Saint Thomas d’Aquin
- Somme Théologique
3a = Tertia
Pars = 3ème partie
Question
22 : Du sacerdoce du Christ
Article 1 :
Convient-il au Christ d’être prêtre ?
Objection N°1. Il
semble qu’il ne convienne pas au Christ d’être prêtre. Car un prêtre est
au-dessous d’un ange ; d’où le prophète dit (Zach., 3, 1) : Dieu m’a fait voir le grand prêtre qui se
tenait debout devant l’ange du Seigneur. Or, le Christ est supérieur aux
anges, d’après saint Paul, qui dit (Héb., 1, 4) qu’il est aussi élevé au-dessus des anges
que le nom qu’il a reçu est plus excellent que le leur. Il ne convient donc
pas au Christ d’être prêtre.
Réponse à l’objection N°1 : La puissance hiérarchique convient aux anges, en tant qu’ils
tiennent le milieu entre Dieu et les hommes, comme on le voit par saint Denis (De cœl. hier., chap. 9) ;
de telle sorte que le prêtre lui-même, selon qu’il est médiateur entre Dieu et
le peuple, reçoit le nom d’ange. Ainsi le prophète l’appelle (Mal., 2,
7) : L’ange du Seigneur des armées.
Or, le Christ est plus grand que les anges, non seulement selon la divinité,
mais encore selon l’humanité ; parce qu’il a eu la plénitude de la grâce et de
la gloire. Par conséquent il a eu sur les anges la puissance hiérarchique ou
sacerdotale d’une manière plus excellente ; de sorte que les anges ont été
eux-mêmes les ministres de son sacerdoce (Toute la vie du Christ sur la terre
ayant été une oblation, c’est pour cela, comme l’observe Cajétan, que les anges
qui le servirent après son jeûne sont appelés les ministres de son sacerdoce.),
d’après l’Evangile, qui dit (Matth., 4, 11) que les anges s’approchèrent et qu’ils le
servaient. Cependant, selon la passibilité de sa chair, il a été un peu inférieur aux anges,
comme le dit saint Paul (Héb., 2, 9) : sous ce rapport il a été
semblable aux hommes qui sont élevés ici-bas à son sacerdoce.
Objection N°2. Les
choses qui ont existé dans l’Ancien Testament ont été des figures du Christ,
d’après ces paroles de l’Apôtre (Col.,
2, 17) : Elles ne sont qu’une ombre de ce
qui doit arriver, le corps et la vérité ne se trouvant que dans le Christ. Or,
le Christ n’a pas tiré son origine charnelle des prêtres de l’ancienne loi,
puisque saint Paul dit (Hébr., 7, 14)
: Il est évident que Notre-Seigneur est
sorti de Juda, qui est une tribu à laquelle Moïse n’a jamais attribué le
sacerdoce. Il ne convenait donc pas au Christ d’être prêtre.
Réponse à l’objection N°2 :
Selon l’observation de saint Jean Damascène (De orth. fid.,
liv. 3, chap. 26), ce qui est semblable en tout est absolument identique et
n’est plus un exemple. Ainsi parce que le sacerdoce de la loi ancienne était la
figure du sacerdoce du Christ, il n’a pas voulu naître de la race des prêtres
qui le figuraient (Le Christ appartenait aussi à la tige sacerdotale, comme on
le voit d’après la généalogie de saint Luc.), pour montrer que son sacerdoce
n’est pas absolument le même, mais qu’il en diffère, comme la vérité diffère de
la figure.
Objection N°3. Sous
l’ancienne loi, qui est la figure du Christ, le même ne fut pas législateur et
prêtre. D’où le Seigneur dit à Moïse le législateur (Ex., 28, 1) : Faites
approcher de vous Aaron voire frère… afin qu’il exerce en mon honneur les
fonctions du sacerdoce. Or, le Christ est l’auteur d’une loi nouvelle,
d’après ces paroles du prophète (Jérem., 31, 33) : J’écrirai ma loi dans leur cœur. Il n’a
donc pas été convenable que le Christ fût prêtre.
