Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

3a = Tertia Pars = 3ème partie

Question 25 : De l’adoration du Christ

 

            Après avoir considéré le Christ par rapport à son Père, nous devons le considérer en ce qui le concerne par rapport à nous. Nous parlerons : 1° de l’adoration du Christ, c’est-à-dire de l’adoration que nous lui rendons ; 2° de son caractère de médiateur entre nous et Dieu. — Sur le premier point six questions se présentent : 1° Doit-on adorer par une seule et même adoration la divinité du Christ et son humanité ? (Cet article renverse fondamentalement l’erreur de Nestorius et de Félix d’Urgel, qui prétendaient que l’on ne devait pas adorer le Christ comme Dieu et le Christ comme homme d’une seule et même adoration.) — 2° La chair du Christ doit-elle être adorée de l’adoration de latrie ? (Cette question a été parfaitement éclaircie par ces paroles du concile de Nicée, que rapporte le concile d’Ephese (part. 3, chap. 6) : Confitemur Dominum nostrum Jesum Christum… totum adorabilem, etiam cum corpore, sed non secundùm corpus adorabilem : totum adorantem etiam cum divinitate, sed non secundùm divinitatem adorantem ; totus quippè ergò est Deus etiam cum corpore, non secundùm corpus : totus adorandus etiam cum corpore, non propter corpus.) — 3° Doit-on adorer de l’adoration de latrie l’image du Christ ? (Cet article est une réfutation de l’erreur des iconoclastes, qui fut condamnée en 787 par le second concile de Nicée, mais qui fut renouvelée par les wicleffistes, les luthériens, les zuingliens et les calvinistes au commencement de l’âge moderne.) — 4° Doit-on ainsi adorer la croix du Christ ? (Le concile de Nicée a défini (act. 5) que l’on devait adorer les images, et le concile de Trente a anathématisé ceux qui condamnaient les honneurs rendus aux reliques des saints (sess. 25).) — 5° Doit-on adorer sa mère ? (Cet article est une réfutation de l’erreur des collyridiens, qui prétendaient que l’on devait adorer la Vierge Marie.) — 6° De l’adoration des reliques des saints. (L’honneur rendu aux reliques a été attaqué pour la première fois par Vigilance, que saint Jérôme a vigoureusement réfuté. Le second concile de Nicée a aussi condamné cette erreur (act. 5). Les novateurs modernes l’ayant renouvelée, le concile de Trente les a anathématisés de nouveau (sess. 25). Decret. de invocat. venerat. et reliq. sanctorum.)

 

Article 1 : Doit-on adorer d’une seule et même adoration la divinité du Christ et son humanité ?

 

Objection N°1. Il semble qu’on ne doive pas adorer d’une même adoration l’humanité du Christ et sa divinité. En effet la divinité du Christ doit être adoré ; d’une adoration qui est commune au Père et au Fils ; d’où il est dit (Jean, 5, 23) : Que tous honorent le Fils, comme ils honorent le Père, au lieu que l’humanité du Christ ne lui est pas commune avec le Père. On ne doit donc pas adorer l’humanité du Christ et sa divinité d’une même adoration.

Réponse à l’objection N°1 : Il y a dans la Trinité trois personnes que l’on honore, mais qu’il n’y a qu’une seule cause d’honneur, tandis que dans le mystère de l’Incarnation c’est le contraire. C’est pourquoi l’honneur qu’on’ rend à la Trinité est un d’une autre manière que l’honneur rendu au Christ.

 

Objection N°2. L’honneur est dans un sens propre la récompense de la vertu, comme le dit Aristote (Eth., liv. 4, chap. 3). Or, la vertu mérite sa récompense par son acte. Par conséquent puisque dans le Christ l’opération de la nature divine est autre que celle de la nature humaine, ainsi que nous l’avons vu (quest. 19, art. 1), il semble donc que son humanité doive être vénérée d’une manière et sa divinité d’une autre.

Réponse à l’objection N°2 : L’opération n’est pas ce que l’on honore, mais elle est le motif de l’honneur qu’on rend. C’est pourquoi, par là même que dans le Christ il y a deux opérations, il ne s’ensuit pas qu’il y ait deux adorations, mais deux causes d’adoration.

