Saint Thomas d’Aquin
- Somme Théologique
3a = Tertia
Pars = 3ème partie
Question
14 : Des infirmités du corps que le Fils de Dieu a prises
Après avoir parlé des perfections de l’âme du Christ, nous devons nous
occuper des défauts ou des infirmités qu’il a éprouvés dans la nature humaine.
— Nous traiterons : 1° des défauts du corps ; 2° des défauts de l’âme. — A cet
égard quatre questions se présentent : 1° Le Fils de Dieu a-t-il dû prendre
dans la nature humaine les défauts du corps ? (Cet article est une réfutation
de l’hérésie de Julien d’Halicarnasse et de celle des acéphales, qui
prétendaient que le corps du Christ avait été incorruptible dès le moment de sa
conception. L’empereur Justinien est tombé dans cette erreur sur la fin de sa
vie.) — 2° A-t-il épousé la nécessité d’être soumis à ces défauts ? (Il est bon
d’observer que le Verbe pouvait prendre un corps exempt de toutes les
infirmités de cette vie, comme celui qu’avait Adam avant son péché, ou même en
prenant un corps comme le nôtre, il pouvait l’exempter des misères que nous
endurons. Ses souffrances n’ont été nécessaires que quand on les considère par
rapport à la condition de la nature humaine considérée en elle-même.) — 3° Les
a-t-il contractés ? (Cet article roule sur la signification du mot contracter (contrahere), qui, dans la langue de l’Ecole, suppose que l’effet
existe simultanément avec sa cause la plus prochaine dans le même sujet. Or, le
péché étant la cause prochaine de nos infirmités, pour les contracter il faut
que l’on ait commis une faute quelconque ; ce que n’a pas fait le Christ.) — 4°
A-t-il pris tous nos défauts corporels ?
Article 1 :
Le Fils de Dieu a-t-il dû prendre dans la nature humaine les défauts du corps ?
Objection N°1. Il
semble que le Fils de Dieu n’ait pas dû prendre la nature humaine avec les
défauts du corps. Car, comme l’âme est unie personnellement au Verbe de Dieu,
de même aussi le corps. Or, l’âme du Christ a eu la perfection absolue, et
quant à la grâce, et quant à la science, ainsi que nous l’avons dit (quest. 7,
art. 9, et quest. 9, art. 1). Son corps a donc dû être parfait de toutes les
manières, sans avoir en lui-même aucun défaut.
Réponse
à l’objection N°1 : Il faut répondre au premier argument, que la
satisfaction pour les péchés d’un autre a pour matière les peines que l’on
prend sur soi pour les péchés d’autrui, mais elle a pour principe l’habitude de
l’âme qui porte à vouloir satisfaire pour un autre et d’où la satisfaction tire
son efficacité. Car la satisfaction n’est efficace qu’autant qu’elle procède de
la charité, comme nous le dirons (Voir supplem., quest. 14, art. 2). C’est
pourquoi il a fallu que l’âme du Christ fût parfaite quant aux habitudes des
sciences et des vertus pour avoir la faculté de satisfaire ; tandis que son
corps a été soumis aux infirmités, pour que la matière de la satisfaction ne
fît pas en lui défaut.
Réponse à l’objection N°2 : Selon le rapport naturel qu’il y a entre l’âme et le corps, il
rejaillit de la gloire de l’âme une gloire sur le corps. Mais ce rapport
naturel était soumis dans le Christ à la volonté de la divinité elle-même, d’où
il est arrivé que la béatitude est restée dans l’âme sans arriver au corps, et
que la chair a ainsi souffert ce qui convient à une nature passible, suivant
cette pensée de saint Jean Damascène (De orth. fid., liv. 3, chap.
15) : Le bon plaisir de la volonté divine permettait à la chair de souffrir et
d’opérer ce qui lui est propre.
Réponse à l’objection N°3 : La peine suit toujours la faute actuelle ou
originelle, tantôt de celui qui est puni, tantôt de celui pour lequel celui qui
souffre la peine satisfait. Et c’est ce qui est arrivé à l’égard du Christ,
d’après ces paroles du prophète (Is., 53,
5) : C’est pour nos iniquités qu’il a été
couvert de plaies, c’est pour nos crimes qu’il a été brisé.
