Saint Thomas d’Aquin
- Somme Théologique
3a = Tertia
Pars = 3ème partie
Question
13 : De la puissance de l’âme du Christ
Article 1 :
L’âme du Christ a-t-elle eu la toute-puissance absolument ?
Objection N°1. Il
semble que l’âme du Christ ait eu la toute-puissance. Car saint Ambroise dit
(Sup. Luc., chap. 1, Hic erit magnus) : La puissance que le Fils de Dieu a
naturellement, l’homme devait la recevoir dans le temps. Or, ceci paraît se
rapporter principalement à l’âme qui est la partie principale de l’homme. Par
conséquent, puisque le Fils de Dieu a eu la toute-puissance de toute éternité,
il semble que l’âme du Christ l’ait reçue dans le temps.
Réponse
à l’objection N°1 : L’homme a reçu dans le temps la toute-puissance que le
Fils de Dieu a eue de toute éternité, par l’union même de la personne, d’où il
est résulté que comme l’homme est appelé Dieu, de même il est dit tout-puissant
(On parle ainsi en raison de la communication des idiomes. Ou bien encore on
peut dire que l’âme du Christ est toute-puissante, non d’une manière absolue,
mais seulement par rapport à tout ce qui est nécessaire à la fin de
l’Incarnation.), non comme si la toute-puissance de l’homme était autre que
celle du Fils de Dieu ou que sa divinité ne fût pas la même, mais parce que
Dieu et l’homme ne font qu’une seule et même personne.
Réponse à l’objection N°2 : Il faut répondre au second, qu’il y en a qui prétendent qu’il y
a une grande différence entre la science et la puissance active. Car la
puissance active résulte de la nature même de la chose, parce qu’on considère
l’action comme sortant de l’agent ; au lieu que la science n’est pas toujours
possédée par l’essence ou la forme de celui qui sait, mais il peut l’avoir en
s’assimilant les choses sues d’après les images ou les ressemblances qu’il a
reçues (La science, d’après ce sentiment, n’est qu’un accident qui vient du
dehors, au lieu que la puissance est une propriété qui découle de l’essence de
l’agent.). Mais ce raisonnement ne paraît pas fondé : car, comme on peut
connaître par une ressemblance ou une espèce qu’on a reçue d’un autre, de même
on peut agir par une forme qu’on a reçue d’un autre. C’est ainsi que l’eau ou
le fer échauffent par la chaleur qu’ils ont reçue du feu. Par conséquent rien
n’empêche que comme l’âme du Christ peut tout connaître par les ressemblances
de toutes les choses qu’elle a reçues de Dieu, de même elle puisse tout faire
par ces mêmes images. Il faut donc considérer que ce qui est reçu d’une nature
supérieure dans une nature inférieure s’y trouve d’une manière moins élevée ;
car la chaleur n’a pas la même perfection, ni la même vertu dans l’eau qui la
reçoit que dans le feu. Ainsi parce que l’âme du Christ est d’une nature
inférieure à la nature divine, les ressemblances des choses ne sont pas reçues
en elle avec la même perfection et la même vertu que dans la nature divine.
D’où il suit que la science de l’âme du Christ est inférieure à la science
divine quant au mode de connaissance, parce que Dieu connaît les choses plus
parfaitement que l’âme du Christ ; et quant au nombre des choses sues, parce
que l’âme du Christ ne connaît pas tout ce que Dieu peut faire, et que Dieu le
connaît d’une science de simple intelligence ; quoiqu’elle connaisse toutes les
choses présentes, passées et futures que Dieu connaît d’une science de vision.
De même les ressemblances des choses infuses dans l’âme du Christ n’égalent pas
la vertu divine pour l’action, de telle sorte qu’elle puisse faire tout ce que
Dieu peut, ou le faire comme le fait Dieu qui agit avec une vertu infinie, dont
la créature n’est pas capable. D’ailleurs il n’y a pas de chose qui demande une
vertu infinie pour qu’on en ait une connaissance quelconque, quoiqu’il y ait un
mode de connaissance qui soit d’une vertu infinie ; mais il y a des choses qui
ne peuvent être faites que par une vertu infinie, comme la création et d’autres
actes semblables, ainsi qu’on le voit d’après ce que nous avons dit (quest.
