Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

3a = Tertia Pars = 3ème partie

Question 21 : De la prière du Christ

 

            Après avoir parlé de la soumission du Christ, nous devons nous occuper de sa prière, et à ce sujet quatre questions se présentent : 1° Convient-il au Christ de prier ? (Ce fait est constaté par l’Ecriture (Matth., 4, 26 ; Luc, 6, 12 ; Jean, 11, 41).) — 2° Lui convient-il de prier de la part de son appétit sensitif ? — 3° Lui convient-il de prier pour lui-même ou seulement pour les autres ? (Les théologiens examinent encore si le Christ prie maintenant son Père, en lui demandant expressément les choses nécessaires à notre salut. Médina, Vasquez et d’autres théologiens le nient, prétendant qu’il se borne à présenter son humanité et ses mérites à son Père, pour le porter par-là à nous accorder ses bienfaits. L’autre sentiment nous paraît plus conforme à l’Ecriture et à la tradition (Voir Rom., 8, 34) : Qui est à la droite de Dieu, etc. ; (Héb., 7, 25) : Etant toujours vivant pour intercéder en notre faveur (Cf. saint. Grég. in 5 psal. pœnit., saint Ambroise in chap. 8 ad Rom., saint Aug. in Psal. 85).) — 4° Toutes ses prières ont-elles été exaucées ?

 

Article 1 : Convient-il au Christ de prier ?

 

Objection N°1. Il semble qu’il ne convienne pas au Christ de prier. Car, comme le dit saint Jean Damascène (Orth. fid., liv. 3, chap. 24), la prière est une demande de choses convenables faite à Dieu. Or, puisque le Christ pouvait faire toutes choses, il ne paraît pas convenable qu’il ait demandé quelque chose de quelqu’un. Il semble donc qu’il ne convienne pas au Christ de prier.

Réponse à l’objection N°1 : Le Christ pouvait faire tout ce qu’il voulait, comme Dieu, mais non comme homme ; parce que comme homme il n’a pas eu la toute-puissance, ainsi que nous l’avons vu (quest. 13, art. 1). Cependant, étant tout à la fois Dieu et homme, il a voulu adresser à son Père une prière, non par suite de son impuissance, mais pour notre instruction : 1° Pour nous montrer qu’il procède du Père ; d’où il dit lui-même (Jean, 11, 42) : Je dis ceci, c’est-à-dire cette prière, à cause du peuple qui m’environne, afin qu’ils croient que vous m’avez envoyé. C’est ce qui fait dire à saint Hilaire (De Trin., liv. 10, circ. fin.) : Il n’a pas eu besoin de prier, mais il a prié à cause de nous, pour que nous sachions qu’il est le Fils de Dieu. 2° Pour nous donner l’exemple de la prière. D’où saint Ambroise dit (Sup. Luc., chap. 6, sup. illud : Erat pernoctans) : Ne prêtez pas une oreille insidieuse, comme si vous pensiez que le Fils de Dieu prie à la façon d’un infirme pour obtenir ce qu’il ne peut faire lui-même. Car il est l’auteur de la puissance, mais il est aussi notre maître en fait d’obéissance, et par son exemple il nous apprend à pratiquer les préceptes de cette vertu. C’est pourquoi saint Augustin dit (Sup. Jean., tract. 104) : Le Seigneur pouvait, sous la forme de l’esclave, prier en silence, s’il en avait eu besoin, mais il a voulu se montrer adressant des prières à son Père, pour nous rappeler qu’il était notre docteur.

 

Objection N°2. Il ne faut pas en priant demander ce que l’on sait devoir arriver certainement. Ainsi nous ne demandons pas que le soleil se lève demain ; et il n’est pas non plus convenable qu’en priant on demande ce qu’on sait ne devoir exister d’aucune manière. Or, le Christ savait ce qui devait arriver à l’égard de toutes choses. Il ne lui convenait donc pas de demander quelque chose en priant.

