Saint Thomas d ’Aquin - Somme Théologique

2a 2ae = Secunda Secundae = 2ème partie de la 2ème Partie

Question 175 : Du ravissement

 

            Nous avons maintenant à nous occuper du ravissement, et à ce sujet six questions se présentent : 1° L’âme de l’homme est-elle ravie vers les choses divines ? — 2° Le ravissement appartient-il à la puissance appétitive ou cognitive ? — 3° Saint Paul a-t-il vu l’essence de Dieu dans son ravissement ? (Cette question revient à ce qui a été dit de Moïse, quest. préc., art. 4) — 4° A-t-il été privé de ses sens ? — 5° Son âme a-t-elle été dans cet état totalement séparée de son corps ? — 6° Qu’a-t-il su et qu’a-t-il ignoré à cet égard ? (Cet article étant le commentaire de ces paroles de saint Paul (2 Cor., 12, 2) : Si ce fut avec son corps, je ne sais ; si ce fut sans son corps, je ne sais ; Dieu le sait. Voyez à ce sujet Estius in Paulum, ou Cornélius à Lapide.)

 

Article 1 : L’âme de l’homme est-elle ravie vers les choses divines ?

 

Objection N°1. Il semble que l’âme de l’homme ne soit pas ravie vers les choses divines. Car il y en a qui définissent le ravissement : l’élévation de ce qui est selon la nature vers ce qui est au-dessus d’elle, par la force d’une puissance supérieure. Or, il est conforme à la nature de l’homme de s’élever vers les choses divines, puisque saint Augustin dit (Conf., in princ.) : Vous nous avez fait pour vous, Seigneur, et notre cœur est inquiet jusqu’à ce qu’il se repose en vous. L’âme de l’homme n’est donc pas ravie vers les choses divines.

Réponse à l’objection N°1 : Il est naturel à l’homme de tendre aux choses divines par la perception des choses sensibles, d’après ces paroles de saint Paul (Rom., 1, 20) : Les choses invisibles de Dieu ont été rendues visibles par celles qui ont été faites. Mais il n’est pas naturel à l’homme de s’élever aux choses divines en faisant abstraction des choses sensibles.

 

Objection N°2. Saint Denis dit (De div. nom., chap. 8 et 9) que la justice de Dieu consiste en ce qu’il distribue à tous les êtres ce qui leur convient selon leur mode et leur dignité. Or, il n’appartient pas au mode ou à la dignité de l’homme de s’élever au-dessus de ce qui est conforme à la nature. Il semble donc que l’esprit de l’homme ne soit pas ravi par Dieu vers les choses divines.

Réponse à l’objection N°2 : Il appartient au mode et à la dignité de l’homme d’être élevé vers les choses divines, par là même qu’il a été fait à l’image de Dieu. Et parce que le bien divin surpasse infiniment les facultés humaines, l’homme a besoin d’un secours surnaturel pour obtenir ce bien, et c’est ce qui se fait par le bienfait de la grâce. Par conséquent l’élévation de l’âme par Dieu au moyen du ravissement n’est pas un acte contre nature, mais c’est un acte supérieur aux forces naturelles.

 

Objection N°3. Le ravissement implique une certaine violence. Or, Dieu ne nous régit pas par la violence et la coaction, comme le dit saint Jean Damascène (De orth. fid., liv. 2, chap. 30). L’esprit de l’homme n’est donc pas ravi vers les choses divines.

Réponse à l’objection N°3 : Ce mot de saint Jean Damascène doit s’entendre des choses que l’homme doit faire ; quant à celles qui sont au-dessus des forces du libre arbitre, il est nécessaire qu’il y soit élevé par une opération supérieure. Cette opération peut recevoir sous un rapport le nom de coaction (Il y a dans ce cas le concours de deux puissances, la force divine et la volonté humaine ; mais la volonté n’est pas contrainte, puisque ce qui est fait est librement consenti et voulu par l’agent qui l’a fait.), si on considère son mode, mais il n’en est pas de même si on considère son terme qui est la fin à laquelle la nature de l’homme et son intention se rapportent.

 

Mais c’est le contraire. L’Apôtre dit (2 Cor., 12, 2) Je sais qu’un homme qui est à Jésus-Christ fut ravi jusqu’au troisième ciel. D’après la glose (ordin. Pet. Lombardi), le mot ravi signifie enlevé contre nature.

 

Conclusion Quelquefois l’âme humaine est ravie, quand l’esprit de Dieu l’élève aux choses surnaturelles, en l’abstrayant des choses sensibles.