45). C’est pourquoi l’âme du Christ, puisqu’elle est une créature, est d’une
vertu finie. Elle peut à la vérité connaître toutes choses, mais non de toute
manière (Ainsi sa science, quelque étendue qu’elle soit, n’est pas infinie, et
il en est de même de sa puissance, qui se trouve encore plus restreinte,
puisqu’elle ne peut faire tout ce qu’elle connaît, comme l’observe saint Thomas
dans la réponse suivante.) ; mais elle ne peut tout faire, ce qui est le propre
de la toute-puissance : et entre autres choses il est évident qu’elle ne peut
pas se créer elle-même.
Réponse à l’objection N°3 : L’âme du Christ a eu la science pratique et la
science spéculative ; cependant il n’a pas fallu qu’elle eût la science
pratique de toutes les choses dont elle a eu la science spéculative. Car pour
avoir la science spéculative il suffit de la conformité ou de l’assimilation du
sujet qui sait avec la chose sue ; au lieu que pour la science pratique il est
nécessaire que les formes des choses qui sont dans l’intellect soient
créatrices. Or, avoir une forme et l’imprimer dans un autre, c’est plus que
d’avoir seulement la forme, comme luire et éclairer, c’est plus que de luire
seulement. D’où il suit que l’âme du Christ a la science spéculative de la
création (car elle sait de quelle manière Dieu crée), mais elle n’en a pas la
science pratique, parce qu’elle n’a pas la science qui la produit.
Mais c’est le
contraire. Ce qui est propre à Dieu ne peut pas convenir à une créature. Or,
c’est le propre de Dieu que d’être tout-puissant ; car après avoir dit (Exod., 15, 2) : C’est mon
Dieu, je le glorifierai, Moïse ajoute : le
Tout-Puissant est son nom. L’âme du Christ étant une créature n’a donc pas
la toute-puissance.
Conclusion
L’âme du Christ étant une partie de la nature humaine, il est impossible
qu’elle ait la toute-puissance.
Il faut répondre que,
comme nous l’avons dit (quest. 2, art. 1, 2), dans le mystère de l’Incarnation
l’union s’est faite dans la personne, et les natures n’en sont pas moins
restées distinctes, c’est-à-dire que l’une et l’autre conservent ce qui leur
est propre. Or, la puissance active d’une chose quelconque suit sa forme qui
est le principe de l’action. La forme est ou la nature même de la chose comme
dans les êtres simples, ou ce qui la constitue, comme dans ce qui est composé
de matière et de forme. D’où il est évident que la puissance active d’une chose
suit sa nature. Ainsi la toute-puissance se rapporte à la nature divine comme
sa conséquence. Car la nature divine étant l’être même de Dieu sans limites,
comme le prouve saint Denis (De div. nom., chap. 5), il en résulte
qu’elle a une puissance active relativement à toutes les choses qui peuvent
avoir une raison d’être (C’est-à-dire qui sont possibles.) ; ce qui constitue
la toute-puissance ; comme toute autre chose a sa puissance active par rapport
aux effets auxquels s’étend la perfection de sa nature, comme le chaud a le
pouvoir d’échauffer. Par conséquent, puisque l’âme du Christ est une partie de
la nature humaine, il est impossible qu’elle ait la toute-puissance.
Article 2 : L’âme
du Christ a-t-elle la toute-puissance à l’égard du changement des créatures ?
Objection N°1. Il
semble que l’âme du Christ ait eu la toute-puissance à l’égard du changement
des créatures. Car le Christ dit lui-même (Matth., 28, 18) : Toute puissance m’a été donnée dans le ciel
et sur la terre. Or, sous le nom du ciel et de la terre on comprend toutes
les créatures, comme on le voit par ces paroles de la Genèse (1, 1) : Au commencement Dieu créa le ciel et la
terre. Il semble donc que l’âme du Christ soit toute-puissante à l’égard du
changement des créatures.
