ils ne s’élèvent pas à la vérité surnaturelle. Cette prophétie dans laquelle
la vérité surnaturelle est manifestée au moyen de la vision imaginaire se
distingue : 1° d’après la différence qu’il y a entre le songe qui a lieu
pendant le sommeil, et la vision qui se produit pendant la veille, et qui se
rapporte à un degré de prophétie plus élevé. Car la lumière prophétique, qui
élève aux choses surnaturelles quelqu’un qui s’occupe
des choses sensibles à l’état de veille, paraît être d’une force plus vive que
celle qui trouve l’âme de l’homme détachée des choses sensibles pendant le
sommeil. 2° Les degrés de la prophétie changent quant à l’expression des signes
par lesquels la vérité intelligible se manifeste à l’imagination. Comme les
paroles sont les signes qui rendent le mieux la vérité intelligible, il
s’ensuit que le degré de prophétie est plus élevé, quand le prophète entend,
soit pendant la veille, soit pendant le sommeil, la vérité intelligible, que
quand il voit des choses qui en sont le symbole, comme les sept épis pleins signifiaient
sept années d’abondance (Gen., chap. 41). A l’égard de ces signes,
la prophétie paraît d’autant plus élevée que ces signes sont plus expressifs ;
comme quand Jérémie vit l’incendie de la cité sous l’image d’une chaudière
embrasée (chap. 1). 3° Le degré de prophétie est plus élevé quand le prophète
ne voit pas seulement les signes des paroles ou des actes, mais qu’il voit
encore dans la veille ou le sommeil quelqu’un qui lui parle ou qui démontre
quelque chose ; parce que c’est une preuve que l’esprit du prophète approche
davantage de la cause révélatrice. 4° On peut aussi considérer l’élévation du
degré de la prophétie d’après la condition de celui qui est vu. Car le degré de
prophétie est plus élevé, si celui qui parle ou qui démontre une chose paraît,
dans la veille ou le sommeil, sous la figure d’un ange, que si on le voit sous
la forme d’un homme. Il sera encore plus élevé, si on le voit, dans le sommeil
ou la veille, sous la ressemblance de Dieu, comme le prophète Isaïe, qui dit (chap.
6) : J’ai vu le Seigneur assis. — Enfin
au-dessus de tous ces degrés, il y a un troisième genre de prophétie, dans
lequel la vérité intelligible et surnaturelle se manifeste sans la vision
imaginaire. Mais il surpasse l’essence de la prophétie proprement dite, comme
nous l’avons vu (art. préc., Réponse N°3). C’est pourquoi il s’ensuit que les degrés
de la prophétie proprement dite se distinguent d’après la vision imaginaire.
Article 4 : Moïse
fut-il le premier de tous les prophètes ?
Objection N°1. Il semble que
Moïse n’ait pas été le plus excellent de tous les prophètes. Car la glose dit
au commencement du Psautier qu’on appelle David le prophète par excellence. Ce
ne fut donc pas Moïse.
Réponse à l’objection N°1 : La prophétie de David approche de
celle de Moïse quant à la vision intellectuelle, parce qu’ils ont reçu l’un et
l’autre la révélation de la vérité intelligible et surnaturelle sans la vision
imaginaire ; cependant la vision de Moïse l’a emporté relativement à la
connaissance de la Divinité (La connaissance de la Divinité étant la
connaissance principale, la vision de Moïse l’emporte encore à ce titre sur
celle de David, qui a eu pour objet des points plus secondaires.), mais David a
commenté et exprimé plus pleinement les mystères de l’incarnation du Christ.
Objection N°2. Josué, qui a fait arrêter le soleil et la lune,
comme on le voit (Jos., chap. 10), et Isaïe, qui a fait rétrograder le soleil (chap.