Réponse à l’objection
N°3 : Comme nous l’avons
dit (quest. 8), les autres hommes ont en particulier certaines grâces ; au lieu
que le Christ, comme le chef de toute l’humanité, a la perfection de toutes les
grâces. C’est pourquoi quand il s’agit des autres hommes, il faut que l’un soit
législateur, un autre prêtre, un autre roi ; au lieu que toutes ces choses se
rencontrent dans le Christ, comme dans la source de toutes les grâces. D’où il
est dit (Is., 33, 22) : Le Seigneur notre juge, le Seigneur notre
législateur, le Seigneur notre roi viendra lui-même et nous sauvera.
Mais c’est le
contraire. Saint Paul dit (Héb., 4, 14)
: Nous avons un pontife, qui est entré
dans le ciel, Jésus Fils de Dieu (On peut lire sur ce point presque toute
l’Epître aux Hébreux, et principalement les chapitres 7 et 8, qui sont une
réfutation sans réplique de l’erreur des sociniens.).
Conclusion Puisque le Christ a
été médiateur entre Dieu et les hommes, quant à la réconciliation, et que les
dons de Dieu nous sont accordés par lui, il lui convient éminemment d’être
prêtre.
Il faut répondre que
l’office propre du prêtre, c’est d’être médiateur entre Dieu et le peuple,
selon que d’une part il transmet au peuple les choses divines, d’où est venu le
nom de sacerdos, qui signifie en quelque sorte
sacra dans (donnant les choses sacrées), d’après ce
passage du prophète (Mal, 2, 7) : C’est de sa bouche
que l’on recherchera la loi de Dieu ; tandis que d’une autre part il
offre à Dieu les prières du peuple et qu’il satisfait à Dieu
d’une certaine manière pour leurs péchés. D’où saint Paul dit (Héb.,
5, 1) : Tout pontife étant pris d’entre les hommes, est établi pour
eux, en ce qui regarde le culte de Dieu, afin qu’il offre des dons et des
sacrifices pour les péchés. Or, c’est principalement ce qui convient
au Christ. Car par lui les dons de Dieu ont été communiqués aux hommes, suivant
ce passage de saint Pierre (2 Pierre, 1, 4) : C’est par le Christ que Dieu nous a communique les biens si grands et
si précieux qu’il nous avait promis, pour que vous soyez par la même
participants de la nature divine. C’est aussi lui qui a réconcilié le genre
humain avec Dieu, d’après ces paroles de saint Paul (Col., 1, 19) : Il a plu au Père de faire résider toute
plénitude dans le Christ et de réconcilier par lui toutes choses. Il
convient donc par excellence au Christ d’être prêtre.
Article 2 :
Le Christ a-t-il été tout à la fois prêtre et victime ?
Objection N°1. Il
semble que le Christ n’ait pas été tout à la fois prêtre et victime. Car il
appartient au prêtre de tuer la victime. Or, le Christ ne s’est pas tué lui-
même. Il n’a donc pas été tout, à la fois prêtre et victime.
Réponse
à l’objection N°1 : Il faut répondre au premier argument, que
le Christ ne s’est pas tué, mais il s’est exposé volontairement à la mort (Les
prêtres n’étaient pas toujours obligés d’immoler eux-mêmes les victimes, comme
on le voit (2 Par., 29, 34) ; il
suffisait que la victime fut tuée d’après la volonté du prêtre, et que le
prêtre l’offrît lui-même ; ce qui a eu lieu dans le sacrifice du Christ, comme
l’observent Valencia, Suarez, Abulée, ctc.),
d’après ce mot du prophète (Is., 53, 7) : Il s’est offert, parce qu’il l’a voulu. C’est pourquoi on dit qu’il
s’est, offert lui-même.
Objection
N°2. Le sacerdoce du Christ
ressemble plus au sacerdoce des Juifs, qui avait été établi par Dieu, qu’au
sacerdoce des gentils par lequel ils offraient un culte aux démons. Or, sous
l’ancienne loi, jamais un homme n’était offert en sacrifice ; ce que l’on blâme
tout particulièrement dans les sacrifices des païens, d’après le Psalmiste qui
s’écrie (Ps. 105, 38) : Ils ont répandu le sang innocent, le sang de
leurs fils et de leurs filles qu’ils sacrifièrent aux idoles de Chanaan.
Dans le sacerdoce du Christ l’Homme-Dieu n’a donc pas dû être lui-même la
victime.
