Saint Thomas d ’Aquin - Somme Théologique
2a 2ae = Secunda Secundae
= 2ème partie de la 2ème Partie
Question
179 : De la division de la vie en vie active et contemplative
Après avoir parlé des différents états d’après les grâces
gratuitement données, nous avons à les considérer d’après la vie active et la
vie contemplative. — A cet égard il y a quatre considérations à faire. La
première a pour objet la division de la vie en vie active et contemplative ; la
seconde porte sur la vie contemplative ; la troisième sur la vie active et la
quatrième sur la comparaison de la vie active avec la vie contemplative. — Sur
la division de la vie nous avons deux questions à examiner : 1° La vie est-elle
convenablement divisée en vie active et contemplative ? — 2° Cette division
est-elle suffisante ?
Article 1 : Est-il
convenable de diviser la vie en vie active et contemplative ?
Objection N°1. Il semble que la
vie ne soit pas convenablement divisée en vie active et contemplative. Car
l’âme est le principe de la vie par son essence ; puisque Aristote dit (De animâ, liv.
2, text. 37) que vivre pour les êtres vivants, c’est
exister. Or, le principe de l’action et de la contemplation, c’est l’âme au moyen
de ses puissances. Il semble donc que la vie ne soit pas convenablement divisée
en vie active et contemplative.
Réponse à l’objection N°1 : La forme propre de chaque chose
qui la fait être en acte étant le principe de son opération propre, il s’ensuit
qu’on dit que la vie est l’être des choses vivantes, parce que les choses
vivantes dès qu’elles ont l’être par leur forme opèrent d’une telle manière.
Objection N°2. Il n’est pas convenable que l’on divise ce qui est
avant par des différences qui portent sur ce qui est après. Or, l’actif et le
contemplatif, ou le spéculatif et le pratique sont des différences de
l’intellect, comme on le voit (De animâ, liv. 3, text. 46 et
49). D’un autre côté la vie est avant l’intelligence ; car la vie existe tout
d’abord dans les êtres vivants selon l’âme végétative, comme on le voit (De animâ, liv.
2, text. 34 et 59). C’est donc à tort qu’on divise la
vie en vie active et contemplative.
Réponse à l’objection N°2 : La vie prise universellement ne
se divise pas en vie active et contemplative, mais on divise ainsi la vie de
l’homme qui tire son espèce de ce qu’il est intelligent (Ainsi on définit
l’homme un animal raisonnable, et c’est son caractère d’être intelligent ou
raisonnable qui est cause qu’il y a en lui les deux opérations distinctes qui
déterminent ces deux sortes de vie, la vie active et la vie contemplative,
comme on le voit (art suiv.).). C’est pourquoi la division de l’intellect est
la même que celle de la vie humaine.
Objection N°3. Le nom de vie implique le mouvement, comme on le
voit dans saint Denis (De div. nom., chap. 4).
Or, la contemplation consiste plutôt dans le repos, d’après ces paroles (Sag., 8, 16) : Entrant dans ma maison je me reposerai avec elle. Il semble donc
que la vie ne soit pas convenablement divisée en vie active et contemplative.
Réponse à l’objection N°3 : La contemplation indique que l’on
est en repos à l’égard des mouvements extérieurs : néanmoins elle est un
mouvement de l’intellect selon que toute opération est un mouvement. C’est ainsi
qu’Aristote dit (De animâ,
liv. 3, text. 28) que sentir et comprendre sont des
mouvements, selon qu’on donne ce nom aux actes parfaits. Saint Denis distingue
de la sorte (De div. nom., chap. 4) trois mouvements dans
l’âme contemplative : le droit, le circulaire et l’oblique (L’explication de
ces mots fait le sujet de l’article 6 de la question suivante.).
Mais c’est le contraire. Saint Grégoire dit (Sup. Ezech., hom.
14) : Il y a deux vies dans lesquelles Dieu nous dirige par sa parole sacrée,
la vie active et la vie contemplative.
Conclusion La vie de l’homme se divise en deux parties : la vie
active et la vie contemplative.