38), ont fait de plus grands miracles que Moïse, qui a séparé les eaux de la
mer Rouge. Il en est de même d’Elie, dont il est dit (Ecclésiastique, 48, 4) : Qui
pourra se glorifier d’être semblable à vous qui avez fait sortir un mort de son
tombeau ? Moïse ne fut donc pas le plus excellent des prophètes.
Réponse à l’objection N°2 : Les prodiges faits par ces
prophètes furent plus grands par rapport à la substance du fait : mais les
miracles de Moïse l’ont emporté quant au mode, parce qu’ils ont été faits pour
le peuple entier.
Objection N°3. Il est dit (Matth., 11,
11) que parmi les enfants des hommes il
n’y en a pas eu de plus grand que Jean Baptiste. Moïse ne fut donc pas le
premier de tous les prophètes.
Réponse à l’objection N°3 : Jean appartient au Nouveau
Testament, dont les ministres sont mis au-dessus de Moïse, parce qu’ils ont vu
la vérité de plus près et plus à découvert, selon l’expression de saint Paul (2 Cor., chap. 3).
Mais c’est le contraire. Il est dit (Deut., 34, 10) : Il ne s’éleva
plus dans Israël de prophète semblable à Moïse.
Conclusion Moïse fut absolument le plus grand de tous les
prophètes de l’Ancien Testament,
quoique sous certain rapport il y ait eu d’autres prophètes plus grands que
lui.
Il faut répondre que quoiqu’il y ait eu des prophètes plus grands
que Moïse sous un rapport, il fut cependant d’une manière absolue supérieur à
tous les autres. Car dans la prophétie, comme on le voit d’après ce que nous
avons dit (art. préc. et art. 1, quest. 171), on
considère la connaissance d’après la vision intellectuelle aussi bien que
d’après la vision imaginaire, puis la promulgation de la prophétie et sa
confirmation par les miracles. Ainsi Moïse l’emporta sur les autres : 1° Quant
à la vision intellectuelle, parce qu’il vit l’essence même de Dieu (Ces paroles
ne doivent pas s’entendre d’une manière absolue, car autrement saint Thomas
serait en contradiction avec lui-même. Il explique le sens que l’on doit
attacher à ces paroles de l’Ecriture. (Voy. 1a
2æ, quest. 98, art. 3, Réponse N°2).), comme saint Paul dans son
ravissement, ainsi que l’observe saint Augustin (Sup. Gen., liv. 12, chap. 27). C’est
pourquoi il est dit (Nom., 12, 8) qu’il vit Dieu en face et non en énigmes.
2° Par rapport à la vision imaginaire qu’il avait, pour ainsi dire, à volonté,
n’entendant pas seulement les paroles, mais voyant encore celui qui lui parlait
sous la ressemblance de Dieu, non seulement pendant son sommeil, mais encore à
l’état de veille. D’où il est dit (Ex.,
33, 8) que le Seigneur lui parlait face à
face, comme un homme a coutume de parler à son ami. 3° Pour la manière
d’énoncer ses prophéties. Car il parlait à tout le peuple des fidèles au nom de
Dieu, leur proposant une loi nouvelle, tandis que les autres prophètes
parlaient au peuple au nom de Dieu, l’engageant à observer la loi de Moïse,
suivant ces paroles de Malachie (4, 14) : Souvenez-vous
de la loi de Moïse, mon serviteur. 4° Enfin il l’emporta sur tous les
autres par les miracles qu’il a faits pour tout le peuple des infidèles. C’est
pour cette raison qu’il est dit (Deut., 34, 10) : Il ne s’éleva plus de prophète dans Israël
semblable à Moïse, à qui le Seigneur parlait face à face, et personne n’a fait
des miracles et des prodiges comme ceux que le Seigneur envoya faire par Moïse
dans l’Egypte aux yeux de Pharaon, de ses serviteurs et de tout son royaume.
Article 5 : Y
a-t-il aussi dans les bienheureux un certain degré de prophétie ?