Il faut répondre que le ravissement implique une certaine violence, comme nous l’avons dit (in arg. 3). On appelle violent ce qui a son principe au dehors, en sorte que celui qui est l’objet de l’action n’y contribue en rien, comme on le voit (Eth., liv. 3, chap. 1). Or, chaque être contribue à l’acte vers lequel il tend par son inclination propre, volontairement ou naturellement. C’est pourquoi il faut que celui qui est ravi par une cause extérieure, le soit vers un objet différent de celui vers lequel son inclination le porte. Cette différence se considère de deux manières : 1° quant à la fin de l’inclination ; comme si une pierre qui est naturellement portée à tomber en bas était jetée en l’air ; 2° quant au mode ; comme si une pierre est jetée à terre plus rapidement qu’elle n’y serait tombée par son mouvement naturel. Par conséquent on dit de deux manières que l’âme de l’homme est ravie vers ce qui est en dehors de sa nature : l° Quant au terme du ravissement ; comme quand on est ravi dans les enfers (Cette espèce de ravissement est une conséquence du péché.), d’après ces paroles du Psalmiste (49, 22) : Dans la crainte qu’il ne le ravisse et qu’il n’y ait personne pour le délivrer. 2° Quant au mode naturel à l’homme, qui consiste à comprendre la vérité au moyen des choses sensibles. C’est pourquoi quand l’âme est abstraite de la perception des choses sensibles, on dit qu’elle est ravie, quoiqu’elle soit élevée vers des choses auxquelles elle se rapporte naturellement (Ainsi l’homme se rapporte naturellement aux choses divines, puisqu’il a été créé pour Dieu ; mais il peut être ravi vers elles quand il les contemple, son âme faisant abstraction des choses sensibles.), pourvu toutefois que ceci n’ait pas lieu d’après l’intention propre de l’individu, comme il arrive dans le sommeil qui est conforme à la nature et qu’on ne peut appeler un ravissement proprement dit. — Cette abstraction, quel que soit son objet, peut résulter de trois causes : 1° de la cause corporelle : c’est ce qui a lieu dans ceux qui sont aliénés par suite de quelque infirmité ; 2° d’après la vertu des démons, comme on le voit dans les énergumènes ; 3° d’après la vertu divine. C’est dans ce dernier sens que nous parlons ici du ravissement, selon qu’on est élevé par l’esprit de Dieu vers des choses surnaturelles avec abstraction des sens, d’après ces paroles d’Ezéchiel (6, 3) : L’Esprit m’éleva entre le ciel et la terre et m’amena en vision à Jérusalem. — Il est à remarquer qu’on dit quelquefois qu’on est ravi non seulement quand on est hors des sens, mais encore quand on est distrait de la chose à laquelle on s’appliquait ; comme quand on se laisse aller à une distraction contre son gré. Mais on n’emploie alors cette expression que dans un sens impropre.

 

Article 2 : Le ravissement appartient-il plus à la puissance cognitive qu’à la puissance appétitive ?

 

Objection N°1. Il semble que le ravissement appartienne plus à la puissance appétitive qu’à la puissance cognitive. Car saint Denis dit (De div. nom., chap. 4) qu’il y a l’amour divin qui produit l’extase. Or, l’amour appartient à la puissance appétitive. Donc aussi l’extase ou le ravissement.

Réponse à l’objection N°1 : Le ravissement ajoute quelque chose à l’extase (Le mot extase, dans son étymologie, indique seulement que l’âme est hors d’elle-même (extrà stare).). Car l’extase implique simplement le transport hors de soi, qui fait que l’on est placé hors de sa sphère, au lieu que le ravissement y ajoute une certaine violence. L’extase peut donc appartenir à la puissance appétitive, comme quand le désir de quelqu’un se porte vers des choses qui sont hors de lui. C’est ainsi que, d’après saint Denis, l’amour divin produit l’extase, dans le sens qu’il fait que l’appétit de l’homme se porte vers les choses qu’il aime. C’est pourquoi il ajoute ensuite que Dieu lui-même, qui est la cause de tous les êtres, se porte hors de lui par l’excès de son amour en pourvoyant à tout ce qui existe. D’ailleurs si on appliquait expressément ces paroles au ravissement, elles signifieraient seulement que l’amour en est la cause.

 

Objection N°2. Saint Grégoire dit (Dial., liv. 2, chap. 3) que celui qui nourrit les pourceaux est tombé au-dessous de lui-même par les écarts de son esprit et par son impureté ; au lieu que saint Pierre que l’ange délivre a été ravi en extase ; son esprit n’a pas été hors de lui, mais au-dessus de lui. Or, c’est par la volonté que l’enfant prodigue est tombé au fond de l’abîme. C’est donc aussi par la volonté que l’on est ravi au ciel.