Réponse à l’objection N°2 : Parmi les autres choses que le Christ a sues comme futures, il savait que beaucoup de choses devaient être faites en vertu de son oraison (Ainsi la prière du Christ n’a pas été absolument nécessaire, elle ne l’a été qu’hypothétiquement, c’est-à-dire relativement à l’ordre providentiel établi par le Père et qui veut que l’on n’obtienne certaines choses que par la prière.), et il les a demandées à Dieu sans la moindre inconvenance.

 

Objection N°3. Saint Jean Damascène dit (loc. cit.) que la prière est l’élévation de l’intelligence vers Dieu. Or, l’intellect du Christ n’avait pas besoin de s’élever vers Dieu, parce que son entendement lui était toujours uni, non seulement d’après l’union hypostatique, mais en raison de la jouissance de la béatitude. Il ne convenait donc pas au Christ de prier.

Réponse à l’objection N°3 : L’ascension n’est rien autre chose qu’un mouvement vers ce qui est en haut. Or, le mouvement s’entend de deux manières, comme on le voit (De an., liv. 3, text. 28) : 1° D’une manière propre, selon qu’il implique qu’on passe de la puissance à l’acte, en tant qu’il est l’acte d’une chose imparfaite. Il convient ainsi de s’élever à ce qui est capable de monter, mais qui ne monte pas en acte. L’intellect humain dans le Christ, comme le dit Saint Jean Damascène (loc. cit., Objection N°3), n’a pas ainsi besoin de s’élever vers Dieu, puisqu’il lui est toujours uni personnellement et par la contemplation bienheureuse. 2° On appelle mouvement ce qui est l’acte d’une chose parfaite, c’est-à-dire existant en acte ; c’est ainsi que l’intelligence et le sentiment sont des mouvements. De cette manière l’intelligence du Christ monte toujours vers Dieu, parce qu’elle le contemple toujours comme existant au-dessus d’elle (Quoique le Christ prie pour nous, l’Eglise défend dans les prières publiques de dire : Christe, ora pro nobis, pour éviter l’erreur des nestoriens et des ariens qui prétendaient que le Christ était simplement un homme. En nous adressant au Christ, c’est à la personne divine que nous nous adressons, et il lui appartient, non pas de demander, mais de donner. C’est pour cela que nous disons : Christe, exaudi nos ; miserere nobis.).

 

Mais c’est le contraire. L’Evangile dit (Luc, 6, 12) : Il arriva en ces jours-là que Jésus s’en alla sur la montagne pour prier, et il y passa toute la nuit en prières.

 

Conclusion Puisque la volonté humaine n’est pas efficace par elle-même, mais qu’elle a besoin du secours de la vertu divine, il convient au Christ comme homme de prier et de conjurer Dieu d’accomplir sa volonté.

Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (2a 2æ, quest. 83, art. 1 et 2), la prière est une manifestation de notre propre volonté que nous faisons à Dieu pour qu’il l’accomplisse. Si donc il n’y avait dans le Christ qu’une seule volonté, c’est-à-dire la volonté divine, il ne lui conviendrait de prier en aucune manière : parce que la volonté divine est par elle-même ta cause efficiente de ce qu’elle veut, d’après ces paroles du Psalmiste (Ps. 134, 6) : Toutes les choses que Dieu a voulues, il les a faites. Mais parce que dans le Christ la volonté divine est autre que la volonté humaine, et que celle-ci n’est pas efficace par elle-même pour accomplir ce qu’elle veut et qu’elle ne l’est que par la vertu divine, de là il résulte qu’il convient au Christ de prier, selon qu’il est homme et qu’il a une volonté humaine.

 

Article 2 : La prière convient-elle au Christ selon son appétit sensitif ?

 

Objection N°1. Il semble que la prière convienne au Christ selon son appétit sensitif. Car le Psalmiste fait dire au Christ (Ps. 83, 3) : Mon cœur et ma chair ont tressailli vers le Dieu vivant. Or, on donne le nom d’appétit sensitif à l’appétit de la chair. L’appétit sensitif a donc pu s’élever dans le Christ vers le Dieu vivant en tressaillant et aussi en priant.