Réponse à l’objection N°2 :
Le meurtre de l’Homme-Dieu peut se considérer par rapport à deux sortes de
volonté. 1° On peut le considérer par rapport à la volonté de ceux qui l’ont
fait périr, et dans ce sens on ne peut pas dire qu’il ait le caractère d’une
victime. Car on ne dit pas que les meurtriers du Christ ont offert à Dieu une
hostie, mais qu’ils ont fait un grand crime. Les sacrifices impies des gentils,
par lesquels ils offraient des hommes aux idoles, avaient de l’analogie avec ce
péché. 2° On peut le considérer par rapport à la volonté de celui qui le souffrait
et qui s’est volontairement offert à cette passion. Sous ce rapport son
immolation a été celle d’une victime, mais elle n’a rien de commun avec les
sacrifices des gentils.
Réponse à l’objection N°3 : La sainteté qu’a eue l’humanité du Christ dès le
commencement, n’a pas empêché que la nature humaine, lorsqu’elle a été offerte
à Dieu dans la passion, ne fût sanctifiée d’une nouvelle manière, c’est-à-dire
en tant qu’hostie actuellement offerte. Car elle a acquis comme victime cette
sanctification actuelle par l’ancienne charité et par la grâce d’union qui la
sanctifie absolument.
Mais c’est le
contraire. L’Apôtre dit (Eph., 5, 2)
: Le Christ nous a aimés et s’est livré
pour nous à Dieu, comme une oblation et une victime d’une agréable odeur.
Conclusion Puisque c’est par le
Christ que les péchés des hommes ont été effacés, que la grâce leur a été
donnée et qu’ils sont arrivés à la perfection de la gloire, le Christ, en tant
qu’homme, n’a pas été seulement prêtre, mais il a encore été un sacrifice et
une hostie parfaite, c’est-à-dire qu’il a été victime pour le péché, hostie
pacifique et holocauste.
Il faut répondre que,
comme le dit saint Augustin (De civ. Dei,
liv. 10, chap. 5), tout sacrifice visible est le sacrement, c’est-à-dire le
signe sacré du sacrifice invisible. Le sacrifice invisible est celui par lequel
l’homme offre à Dieu son esprit, d’après ces paroles du Psalmiste (Ps. 50, 19) : Un
sacrifice agréable à Dieu, c’est un esprit affligé. C’est pourquoi tout ce
que l’on témoigne à Dieu, pour que l’esprit de l’homme s’élève vers lui, peut
être appelé un sacrifice. L’homme a donc besoin du sacrifice pour trois motifs
: 1° pour la rémission du péché par lequel il est détourné de Dieu, et c’est ce
qui fait dire à l’Apôtre (Héb., 5, 1) qu’il
appartient au prêtre d’offrir des dons et
des sacrifices pour les péchés. 2° Pour que l’homme soit conservé dans
l’état de grâce et qu’il reste toujours attaché à Dieu, en qui se trouve et son
salut et sa paix. C’est pour cela que dans l’ancienne loi on immolait une hostie
pacifique pour le salut de ceux qui l’offraient, comme on le voit (Lévit., chap. 3). 3° Pour que l’esprit de
l’homme soit uni parfaitement à Dieu ; ce qui aura surtout lieu dans la gloire.
C’est de là que sous l’ancienne loi on offrait un holocauste, c’est-à-dire une
victime qui était totalement brûlée, comme il est dit (Lévit., chap. 1). Le Christ nous a procuré tous ces biens par son
humanité. En effet, 1° nos péchés ont été effacés, d’après saint Paul qui dit (Rom., 4, 25) qu’il a été livré à cause de nos iniquités. 2° Nous avons reçu par lui
la grâce qui nous sauve, selon ces paroles du même apôtre (Héb., 5, 9) : Il est devenu l’auteur du salut éternel pour
tous ceux qui lui obéissent. 3° Nous avons obtenu par-là la perfection de
la gloire (Héb., 10, 19) : Car nous avons par son sang la liberté d’entrer avec confiance dans le
Saint, c’est-à-dire dans la gloire céleste. C’est pourquoi le Christ
lui-même, en tant qu’homme (Il est à remarquer que c’est comme homme que le
Christ a été prêtre et victime, autrement il aurait offert son sacrifice à
lui-même : ce qui répugne. Cependant, en vertu de la communication des idiomes,
on lui donne absolument le nom de prêtre.), n’a pas été seulement prêtre, mais
il a encore été une hostie parfaite, étant tout à la fois victime pour le
péché, hostie pacifique et holocauste (Ce sont les trois sortes de sacrifice
qui existaient dans l’ancienne loi (Voy. 2a
2æ, quest. 102, art. 3).).