Réponse à l’objection N°2 : Il y a dans l’homme deux sortes d’appétit : l’appétit intelligentiel qu’on appelle la volonté, et l’appétit sensitif qu’on appelle la sensualité. Or, il est propre à l’homme que l’appétit inférieur soit soumis à l’appétit supérieur et que celui-ci meuve l’autre. L’homme peut donc être mis hors de lui-même de deux manières relativement à l’appétit : 1° Quand l’appétit intelligentiel se porte totalement vers les choses divines, laissant de côté celles pour lesquelles l’appétit sensitif a de l’inclination. C’est ce qui fait dire à saint Denis (De div. nom., chap. 4) que saint Paul ravi en extase par la vertu de l’amour divin prononça ces paroles : Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi. 2° Quand, laissant de côté l’appétit supérieur, l’homme se porte totalement vers les choses qui appartiennent à l’appétit inférieur, et c’est de la sorte que celui qui a fait paître les pourceaux est tombé au-dessous de lui-même (Allusion à l’enfant prodigue.). Ce transport ou cette extase approche plus de la nature du ravissement que le premier (Dans le sens que la seconde espèce d’extase se trouvant plus opposée à la nature, elle suppose une plus grande violence.), parce que l’appétit supérieur est plus propre à l’homme. Par conséquent, quand l’homme est séparé par la violence de l’appétit inférieur du mouvement de l’appétit supérieur, il est privé davantage de ce qui lui est propre. Cependant, comme il n’y a pas là de violence, parce que la volonté peut résister à la passion, il n’y a pas de ravissement véritable ; à moins que la passion ne soit si forte qu’elle enlève totalement l’usage de la raison, comme il arrive à ceux qui tombent dans le délire par suite de la violence de la colère ou de l’amour. Toutefois il est à remarquer que ces deux extases qui existent par rapport à l’appétit peuvent l’une et l’autre jeter la puissance cognitive hors d’elle-même : soit parce que l’intelligence est emportée vers les choses intelligibles après avoir été séparée des sens ; soit parce qu’elle est élevée à une vision imaginaire ou à une apparition phantastique.

 

Objection N°3. Sur ces paroles (Ps. 30) : J’ai espéré en vous, Seigneur, je ne serai pas éternellement confondu, la glose dit (interl. Aug.) : L’extase en grec, qu’on appelle en latin excessus mentis, est ce transport de l’esprit qui se produit de deux manières, soit par la crainte des choses terrestres, soit par le ravissement de l’esprit vers les choses célestes et l’oubli de tout ce qui se passe ici-bas. Or, la crainte des choses terrestres appartient à la volonté. Le ravissement vers les choses supérieures résultant d’un mouvement opposé appartient donc aussi à cette faculté.

 

Mais c’est le contraire. Sur ces paroles (Ps. 115) : J’ai dit dans mon transport, tout homme est menteur, la glose dit (ord. Aug.) : que l’on emploie en cet endroit le mot d’extase (excessus), parce que l’âme n’est pas transportée par la crainte, mais qu’elle est élevée en haut par une inspiration de la révélation. Or, la révélation appartient à la puissance intellectuelle. Donc aussi l’extase ou le ravissement.

 

Conclusion Quoique l’homme soit ravi selon la force intellectuelle, cependant parce que la puissance appétitive peut être une cause de ravissement et qu’elle est quelquefois mue par lui, c’est avec raison qu’on dit que cet effet se rapporte à elle.

Il faut répondre que nous pouvons parler du ravissement de deux manières : 1° Par rapport à l’objet vers lequel on est ravi. Ainsi, à proprement parler, le ravissement ne peut appartenir à la puissance appétitive, mais seulement à la puissance cognitive. Car nous avons dit (art. préc.) que le ravissement n’est pas conforme à l’inclination propre de celui qui est ravi ; tandis que le mouvement de la puissance appétitive est une inclination qui se porte vers le bien qu’on désire. Par conséquent, de ce que l’homme désire une chose, il n’est pas ravi, à proprement parler, mais il est mû par lui-même. 2° On peut considérer le ravissement quant à sa cause. A ce point de vue sa cause peut provenir de la vertu appétitive. Car, par là même que l’appétit est vivement attaché à une chose, il peut se faire que la violence de son affection le détourne de tout le reste. Le ravissement produit aussi de l’effet sur la puissance appétitive, puisqu’on se délecte dans les choses vers lesquelles on est ravi. C’est ce qui fait dire à l’Apôtre qu’il a été ravi non seulement au troisième ciel, ce qui appartient à la contemplation de l’intellect, mais encore au paradis, ce qui est propre à l’affection.

Réponse à l’objection N°3 : Comme l’amour est un mouvement de l’appétit par rapport au bien, de même la crainte est un mouvement de l’appétit par rapport au mal. Par conséquent il peut résulter de l’un et de l’autre pour la même raison une extase (Amor fugiens quod adversatur timor est.), surtout puisque la crainte est produite par l’amour, comme le dit saint Augustin (De civit. Dei, liv. 14, chap. 7).

 

Article 3 : Saint Paul a-t-il vu l’essence de Dieu dans son ravissement ?

 

Objection N°1. Il semble que saint Paul n’ait pas vu l’essence de Dieu dans son ravissement. Car, comme il est dit de saint Paul, qu’il a été ravi jusqu’au troisième ciel ; de même il est dit de saint Pierre (Actes, chap. 10) qu’il lui survint un ravissement d’esprit. Or, Pierre dans son ravissement n’a pas vu l’essence de Dieu, mais une vision imaginaire. Il semble donc que Paul n’ait pas vu l’essence de Dieu non plus.