 

Objection N°3. L’âme du Christ, si elle n’avait pas été unie au Verbe, devrait être vénérée à cause de l’excellence de la sagesse et de la grâce qu’elle a. Or, elle n’a rien perdu de sa dignité de ce qu’elle a été unie au Verbe. La nature humaine dans le Christ doit donc être vénérée d’une adoration propre, indépendamment du respect que l’on a pour sa divinité.

Réponse à l’objection N°3 : L’âme du Christ, si elle n’avait pas été unie au Verbe de Dieu, serait ce qu’il y a de plus principal dans cet homme. C’est pourquoi on devrait surtout l’honorer, parce que l’homme serait ce qu’il y a en lui de plus important. Mais l’âme du Christ étant unie à une personne plus noble, on doit surtout honorer cette personne à laquelle elle est unie. Toutefois la dignité de l’âme humaine n’est pas par la diminuée ; elle est au contraire augmentée, comme nous l’avons vu (quest. 2, art. 2, Réponse N°2).

 

Mais c’est le contraire. Le cinquième concile général dit (Const. 2, gen. 5, collat. 8, can. 9) : Si quelqu’un dit que l’on doit adorer le Christ dans ses deux natures, et que par là on admette deux adorations, mais qu’on n’adore pas d’une seule et même adoration Dieu le Verbe incarné avec sa propre chair, comme on l’a cru dès le commencement de l’Eglise de Dieu, qu’il soit anathème.

 

Conclusion A cause de l’unité de personne que l’on honore proprement dans Je Christ, il n’y a qu’une seule adoration du Christ ; mais, en raison de ses deux natures, il y a plusieurs causes de cette adoration.

Il faut répondre que dans celui qu’on honore nous pouvons considérer deux choses, celui à qui on rend cet honneur et la cause pour laquelle on le lui rend. Or, on honore à proprement parler la chose subsistante tout entière (Ainsi ce qu’on adore dans le Christ, c’est la personne, et il est de foi que l’homme qu’on désigne sous le nom du Christ doit être adoré du culte de latrie. La définition du concile d’Ephèse a été renouvelée au concile de Latran, sous Martin Ier, et a servi de base à celle du concile de Trente (sess. 13, can. 6), au sujet de l’adoration du Christ dans l’Eucharistie.). Car nous ne disons pas qu’on honore la main de l’homme, mais l’homme entier, et si parfois il arrive qu’on dise que l’on honore la main ou le pied de quelqu’un, on ne le dit pas dans le sens que ces parties soient honorées en elles-mêmes, mais parce qu’on honore le tout en elles. De la sorte on peut aussi honorer un homme dans quelque chose d’extérieur, par exemple dans son habit, son image ou son messager (Quand on adore une chose à cause d’une autre, l’adoration est relative.). La cause de l’honneur étant le motif pour lequel on est honoré, elle a une certaine excellence. Car l’honneur est le respect que l’on témoigne à quelqu’un à cause de sa supériorité, comme nous l’avons dit (2a 2æ, quest. 103, art. 1). C’est pourquoi si dans un même homme il y a plusieurs choses qui portent à l’honorer, comme la dignité, la science et la vertu, l’honneur est un de la part de celui qui est honoré, mais il est multiple par rapport aux causes qui le produisent. Car c’est l’homme qu’on honore à cause de sa science et de sa vertu. — Par conséquent, puisqu’il n’y a dans le Christ qu’une seule personne pour la nature divine et humaine, et qu’il n’y a qu’une seule hypostase et un seul suppôt, il n’y a qu’une seule adoration et qu’un seul honneur relativement à celui qui est adoré, mais on peut dire qu’il y en a plusieurs relativement à la cause pour laquelle on l’honore, de telle sorte qu’on l’honore pour sa sagesse créée d’un autre honneur que pour sa sagesse incréée. Mais si l’on supposait dans le Christ plusieurs personnes ou plusieurs hypostases, il s’ensuivrait qu’il y aurait absolument plusieurs adorations ; et c’est ce qui est condamné par les conciles. Si quelqu’un, est-il dit dans les anathèmes de saint Cyrille (Conc. Ephes., gener. 3, part. 1, chap. 26), ose prétendre que l’on doit adorer l’homme qui s’est incarné simultanément avec le Verbe de Dieu, comme si l’on honorait l’un pour l’autre, et qu’on n’offrît pas plutôt une seule et même adoration à l’Emmanuel, selon que le Verbe s’est fait chair, qu’il soit anathème.