Réponse à l’objection N°1 : La chair tressaille pour le Dieu vivant, non par l’acte de la chair qui s’élève vers lui, mais parce que le cœur réagit sur le corps, selon que l’appétit sensitif suit le mouvement de l’appétit raisonnable.

 

Objection N°2. La prière paraît appartenir au principe qui désire ce que l’on demande. Or, le Christ a demandé quelque chose que son appétit sensitif a désiré, quand il a dit : Que ce calice s’éloigne de moi, comme le rapporte l’Evangile (Matth., 24, 39). L’appétit sensitif du Christ a donc prié.

Réponse à l’objection N°2 : Quoique l’appétit sensitif ait voulu ce que la raison demandait, ce n’était pas à l’appétit sensitif à le demander par la prière, mais c’était à la raison, comme nous l’avons dit (dans le corps de cet article.).

 

Objection N°3. C’est une plus grande chose d’être uni à Dieu en personne que de s’élever vers lui par la prière. Or, l’appétit sensitif a été pris par Dieu dans l’unité de la personne, comme toute autre partie de la nature humaine. A plus forte raison a-t-il pu s’élever vers Dieu par la prière.

Réponse à l’objection N°3 : L’union en personne est selon l’être personnel qui appartient à toutes les parties de la nature humaine ; au lieu que l’élévation de la prière est produite par un acte qui ne convient qu’à la raison, comme nous l’avons dit (dans le corps de cet article.). Il n’y a donc pas de parité.

 

Mais c’est le contraire. Saint Paul dit (Phil., chap. 2) : que le Fils de Dieu d’après la nature qu’il a prise est devenu semblable aux hommes. Or, les autres hommes ne prient pas d’après leur appétit sensitif. Le Christ n’a donc pas prié non plus de la sorte.

 

Conclusion La prière étant un acte de la raison et une élévation de l’âme vers Dieu, il ne convient pas au Christ de prier d’après son appétit sensitif, sinon en tant que sa prière exprime, comme son avocate, l’affection de cette partie de son âme.

Il faut répondre qu’on peut entendre la prière par rapport à l’appétit sensitif de deux manières : 1° On peut entendre que la prière soit un acte de la sensitivité. De cette manière le Christ n’a pas prié par cette partie de son âme ; parce que l’appétit sensitif a été en lui de même nature et de même espèce qu’en nous. Or, en nous l’appétit sensitif ne peut pas prier pour une double raison : 1° Parce que le mouvement de l’appétit sensitif ne peut pas s’élever au-dessus des choses sensibles. C’est pourquoi il ne peut pas s’élever vers Dieu, ce que la prière exige. 2° Parce que la prière implique un certain ordre, selon que nous désirons quelque chose qui doit être en quelque sorte accompli par Dieu. Il n’y a que la raison qui perçoive cet ordre, et par conséquent elle est un acte de cette faculté, comme nous l’avons vu (2a 2æ, quest. 83, art. 1). — 2° On peut dire que l’on prie selon l’appétit sensitif, parce que dans la prière que l’on fait à Dieu on lui expose ce que l’on éprouve dans cette partie de l’âme. Le Christ a prié de la sorte selon son appétit sensitif, dans le sens que sa prière exprimait les affections de cette partie de son âme, comme si elle en eût été l’avocate ; et il l’a fait pour notre instruction : pour nous montrer : 1° qu’il avait pris véritablement la nature humaine avec toutes ses affections naturelles ; 2° qu’il est permis à l’homme selon son affection naturelle de vouloir quelque chose que Dieu ne veut pas ; 3° qu’il doit soumettre son affection propre à la volonté divine. D’où saint Augustin dit (Psal. 32, conc. 1) : Le Christ étant homme montre une volonté particulière, quand il dit : Que ce calice s’éloigne de moi. Car telle était la volonté humaine voulant quelque chose qui lui est propre, et agissant pour ainsi dire dans son domaine privé. Mais parce qu’il veut que l’homme ait le cœur droit et qu’il soit dirigé vers Dieu, il ajoute : Cependant que ce ne soit pas ma volonté mais la vôtre qui se fasse ; comme s’il disait : apprenez de moi que vous pouvez vouloir une chose qui vous est propre, quoique Dieu en veuille une autre.