Objection
N°4. Aucun homme sage ne
prend ce qui l’empêche d’atteindre sa propre fin. Or, il semble que par ces
défauts corporels la fin de l’incarnation ait pu être empêchée d’une multitude
de manières : 1° parce que ces infirmités ont empêché les hommes de connaître
le Messie, d’après ces paroles du prophète (Is.,
53, 2) : Nous l’avions désiré, mais il
nous a paru méprisable, le dernier des hommes, un homme de douleurs et qui sait
par expérience ce que c’est que souffrir. Son visage nous a été caché en
quelque sorte, et il a été méprisé ; c’est pour cela que nous ne l’avons pas
reconnu. 2° Parce que le désir des saints patriarches ne paraît pas être
rempli ; car le prophète leur fait dire (Is., 51, 9) : Levez-vous, levez-vous, bras du Seigneur, armez- vous de force. 3°
Parce qu’il paraissait plus convenable que la puissance du démon pût être
vaincue et que la faiblesse humaine pût être guérie par la force que par
l’infirmité. Par conséquent, il ne paraît pas convenable que le Fils de Dieu
ait pris la nature humaine avec les infirmités ou les défauts du corps.
Réponse à l’objection N°4 : L’infirmité prise par le Christ n’a pas été un obstacle à la
fin de l’Incarnation, mais elle lui a été au contraire très utile, comme nous
l’avons dit (dans le corps de cet article.). Et quoique ces faiblesses aient
caché sa divinité (Sa divinité se manifestait par les miracles et par toutes
les œuvres surnaturelles qu’il opérait.), elles montraient néanmoins son
humanité, qui est le moyen de parvenir à la divinité, d’après ces paroles de
saint Paul (Rom., 5, 2) : Nous avons accès près de Dieu par
Jésus-Christ. Quant aux anciens patriarches ils désiraient dans le Christ,
non la force corporelle, mais la force spirituelle, par laquelle il a vaincu le
démon et guéri l’infirmité humaine.
Mais c’est le
contraire. L’Apôtre dit (Héb., 2, 18)
: C’est parce qu’il a souffert lui-même
et qu’il a été tenté, qu’il est puissant pour secourir ceux qui sont tentés
aussi. Or, il est venu pour nous aider, d’où le Psalmiste disait (Ps. 120, 1) : J’ai levé les yeux vers les montagnes pour voir d’où il me viendra du
secours. Il a donc été convenable que le Fils de Dieu prît un corps soumis
aux infirmités humaines, pour pouvoir par là souffrir, être éprouvé et nous
venir ainsi en aide.
Conclusion Afin que le Christ satisfît
pour les péchés du genre humain, qu’il fît croire à son incarnation, et qu’il
fût pour tous les hommes un exemple de patience, il a été convenable qu’il prît
un corps soumis aux faiblesses et aux défauts de l’humanité.
Il faut répondre
qu’il a été convenable que le corps pris par le Fils de Dieu fût soumis aux
infirmités et aux défauts de notre nature, principalement pour trois raisons : 1°
parce que le Fils de Dieu en s’incarnant est venu au monde pour satisfaire pour
les péchés du genre humain. Or, un individu satisfait pour le péché d’un autre,
quand il prend sur lui-même la peine due au péché de ce dernier. Ainsi les
défauts corporels, c’est-à-dire la mort, la faim, la soif, etc., sont une peine
du péché qui a été introduit dans le monde par Adam, d’après ces paroles de
saint Paul (Rom., 5, 12) : Le péché est entré dans le monde par un seul
homme et par le péché la mort. D’où il a été convenable, quant à la fin de
l’Incarnation, que le Christ reçût à notre place les peines qui affligent notre
nature (C’est-à-dire celles qui sont communes à l’espèce humaine, comme la
souffrance, la mortalité, etc., et qui ne proviennent pas de causes
individuelles.), selon cette expression du prophète (Is., 53, 4) : Il a véritablement porté nos douleurs.
2° Parce qu’il voulait établir la foi dans son incarnation. Car la nature
humaine n’étant connue des hommes que par les infirmités corporelles auxquelles
elle est sujette si le Fils de Dieu eût pris la nature humaine sans ces
défauts, il semblerait qu’il n’eût pas été un homme véritable, et qu’il n’eût
pas eu une véritable chair, mais une chair fantastique, comme l’ont supposé les
manichéens. C’est pourquoi, comme le dit l’Apôtre (Phil., 2, 7) : Il s’est
anéanti lui-même en prenant la forme de serviteur, en se rendant semblable aux
hommes et en se faisant reconnaître comme homme par tout ce qui a paru de lui
au dehors. C’est ainsi que saint Thomas a été ramené à la foi par la vue
des blessures du Christ, comme le dit saint Jean (Jean, chap. 20). 3° A cause
de l’exemple de patience qu’il nous donne, en supportant avec courage les
passions et les infirmités humaines. D’où il est dit (Héb., 12, 3) : Il a souffert une
si grande contradiction de la part des pécheurs qui se sont élevés contre lui,
afin que vous ne vous découragiez point et que vous ne tombiez pas dans
l’abattement.