 

Article 2 : Doit-on adorer l’humanité du Christ de l’adoration de latrie ?

 

Objection N°1. Il semble qu’on ne doive pas adorer l’humanité du Christ de l’adoration de latrie. Car sur ces paroles (Ps. 98, 5) : Adorez l’escabeau de ses pieds, car il est saint, la glose dit (ord.) : Nous adorons sans impiété le corps que le Verbe de Dieu a pris, parce que personne ne mange sa chair spirituellement sans l’adorer auparavant ; mais je ne parle pas de cette adoration qui consiste dans le culte de latrie, qu’on ne doit qu’au Créateur. La chair du Christ étant une partie de son humanité, il s’ensuit qu’on ne doit pas adorer en lui l’humanité de l’adoration de latrie.

Réponse à l’objection N°1 : Cette glose ne doit pas s’entendre comme si l’on adorait la chair du Christ séparément de sa divinité. Car ceci ne pourrait arriver que dans le cas où l’hypostase de Dieu et celle de l’homme ne seraient pas la même. Mais parce que, comme le dit saint Jean Damascène (loc. sup. cit.), si vous séparez intellectuellement ce qui se voit de ce qui se comprend, il ne doit pas être adoré en tant que créature, c’est- à-dire qu’il ne doit pas recevoir le culte de latrie : en le considérant ainsi séparément du Verbe de Dieu, on lui devrait l’adoration de dulie, non pas une adoration quelconque comme celle qu’on rend en général aux autres créatures, mais une adoration proportionnée à son excellence et à laquelle on donne le nom d’hyperdulie (Le nom d’hyperdulie lui conviendrait comme à la plus excellente des créatures. C’est à ce titre qu’on l’emploie quand il s’agit de la sainte Vierge.).

 

Objection N°2. Le culte de latrie n’est dû à aucune créature. Car les gentils sont réprouvés pour avoir adoré et servi la créature, selon l’expression de saint Paul (Rom., 1, 25). Or, l’humanité du Christ est une créature. On ne doit donc pas l’adorer du culte de latrie.

 

Objection N°3. L’adoration de latrie est due à Dieu en reconnaissance de son souverain domaine, d’après ces paroles de la loi (Deut., 6, 13) : Vous adorerez le Seigneur votre Dieu et vous ne servirez que lui. Or, le Christ, comme homme, est moindre que son Père. Son humanité ne doit donc pas être adorée de l’adoration de latrie.

 

Mais c’est le contraire. Saint Jean Damascène dit (De orth. fid., liv. 4, chap. 3) : On adore la chair du Christ dans le Verbe incarné, non pour elle- même, mais à cause du Verbe de Dieu qui lui est uni hypostatiquement. Et sur ces paroles (Ps. 98, 5) : Adorez l’escabeau de ses pieds, la glose dit (ord. Aug.) : Celui qui adore le corps du Christ ne regarde pas la terre, mais plutôt celui dont elle est l’escabeau, et c’est en son honneur qu’on adore l’escabeau lui-même. Or, on adore le Verbe incarné de l’adoration de latrie. On adore donc aussi de la sorte son corps ou son humanité.

 

Conclusion On doit adorer l’humanité du Christ du culte de latrie, si l’on entend que l’adoration se rapporte à lui comme à la chose adorée ; mais si on entend l’adoration qui se fait en raison de l’humanité du Christ, qui est parfaite parce qu’elle a reçu toutes les grâces, on ne doit pas l’adorer du culte de latrie, mais du culte d’hyperdulie.

Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc.), l’honneur de l’adoration est dû proprement à l’hypostase subsistante ; mais le motif de l’honneur peut être une chose subsistante et pour laquelle on honore la personne dans laquelle elle se trouve. L’adoration de l’humanité du Christ peut donc s’entendre de deux manières : 1° On peut entendre qu’elle se rapporte à lui comme à la chose adorée ; alors adorer la chair du Christ n’est rien autre chose que d’adorer le Verbe de Dieu incarné ; comme adorer l’habit d’un roi n’est rien autre chose que d’adorer le roi qui en est vêtu. Dans ce sens, l’adoration de l’humanité du Christ est une adoration de latrie. 2° On peut entendre l’adoration de l’humanité du Christ, qui se fait en raison de son humanité elle-même qui est parfaite par suite de tous les dons de la grâce. Dans ce cas l’adoration de l’humanité du Christ n’est pas une adoration de latrie, mais une adoration de dulie, de telle sorte que la même personne du Christ est adorée d’une adoration de latrie à cause de sa divinité et d’une adoration de dulie à cause de la perfection de son humanité. Et il n’y a rien là qui répugne, parce que l’honneur de latrie est dû à Dieu le Père lui-même à cause de la déité, et l’honneur de dulie (Cette expression ne signifie pas que l’on doit à Dieu deux sortes de culte, l’un de latrie et l’autre de dulie ; mais le mot de dulie est pris dans un sens large, et il signifie que le culte suprême de dulie lui est dû, comme au souverain Seigneur de toutes choses. Il n’est dû aux créatures qu’autant qu’elles participent à sa domination. Mais ce culte suprême de dulie se confond avec le culte de latrie.) à cause de l’empire d’après lequel il gouverne les créatures. C’est pourquoi à l’occasion de ces paroles (Ps. 7) : Domine Deus meus, in te speravi, la glose dit (interl.) : On lui doit le culte de dulie, comme étant le Seigneur de toutes choses par sa puissance, et le culte de latrie, comme au Dieu de tous les êtres par la création.

La réponse à la second et à la troisième objection est par là même évidente ; parce qu’on ne rend pas l’adoration de latrie à l’humanité du Christ pour elle-même, mais en raison de la divinité à laquelle elle est unie et par rapport à laquelle le Christ n’est pas moindre que le Père.

 

Article 3 : L’image du Christ doit-elle être adorée de l’adoration de latrie ?

 

Objection N°1. Il semble qu’on ne doive pas adorer l’image du Christ de l’adoration de latrie. Car il est dit (Ex., 20, 4) : Vous ne vous ferez point d’images taillées, ni quelque autre figure. Or, on ne doit rien adorer contre le précepte de Dieu. L’image du Christ ne doit donc pas être adorée de l’adoration de latrie.

Réponse à l’objection N°1 : Ce précepte n’empêche pas de faire des statues ou des tableaux, mais il défend d’en faire pour les adorer. C’est pourquoi il ajoute : Vous ne les adorerez pas, et vous n’aurez pas de culte pour eux (Ce sont ces passages de l’Ecriture qui sont cités dans les livres carolins, où l’on combat la décision du concile de Nicée, qui ne put pas d’abord reconnu en Occident. Mais cette divergence de sentiments ne roulait que sur une méprise, sur le double sens que présente le mot adoration.). Et parce que, comme nous l’avons dit (dans le corps de cet article.), c’est le même mouvement qui se porte vers l’image et vers l’objet qu’elle représente, il s’ensuit qu’on interdit l’adoration de l’image, au même titre que l’adoration de la chose qui est représentée. Ainsi, dans cet endroit, il est défendu d’adorer les images que les gentils faisaient pour adorer leurs dieux, c’est-à-dire les démons. C’est pourquoi, il est dit auparavant : Vous n’aurez pas de dieux étrangers en ma présence. Le vrai Dieu étant incorporel, on ne pouvait le représenter sous aucune image, parce que, comme le dit saint Jean Damascène (loc. sup. cit.) : Il est de la plus grande démence et de la dernière impiété de donner une figure à ce qui est divin. Mais parce que sous le Nouveau Testament Dieu s’est fait homme, on peut l’adorer sous l’image corporelle qui le représente.

 

Objection N°2. Nous ne devons pas faire les mêmes choses que les gentils, d’après saint Paul (Eph., chap. 5). Or, les gentils sont surtout blâmés de ce qu’ils ont remplacé la gloire du Dieu incorruptible par l’image d’un homme corruptible, selon l’expression de saint Paul (Rom., 1, 23). On ne doit donc pas adorer l’image du Christ de l’adoration de latrie.