Article 3 : Le
sacerdoce du Christ a-t-il pour effet l’expiation des péchés ?
Objection N°1. Il
semble que le sacerdoce du Christ n’ait pas pour effet l’expiation des péchés.
Car il n’appartient qu’à Dieu d’effacer les péchés, d’après ces paroles du
prophète (Is., 43, 25) : C’est moi qui pour l’amour de moi-même
efface vos iniquités. Or, le Christ n’est pas prêtre comme Dieu, mais comme
homme. Le sacerdoce du Christ n’expie donc pas les péchés.
Réponse à l’objection N°1 :
Quoique le Christ n’ait pas été prêtre comme Dieu, mais comme homme, ce fut
cependant une seule et même personne qui fut prêtre et Dieu. C’est pour ce
motif que le concile d’Ephèse dit (part. 3, chap. 1, can. 10) : Si quelqu’un
dit que ce n’est pas le Verbe de Dieu qui est devenu notre Pontife et notre Apôtre,
quand il s’est fait chair et homme comme nous, mais que c’est un autre homme
que lui qui est né de la femme, qu’il soit anathème. C’est pourquoi, selon que
son humanité opérait en vertu de sa divinité, ce sacrifice était le plus
efficace pour effacer les péchés. C’est ce qui a fait dire à saint Augustin (De Trin., liv. 4, chap. 14) que comme on
considère quatre choses dans tout sacrifice, celui à qui on l’offre, celui par
qui il est offert, ce que l’on offre, et pour qui on l’offre ; le seul et véritable
médiateur qui nous réconcilie avec Dieu par le sacrifice de la paix, ne faisait
qu’un avec celui à qui il l’offrait, il rendait un en lui ceux pour lesquels il
l’offrait ; et il était tout à la fois celui qui l’offrait et la chose offerte
(On peut voir le Traité du sacrifice de
Jésus Christ, par le P. Plowden, où toutes ces
idées sont parfaitement développées.).
Objection N°2. Saint
Paul dit (Héb., 10, 1) que les victimes de l’Ancien
Testament ne pouvaient rendre justes et
parfaits ; qu’autrement on aurait cessé de les offrir, puisque ceux qui rendent
ce culte n’auraient plus senti leur conscience chargée de péchés, en ayant été
une fois purifiés ; et que néanmoins tous les ans on rappelle dans ces
sacrifices le souvenir des péchés. Or, de même sous le sacerdoce du Christ
on rappelle le souvenir des péchés, puisqu’on dit : Pardonnez-nous nos offenses (Matth., 6,
12). On offre aussi continuellement le sacrifice dans l’Eglise, et c’est pour
cela qu’on dit : Donnez-nous aujourd’hui
notre pain quotidien. Les péchés ne sont donc pas expiés par le sacerdoce
du Christ.
Réponse à l’objection
N°2 : On ne rappelle pas les péchés
sous la loi nouvelle, à cause de l’inefficacité du sacerdoce du Christ, comme
s’il ne les avait pas suffisamment expiés ; mais on les rappelle à l’égard de
ceux qui ne veulent pas participer à son sacrifice, comme les infidèles, dont
nous demandons dans nos prières la conversion, ou par rapport à ceux qui, après
avoir participé à ce sacrifice, en perdent les fruits en péchant de quelque manière.
Quant au sacrifice que l’on offre tous les jours dans l’Eglise, il n’est pas
autre que celui qui a été offert par le Christ (C’est la doctrine exposée de la
manière la plus explicite par le concile de Trente (sess. 22, chap. 1).) ; mais
il en est la commémoration. D’où saint Augustin dit (De civ. Dei, liv. 10, chap. 20) : Le Christ est le prêtre qui offre
et il est l’oblation ; il a voulu que le sacrifice de l’Eglise en fût le signe
quotidien.