Réponse à l’objection N°1 : L’esprit humain est ravi par Dieu pour voir la vérité divine de trois manières : 1° pour la contempler par des ressemblances imaginaires, et tel fut le ravissement d’esprit qu’eut saint Pierre ; 2° pour la contempler par des effets intelligibles ; ce fut le ravissement de David, s’écriant (Ps. 115, 2) : J’ai dit dans mon transport : tout homme est menteur ; 3° pour la contempler dans son essence, et ce fut le ravissement de saint Paul et de Moïse. Ce qui du reste est assez convenable. Car comme Moïse fut le premier docteur des Juifs de même saint Paul fut le premier docteur des gentils.

 

Objection N°2. La vision de Dieu rend l’homme heureux. Or, saint Paul dans ce ravissement n’a pas été heureux ; autrement il ne serait jamais revenu à cette vie de misère, et son corps aurait été glorifié par le surcroît de la gloire de son âme, comme il arrivera dans les saints après la résurrection ; ce qui est évidemment faux. Saint Paul n’a donc pas vu l’essence de Dieu dans son ravissement.

Réponse à l’objection N°2 : Une intelligence créée ne peut voir l’essence divine que parla lumière de la gloire, dont il est dit (Ps. 35, 10) : Nous verrons la lumière dans votre lumière. On peut participer à cette lumière de deux manières : 1° A la manière d’une forme immanente, et c’est ainsi qu’elle rend les saints bienheureux dans le ciel. 2° A la manière d’une impression qui passe, comme nous l’avons dit (quest. 171, art. 2) au sujet de la lumière de la prophétie. C’est ainsi que saint Paul reçut cette lumière quand il eut son ravissement. C’est pourquoi cette vision ne le rendit pas absolument bienheureux au point de rejaillir sur son corps ; elle le rendit seulement heureux sous un rapport. C’est pour ce motif que ce ravissement appartient d’une certaine manière à la prophétie.

 

Objection N°3. La foi et l’espérance ne peuvent exister simultanément avec la vision de l’essence divine, comme on le voit (1 Cor., chap. 13). Or, saint Paul a eu la foi et l’espérance dans cet état. Il n’a donc pas vu l’essence de Dieu.

Réponse à l’objection N°3 : Saint Paul dans son ravissement n’ayant pas eu l’habitude de la béatitude, mais en ayant seulement exercé l’acte, il s’ensuit qu’il ne produisit pas simultanément un acte de foi, mais il conserva néanmoins en lui simultanément l’habitude de cette vertu (Il y a des choses que saint Paul n’a pas vues dans l’essence divine, puisqu’il dit (2 Cor., 12, 2) : Si ce fut avec son corps, je ne sais ; si ce fut sans son corps, je ne sais ; Dieu le sait. A l’égard de ce qu’il n’a pas vu, sa foi pouvait s’exercer en acte. Relativement à ce qu’il a vu, elle pouvait être habituelle, dans le sens qu’il avait la disposition de croire, quand même il n’aurait pas vu.).

 

Objection N°4. Comme le dit saint Augustin (Sup. Gen. ad litt., liv. 12, chap. 6 et 7) : Dans la vision imaginaire on voit des images des corps. Or, il est dit que saint Paul a vu dans son ravissement des images, comme celles du troisième ciel et du paradis (2 Cor., chap. 12). Il semble donc que dans son ravissement il ait eu une vision imaginaire plutôt que la vision de l’essence divine.

Réponse à l’objection N°4 : Sous le nom de troisième ciel on peut entendre : 1° quelque chose de corporel. Alors le troisième ciel désigne le ciel empyrée, qui est le troisième par rapport au ciel aérien et au ciel sidéral, ou plutôt par rapport au ciel sidéral et au ciel cristallin (Voyez ce que nous avons dit du ciel empyrée (1a pars, quest. 68, art. 4).). On dit qu’il a été ravi au troisième ciel, non parce qu’il a été ravi pour voir l’image d’une chose corporelle, mais parce que c’est le lieu de contemplation des bienheureux. D’où la glose dit (loc. cit.) que le troisième ciel est le ciel spirituel, où les anges et les âmes des saints jouissent de la contemplation de Dieu. En disant qu’il a été ravi là, saint Paul indique que Dieu lui a montré la vie dans laquelle on doit le voir pendant l’éternité. 2° Par le troisième ciel on peut entendre une vision qui soit au-dessus de ce monde ; on peut lui donner le nom de troisième ciel pour trois raisons : 1° Selon l’ordre des puissances cognitives. Ainsi on appellerait premier ciel la vision corporelle supramondaine, qui se produit par les sens ; comme on vit la main de celui qui écrivait sur la muraille (Dan., chap. 5). Le second ciel serait la vision imaginaire, comme celle que virent Isaïe et saint Jean dans l’Apocalypse. Enfin on dirait que le troisième ciel est la vision intellectuelle, selon l’interprétation de saint Augustin (Sup. Gen. ad litt., liv. 12, chap. 28). 2° On peut encore désigner le troisième ciel selon l’ordre des choses que nous pouvons connaître. Dans ce cas le premier ciel serait la connaissance des corps célestes ; le second la connaissance des esprits célestes, et le troisième la connaissance de Dieu lui-même. 3° On peut enfin appeler troisième ciel la contemplation de Dieu selon les degrés de la connaissance par laquelle on le voit. Le premier de ces degrés se rapporte aux anges de la dernière hiérarchie ; le second aux anges de la moyenne ; et le troisième aux anges de la hiérarchie la plus élevée, comme le dit la glose (loc. cit.). Et parce que la vision de Dieu ne peut avoir lieu sans délectation, saint Paul pour ce motif dit non seulement, qu’il a été ravi au troisième ciel en raison de la contemplation, mais il ajoute encore qu’il a été ravi au paradis en raison de la délectation qui s’en est suivie.