Réponse à l’objection N°2 : L’Apôtre défend de faire les œuvres infructueuses des gentils, mais il ne défend pas de faire leurs œuvres utiles. Or, on doit compter l’adoration des images parmi leurs œuvres infructueuses sous deux rapports : 1° parce que quelques-uns (Cette idolâtrie grossière ne fut en effet quo l’erreur de certaines personnes ; le polythéisme consistait principalement dans la déification de l’homme et des esprits créés.) d’entre eux adoraient les images elles-mêmes, comme des choses, croyant qu’elles avaient un certain pouvoir, à cause des réponses que les démons donnaient par leur intermédiaire, et des autres effets prodigieux qui s’opéraient. 2° En raison des choses qu’elles représentaient. Car ces images se rapportaient à des créatures que l’on vénérait du culte de latrie. Pour nous, nous adorons de l’adoration de latrie l’image du Christ, qui est vrai Dieu, non à cause de l’image elle-même, mais à cause de la chose qu’elle représente, ainsi que nous l’avons dit (dans le corps de cet article.).

 

Objection N°3. On doit au Christ l’adoration de latrie en raison de la divinité, mais non pas en raison de l’humanité. Or, on ne doit pas l’adoration de latrie à l’image de sa divinité qui a été imprimée à l’âme raisonnable. Par conséquent on la doit encore beaucoup moins à l’image corporelle qui représente son humanité

Réponse à l’objection N°3 : On doit vénérer la créature raisonnable pour elle-même ; c’est pourquoi si l’on rendait à la créature raisonnable, qui est faite à l’image de Dieu, une adoration de latrie, il pourrait y avoir une occasion d’erreur, en ce sens que le mouvement de celui qui l’adorerait s’arrêterait à l’homme, considéré comme être, et ne s’élèverait pas jusqu’à Dieu dont il est l’image ; ce qui ne peut pas avoir lieu quand il s’agit d’une image sculptée ou peinte qui tombe sous les sens.

 

Objection N°4. Il semble qu’on ne doive faire dans le culte divin que ce qui a été établi par Dieu. C’est pourquoi l’Apôtre en exposant la doctrine qu’il a reçue sur le sacrifice de l’Eglise dit (1 Cor., 11, 23) : C’est du Seigneur que j’ai appris ce que je vous ai enseigné. Or, on ne trouve rien dans l’Ecriture sur l’adoration des images. On ne doit donc pas adorer l’image du Christ du culte de latrie.

Réponse à l’objection N°4 : Les apôtres ont transmis à l’Eglise, d’après l’inspiration de l’Esprit-Saint, des choses qui ne se trouvent pas dans leurs écrits, mais que l’Eglise a observées dans tous les siècles (Ainsi, d’après saint Thomas, il y a eu de tout temps dans l’Eglise une tradition particulière, indépendamment de l’Ecriture ; ce qui renverse tout le système du protestantisme.). C’est ce qui fait dire à saint Paul (2 Thess., 2, 14) : Demeurez fermes et conservez les traditions qui vous ont été enseignées, soit par mes discours, soit par mes lettres, c’est-à-dire de vive voix ou par écrit. Parmi ces traditions se trouve l’adoration des images du Christ. Ainsi on dit que saint Luc a peint une image du Christ qui se trouve à Rome.

 

Mais c’est le contraire. Saint Jean Damascène (Orth. fid., liv. 4, chap. 17) cite saint Basile, qui dit que l’honneur de l’image revient à son prototype, ou à celui qu’elle représente. Or, le Christ qui est ici le sujet représenté doit être adoré de l’adoration de latrie. On doit donc aussi adorer de la sorte son image.

 

Conclusion Puisque l’on doit adorer le Christ de l’adoration de latrie, son image doit être adorée de la même manière, d’après saint Thomas.