 

Article 3 : A-t-il été convenable que le Christ pria pour lui ?

 

Objection N°1. Il semble qu’il n’ait pas convenu au Christ de prier pour lui. Car saint Hilaire dit (De Trin., liv. 10, circ. fin.) : Puisque sa prière ne lui était pas profitable, il parlait du moins dans l’intérêt de notre foi. Par conséquent il semble que le Christ n’ait pas prié pour lui, mais pour nous.

Réponse à l’objection N°1 : Saint Hilaire parle de la prière vocale qui n’était pas nécessaire au Christ pour lui-même, mais seulement à cause de nous. D’où il dit expressément que la prière ne lui était pas profitable. Car si le Seigneur exauce le désir des pauvres, comme le dit le Psalmiste (Ps. 9), à plus forte raison la volonté seule du Christ eût-elle eu près de son Père la puissance de la prière : c’est pourquoi il dit (Jean, 11, 42) : Je savais que vous m’écoutez toujours, mais j’ai parlé à cause du peuple qui m’environne, pour qu’ils croient que c’est vous qui m’avez envoyé.

 

Objection N°2. On ne prie que pour ce que l’on veut ; parce que, comme nous l’avons dit (art. 1), la prière est la manifestation d’une volonté qui doit être accomplie par Dieu. Or, le Christ voulait souffrir ce qu’il souffrait. Car saint Augustin dit (Cont. Faust., liv. 26) : Ordinairement l’homme se fâche, quoiqu’il ne le veuille pas ; il s’attriste, quoiqu’il ne le veuille pas ; il dort, quoiqu’il ne le veuille pas ; il a faim et soif, quoiqu’il ne le veuille pas. Mais le Christ a fait toutes ces choses, parce qu’il l’a voulu. Il ne lui convenait donc pas de prier pour lui.

Réponse à l’objection N°2 : Le Christ voulait souffrir ce qu’il souffrait à cette époque, mais il voulait néanmoins qu’après sa passion il obtînt la gloire du corps qu’il n’avait pas encore. Il attendait cette gloire de son Père, comme de son auteur ; c’est pourquoi il était convenable qu’il la lui demandât.

 

Objection N°3. Saint Cyprien dit (Lib. de orat. Dom.) : Le docteur de la paix et le maître de l’unité n’a pas voulu prier à part et en particulier pour que, quand on prie, on ne prie pas que pour soi. Or, le Christ a accompli ce qu’il a enseigné, d’après ces paroles de l’Evangile (Actes, 1, 1) : Jésus commença à faire et à enseigner. Le Christ n’a donc jamais prié pour lui seul.

Réponse à l’objection N°3 : La gloire que le Christ demandait dans ses prières regardait le salut des autres, d’après ces paroles de saint Paul (Rom., 4, 25) : Il est ressuscité à cause de notre justification. C’est pourquoi cette prière qu’il faisait pour lui-même se rapportait d’une certaine manière aux autres ; comme tout homme qui demande à Dieu du bien pour s’en servir dans l’intérêt des autres, ne prie pas seulement pour lui, mais il prie encore pour les autres.

 

Mais c’est le contraire. Le Seigneur dit en priant (Jean, 17, 1) : Glorifiez votre Fils.

 

Conclusion Le Christ a prié pour lui-même en exprimant non seulement les affections de son appétit sensitif ou de sa simple volonté, mais encore celles de sa volonté délibérée, pour nous donner l’exemple de la prière et nous montrer que son Père est l’auteur de tout bien.