 

Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (Epist. 147, chap. 13) que la substance de Dieu a pu être vue par des hommes qui étaient encore en ce monde, comme Moïse et saint Paul qui dans son ravissement a entendu des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à l’homme de reproduire.

 

Conclusion Saint Paul, ravi par la vertu divine jusqu’au troisième ciel, a vu Dieu dans son essence.

Il faut répondre qu’il y a des auteurs qui ont dit que saint Paul n’avait pas vu l’essence de Dieu dans son ravissement, mais un reflet de sa clarté. Saint Augustin établit manifestement le contraire, non seulement dans la lettre que nous avons citée, mais encore dans son livre sur la Genèse (ad litt., liv. 12, chap. 28), et on le lit dans la glose (ord. sup. 2 Cor., chap. 12). C’est d’ailleurs ce que les paroles mêmes de l’Apôtre indiquent ; car il dit qu’il a entendu des paroles ineffables qu’il n’est pas permis à un homme de rapporter. Or, telles sont les choses qui appartiennent à la vision des bienheureux qui est au-dessus de la vie présente, d’après ces paroles du prophète (Is., 64, 5) : Sans vous, ô mon Dieu, l’œil n’a pas vu ce que vous avez préparé à ceux qui vous aiment. Il est donc plus convenable de dire qu’il a vu l’essence de Dieu.

 

Article 4 : Saint Paul dans son ravissement a-t-il fait abstraction de ses sens ?

 

Objection N°1. Il semble que saint Paul dans son ravissement n’ait pas été privé de ses sens. Car saint Augustin dit (Sup. Gen. ad litt., liv. 12, chap. 28) : Pourquoi ne croirions-nous pas que Dieu a voulu montrer à ce grand apôtre, le docteur des nations, en le ravissant jusqu’à cette vision céleste, la vie dans laquelle nous devons le voir éternellement après que nous serons sortis de ce monde ? Or, dans cette vie future, après la résurrection, les saints verront l’essence de Dieu, sans faire abstraction de leurs sens corporels. Saint Paul n’en a donc pas fait abstraction non plus.

Réponse à l’objection N°1 : Comme nous l’avons dit (art. préc., Objection N°2), après la résurrection, il y aura dans les bienheureux qui verront l’essence de Dieu une surabondance de gloire qui refluera de l’intellect aux puissances inférieures de l’âme et jusque sur le corps ; par conséquent l’âme s’appliquera aux images et aux choses sensibles, selon la règle même de la vision divine. Cet effet ne se produit pas (Cet effet ne se produit pas dans l’intellect.) dans ceux qui ont des ravissements, comme nous l’avons dit (art. préc., Réponse N°2) ; c’est pourquoi il n’y a pas de parité.

 

Objection N°2. Le Christ fut véritablement voyageur, et il jouissait continuellement de la vision de l’essence divine ; cependant il ne faisait pas abstraction de ses sens. Il n’a donc pas été nécessaire que saint Paul en fit abstraction pour voir l’essence de Dieu.

Réponse à l’objection N°2 : L’intellect de l’âme du Christ avait été glorifié par la lumière habituelle de la gloire, et il voyait ainsi l’essence divine beaucoup plus parfaitement qu’un ange ou qu’un homme. Il était voyageur, parce que son corps était passible, et, sous ce rapport, il était un peu au-dessous des anges, comme le dit saint Paul (Héb., chap. 2), mais il n’en était pas ainsi à cause de l’imperfection de son entendement. Il n’y a donc pas lieu de raisonner sur le Christ comme sur les autres voyageurs, qui sont à l’état d’épreuve.

 

Objection N°3. Saint Paul, après avoir vu Dieu dans son essence, s’est souvenu de ce qu’il avait vu dans cette vision ; puisqu’il disait (2 Cor., 12, 4) : J’ai entendu des paroles secrètes qu’il n’est pas permis à l’homme de prononcer. Or, la mémoire appartient à la partie sensitive, comme on le voit dans Aristote (Lib. de mem. et reminisc., chap. 1). Il semble donc que saint Paul en voyant l’essence de Dieu n’ait pas été privé de ses sens.