Objection N°3. Sous
l’ancienne loi on immolait surtout un bouc pour le péché d’un prince, une
chèvre pour le péché de quelqu’un du peuple, ou un veau pour le péché d’un
prêtre, comme on le voit (Lév., chap. 4).
Or, le Christ n’est comparé à aucun de ces animaux, mais on le compare à un
agneau, d’après le prophète qui lui fait dire (Jérem.,
11, 19) : Je suis comme un agneau plein
de douceur, qu’on porte pour en faire une victime. Il semble donc que le
sacerdoce du Christ n’expie pas les péchés.
Réponse à l’objection
N°3 : Comme le dit
Origène (sup. illud Jean, chap.
1 : Ecce agnus Dei), quoiqu’on offrît
divers animaux sous la loi ancienne, cependant le sacrifice quotidien qui était
offert matin et soir, c’était l’agneau, comme on le voit (Nom., chap. 28). C’est ce qui figurait que l’oblation du
véritable agneau, c’est-à-dire du Christ, serait le sacrifice qui consommerait
tous les autres. C’est pourquoi saint Jean dit (Jean, 1, 29) : voilà l’agneau
qui efface les péchés du monde.
Mais c’est le
contraire. L’Apôtre dit (Héb., 9, 14) : Le sang du
Christ qui, par l’Esprit-Saint, s’est offert lui-même à Dieu, comme une victime
sans tache, purifiera notre conscience des œuvres mortes, pour nous faire
rendre un culte au Dieu vivant. Or, on appelle les péchés des œuvres
mortes. Le sacerdoce du Christ a donc la vertu de purifier les péchés.
Conclusion
Puisque la grâce de la justification nous a été accordée par la vertu du Christ
et que le Christ a pleinement satisfait pour nous, il est certain que son
sacerdoce a eu plein pouvoir pour expier les péchés.
Il faut répondre que
pour purifier parfaitement les péchés il faut deux choses, comme il y a deux
choses dans le péché, la tache de la faute et la peine qu’elle mérite. La tache
de la faute est effacée par la grâce qui porte le cœur du pécheur vers Dieu ;
et la peine due à la faute est totalement détruite par là même que l’homme
satisfait à Dieu. Or, le sacerdoce du Christ produit ces deux choses. En effet,
par sa vertu il nous donne la grâce qui tourne nos cœurs vers Dieu, selon ces
paroles de saint Paul (Rom., 3, 24) :
Nous avons été justifiés gratuitement par
sa grâce, par la rédemption qui existe en Jésus-Christ que Dieu a destiné pour
être la victime de propitiation que nous avons en son sang. Il a aussi
satisfait pour nous pleinement, puisqu’il
a pris sur lui nos infirmités et qu’il a porté nos douleurs, selon
l’expression d’Isaïe (Is., 53, 4). D’où il
est évident que le sacerdoce du Christ a plein pouvoir pour expier les péchés (C’est
pour cela que l’Eglise nous fait chanter dans l’hymne du temps pascal
: O vera cœli victima, subjecta cui sunt tartara, soluta mortis vincula recepta vitæ prœmia.).
Objection N°1. Il
semble que l’effet du sacerdoce du Christ n’ait pas seulement appartenu aux
autres, mais qu’il ait encore appartenu à lui-même. Car il appartient à
l’office du prêtre de prier pour le peuple, d’après ces paroles de l’Ecriture (2 Mach., 1. 23) : Les prêtres priaient jusqu’à ce que le sacrifice fût consommé. Or,
le Christ n’a pas seulement prié pour les autres, mais il a encore prié pour
lui-même, d’après ce que nous avons vu (quest. préc., art. 3), et comme le
dit expressément saint Paul (Héb., 5, 7) : Pendant le
temps qu’il était dans sa chair mortelle, il offrit avec de grands cris et avec
larmes ses prières et ses supplications à celui qui pouvait le sauver de la
mort. Le sacerdoce du Christ a donc eu son effet non seulement pour les
autres, mais encore pour lui-même.