Objection N°1. Il semble qu’il
y ait aussi dans les bienheureux un certain degré de prophétie. Car Moïse,
comme nous l’avons dit (art. préc.), a vu l’essence
divine et on dit néanmoins qu’il a été un prophète. Les bienheureux peuvent
donc pour la même raison recevoir ce nom.
Réponse à l’objection N°1 : Cette vision de Moïse fut
passagère à la manière d’une impression qu’on éprouve ; mais elle ne fut pas
permanente comme la béatitude. Il voyait donc encore de loin ; et c’est pour
cela que cette vision ne détruit pas totalement l’essence de la prophétie.
Objection N°2. La prophétie est une révélation divine. Or, les
révélations divines se font par les bons anges. Ils peuvent donc être appelés
des prophètes.
Réponse à l’objection N°2 : La révélation de Dieu se fait aux
anges, non comme s’ils étaient éloignés, mais comme étant unis à lui
totalement. Elle n’a donc pas le caractère de la prophétie.
Objection N°3. Le Christ a joui de la béatitude dès le moment de
sa conception, et cependant il se donne le nom de prophète, quand il dit (Matth., 13, 57) : Un
prophète n’est sans honneur que dans son pays. Ceux qui voient Dieu et les
bienheureux peuvent donc être appelés des prophètes.
Réponse à l’objection N°3 : Le Christ jouissait de la
béatitude et il était tout à la fois voyageur sur cette terre. En tant qu’il
jouissait de la vue de Dieu, la prophétie ne peut lui être attribuée, mais
seulement selon qu’il était voyageur.
Objection N°4. Il est dit de Samuel (Ecclésiastique, 46, 23) que sortant
de la terre il a élevé la voix pour prédire la ruine du peuple et la peine due
à son impiété. Pour la même raison les autres saints peuvent donc recevoir
le nom de prophètes après leur mort.
Réponse à l’objection N°4 : Samuel n’était pas encore parvenu
à l’état de la béatitude. Par conséquent en supposant que d’après la volonté de
Dieu l’âme de Samuel a prédit à Saül l’issue de la guerre, selon la révélation
que le Seigneur lui en avait faite, cet acte aurait le caractère d’une
prophétie. Mais on ne doit pas raisonner de même à l’égard des saints qui sont
dans le ciel. D’ailleurs rien n’empêche de dire que ceci s’est fait par l’art
des démons ; car quoique les démons ne puissent pas évoquer l’âme d’un saint,
ni la forcer à faire quelque chose ; cependant il peut arriver par la vertu
divine que quand le démon est consulté, Dieu fasse lui-même connaître la vérité
par un de ses envoyés. C’est ainsi que par Elie il fit connaître la vérité aux
messagers du roi qui étaient envoyés pour consulter le dieu Accaron, comme on
le voit (4 Rois, chap. 1). —
D’ailleurs on pourrait dire aussi, que ce ne fut pas l’âme de Samuel (Saint Thomas n’exprime ce dernier sentiment que dans
l’hypothèse où l’on n’admettrait pas l’Ecclésiastique
parmi les livres de l’Ancien Testament. Voyez ce qu’il dit (1a pars,
quest. 89, art. 8). Mais aujourd’hui on ne peut plus raisonner dans cette
hypothèse, puisque le concile de Trente a positivement décidé la question.), mais le démon
qui parla en son nom. Le Sage l’appelle Samuel et attribue à ce prophète ses
paroles prophétiques, d’après l’opinion de Saül et de ses compagnons, parce
qu’ils ont pensé que c’était lui.
Mais c’est le contraire. Saint Pierre (2 Pierre, chap. 1) compare
la prophétie à une lampe qui brille dans
un lieu obscur. Or, pour les bienheureux il n’y a pas d’obscurité. On ne
peut donc pas leur donner le nom de prophètes.
Conclusion Puisque la prophétie comprend en elle-même la vision de
quelque vérité surnaturelle qui est éloignée, il s’ensuit évidemment que les
bienheureux ne peuvent pas être des prophètes.