Réponse à l’objection N°3 : Saint Paul, après qu’il eut cessé de voir l’essence de Dieu, se rappela ce qu’il avait vu dans cette vision au moyen des espèces intelligibles qui lui en étaient restées à l’état d’habitude dans l’intellect ; comme quand l’objet sensible a disparu, il en reste dans l’âme des impressions que l’on se rappelle ensuite en les comparant à des images. C’est pourquoi il ne pouvait reproduire par la pensée toute cette connaissance (Il y avait impossibilité de reproduire adéquatement ce qu’il avait vu, parce que les espèces intelligibles créées, quelles qu’elles soient, ne peuvent représenter l’essence divine.), ni l’exprimer par des paroles.

 

Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (Sup. Gen. ad litt., liv. 12, chap. 27) : que d’ici-bas on n’arrive pas à cette vision à moins qu’on ne meure d’une certaine manière, soit que l’âme sorte totalement du corps, soit qu’elle soit privée ou détournée de l’usage des sens corporels.

 

Conclusion Il est impossible que l’homme dans l’état de la vie présente voie Dieu dans son essence, à moins qu’il ne soit détaché des sens.

Il faut répondre que l’homme ne peut pas voir l’essence divine par une autre puissance cognitive que par l’intellect. L’intellect humain ne se porte vers les choses intelligibles que par les images qu’il reçoit des sens au moyen des espèces intelligibles, et c’est en les considérant qu’il juge des choses sensibles et qu’il en dispose. C’est pourquoi dans toute opération où notre intellect est abstrait des images, il est nécessaire qu’il soit abstrait des sens. Or, ici-bas il est nécessaire que l’intellect de l’homme soit dépourvu d’images pour voir l’essence de Dieu. Car on ne peut pas voir l’essence de Dieu par une image, on ne peut pas même la voir par une espèce intelligible créée, parce que l’essence de Dieu surpasse infiniment non seulement tous les corps dont les images sont la représentation, mais encore toute créature intelligible. Comme l’entendement humain est élevé à la vision de l’essence de Dieu la plus haute, il faut que toutes les forces de l’âme s’appliquent de ce côté, de manière qu’elle ne comprenne rien autre chose d’après des images, mais qu’elle se porte totalement vers Dieu. Par conséquent il est impossible que l’homme ici-bas voie Dieu dans son essence, sans qu’il fasse abstraction de ses sens.

 

Article 5 : L’âme de saint Paul fut-elle dans cet état totalement séparée de son corps ?

 

Objection N°1. Il semble que l’âme de saint Paul fut dans cet état totalement séparée de son corps. Car il dit (2 Cor., chap. 5) : Tant que nous sommes dans ce corps, nous voyageons éloignés de Dieu ; nous allons à lui par la foi, mais nous ne le voyons pas. Or, saint Paul, dans cet état, n’était pas éloigné de Dieu, puisqu’il le voyait dans son essence, comme nous l’avons dit (art. 3). Son âme n’était donc plus dans son corps.

Réponse à l’objection N°1 : Saint Paul dans ce ravissement était éloigné de Dieu quant à son état, puisqu’il était encore dans l’état d’un voyageur ; mais il n’en était pas ainsi, quant à l’acte par lequel il voyait Dieu dans son essence, comme on le voit d’après ce que nous avons dit (art. 3, Réponse N°2 et 3).

 

Objection N°2. Une puissance de l’âme ne peut pas être élevée au-dessus de l’essence du sujet dans lequel elle est établie. Or, l’intellect, qui est une puissance de l’âme, a été abstrait des choses corporelles dans le ravissement, par là même qu’il a été élevé à la contemplation de Dieu. A plus forte raison, l’essence de l’âme a-t-elle été séparée du corps.

Réponse à l’objection N°2 : La puissance de l’âme n’est pas élevée par sa vertu naturelle au-dessus du mode qui convient à son essence ; cependant elle peut être élevée par la vertu divine à quelque chose de plus haut, comme un corps est élevé par l’énergie d’une puissance plus forte au dessus du lieu qui lui convient d’après sa nature.

 

Objection N°3. Les puissances de l’âme végétative sont plus matérielles que celles de l’âme sensitive. Or, il fallait que l’intellect fût abstrait des puissances de l’âme sensitive, comme nous l’avons dit (art. préc.), pour être ravi jusqu’à la vision de l’essence divine. A plus forte raison, était-il nécessaire qu’il fût abstrait des puissances de l’âme végétative, qui, du moment qu’elles cessent leur opération, sont cause que l’âme ne reste unie au corps d’aucune manière. Il semble donc que dans son ravissement l’âme de saint Paul ait dû être totalement séparée de son corps.

Réponse à l’objection N°3 : Les puissances de l’âme végétative n’agissent pas d’après l’intention de l’âme, comme les puissances sensitives ; mais elles opèrent à la manière de la nature. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire pour le ravissement qu’on en fasse abstraction, comme on fait abstraction des puissances sensitives dont les opérations affaibliraient l’énergie avec laquelle l’âme s’applique à la connaissance intellectuelle.