Réponse à l’objection N°1 : La prière, quoiqu’elle convienne aux prêtres, n’est cependant
pas propre à leur office. Car il convient à chacun de prier pour soi et pour
les autres, d’après ces paroles de saint Jacques (5. 16) : Priez les uns pour les autres pour que vous soyez sauvés. Et ainsi
on pourrait dire que la prière par laquelle le Christ a prié pour lui-même
n’était pas un acte de son sacerdoce. Mais il semble qu’on ne puisse pas faire
cette réponse, parce que l’Apôtre ayant dit (Hébr., 5, 7) : Vous êtes
prêtre éternellement selon l’ordre de Melchisédech, ajoute : Pendant le temps qu’il était, etc. Par
conséquent il paraît que la prière par laquelle le Christ a prié appartienne à
son sacerdoce. C’est pourquoi il faut dire que les autres prêtres participent à
l’effet de son sacerdoce, non comme prêtres, mais comme pécheurs, ainsi que
nous le verrons (art. suiv., Objection N°1). A la vérité le Christ, absolument
parlant, n’a pas eu de péché, mais cependant il a eu dans sa chair la
ressemblance du péché, comme le dit saint Paul (Rom., chap. 8). C’est pourquoi on ne doit pas dire absolument qu’il
a participé à l’effet de son sacerdoce, mais sous un rapport, c’est-à-dire
relativement à la passibilité de la chair. D’où l’Apôtre dit expressément : qu’il s’est adressé à celui qui pouvait le
sauver de la mort.
Réponse
à l’objection N°2 : Dans l’oblation du sacrifice de tout prêtre on peut
considérer deux choses, le sacrifice offert et la dévotion de celui qui
l’offre. L’effet propre du sacerdoce est ce qui résulte du sacrifice lui-même.
Or, le Christ a obtenu par sa passion la gloire de sa résurrection, non par la
force du sacrifice qui est offert par manière de satisfaction, mais par la
dévotion avec laquelle il a humblement supporté sa passion par charité.
Objection
N°3. Le sacerdoce de
l’ancienne loi a été la figure du sacerdoce du Christ. Or, le prêtre de
l’ancienne loi offrait le sacrifice non seulement pour les autres, mais encore
pour lui-même. Car il est dit (Lév., chap. 16), que le
pontife entre dans le sanctuaire pour prier pour lui et pour sa maison et pour
toute l’assemblée des enfants d’Israël. Le sacerdoce du Christ n’a donc pas
produit seulement son effet pour les autres, mais encore pour lui-même.
Réponse à l’objection
N°3 : La figure ne peut
pas égaler la vérité. Ainsi le prêtre figuratif de l’ancienne loi ne pouvait
pas s’élever à une perfection assez haute pour n’avoir pas besoin du sacrifice
satisfactoire, au lieu que le Christ n’en a pas eu besoin (Il n’en a eu besoin
que pour le rachat du genre humain.). Le même raisonnement n’est donc pas
applicable à l’un et à l’autre. Et c’est la pensée de l’Apôtre qui dit (Héb., 7, 28) : La loi
établit pour prêtres des hommes faibles, mais la parole confirmée par le
serment fait d’après la loi, établit pour pontife le Fils qui a été élevé pour
jamais à la perfection.
Mais c’est le
contraire. Le concile d’Ephèse dit (gen. 3, part. 3, chap. 1, can.
10) : Si quelqu’un dit que le Christ a offert son oblation pour lui et qu’il ne
l’a pas seulement offerte pour nous (car celui qui ne connaissait pas le péché
n’a pas eu besoin de sacrifice), qu’il soit anathème (Saint Cyrille s’exprime
ainsi (can. 2) : Pontificem confessionis nostræ pro seipso semetipsum Deo et Patri obtulisse, omnino
à rectâ est, et inculpatâ
fide alienum. Peccatum enim non facit
: qui verò superior est
omni delicto, et prorsùs expers
peccati, oblatione pro se nullâ opus habuit.).
Or, l’office du prêtre consiste principalement à offrir le sacrifice. Le
sacerdoce du Christ n’a donc pas eu son effet dans le Christ lui-même.
Conclusion
Puisque le Christ est arrivé à Dieu par lui-même, il n’a pas été convenable que
son propre sacerdoce exerçât sur lui son effet.