Il faut répondre que, comme le dit Aristote (De memor. et reminisc., chap. 2), il y a deux sortes de mouvements par lesquels l’âme se porte vers une image. Par l’une elle se porte vers l’image elle-même selon qu’elle est une chose, et par l’autre elle se porte vers l’image selon qu’elle est la représentation d’un autre objet. Il y a cette différence entre ces deux mouvements ; c’est que le premier par lequel on se porte vers l’image, comme étant une chose, diffère de celui par lequel on se porte vers ce qui est représenté ; au lieu que le second mouvement qui se rapporte à l’image comme telle est absolument le même que celui qui se rapporte à ce qu’elle représente. Par conséquent il faut dire qu’on ne doit aucun respect à l’image du Christ, en tant qu’elle est une chose (par exemple, du bois sculpté ou peint), parce qu’on ne doit vénérer que les êtres raisonnables. Il faut donc qu’on ne l’honore que comme image (Bossuet dit à ce sujet : Saint Thomas attribue à la croix le culte de latrie, qui est le culte suprême, mais il s’explique en disant que c’est une latrie respective, qui ne devient suprême que parce qu’elle se rapporte à Jésus-Christ… Qui peut blâmer ce sens ? Personne, sans doute : si l’expression déplaît, il n’y a qu’à la laisser là, comme a fait sans hésiter le P. Pétau. Lettre sur l’adoration de la croix, édit. de Vers., tom. 25, p. 63.), et alors il s’ensuit qu’on lui doit le même respect qu’à l’image du Christ et qu’au Christ lui-même. Ainsi puisqu’on adore le Christ d’une adoration de latrie, il en résulte que son image doit être adorée de la sorte.

 

Article 4 : La croix doit-elle être adorée de l’adoration de latrie ?

 

Objection N°1. Il semble qu’on ne doive pas adorer la croix du Christ de l’adoration de latrie. Car un enfant pieux ne vénère pas ce qui a outragé son père ; par exemple, le fouet qui l’a flagellé, ou le bois sur lequel il a été attaché, mais il l’a plutôt en horreur. Or, le Christ a souffert sur le bois de la croix la mort la plus ignominieuse, d’après ces paroles (Sag., 2, 20) : Condamnons- le à la mort la plus honteuse. Au lieu de vénérer la croix, nous devons donc plutôt l’abhorrer.

Réponse à l’objection N°1 : La croix du Christ, dans l’idée ou l’opinion des infidèles, représente son opprobre, mais, par rapport à notre salut qu’elle a produit, elle rappelle la vertu divine du Christ, par laquelle il a triomphé de ses ennemis, suivant ces paroles de saint Paul (Colos., 2, 14) : Il a entièrement aboli la cédule qui nous était contraire en rattachant à sa croix, et ayant désarmé les Principautés et les Puissances, il les a exposées en spectacle avec confiance, après en avoir triomphé par lui-même. C’est ce qui lui fait dire ailleurs (1 Cor., 1, 18) : La prédication de la croix est une folie pour ceux qui se perdent ; mais pour ceux qui se sauvent, c’est-à-dire pour nous, elle est la vertu de Dieu.

 

Objection N°2. L’humanité du Christ est adorée de l’adoration de latrie, en tant qu’elle est unie au Fils de Dieu en personne ; ce qu’on ne peut dire de la croix. On ne doit donc pas l’adorer de l’adoration de latrie.

Réponse à l’objection N°2 : Quoique la croix du Christ n’ait pas été unie au Verbe de Dieu en personne, cependant elle lui a été unie d’une autre manière, c’est-à-dire par la représentation et le contact. C’est sous ce seul rapport qu’on lui témoigne du respect.

 

Objection N°3. Comme la croix du Christ a été l’instrument de sa passion et de sa mort, il en est de même d’une foule d’autres choses, comme les clous, la couronne et la lance. Nous ne leur rendons cependant pas le culte de latrie. Il semble donc qu’on ne doive pas adorer la croix de cette manière.

Réponse à l’objection N°3 : Par rapport aux choses que les membres du Christ ont touchées, nous n’adorons pas seulement la croix, mais encore tout ce qui appartient au Christ. D’où saint Jean Damascène dit (De orth. fid., liv. 4, chap. 12) qu’il est convenable d’adorer le bois précieux de la croix, comme ayant été sanctifié par le contact du corps et du sang du Christ, les clous, les vêtements, la lance et les demeures saintes qui l’ont reçu, tels que la crèche, le tombeau (C’est d’après le même principe que nous vénérons comme des reliques les objets qui ont appartenu aux saints, qu’ils ont touchés ou dont ils se sont servi. Voyez ce que dit à ce sujet saint Augustin (De civ. Dei, liv. 1, chap, 13).), etc. Toutefois ces choses ne représentent pas l’image du Christ, comme la croix qu’on appelle le signe du Fils de l’homme et qui apparaîtra dans le ciel, selon l’expression de l’Evangile (Matth., chap. 24). C’est pourquoi l’ange dit aux femmes (Marc, 16, 6) : Vous cherchez Jésus de Nazareth, le crucifié ; mais il n’a pas dit : celui qui a été percé d’une lance. De là il suit que nous vénérons la croix, de quelque matière qu’elle soit, tandis qu’il n’en est pas de même de l’image des clous ou de tous les autres instruments.