Réponse à l’objection N°1 :
Comme le dit saint Jérôme (Sup. loc. Matth, cit. in arg.), la puissance a été donnée à celui
qui a été auparavant crucifié, qui a été enseveli dans le tombeau et qui est
ensuite ressuscité, c’est-à-dire au Christ comme homme. Or, on dit que toute
puissance lui a été donnée en raison de l’union personnelle qui a rendu l’homme
tout- puissant, ainsi que nous l’avons dit (art. préc., Réponse N°1). Et
quoique les anges l’aient su avant sa résurrection, tous les hommes ne l’ont su
qu’après, selon la remarque de saint Remi (hab.
in Cat. aur. div. Thomæ). Comme on dit que les
choses se font quand on les connaît, il en est résulté que c’est après sa
résurrection que le Seigneur a dit que toute puissance lui avait été donnée
dans le ciel et sur la terre.
Objection N°2. L’âme
du Christ est plus parfaite que toute créature. Or, toute créature peut être
mue par une autre. Car saint Augustin dit (De
Trin., liv. 3, chap. 4) : que, comme les corps plus grossiers et d’un ordre
inférieur sont mus d’une certaine manière par ceux qui sont plus subtils et
plus puissants, de même tous les corps sont régis par l’esprit de vie, l’esprit
de vie irraisonnable par l’esprit de vie qui raisonne, et l’esprit de vie qui
raisonne, mais qui est prévaricateur et pécheur, par l’esprit de vie qui
raisonne, mais qui est pieux et juste. Or, l’âme du Christ meut les esprits
supérieurs en les illuminant, comme le dit saint Denis (De cœl. hier., chap. 7). Il semble donc que
l’âme du Christ ait la toute-puissance à l’égard du changement des créatures.
Réponse à l’objection N°2 : Quoique toute créature puisse être changée par une autre, à
l’exception de l’ange suprême qui peut néanmoins être éclairé par l’âme du
Christ, cependant tout changement dont la créature est susceptible ne peut pas
être produit par une autre créature, mais il y a des changements dont Dieu seul
peut être l’auteur. Ainsi tous les changements qui peuvent être opérés par les
créatures, l’âme du Christ peut les produire selon qu’elle est l’instrument du
Verbe, mais non selon sa propre nature et sa vertu ; parce qu’il y a de ces
changements qui n’appartiennent à l’âme, ni quant à l’ordre de la nature, ni
quant à l’ordre de la grâce.
Objection
N°3. L’âme du Christ a eu
de la manière la plus pleine la grâce des miracles ou des vertus, comme toutes
les autres grâces. Or, tout changement de la créature peut appartenir à la
grâce des miracles ; puisque les corps célestes ont été miraculeusement changés
dans leur ordre, comme le prouve saint Denis (Ep. ad Polyc.). L’âme du Christ a
donc eu la toute- puissance à l’égard du changement des créatures.
Réponse à l’objection N°3 : Comme nous l’avons dit (2a 2æ,
quest. 178, art. 1, Réponse N°1), la grâce des vertus ou des miracles est
donnée à l’âme d’un saint, non pour qu’il fasse des miracles par sa propre
vertu, mais pour qu’il les produise par la vertu divine. Cette grâce a été
donnée à l’âme du Christ de la manière la plus excellente, c’est-à-dire que non
seulement il faisait des miracles, mais il communiquait encore cette puissance
aux autres. D’où il est dit (Matth., 10, 1) : Que Jésus ayant appelé ses douze disciples,
leur donna puissance sur les esprits impurs pour les chasser, et pour guérir
toute maladie et toute infirmité.
Mais c’est le
contraire. Il appartient de changer les créatures à celui qui a le pouvoir de
les conserver. Or, il n’y a que Dieu qui les conserve, d’après saint Paul qui
dit (Héb., 1, 3) : Qu’il soutient toutes choses par sa parole
toute-puissante. Il n’appartient donc qu’à Dieu d’avoir la toute-puissance
à l’égard du changement des créatures. Il ne convient donc pas que l’âme du
Christ ait ce pouvoir.
Conclusion L’âme du Christ a eu
le pouvoir de gouverner son corps et de dis poser des actes humains, selon sa
nature et sa vertu propre, mais elle n’a pas pu opérer des changements dans les
créatures contrairement aux lois ordinaires de la nature, sinon comme
l’instrument de la divinité.