Il faut répondre que,
comme nous l’avons dit (art. 1), le prêtre est un intermédiaire entre Dieu et
le peuple. Or, celui qui ne peut pas arriver à Dieu par lui-même a besoin d’un
pareil intermédiaire, et celui-là est soumis au sacerdoce et participe à son
effet. Mais il n’en est pas ainsi du Christ. Car l’Apôtre dit (Hébr., 7, 25) : Qu’arrivant
par lui-même à Dieu (La Vulgate porte : Salvare
in perpetuum potest accedentes
per semetipsum, etc.), il est toujours vivant pour prier pour nous. C’est pourquoi il ne
convient pas au Christ de participer à l’effet de son sacerdoce, mais plutôt de
le communiquer aux autres. Car le premier agent dans un genre exerce toujours
son action sans rien recevoir dans ce même genre. Ainsi le soleil éclaire sans
être éclairé, le feu échauffe sans être échauffé. Or le Christ est la source de
tout le sacerdoce ; car le prêtre de l’ancienne loi était sa figure, et le
prêtre de la nouvelle opère en son nom, suivant cette expression de saint Paul
(2 Cor., 2, 10) : Car ce que j’ai accordé, si j’ai accordé
quelque chose, je l’ai fait au nom du Christ et en votre considération.
C’est pourquoi il ne convient pas au Christ de prendre part à l’effet de son
sacerdoce.
Article 5 :
Le sacerdoce du Christ existe-t-il éternellement ?
Objection N°1. Il
semble que le sacerdoce du Christ ne subsiste pas éternellement. Car, comme
nous l’avons dit (art. préc.), l’effet du sacerdoce
n’est un besoin que pour ceux qui ont l’infirmité du péché qui peut être expiée
par le sacrifice du prêtre. Or, il n’en sera pas ainsi éternellement ; parce
que dans les saints cette infirmité n’existera plus, d’après ces paroles du
prophète (Is., 60, 21) : Tout votre peuple sera un peuple de justes. Quant
à celle des pécheurs elle ne peut pas être expiée, parce que dans l’enfer il
n’y a pas de rédemption. C’est donc en vain que le sacerdoce du Christ
subsisterait éternellement.
Réponse à l’objection N°1 : Les saints qui étaient dans le ciel n’auront plus besoin
d’être purifiés par le sacerdoce du Christ, mais étant purifiés ils auront
besoin d’être consommés par le Christ duquel leur gloire dépend. D’où il est
dit (Apoc., 21, 23) : que la gloire de Dieu éclaire la cité des saints et que l’agneau est son flambeau.
Objection N°2. Le
sacerdoce du Christ est principalement manifeste dans sa passion et sa mort,
quand il est entré dans le sanctuaire par
son propre sang, selon l’expression de l’Apôtre (Héb., 9, 12). Or, la passion et la mort du Christ n’existeront pas
éternellement, car il est dit (Rom.,
6, 9) que le Christ ressuscité d’entre
les morts ne meurt plus. Le sacerdoce du Christ n’est donc pas éternel.
Réponse à l’objection N°2 : Quoique la passion et la mort du Christ ne doivent pas se
renouveler, cependant la vertu de cette hostie une fois offerte subsiste
éternellement, parce que, comme le dit saint Paul (Héb., 10, 14) : Par une seule
oblation il a rendu parfaits pour toujours ceux qu’il a sanctifiés.
Mais c’est le
contraire. Le Psalmiste dit (Ps. 109, 4) : Vous êtes prêtre éternellement (Saint
Paul dit (Héb., 7, 24-25) : Mais celui-ci,
parce qu’il demeure éternellement, possède un sacerdoce éternel. C’est pourquoi
il peut sauver pour toujours ceux qui s’approchent de Dieu par lui, étant
toujours vivant pour intercéder en notre faveur.).
Conclusion Le sacerdoce a été
éternel, non quant à l’oblation du sacrifice, mais quant à sa consommation qui
consiste dans les biens éternels.
Il faut répondre que
dans l’office du prêtre on peut considérer deux choses : 1° l’oblation même du
sacrifice ; 2° sa consommation, qui consiste en ce que ceux pour lesquels on
l’offre obtiennent ce que le sacrifice a pour fin. Or, le sacrifice que le
Christ a offert a eu pour fin non les biens temporels, mais les biens
éternels que nous acquérons par sa mort. D’où il est dit (Héb., 9, 12) : que le Christ est le pontife des biens futurs, et c’est sous ce rapport qu’on dit
que son sacrifice est éternel. Cette consommation du sacrifice du Christ était
figurée à l’avance en ce que le pontife de l’ancienne loi n’entrait qu’une fois
par an dans le saint des saints avec le sang du bouc et du veau, comme on le
voit (Lév., chap. 16), quoique le bouc et le veau
ne fussent pas immolés dans le saint des saints, mais en dehors. De même le
Christ est entré dans le saint des saints, c’est-à-dire dans le ciel, et nous
en a préparé le chemin par la vertu de son sang qu’il a répandu pour nous sur
la terre.