Il faut répondre que le Christ a prié pour lui-même de deux manières : 1° en exprimant les affections de son appétit sensitif, comme nous l’avons dit (art. préc.), ou de sa volonté simple qui est la volonté comme nature, comme quand il a demandé que le calice de sa passion soit éloigné de lui. 2° En exprimant le sentiment de sa volonté délibérée qui est considérée comme la raison, comme quand il a demandé la gloire de sa résurrection. Et cela est très raisonnable. Car, comme nous l’avons dit (art. 1, Réponse N°1), le Christ a voulu adresser des prières à son Père pour nous en donner l’exemple et pour montrer que son Père est son auteur dont il procède éternellement selon sa nature divine, et dont il tient tout ce qu’il a de bon selon sa nature humaine. Or, comme il avait dans sa nature humaine des biens qu’il avait reçus de son Père, de même il attendait de lui des biens qu’il ne possédait pas encore, mais qu’il devait recevoir. C’est pourquoi comme il rendait grâces à son Père pour les biens qu’il avait déjà reçus dans sa nature humaine, en le reconnaissant pour leur auteur, ainsi qu’on le voit (Matth., chap. 26 et Jean, chap. 11) ; de même il le priait aussi en lui demandant ce qui lui manquait selon sa nature humaine, comme la gloire du corps et les autres choses semblables. Il nous a encore donné par là l’exemple, pour que nous rendions grâces à l’égard des bienfaits que nous avons reçus, et que nous demandions par la prière les biens que nous ne possédons pas encore.

 

Article 4 : La prière du Christ a-t-elle toujours été exaucée ?

 

Objection N°1. Il semble que la prière du Christ n’ait pas toujours été exaucée. Car il a demandé que le calice de sa passion fût éloigné de lui, comme on le voit (Matth., chap. 26), et cependant il ne l’a pas été. Il semble donc que toutes ses prières n’aient pas été exaucées.

Réponse à l’objection N°1 : Cette prière par laquelle le Christ demande que son calice soit éloigné est entendue de différentes manières par les Pères. Car saint Hilaire dit (Sup. Matth., can. 31) : qu’en demandant qu’il s’éloigne de lui, il ne demande pas qu’il en soit exempt, mais qu’en s‘éloignant de lui, il passe à un autre. C’est pourquoi il prie pour ceux qui demandent à souffrir après lui. Ainsi le sens de ce passage serait celui-ci : Comme je bois ce calice de ma passion, qu’ainsi les autres le boivent sans se désespérer, sans ressentir de douleur et sans craindre la mort (Cette explication et la suivante nous paraissent forcées.). Ou bien d’après saint Jérôme (sup. hunc loc.) il dit expressément : ce calice, c’est-à-dire le peuple juif qui me met à mort, sans pouvoir s’excuser sur son ignorance, puisqu’il a la loi et les prophètes qui tous les jours m’annoncent. Ou bien d’après saint Denis d’Alexandrie (hab. in Cat. Græc.) : Eloignez de moi ce calice ; ce qui ne signifie pas : que cela n’arrive point : car s’il n’arrivait pas on ne pourrait l’éloigner ; mais comme ce qui passe effleure sans s’arrêter, de même le Sauveur désire que la tentation qui l’attaque légèrement soit dissipée. Saint Ambroise (Sup. illud Luc., chap. 22 : Pater, si vis, etc.), Origène (Tract. 35 in Matth.) et saint Chrysostome (Hom. 84 in Matth.), disent que le Christ a fait cette demande, comme s’il eût repoussé la mort par sa volonté naturelle (C’est l’interprétation la plus généralement reçue et celle qui est aussi le plus confirme au texte.). Par conséquent si l’on conçoit qu’il ait demandé par-là que les autres martyrs soient les imitateurs de sa passion, d’après saint Hilaire (loc. sup. cit.), ou que la crainte de boire le calice ne le trouble pas, ou que la mort ne le retienne pas captif, ce qu’il a demandé s’est tout à fait accompli. Mais si l’on entend qu’il a demandé de ne pas boire le calice de la mort ou de la passion, ou de ne pas le boire de la main des Juifs, ce qu’il a demandé n’est pas arrivé en effet, parce que la raison qui a présenté cette demande ne voulait pas que cela s’accomplît, mais pour notre instruction il voulait nous faire connaître sa volonté naturelle, et le mouvement de l’appétit sensitif qu’il éprouvait comme homme.