Il faut répondre que
nous avons besoin de faire ici une double distinction. La première se rapporte
au changement de la créature qui existe de trois sortes : l’un est naturel et
il est produit par l’agent qui lui est affecté selon l’ordre de la nature ;
l’autre est miraculeux et il est produit par un agent surnaturel d’une manière
supérieure aux lois ordinaires et au cours de la nature, comme la résurrection
des morts ; enfin le troisième résulte de ce que toute créature peut être
réduite au néant. La seconde distinction doit se rapporter à l’âme du Christ,
que l’on peut considérer de deux manières : 1° selon sa propre nature et selon
la vertu qui lui vient de la nature ou de la grâce ; 2° selon qu’elle est
l’instrument du Verbe de Dieu qui lui est personnellement uni. — Si donc nous
parlons de l’âme du Christ selon sa propre nature et sa vertu naturelle ou
gratuite, elle a eu la puissance de produire les effets qui conviennent à l’âme
; par exemple, elle a pu gouverner son propre corps, régler ses actes humains
et éclairer par la plénitude de la grâce et de la science toutes les créatures
raisonnables qui s’écartaient de la perfection, et elle l’a pu de la manière
qui convient à une créature qui raisonne. Mais si nous parlons de l’âme du
Christ selon qu’elle est l’instrument du Verbe qui lui est uni, elle a eu de la
sorte la vertu instrumentale (A cet égard, il s’est élevé une très grande
controverse entre les scotistes et quelques autres théologiens et les
thomistes, pour savoir si cette cause instrumentale opérait physiquement ou
moralement. Les thomistes soutiennent que l’humanité du Christ opérait
physiquement les miracles et les autres effets de la grâce. Nous aurons
d’ailleurs l’occasion de parler de nouveau de cette opinion au sujet des
sacrements, qui sont aussi des instruments qui opèrent moralement d’après les
uns, et physiquement d’après les autres.) pour produire tous les
changements miraculeux qui pouvaient se rapporter à la fin de l’Incarnation qui
consiste à régénérer toutes les choses qui sont ou dans le ciel ou sur la
terre. Quant au changement des créatures, selon qu’elles sont susceptibles
d’être anéanties, il correspond à leur création, c’est-à-dire au pouvoir qui
les a fait sortir du néant. C’est pourquoi, comme Dieu seul peut créer, de même
il peut seul réduire les créatures au néant ; il est aussi le seul qui leur
conserve l’être et qui empêche qu’elles ne soient anéanties. Par conséquent on
doit dire que l’âme du Christ n’a pas la toute-puissance à l’égard du
changement des créatures.
Article 3 : L’âme
du Christ a-t-elle eu la toute-puissance par rapport à son propre corps ?
Objection N°1. Il
semble que l’âme du Christ ait eu la toute-puissance par rapport à son propre
corps. Car saint Jean Damascène dit (De orth. fid., liv. 3, chap.
23) que toutes les choses naturelles ont été volontaires dans le Christ ; car
il a eu faim, il a eu soif, il a craint, il est mort parce qu’il l’a voulu. Or,
on dit que Dieu est tout-puissant, parce qu’il a fait tout ce qu’il a voulu. Il
semble donc que l’âme du Christ ait eu la toute-puissance relativement aux
opérations naturelles de son propre corps.
Réponse
à l’objection N°1 : Ce passage de saint Jean Damascène doit s’entendre de
la volonté divine du Christ, parce que, comme il le dit lui-même auparavant
(chap. 14 et 15), le bon plaisir de la volonté divine permettait à la chair de
souffrir et d’opérer les choses qui lui sont propres.
Réponse à l’objection N°2 : La justice originelle qu’Adam a eue dans l’état d’innocence ne
donnait pas à son âme le pouvoir de transformer son propre corps de toutes les
manières, mais celui de le conserver sans qu’il eût à souffrir aucun dommage.