Article : Le Christ
a-t-il été nécessairement soumis à ces défauts ?
Objection N°1. Il
semble que le Christ n’ait pas été soumis nécessairement à ces défauts. Car il est dit (Is., 53, 7) : Il
s’est offert parce qu’il l’a voulu, et il s’agit là de l’oblation qui se rapporte
à sa passion, Or, la volonté est opposée à la nécessité. Le Christ n’est donc
pas soumis nécessairement aux défauts corporels.
Réponse à l’objection N°1 :
Il est dit que le Christ s’est offert,
parce qu’il l’a voulu d’une volonté divine et d’une volonté humaine
délibérée, quoique la mort fût contraire au mouvement naturel de cette dernière
volonté, comme le dit saint Jean Damascène (De
orth. fid., liv. 3, chap. 23 et 24).
Objection N°2. Saint
Jean Damascène dit (De orth. fid., liv. 3, chap. 20) : Il n’y a rien
de contraint dans le Christ, mais tout est volontaire. Or, ce qui est
volontaire n’est pas nécessaire. Ces défauts n’ont donc pas existé
nécessairement dans le Christ.
Mais c’est le
contraire. L’Apôtre dit (Rom., 8, 3) : Dieu a envoyé son Fils revêtu d’une chair
semblable à la chair du péché. Or, la chair du péché est dans une condition
telle qu’elle supporte nécessairement la mort et les autres souffrances de
cette nature. La chair du Christ a donc été dans la nécessité de supporter ces
défauts.
Conclusion Le corps du Christ a
été soumis à la mort et aux autres infirmités corporelles d’une nécessité
naturelle qui résulte de la matière dont il a été composé ; mais il n’y a pas
eu dans le Christ de nécessité de coaction absolument contraire à la volonté
divine ou humaine, il n’y en a eu que selon le mouvement naturel de la volonté.
Il faut répondre
qu’il y a deux sortes de nécessité : l’une de coaction qui est produite par un
agent extrinsèque. Cette nécessité est contraire à la nature et a la volonté, dont le
principe est intrinsèque. L’autre est la nécessité naturelle qui résulte des
principes naturels ; soit de la forme, c’est ainsi qu’il est nécessaire que le
feu échauffe, soit de la matière, c’est ainsi qu’il est nécessaire qu’un corps
composé d’éléments contraires se dissolve. — Selon cette nécessité qui résulte
de la matière, le corps du Christ a été soumis à la nécessité de la mort et des
autres infirmités de ce genre ; parce que, comme nous l’avons dit (art. préc., Réponse
N°2), le bon plaisir de la volonté divine permettait au corps du Christ de
faire et de souffrir ce qui lui est propre. Cette nécessité est l’effet des
principes qui constituent le corps humain, comme nous l’avons dit (hic suprà).
Mais si nous parlons de la nécessité de coaction selon qu’elle répugne à la
nature corporelle, il faut encore reconnaître que le corps du Christ a été
soumis selon la condition de sa propre nature à la nécessité des clous qui
l’ont perforé et du fouet qui l’a frappé. Mais, selon que cette nécessité
répugne à la volonté, il est évident qu’il n’y a pas eu nécessité dans le
Christ à l’égard de ces souffrances, ni par rapport à la volonté divine, ni par
rapport à la volonté humaine absolument, selon qu’elle suit les délibérations
de la raison ; mais seulement selon le mouvement naturel de la volonté,
c’est-à-dire selon qu’elle fuit naturellement la mort et tout ce qui nuit au
corps (La volonté comme nature se trouve opposée aux souffrances du Christ,
mais il n’en est pas le même de la volonté comme raison (Voir plus loin, quest.
18, art. 3).).
La réponse à la
seconde objection est évidente, d’après ce que nous avons dit (dans le corps de
cet article.).
Article 3 : Le
Christ a-t-il contracté ses défauts corporels ?