 

Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (Ep. 147, chap. 13) : Il n’est pas incroyable que quelques saints aient obtenu avant leur mort, lorsque leur corps ne devait pas encore être confié à la terre, cette révélation supérieure, qui fait voir Dieu dans son essence. Il n’a donc pas été nécessaire que dans son ravissement l’âme de saint Paul ait été totalement séparée de son corps.

 

Conclusion Quoiqu’il ait été nécessaire que l’intellect de saint Paul fût abstrait dans son ravissement des images et de la perception des choses sensibles, cependant il n’a pas fallu que son âme fût séparée de son corps au point de ne pas lui être unie comme sa forme.

Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. 1), dans le ravissement dont il est ici question, la vertu divine élève l’homme en le faisant passer de ce qui est conforme à sa nature à ce qui lui est supérieur. C’est pourquoi il faut considérer deux choses : 1° ce qui est naturel à l’homme ; 2° ce que la vertu divine doit produire en lui de supérieur à sa nature. — Or, par là même que l’âme est unie au corps, comme sa forme naturelle, l’habitude qui lui convient naturellement c’est de comprendre au moyen des images : dans le ravissement la vertu divine ne détruit pas en elle cette habitude, parce que son état n’est pas changé, comme nous l’avons dit (Réponse N°3). Tant que cet état dure, l’âme ne peut se tourner actuellement vers les images et les choses sensibles, parce que ce mouvement l’empêcherait de s’élever vers ce qui surpasse toutes les formes de l’imagination, comme nous l’avons vu (art. préc.). C’est pourquoi dans le ravissement il n’a pas été nécessaire que l’âme fût séparée du corps, de manière qu’elle ne lui fût plus unie comme sa forme ; mais il a fallu que son intellect fût abstrait des images et de la perception des choses sensibles.

 

Article 6 : Saint Paul a-t-il ignoré si son âme avait été séparée de son corps ?

 

Objection N°1. Il semble que saint Paul n’ait pas ignoré si son âme a été séparée de son corps. Car il dit (2 Cor., 12, 2) : Je sais qu’un homme a été ravi dans le Christ jusqu’au troisième ciel. Or, le mot homme désigne un être composé d’une âme et d’un corps. D’ailleurs le ravissement diffère de la mort. Il semble donc qu’il ait su que son âme n’a pas été séparée de son corps par la mort, et c’est ce que les saints Pères disent généralement.

Réponse à l’objection N°1 : Par synecdoche, on donne quelquefois le nom d’homme à une de ses parties, et surtout à l’âme, qui est sa partie la plus éminente. — D’ailleurs on pourrait entendre par là que celui dont il raconte le ravissement n’était pas un homme dans le moment où il a été ravi, mais qu’il l’était quatorze ans après. Ainsi il dit : Je sais qu’un homme, et non : Je sais qu’un homme ravi. Rien n’empêcherait non plus de dire que le ravissement est une mort produite par la vertu divine. C’est ce qui fait dire à saint Augustin (Sup. Gen. ad litt., liv. 12, chap. 3) : L’Apôtre ayant été dans le doute à cet égard, quel est celui d’entre nous qui oserait être certain ? Ceux qui parlent de cette question le font donc plutôt d’après des conjectures que sur des données certaines.

 

Objection N°2. D’après ces mêmes paroles de saint Paul, il est évident qu’il sait où il a été ravi, puisqu’il dit que c’est au troisième ciel. Or, il résulte de là qu’il a su s’il y a été en corps ou non, parce que s’il a su que le troisième ciel était quelque chose de corporel, il s’ensuit qu’il a su que son âme n’avait pas été séparée de son corps. Car on ne peut voir une chose corporelle qu’au moyen du corps. Il semble donc qu’il n’ait pas absolument ignoré si son âme a été séparée de son corps.

Réponse à l’objection N°2 : Saint Paul a su que ce troisième ciel était quelque chose de corporel ou qu’il y a vu quelque chose d’incorporel ; ce qui pouvait se faire par son intellect, sans que son âme eût été séparée de son corps.

 

Objection N°3. Comme le dit saint Augustin (Sup. Gen. ad litt., liv. 12, chap. 28), dans son ravissement, il a vu Dieu de la même vision que les saints le voient dans le ciel. Or, les saints, par là même qu’ils voient Dieu, savent si leurs âmes ont été séparées de leurs corps. Par conséquent saint Paul l’a su aussi.

Réponse à l’objection N°3 : La vision de saint Paul dans son ravissement fut sous un rapport semblable à la vision des bienheureux, c’est-à-dire relativement à ce qu’il voyait, mais elle fut différente sous un autre rapport, c’est-à-dire relativement au mode, parce qu’il ne vit pas aussi parfaitement que les saints qui sont dans le ciel. C’est ce qui fait dire à saint Augustin (Sup. Gen. ad litt., liv. 12, chap. 36), que quoique l’Apôtre ait été ravi au troisième ciel, ce qui prouve qu’il n’a pas eu une connaissance pleine et parfaite des choses, comme les anges, c’est qu’il n’a pas su s’il était avec son corps ou sans lui ; ce qui certainement n’aura pas lieu pour les élus, lorsqu’ils auront recouvré leur corps à la résurrection des morts, puisqu’il deviendra incorruptible, de corruptible qu’il était.