 

Mais c’est le contraire. Nous rendons un culte de latrie à celui dans lequel nous mettons une espérance de salut. Or, nous plaçons nos espérances de salut dans la croix du Christ. Car l’Eglise chante : Je vous salue, ô croix ; mon unique espérance, dans ce temps de la passion, augmentez la justice de ceux qui sont déjà justes, et accordez le pardon aux coupables. La croix du Christ doit donc être adorée de l’adoration de latrie.

 

Conclusion La croix du Christ sur laquelle le Christ a été crucifié, doit être adorée de l’adoration de latrie, soit parce qu’elle le représente, soit parce que ses membres l’ont touchée, mais une autre croix d’une autre matière ne doit être adorée de cette manière que clans le premier sens.

Il faut répondre que, comme nous l’avons dit (art. préc.), l’honneur ou le respect n’est dû qu’à la créature raisonnable, et on ne le doit à la nature insensible qu’en raison de la nature qui est douée de raison. Et cela de deux manières : 1° selon qu’elle la représente ; 2° en tant qu’elle lui est unie d’une certaine façon. On a coutume de vénérer l’image d’un roi de la première manière, et on vénère de la seconde ses vêtements. Et l’on vénère l’un et l’autre de la même vénération que l’on vénère le roi lui-même. — Par conséquent, si nous parlons de la croix sur laquelle le Christ a été crucifié, nous devons la vénérer de ces deux manières. Nous la vénérons de la première, selon qu’elle nous représente la figure du Christ, qui y est mort ; et nous la vénérons de la seconde, parce que les membres du Christ l’ont touchée, et qu’elle a été couverte de son sang. Mais on l’adore de ces deux manières, de la même adoration qu’on adore le Christ, c’est-à-dire de l’adoration de latrie. C’est pour cela que nous nous adressons à la croix (C’est ainsi que dans la strophe de l’hymne du dimanche de la Passion, que nous avons traduite plus haut, nous disons : O crux, ave, spes unica ! hoc passionis tempore, auge piis justitiam, reisque dona veniam.), et que nous lui parlons comme au crucifié. Mais s’il s’agit de l’image de la croix du Christ faite d’une matière quelconque, par exemple, en pierre ou en bois, en argent ou en or ; alors c’est la croix seulement, considérée comme l’image du Christ, que nous vénérons de l’adoration de latrie, ainsi que nous l’avons dit (art. préc.).

 

Article 5 : La mère du Christ doit-elle être adorée de l’adoration de latrie ?

 

Objection N°1. Il semble que la mère du Christ doive être adorée de l’adoration de latrie. Car il semble qu’on doive le même honneur à la mère du roi qu’au roi lui-même. Ainsi il est dit (3 Rois, 2, 19) : qu’on mit un trône pour la mère du Roi, et qu’elle s’assît à sa droite. Et saint Augustin ajoute (alius auctor in serm. de assumpt., chap. 6) que le trône de Dieu, le lit du Seigneur, la maison et le tabernacle du Christ, est digne d’être là où il est lui-même. Or, le Christ est adoré d’une adoration de latrie. Donc sa mère doit l’être aussi.

Réponse à l’objection N°1 : On ne doit pas à la mère du roi un honneur égal à celui qu’on doit au roi lui-même ; mais on lui doit un honneur semblable en raison de son excellence (C’est-à-dire quelque chose de suréminent comme l’est le culte d’hyperdulie.). C’est ce que prouvent les autorités qu’on a citées.

 

Objection N°2. Saint Jean Damascène dit (Orth. fid., liv. 4, chap. 17) que l’honneur de la mère se rapporte au Fils. Or, on adore le Fils de l’adoration de latrie. Par conséquent la mère aussi.

Réponse à l’objection N°2 : L’honneur de la mère se rapporte au Fils, parce qu’on doit adorer la mère à cause du Fils ; mais ce n’est pas de la même manière que l’honneur qu’on rend à une image se rapporte à celui qu’elle représente ; parce que l’image, selon qu’elle est considérée en elle-même, comme une chose, ne doit point du tout être vénérée.