Il faut répondre que la prophétie implique la vision d’une vérité
surnaturelle qui est très éloignée. Ce qui peut arriver de deux manières : 1°
De la part de la connaissance, parce que la vérité surnaturelle n’est pas
connue en elle-même, mais dans quelques-uns de ses effets. Cette connaissance
est encore plus éloignée, si elle se fait au moyen des images des choses
corporelles que si elle se produit par des effets intelligibles. Et telle est
principalement la vision prophétique qui a lieu par les images et les
ressemblances des choses corporelles. — 2° La vision est éloignée relativement
à celui qui la voit, parce qu’il n’est pas totalement arrivé à sa dernière
perfection, d’après ces paroles de l’Apôtre (2 Cor., 5, 6) : Tant que nous
sommes dans ce corps, nous voyageons éloignés de Dieu. Les bienheureux ne sont
loin d’aucune de ces deux manières et par conséquent on ne peut pas les appeler
des prophètes.
Article 6 :
Les degrés de la prophétie varient-ils selon le progrès des temps ?
Objection
N°1. Il semble que les degrés de la prophétie
changent selon le progrès des temps. Car la prophétie a pour but la
connaissance des choses divines, comme on le voit d’après ce que nous avons dit
(quest. préc., art. 2 et 4). Or, comme le dit saint Grégoire (hom. 16 in Ezech.), la
connaissance des choses de Dieu a augmenté pendant la succession des siècles.
Les degrés de la prophétie doivent donc se distinguer d’après le progrès des
âges.
Réponse à l’objection N°1 :
Ce passage de saint Grégoire doit s’entendre des temps qui ont précédé
l’incarnation du Christ, relativement à la connaissance de ce mystère.
Objection N°2. La prophétie se
révèle au moyen de la parole que Dieu adresse à l’homme. Or, les prophètes font
connaître par leurs paroles et leurs écrits ce qui leur a été révélé. Car il
est dit (1 Rois, 3, 4) : qu’avant Samuel la parole du Seigneur était
précieuse, c’est-à-dire rare ; depuis, cette parole s’est fait entendre à
un grand nombre. De même on ne trouve pas que les prophètes aient écrit des
ouvrages avant Isaïe, à qui il a été dit : Prenez
un grand livre et écrivez-y en caractères connus (8, 1). Mais après lui il
y a eu plusieurs prophètes qui ont écrit leurs prophéties. Il semble donc que
le degré de la prophétie ait progressé à mesure qu’on a avancé dans les
siècles.
Réponse à l’objection N°2 :
D’après la remarque de saint Augustin (De
civ. Dei, liv. 18, chap. 27), comme ce fut dans les premiers temps du
royaume d’Assyrie que vécut Abraham, qui fut publiquement le dépositaire des
promesses, de même ce fut à la naissance de la Babylone d’Occident,
c’est-à-dire de la ville de Rome, que se répandirent ces prophéties, parce que
c’était sous son empire que devait naître Jésus-Christ, en qui s’accomplirent
les oracles des prophètes, dont les paroles et les écrits attestent ce grand
événement. Car depuis les rois, les prophètes ne manquèrent presque jamais au
peuple d’Israël, et ne parurent d’abord que dans l’intérêt de ce peuple. Mais
l’ère des prophéties moins obscures, et qui s’adressent aux nations, devait
s’ouvrir avec l’ère de Rome, la future souveraine de tous les peuples. C’est
pourquoi il a fallu que les prophètes fussent plus nombreux principalement au
temps des rois, parce qu’alors le peuple n’était pas opprimé par des étrangers,
mais qu’il avait son propre roi. C’est pour cela qu’il était nécessaire que les
prophètes l’instruisissent de ses devoirs, comme étant un peuple libre (Tous
ces synchronismes sont de la plus haute importance pour l’intelligence des vues
de la Providence sur le monde.).