Objection
N°1. Il semble que le Christ ait contracté ses défauts corporels. Car nous
disons que nous contractons ce que nous retirons de notre origine simultanément
avec notre nature. Or, le Christ a retiré simultanément avec sa nature les
défauts et les infirmités corporelles du sein de sa mère dont la chair était
soumise aux mêmes imperfections il semble donc qu’il les ait contractés.
Réponse
à l’objection N°1 : La chair de la Vierge a été conçue dans le péché
originel (Nous réservons nos observations sur ce point de doctrine pour
l’article où saint Thomas traite ex
professo cette question (Voy. quest. 27, art.
2).), et c’est pour ce motif qu’elle a contracté ces défauts : au lieu que la
chair du Christ a reçu de la Vierge une nature sans tache. Il aurait pu
également prendre une nature exempte de peine. Mais il a voulu se soumettre à
la peine pour accomplir l’œuvre de notre Rédemption, comme nous l’avons dit
(art. 1). C’est pourquoi il a eu ces défauts non en les contractant, mais en
les assumant sur lui volontairement.
Objection
N°2. Ce qui est produit par
les principes de la nature, on le reçoit (trahitur) simultanément avec la nature, et par
conséquent on le contracte (contrahitur). Or, ces peines résultent des principes de la
nature humaine. Par conséquent, le Christ les a contractées.
Réponse à l’objection N°2 : Il y a dans la nature humaine deux sortes de cause qui
produisent la mort et les autres infirmités corporelles. L’une éloignée qui se
considère par rapport aux principes matériels du corps humain, selon qu’il est
composé d’éléments contraires. Cette cause était empêchée par la justice originelle.
C’est pourquoi la cause la plus prochaine de la mort et des autres infirmités
est le péché par lequel la justice originelle a été détruite. C’est pour cette
raison que le Christ ayant été sans péché, on ne dit pas qu’il a contracté ces
défauts, mais qu’il les a pris volontairement.
Objection
N°3. Par ses infirmités
corporelles le Christ ressemble aux autres hommes, comme le dit saint Paul (Héb., chap. 2). Or, les autres hommes les contractent. Il
semble donc que le Christ les ait aussi contractées.
Réponse à l’objection
N°3 : Le Christ par ces
défauts a été rendu semblable aux autres hommes quant à la nature des peines
qu’il a souffertes, mais non quant à leur cause. C’est pourquoi il ne les a pas
contractés, comme les autres hommes.
Mais c’est le contraire.
Ces imperfections proviennent du péché, d’après ces paroles de saint Paul (Rom., 5, 12) : Par un
seul homme le péché est entré en ce monde et par le péché la mort. Or, le
péché n’a pas existé dans le Christ (C’est ce que le concile de Florence a
ainsi défini : Sacrosancta romana Ecclesia firmiter credit, quod Christus sine peccato conceptus,
natus et mortuus humani
generis hostem, peccata nostra delendo,
solus suâ morte prostravit.). Il n’a donc pas contracté ces défauts.
Conclusion Le Christ n’a pas
contracté ses défauts corporels par la dette du péché, mais il les a acceptés
par sa volonté propre.
Il faut répondre que
par le verbe contracter on comprend
le rapport de l’effet à la cause, de telle sorte qu’on dit qu’une chose est
contractée par la même qu’on la possède nécessairement avec sa cause. Or, la
cause de la mort, et des défauts qui existent dans la nature humaine, c’est le
péché ; parce que c’est par le péché que
la mort est entrée en ce monde, d’après l’Apôtre (Rom., 5, 12). C’est pourquoi on dit proprement que ces
imperfections sont contractées par ceux qui méritent
de les subir à cause de leur péché. Le Christ n’a pas eu ces défauts par suite
de son péché ; parce que, comme l’observe saint Augustin en expliquant ce
passage (Jean, chap. 3) : Qui de sursum venit, super omnes est
(hab., in glos.
ord.), le Christ est venu d’en haut, c’est-à-dire de la hauteur que la
nature humaine a eue avant le péché du premier homme. Car il a reçu la nature
humaine sans le péché avec la pureté qu’elle avait dans l’état d’innocence, et
il aurait pu également la prendre sans ses défauts. Par conséquent il est
évident que le Christ n’a pas contracté ces défauts, comme s’il les eût mérités
par son péché, mais il les a reçus par sa volonté propre.
Article 4 : Le
Christ a-t-il dû prendre tous les défauts corporels des hommes ?
Objection
N°1. Il semble que le Christ ait dû prendre tous les défauts corporels des
hommes. Car saint Jean Damascène dit (De orth. fid., liv. 3, chap.