La réponse à la
troisième objection est par là même évidente.
L’unité
de cette oblation était figurée dans l’ancienne loi par l’acte un grand prêtre
qui entrait une fois l’an dans le sanctuaire avec l’oblation solennelle du
sang, comme on le voit (Lév., chap. 16). Mais la figure restait
au-dessous de la vérité en ce que celte hostie n’avait pas une vertu éternelle
; c’est pourquoi on renouvelait ces victimes annuellement.
Article 6 : Le
sacerdoce du Christ a-t-il été selon l’ordre de Melchisédech ?
Objection N°1. Il
semble que le sacerdoce du Christ n’ait pas été selon l’ordre de Melchisédech.
Car le Christ est la source de tout le sacerdoce ; il est comme le prêtre
principal. Or, ce qui est principal n’est pas de l’ordre d’un autre, mais les
autres sont de son ordre. On ne doit donc pas dire que le Christ est prêtre
selon l’ordre de Melchisédech.
Réponse à l’objection N°1 :
On ne dit pas que le Christ est selon l’ordre de Melchisédech, comme si
Melchisédech était le principal prêtre, mais on le dit parce que ce patriarche
figurait à l’avance l’excellence du sacerdoce du Christ sur le sacerdoce de
Lévi.
Réponse à l’objection N°2 : Dans le sacerdoce du Christ on peut considérer deux choses :
l’oblation même du Christ et sa participation. Quant à l’oblation, le sacerdoce
légal figurait plus expressément le sacerdoce du Christ par l’effusion du sang
que le sacerdoce de Melchisédech où il n’y avait pas de sang répandu. Mais
quant à la participation de ce sacrifice et à son effet, dans lequel
principalement on considère l’excellence du sacerdoce du Christ sur le
sacerdoce légal, elle était figurée plus expressément par le sacerdoce de
Melchisédech qui offrait le pain et le vin, qui signifiaient, d’après saint
Augustin (Tract. 26 in Joan.),
l’union de l’Eglise que constitue la participation au sacrifice du Christ.
C’est pourquoi sous la loi nouvelle le vrai sacrifice du Christ est communiqué
aux fidèles sous l’espèce du pain et du vin.
Objection
N°3. Saint Paul dit (Héb., 7, 2) : qu’il est
le roi de la paix, sans père, sans mère, sans généalogie, qu’on ne trouve ni le
commencement ni la fin de sa vie, ce qui ne convient qu’au Fils de Dieu. On
ne doit donc pas dire que le Christ est prêtre selon l’ordre de Melchisédech,
comme s’il s’agissait d’un autre que de lui-même.
Réponse à l’objection
N°3 : Il est dit de
Melchisédech qu’il était sans père, sans
mère et sans généalogie, et qu’on ne trouve ni le commencement ni la fin de sa vie, non parce, que ces choses
n’ont pas existé, mais parce que dans l’Ecriture on n’en dit rien (Il y a eu
des hérétiques qui ont prétendu que Melchisédech n’était pas un homme comme un
autre, mais qu’il était le Christ ou L’Esprit-Saint. Saint Augustin en parte (Lib. de hæres.)). Par là, comme le dit saint Paul, il a été semblable au
Fils de Dieu, qui n’a pas de père sur terre, qui n’a point de mère au ciel, et
qui est sans généalogie, puisque le prophète dit (Is., 53, 8) : Qui
racontera sa génération ? et qui, comme Dieu, n’a
eu ni commencement ni fin.
Mais c’est le
contraire. Le Psalmiste dit (Ps. 109, 4) : Vous êtes prêtre éternellement selon l’ordre
de Melchisédech.
Conclusion On dit que le sacerdoce
du Christ est selon l’ordre de Melchisédech, à cause de l’excellence du vrai
sacerdoce sur le sacerdoce figuratif de la loi.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
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