Objection N°3. Le Seigneur dit (Matth., 11, 13) : La
loi et les prophètes ont prophétisé jusqu’à Jean. Le don de prophétie fut
ensuite accordé aux disciples du Christ d’une manière bien plus excellente
qu’aux anciens prophètes, d’après ces paroles de l’Apôtre (Eph., 3, 5) : Le mystère du
Christ n’a point été découvert aux enfants des hommes dans les autres temps,
comme il a été révélé maintenant à ses saints apôtres et aux prophètes par le
Saint-Esprit. Il semble donc que le degré de la prophétie se soit développé
avec le mouvement des années.
Réponse à l’objection N°3 :
Les prophètes qui ont prédit la venue du Messie n’ont pu venir que jusqu’à
saint Jean, qui a montré le Christ du doigt, lorsqu’il se trouva devant lui.
Cependant, comme le remarque saint Jérôme, le Seigneur
n’emploie pas cette expression pour dire qu’il n’y aura plus de prophètes après
saint Jean. Car nous lisons dans les Actes des apôtres qu’Agabus et les quatre
filles de Philippe ont prophétisé. Saint Jean a écrit
un livre prophétique sur la fin de l’Eglise ; et dans tous les temps il y a eu
des hommes qui ont eu l’esprit de prophétie, non pour donner de nouveaux
enseignements de foi, mais pour diriger les actes humains. Ainsi saint Augustin
rapporte (De civ. Dei, liv. 5, chap.
26) que l’empereur Théodose envoya vers Jean qui habitait le désert de
l’Egypte, et qu’il savait par la renommée doué de l’esprit prophétique. Il
reçut de lui la nouvelle très certaine de sa victoire (Vid.
Cassien, collat. 4, chap. 13 ; Théodoret, liv. 5, chap.
24, et Sozomène, liv. 7, chap. 22.).
Mais c’est le contraire. Moïse
fut le plus excellent des prophètes, comme nous l’avons dit (art. 4), et
cependant il a précédé tous les autres. Le degré de la prophétie n’est donc pas
allé en croissant selon le cours des temps.
Conclusion La prophétie, selon
qu’elle avait pour but la manifestation de la foi, a augmenté par la suite des
temps ; mais en tant qu’elle dirigeait le genre humain dans ses actions, il n’a
pas été nécessaire qu’elle changeât selon la marche des siècles, mais selon la
nature des peuples et des affaires.
Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. 2 et 4,
et quest. préc., art. 2 et 4), la prophétie a pour but la connaissance de
la vérité divine. La contemplation de cette vérité ne nous instruit pas
seulement dans la foi, mais elle nous dirige encore dans nos actions, d’après
ces paroles du Psalmiste (Ps. 42, 3)
: Envoyez-moi votre lumière et votre
vérité et elles me conduiront. Or, notre foi consiste principalement dans
deux choses : 1° Dans la vraie connaissance de Dieu, d’après ces paroles de
saint Paul (Héb., 11, 6) : Il faut que celui qui approche de Dieu croie qu’il existe. 2° Dans
le mystère de l’incarnation du Christ, d’après ce passage de l’Evangile (Jean,
14, 1) : Vous qui croyez en Dieu, croyez
aussi en moi. Si donc nous parlons de la prophétie selon qu’elle se
rapporte à la connaissance de la Divinité, elle s’est développée à ces trois
époques : avant la loi, sous la loi et sous l’état de grâce. En effet, avant la
loi Abraham et les autres patriarches ont été instruits prophétiquement de ce
qui regarde la croyance de la Divinité. C’est pourquoi on leur donne le nom de
prophètes, d’après ces paroles du psaume (104, 15) : Ne faites point de mal à mes prophètes, ce qui s’entend spécialement
d’Abraham et d’Isaac. Sous la loi la révélation prophétique qui s’est faite à
l’égard de ce qui concerne la croyance de Dieu était plus excellente que les
autres : parce qu’il ne fallait pas seulement éclairer quelques individus ou