6) : Ce qui ne peut être pris par le Verbe est incurable. Or, le Christ était
venu guérir toutes nos infirmités. Il a donc dû les prendre toutes sur lui.
Réponse
à l’objection N°1 : Tous les défauts particuliers des hommes sont produits
par la corruptibilité et la passibilité du corps, en y surajoutant certaines
causes particulières. C’est pourquoi le Christ ayant guéri la passibilité et la
corruptibilité de notre corps, par là même qu’il l’a prise, il s’ensuit qu’il a
guéri tous nos autres défauts.
Réponse à l’objection N°2 : Toute la plénitude de la grâce et de la science était due par
elle-même à l’âme du Christ par cela seul que le Verbe de Dieu l’avait prise.
C’est pourquoi le Christ a pris absolument toute la plénitude de la sagesse et
de la grâce. Mais il a pris nos défauts volontairement pour satisfaire pour nos
péchés, et non parce qu’ils lui convenaient par eux-mêmes. C’est pour ce motif
qu’il n’a pas fallu qu’il les prît tous, mais qu’il prît seulement ceux qui
suffisaient pour satisfaire pour les péchés de toute la nature humaine.
Réponse à l’objection N°3 : La mort est arrivée dans tous les hommes par le
péché d’Adam ; mais il n’en est pas de même des autres défauts (Ils peuvent
résulter des péchés actuels des individus.), quoiqu’ils soient moindres que la
mort. Il n’y a donc pas de parité.
Conclusion
Puisqu’il a fallu que le Christ satisfît pour tout le monde, il était
convenable qu’il fût parfait en science et en grâce, mais il n’a pas été
nécessaire qu’il prît tous les défauts corporels, il a seulement dû prendre
ceux qui ont affligé la nature entière tombée par le péché.
Il faut répondre que, comme nous l’avons dit
(art. 1 et 2), le Christ a pris les misères humaines pour satisfaire pour le
péché de notre nature. Pour cela il était nécessaire que son âme eût la
perfection de la science et de la grâce. Ainsi il a donc dû prendre les défauts
qui résultent du péché qui est commun à toute la nature, et qui ne répugnent
point à la perfection de la science et de la grâce. Par conséquent il n’eût pas
été convenable qu’il prît tous les défauts ou toutes les infirmités humaines.
Car il y en a qui répugnent à la perfection de la science et de la grâce,
comme l’ignorance, le penchant pour le mal, et la difficulté que l’on a pour le
bien. Il y a aussi des défauts qui n’affectent pas en général toute la nature
humaine et qui ne sont pas une conséquence du péché de notre premier père, mais
qui sont produits dans quelques individus par des causes particulières, comme la
lèpre, le mal caduc, etc. Ces défauts proviennent Quelque fois de la faute de
l’individu ; par exemple, ils peuvent être l’effet d’une conduite déréglée ;
d’autres fois ils résultent de l’imperfection de la puissance formatrice qui
n’a pas eu assez d’énergie (Parmi les misères qui affligent l’humanité, il y en
a un très grand nombre qui proviennent des péchés actuels des individus ou des
fautes de leurs parents. C’est ce que le comte de Maistre fait parfaitement
ressortir dans ses Soirées de
Saint-Pétersbourg.). Ces deux choses ne peuvent convenir au Christ ni l’une
ni l’autre. Car la chair a été conçue de l’Esprit-Saint qui est d’une sagesse
et d’une vertu infinie, et qui ne peut ni errer, ni défaillir ; et il n’y a
rien eu de déréglé dans la conduite du Christ. Enfin il y a une troisième
espèce de défauts qui se trouvent en général dans tous les hommes par suite du
péché d’Adam, comme la mort, la faim, la soif (Ainsi il est dit qu’il eut faim
après avoir jeûné pendant quarante jours (Matth.,
chap. 4), qu’il demanda à boire à la Samaritaine, et qu’il eut soif sur la
croix (Jean, chap. 4 et 19), qu’étant fatigué il s’assit sur le puits de Jacob
(Jean, chap. 4).), et les autres souffrances semblables. Le Christ a pris sur
lui tous, ces défauts que saint Jean Damascène (Orth. fid., liv. 1, chap. 14,
et liv. 3, chap. 20) appelle des défauts naturels et des passions
irrépréhensibles ; des défauts naturels, parce qu’ils sont généralement une
conséquence de la nature humaine entière ; des passions irrépréhensibles, parce
qu’elles n’impliquent ni un défaut de science, ni un défaut de grâce.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
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