Le Christ aurait pu avoir cette puissance s’il l’eut voulu. Mais puisqu’il y a
pour les hommes trois états, celui de l’innocence, celui du péché et celui de
la gloire, comme il a pris de l’état de la gloire la vision et de l’état
d’innocence l’exemption de tout péché ; de même il a pris de l’état du péché la
nécessité de se soumettre aux peines de cette vie, comme nous le dirons plus
loin (quest. 14, art. 2).
Réponse à l’objection N°3 : Le corps obéit naturellement à l’imagination, si elle est forte,
relativement à certaines choses, comme par exemple quand on tombe du haut d’une
poutre qui se trouve très élevée ; parce que l’imagination est faite pour être
le principe du mouvement local, selon la remarque d’Aristote (De animâ, liv.
3, text. 48). Il en est de même quant à l’altération
qui résulte du chaud et du froid et quant aux autres conséquences semblables ;
parce que les passions de l’âme qui agitent le cœur sont naturellement
produites par l’imagination ; et c’est ainsi que le corps tout entier est
altéré par l’ébranlement des esprits. Quant aux autres dispositions corporelles
qui n’ont pas naturellement de rapports avec l’imagination, elles ne sont pas
modifiées par cette faculté, quelque puissante qu’elle soit, comme la forme de
la main ou du pied, ou toute autre chose sensible.
Mais c’est le
contraire. Il est dit du Christ (Héb., 2, 17) qu’il a dû
ressembler en tout à ses frères, et surtout en ce qui appartient à la
condition de la nature humaine. Or, il est dans la condition de la nature
humaine que la force du corps, sa nutrition et son accroissement ne soient pas soumis à l’empire de la raison ou de la volonté,
parce que les choses naturelles ne sont soumises qu’à Dieu qui est l’auteur de
la nature. L’âme du Christ n’a donc pas été toute-puissante par rapport à son
propre corps.
Conclusion Comme l’âme du Christ
ne pouvait pas affranchir les corps extérieurs du cours et des lois ordinaires
de la nature, de même elle n’a pas eu la toute-puissance sur son propre corps
par sa propre vertu, sinon en tant qu’instrument du Verbe de Dieu.
Il faut répondre que,
comme nous l’avons dit (art. préc.), l’âme du Christ peut se
considérer de deux manières : 1° selon sa nature et sa vertu propre. Ainsi,
comme à ce titre elle ne pouvait pas faire sortir les corps extérieurs du cours
ordinaire et des lois de la nature ; de même elle ne pouvait pas non plus
affranchir son propre corps de ses dispositions naturelles (Ainsi elle ne
pouvait l’empêcher de souffrir, de se nourrir, d’être pesant, et, par
conséquent, quand il marcha sur les eaux ou quand il s’est transfiguré, il y a
eu miracle.), parce que selon sa propre nature elle a une proportion déterminée
à (C’est-à-dire, sa puissance sur le corps est renfermée dans des limites
déterminées, qui fait que son développement, sa santé et tous les autres
phénomènes de la vie nutritive ne dépendent pas d’elle.) l’égard du corps qu’elle
anime. 2° On peut considérer l’âme du Christ selon qu’elle est un instrument
uni au Verbe de Dieu en personne. Toutes les dispositions de son propre corps
étaient de la sorte soumises totalement à sa puissance. Toutefois, parce que la
vertu de l’action ne s’attribue pas en propre à l’instrument, mais à l’agent
principal, on attribue plutôt cette toute-puissance au Verbe de Dieu qu’à l’âme
du Christ.
Article 4 : L’âme du Christ a-t-elle eu la
toute-puissance à l’égard de l’exécution de sa volonté ?
Objection N°1. Il
semble que l’âme du Christ n’ait pas eu la toute-puissance par rapport à
l’exécution de sa volonté propre. Car l’Evangile dit (Marc, chap. 7) qu’étant entré dans une maison il voulait
que personne ne le sût, mais qu’il ne put se cacher. Il n’a donc pas pu
exécuter en tout le dessein de sa volonté.