quelques familles, mais un peuple tout entier. Ainsi le Seigneur dit à Moïse (Ex., 6, 2) : Je suis le Seigneur qui ai apparu à Abraham, à Isaac et à Jacob dans le
Dieu tout-puissant ; et je ne leur ai pas indiqué mon nom d’Adonaï. En
effet, les patriarches précédents avaient été instruits dans la foi au sujet de
la toute-puissance de Dieu ; au lieu que Moïse fut ensuite plus pleinement
instruit sur la simplicité de l’essence divine, puisqu’il lui a été dit (Ex., 3, 14) : Je suis celui qui suis. C’est ce nom que les juifs expriment par le
mot d’Adonaï, à cause de la vénération qu’ils ont pour ce nom ineffable. Puis,
sous la loi de grâce, le mystère de la Trinité a été révélé par le Fils de
Dieu, d’après ces paroles de l’Evangile (Matth., 28,
19) : Allez, enseignez toutes les nations
en les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit (On peut voir
dans le Discours sur l’histoire
universelle le chapitre où Bossuet parle de Jésus-Christ et de sa doctrine
(part. 2, ch. 19).). — Cependant dans chaque état la première révélation fut la
plus excellente. Ainsi, avant la loi, la première révélation a été faite à
Abraham, au moment où les hommes ont commencé à s’écarter (Bossuet fait encore
parfaitement remarquer les motifs de ce nouveau développement (part. 2, ch. 2).)
de la foi en l’unité de Dieu pour se livrer à l’idolâtrie. Auparavant cette
révélation n’était pas nécessaire, puisque tout le monde persévérait dans le
culte de l’unité de Dieu. La révélation faite à Isaac est inférieure, parce
qu’elle a en quelque sorte pour fondement celle qui a été faite à Abraham. D’où
il est dit (Gen., 26, 24) : Je suis le Dieu d’Abraham votre père. De même il a été dit à Jacob
(ibid., 26, 12) : Je suis le Dieu d’Abraham votre père et le
Dieu d’Isaac. Pareillement sous la loi, la première révélation faite à
Moïse a été la plus excellente. C’est sur elle que sont fondées toutes les
autres révélations faites aux prophètes. De même, sous la loi de grâce, toute
la foi de l’Eglise repose sur la révélation faite aux apôtres au sujet de la
foi dans l’unité de Dieu et dans sa Trinité, d’après ces paroles de l’Evangile
(Matth., 16, 18) : C’est sur cette pierre, c’est-à-dire sur cette confession de foi, que je bâtirai mon Eglise. — Quant à la
foi de l’incarnation du Christ, il est évident que plus les prophètes ont été
rapprochés du Christ, soit avant, soit après, et plus ils ont été pleinement
instruits de ce mystère (Quand on étudie les prophètes selon l’ordre des temps,
on voit en effet que la lumière va toujours en croissant depuis Adam, qui ouvre
la marche en recevant la promesse, jusqu’à Malachie, qui la ferme en annonçant
le précurseur.). Cependant ceux qui sont venus après l’ont mieux connu que ceux
qui sont venus auparavant, comme le dit saint Paul (Eph., chap. 3). — A l’égard de la direction des actes humains, la
révélation prophétique a changé, non d’après la marche des temps, mais selon la
condition des peuples et des affaires. Car, comme il est dit (Prov., 29, 18) : Quand il n’y aura plus de prophète le peuple s’égarera. C’est
pourquoi en tout temps les hommes ont été instruits de Dieu sur leurs devoirs (C’est
la conséquence qui ressort de l’étude de l’histoire ancienne au point de vue
religieux. On voit que la grâce n’a manqué à aucune nation, même dans les temps
où l’idolâtrie exerçait le plus d’empire sur les esprits.), selon qu’il
convenait au salut des élus.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous
puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect
de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune
évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de
la morale catholique et des lois justes.
JesusMarie.com