 

Objection N°2. Il a demandé à son Père de pardonner leur péché à ses bourreaux (Luc, chap. 22). Cependant ce péché n’a pas été pardonné à tout le monde, puisque les Juifs ont été punis pour ce crime. Il semble donc que ses prières n’aient pas toujours été exaucées.

Réponse à l’objection N°2 : Le Seigneur n’a pas prié pour tous ses bourreaux, ni pour tous ceux qui devaient croire en lui, mais seulement pour ceux qui étaient prédestinés (Il est évident que saint Thomas ne parle ici que de la volonté absolue et efficace du Christ, et que ce passage ne favorise en rien l’erreur de Jansénius, qui dit que le Christ n’est pas mort pour tous les hommes.), afin que par lui ils arrivassent à la vie éternelle.

 

Objection N°3. Le Seigneur a prié pour ceux qui devaient croire en lui sur la parole des Apôtres, afin qu’ils ne fussent tous qu’un en lui et qu’ils parvinssent à être avec lui. Or, tous n’y parviennent pas. Toutes ses prières n’ont donc pas été exaucées.

 

Objection N°4. Le Psalmiste fait dire au Christ (Ps. 21, 3) : Je crierai pendant le jour et vous ne m’exaucerez pas.

Réponse à l’objection N°4 : Quand le Christ dit : Je crierai et vous ne m’exaucerez pas, ceci doit s’entendre de la volonté sensitive qui redoutait la mort ; mais il est exaucé quant à sa volonté de raison, comme nous l’avons dit (dans le corps de cet article.).

 

Mais c’est le contraire. Saint Paul dit (Héb., 5, 7) : Ayant offert avec de grands cris et avec larmes ses prières, il a été exaucé à cause de son humble respect pour son Père (L’efficacité de la prière du Christ est aussi désignée par ces paroles (Jean, 11, 22-42) : Tout ce que vous demanderez à Dieu, Dieu vous le donnera… Pour moi, je savais que vous m’écoutez toujours.).

 

Conclusion La volonté absolue du Christ ayant toujours été conforme à Dieu, sa prière a toujours été exaucée par son Père.

Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc., Objection N°2), la prière est d’une certaine manière l’expression de la volonté humaine. La prière de celui qui prie est donc exaucée quand sa volonté est accomplie. La volonté absolue de l’homme est la volonté de raison ; car nous voulons absolument ce que nous voulons d’après une raison délibérée. Ce que nous voulons d’après le mouvement de l’appétit sensitif, ou d’après le mouvement de la volonté simple qu’on appelle volonté comme nature, nous ne le voulons pas absolument, mais sous un rapport, c’est-à-dire si rien ne s’y oppose de la part de la raison délibérée. Par conséquent on doit plutôt appeler cette volonté une velléité qu’une volonté absolue ; c’est-à-dire que l’homme voudrait cela, si une autre chose ne s’y opposait. Or, selon la volonté de raison, le Christ n’a rien voulu autre chose que ce qu’il a su que Dieu voulait. C’est pourquoi toute volonté absolue du Christ, même humaine, a été accomplie, parce qu’elle a été conforme à Dieu ; et par conséquent toutes ses prières ont été exaucées. Car les prières des autres sont accomplies selon que leurs volontés sont conformes à Dieu, d’après ces paroles de saint Paul (Rom., 8, 27) : Celui qui pénètre le fond des cœurs, sait, c’est-à-dire approuve, ce que l’Esprit désire ou ce qu’il fait désirer aux saints, parce qu’il demande pour les saints selon Dieu, c’est-à-dire conformément à la volonté divine.

La réponse à la troisième objection est donc par là même évidente.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

 

 

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