Réponse à l’objection N°1 : Comme l’observe saint Augustin (Lib. de quæst. Vet. et Nov. Testam, ut supra), ce
qui s’est fait on doit dire que le Christ l’a voulu. Car il est à remarquer que
ce fait s’est passé sur les confins de la gentilité, quand il n’était pas
encore temps de lui faire entendre ses prédications. Cependant c’était la
jalousie qui empêchait de recevoir ceux qui venaient d’eux-mêmes à la foi. Il
ne voulut donc pas qu’ils fussent prêchés par les siens, mais il voulut qu’ils
le recherchassent, et c’est ce qui arriva. Ou bien on peut dire que cette
volonté du Christ n’eut pas pour objet ce qu’elle devait faire elle-même, mais
ce qui devait être lait par les autres (Les thomistes examinent si ce que le
Christ a voulu d’une volonté absolue et efficace, comme devant être fait par
les autres, s’est toujours accompli. Sylvius, Billuart et plusieurs autres le
pensent, contrairement à Cajétan, Jean de Saint- Thomas, Cabrera et d’autres
thomistes.), et qui ne dépendait pas de sa volonté humaine. D’où on lit dans
l’Epître du pape Agathon qui a été reçue au sixième
concile œcuménique (Const. 3, act. 4) : Si le Créateur et le Rédempteur de tous
les hommes n’a pas pu se cacher sur la terre, quoiqu’il l’ait voulu, ne doit-on
pas rapporter ces paroles à sa volonté humaine qu’il a daigné épouser
temporellement.
Objection N°2. Le
précepte est le signe de la volonté, comme nous l’avons dit (1a pars,
quest. 19, art. 12). Or, le Seigneur a ordonné de faire certaines choses, et
c’est le contraire qui est arrivé. Car il est rapporté (Matth.,
9, 31) qu’il avait fait une défense aux aveugles qui venaient de recouvrer la
vue en leur disant : Prenez garde que qui
que ce soit ne le sache. Mais qu’eux s’en étant allés, ils répandirent sa
réputation dans tout le pays. Il n’a donc pas pu exécuter en tout le
dessein de sa volonté.
Réponse à l’objection N°2 :
Comme le dit saint Grégoire (Mor.,
liv. 19, chap. 14), le Seigneur en ordonnant de taire ses vertus a donné l’exemple
à ses serviteurs qui l’imitent, afin qu’ils désirent tenir secrètes leurs
bonnes actions, et que néanmoins elles se manifestent malgré eux pour devenir
profitables aux autres. Ce précepte désignait donc sa volonté qui fuyait la
gloire humaine, d’après ces paroles de saint Jean (Jean, 8, 50) : Je ne cherche pas ma gloire. Néanmoins
il voulait absolument, surtout selon sa volonté divine, que le miracle qu’il
avait fait fût rendu public pour l’utilité des autres.
Objection N°3. Ce que
l’on peut faire, on ne le demande pas à un autre. Or, le Seigneur a prié son
Père en lui demandant ce qu’il voulait qui fût fait : car il est dit (Luc,
6, 12) qu’il s’en alla sur une montagne
pour prier et qu’il y passa toute la nuit à prier Dieu. Il n’a donc pas pu
exécuter en tout le dessein de sa volonté.
Réponse à l’objection
N°3 : Le Christ priait
pour ce qui devait être fait par la vertu divine et pour ce qu’il devait faire
par sa volonté humaine ; parce que la vertu et l’opération de son âme
dépendaient de Dieu qui opère en nous le
vouloir et le faire, selon l’expression de l’Apôtre (Phil., 2, 13).
Mais c’est le
contraire. Saint Augustin dit (alius auctor
de quæst. Veteris et Nov. Testam, quest. 77) (Bellarmin, dans son livre De scriptor.
Eccles. prouve que l’auteur de cet ouvrage est un
hérétique. Tout en suivant l’opinion de ses contemporains qui croyaient ce
livre de saint Augustin, saint Thomas n’en extrait que des passages tout à fait
orthodoxes.) : Il est impossible que la volonté du Sauveur ne s’accomplisse pas
; il ne peut vouloir ce qu’il sait ne devoir pas arriver.
Conclusion
L’âme du Christ a pu faire par sa vertu propre toutes les choses qu’d a voulu
faire par lui-même ; quant à celles qu’il a voulu faire par la vertu divine,
elle n’a pu les faire que comme instrument du Verbe divin.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
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l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
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