Il faut répondre qu’on appelle proprement vivants tous les êtres
qui se meuvent ou qui agissent par eux-mêmes. Or, ce qui convient
principalement et par soi à un être, c’est ce qui lui appartient en propre et
la chose pour laquelle il a le plus d’inclination. C’est ce qui prouve que tout
être vivant vit de l’opération qui lui est la plus propre et à laquelle il est
le plus porté. Ainsi on dit que la vie des plantes consiste en ce qu’elles se
nourrissent et qu’elles engendrent ; la vie des animaux en ce qu’ils sentent et
qu’ils se meuvent, et la vie des hommes en ce qu’ils comprennent et agissent
conformément à la raison. Par conséquent dans les hommes la vie de chaque
individu paraît être la chose dans laquelle il se délecte le plus et à laquelle
il s’applique davantage ; et c’est en cela principalement que l’on veut vivre
d’une même vie avec un ami, selon la remarque d’Aristote (Eth., liv. 9, chap. 4, 9 et 12). Ainsi parce qu’il y a des hommes qui
s’attachent principalement à la contemplation de la vérité, et d’autres qui
s’appliquent surtout aux actions extérieures, il s’ensuit qu’il est convenable
de diviser la vie de l’homme en vie active et contemplative.
Article 2 :
La vie est-elle suffisamment divisée en vie active et contemplative ?
Objection N°1. Il semble que la
vie ne soit pas suffisamment divisée en vie active et contemplative. Car
Aristote dit (Eth., liv. 1, chap. 5) qu’il y a surtout
trois vies qui se distinguent : la vie voluptueuse, la vie civile qui parait
être la même que la vie active, et la vie contemplative. Il ne paraît donc pas
suffisant de diviser la vie en vie active et contemplative.
Réponse à l’objection N°1 : La vie voluptueuse met sa fin
dans les jouissances corporelles qui nous sont communes avec les animaux. Par
conséquent, comme le dit Aristote (ibid.),
c’est la vie de la brute. C’est pour ce motif qu’elle n’est pas comprise dans
la division actuelle, d’après laquelle nous distinguons dans la vie humaine la
vie active et contemplative.
Objection N°2. Saint Augustin reconnaît trois genres de vie (De civ. Dei, liv. 19, chap. 2 et 19) :
une vie de loisir, ce qui appartient à la vie contemplative ; une vie d’action,
ce qui se rapporte à la vie active ; et il en ajoute une troisième, composée
des deux autres. Il semble donc que l’on ait insuffisamment divisé la vie en
distinguant la vie active et la vie contemplative.
Réponse à l’objection N°2 : Les milieux se forment avec les
extrêmes ; c’est pourquoi ils sont contenus en eux virtuellement, comme le
tiède dans le chaud et le froid, le pâle dans le blanc et le noir. De même sous
l’actif et le contemplatif on comprend ce qui est composé de l’un et de
l’autre. Cependant, comme dans un mélange il y a l’un des éléments simples qui
prédominent ; de même dans un genre de vie, tantôt c’est l’élément contemplatif
et tantôt c’est l’actif qui l’emporte.
Objection N°3. La vie de l’homme change selon que les hommes
s’appliquent à des actions différentes. Or, il y a dans la vie humaine plus de
deux sortes d’occupations. Il semble donc que la vie doive se diviser en plus
de deux membres, la vie active et contemplative.
Réponse à l’objection N°3 : Toutes les occupations de
l’homme, si elles se rapportent aux besoins de la vie présente conformément à
la droite raison, appartiennent à la vie active, qui pourvoit à ces besoins par
des actions qui les ont pour fin. S’ils ont pour but de satisfaire la
concupiscence, quelle qu’elle soit, ils appartiennent à la vie voluptueuse, qui
n’est pas comprise dans la vie active. Quant aux efforts qui ont pour but de
considérer la vérité, ils appartiennent à la vie contemplative.
Mais c’est le contraire. Ces deux vies sont figurées par les deux
épouses de Jacob : la vie active par Lia et la vie contemplative par Rachel ;
et par les deux femmes qui ont donné l’hospitalité au Seigneur : la vie
contemplative par Marie et la vie active par Marthe, comme le dit saint
Grégoire (Mor., liv. 6, chap. 18, et Hom. 14 in Ezech.).
Or, cette signification ne serait pas convenable s’il y avait plus de deux
vies. Il suffit donc de diviser la vie en vie active et contemplative.
Conclusion La vie humaine, qui a son couronnement dans le travail
de l’intelligence, se divise seulement en vie active et contemplative.
Il faut répondre
que, comme nous l’avons dit (art. préc., Réponse N°2), cette division se rapporte à la vie
humaine, qui se considère d’après l’intellect. Or, on divise l’intellect en
intellect actif et contemplatif. Car la fin de la connaissance intellectuelle
est ou la connaissance même de la vérité, ce qui appartient à l’intellect
contemplatif, ou certaines actions extérieures, ce qui appartient à l’intellect
pratique ou actif. C’est pourquoi il suffit de diviser la vie en vie active et
contemplative.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
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