 

Mais c’est le contraire. Il dit lui-même (2 Cor., 12, 3) : Je ne sais si ce fut avec son corps ou sans son corps, Dieu le sait.

 

Conclusion Quand saint Paul a été ravi au troisième ciel, il n’a pas su si son âme était alors unie à son corps ou si elle en était séparée.

Il faut répondre que la véritable solution de cette question doit se tirer des paroles mêmes de l’Apôtre, par lesquelles il dit qu’il sait une chose, c’est qu’il a été ravi jusqu’au troisième ciel, et qu’il en ignore une autre, c’est s’il l’a été avec ou sans son corps ; ce qui peut s’entendre de deux façons : 1° ces paroles : Je ne sais si ce fut avec ou sans son corps peuvent s’entendre de manière qu’on ne les rapporte pas à l’existence de celui, qui a été ravi, comme s’il eût ignoré si son âme était encore dans son corps ou si elle n’y était plus ; mais de telle sorte qu’on les rapporte au mode du ravissement, comme s’il n’eût pas su si son corps avait été ravi simultanément avec son âme au troisième ciel, ou si l’âme seule y avait été élevée ; tel qu’il est dit (Ez., chap. 8) qu’Ezéchiel fut transporté en vision à Jérusalem. Saint Jérôme dit que ce sentiment fut celui d’un Juif (Prol. sup. Dan.), qui prétendait que notre apôtre n’avait pas osé affirmer qu’il avait été ravi corporellement, et qu’il avait dit : Etait-ce avec son corps ou sans son corps, je n’en sais rien. — Mais saint Augustin rejette cette opinion (Sup. Gen. ad litt., liv. 12, chap. 2, 3, 4 et 28), parce que l’Apôtre dit qu’il a su qu’il avait été ravi jusqu’au troisième ciel. Il savait par conséquent que le lieu où il a été ravi était véritablement le troisième ciel, et que ce n’en était pas la ressemblance imaginaire. Autrement, s’il eût désigné sous le nom de troisième ciel l’image de ce ciel, il eût pu dire, pour la même raison, qu’il avait été ravi dans son corps, en donnant le nom de corps à l’image de son propre corps telle qu’elle se produit en songe. Mais s’il savait que c’était véritablement le troisième ciel, il savait par conséquent, ou que ce ciel était quelque chose de spirituel et d’incorporel et que partant son corps ne pouvait pas y être ravi, ou qu’il était quelque chose de corporel et que l’âme ne pouvait pas y être ravie sans le corps, à moins qu’elle ne fût séparée de lui. C’est pourquoi il faut prendre les paroles de saint Paul dans un autre sens, et dire qu’il a su qu’il avait été ravi selon son âme, mais non selon son corps, mais que néanmoins il avait ignoré quels avaient été alors les rapports de l’âme au corps, si elle avait existé sans lui ou non. A cet égard il y a encore divers sentiments. Car il y en a qui disent que l’Apôtre a su que son âme était unie à son corps comme sa forme, mais qu’il n’a pas su s’il avait été privé de l’usage de ses sens, ou si les opérations de l’âme végétative avaient été interrompues. Mais, par là même qu’il a connu son ravissement, il n’a pas pu ignorer qu’il y avait eu abstraction de ses sens ; quant à la question s’il y a eu abstraction des opérations de l’âme végétative, ce n’était pas une chose tellement importante pour qu’il dût en faire une mention si expresse. D’où il résulte que l’Apôtre n’a pas su si son âme avait été unie à son corps comme sa forme ou si elle en avait été séparée par la mort. D’autres, tombant d’accord sur ce point, disent que l’Apôtre ne l’a pas su pendant son ravissement, parce que toute son attention était tournée vers Dieu, mais qu’il l’a su depuis, en considérant ce qu’il avait vu. Cette opinion est contraire aux paroles de saint Paul, qui distingue le passé du futur, puisqu’il dit qu’il sait présentement qu’il a été ravi, il y a quatorze ans, et qu’il ne sait pas, au moment où il écrit, s’il l’a été avec son corps ou sans lui. — C’est pourquoi on doit dire qu’avant et après il n’a pas su si son âme avait été séparée de son corps. D’où saint Augustin conclut, après une longue discussion (Sup. Gen. ad litt., liv. 12, chap. 5), que nous devons comprendre qu’il n’a pas su si, quand il a été ravi au troisième ciel, son âme était dans son corps, comme elle y est quand on dit que le corps vit, soit que l’on veille, soit que l’on dorme, soit que dans l’extase on ait été privé de ses sens, ou bien si elle en est sortie, comme quand le corps est mort.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

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