 

Objection N°3. La mère du Christ lui est plus unie que sa croix. Or, on adore la croix de l’adoration de latrie. La mère du Christ doit donc être aussi adorée de cette manière.

Réponse à l’objection N°3 : La croix n’est pas digne de vénération, si on la considère en elle-même, ainsi que nous l’avons dit (art. préc.) ; au lieu que la bienheureuse Vierge en est digne par elle-même. C’est pourquoi il n’y a pas de parité.

 

Mais c’est le contraire. La mère de Dieu est une pure créature. L’adoration de latrie ne lui est donc pas due.

 

Conclusion La bienheureuse Vierge étant une créature raisonnable, ne doit pas être adorée du culte de latrie, mais en tant qu’elle est la mère de Dieu, on doit l’adorer du culte d’hyperdulie.

Il faut répondre que le culte de latrie n’étant dû qu’à Dieu, on ne le doit à aucune créature, selon que nous la vénérons par rapport à elle-même. Quoique les créatures insensibles ne soient pas susceptibles d’être vénérées en elles-mêmes, cependant il n’en est pas ainsi de la créature raisonnable. C’est pourquoi on ne doit pas à une simple créature raisonnable le culte de latrie. Par conséquent la bienheureuse Vierge étant une simple créature raisonnable, on ne lui doit pas cette adoration, mais seulement le culte de dulie. Toutefois, on le lui doit plus éminemment qu’aux autres créatures, parce qu’elle est la mère de Dieu. C’est pourquoi on dit qu’on lui doit non pas un culte de dulie quelconque, mais le culte d’hyperdulie.

 

Article 6 : Doit-on adorer les reliques des saints ?

 

Objection N°1. Il semble qu’on ne doive adorer les reliques des saints d’aucune manière. Car on ne doit pas faire quelque chose qui puisse être une occasion d’erreur. Or, il semble que l’adoration des reliques dos morts appartienne à l’erreur des gentils qui rendaient de très grands honneurs à ceux qui n’étaient plus. On ne doit donc pas adorer les reliques des saints.

Réponse à l’objection N°1 : Ce raisonnement est celui de Vigilance que saint Jérôme rapporte en ces termes (Cont. Vigil., chap. 2) : Sous prétexte de religion, nous voyons qu’on est presque revenu au rite des gentils. On adore, en la baisant, je ne sais quelle poussière que l’on conserve dans un petit vase enveloppé d’un linge précieux. Saint Jérôme s’élève contre ce sectaire en disant, (Epist. ad Rip.) : Nous n’adorons pas (de l’adoration de latrie), je ne dis pas les reliques des martyrs, mais ni le soleil, ni la lune, ni les anges ; mais nous honorons les reliques des martyrs pour que nous adorions celui dont ils sont les témoins ; et nous honorons les serviteurs pour que l’honneur que nous leur rendons remonte vers le Seigneur. Par conséquent, en honorant les reliques des saints, nous ne tombons pas dans l’erreur des gentils qui offraient aux morts un culte de latrie.

 

Objection N°2. Il semble insensé de vénérer une chose insensible. Or, les reliques des saints sont des corps insensibles. C’est donc une folie que de les vénérer.

Réponse à l’objection N°2 : Nous n’adorons pas ce corps insensible pour lui-même, mais à cause de l’âme qui lui a été unie et qui maintenant jouit de Dieu, et aussi à cause de Dieu dont ils ont été les ministres.

 

Objection N°3. Un corps mort n’est pas de même espèce qu’un corps vivant, et par conséquent il ne paraît pas être le même numériquement. Il semble donc qu’on ne doive pas adorer le corps d’un saint après sa mort.

Réponse à l’objection N°3 : Le corps mort d’un saint n’est pas numériquement le même qu’il a été d’abord, pendant qu’il vivait, à cause de la diversité de sa forme qui est l’âme ; cependant il est le même par l’identité de la matière qui doit être de nouveau unie à sa forme (Voyez sur te culte des saints et sur les reliques, Bossuet, Exposition de la doctrine de l’Eglise catholique, édit. de Vers. tom. 18, p. 80-90, et dans ses fragments de controverse, celui qui est intitulé : Du culte dû à Dieu (ibid., p. 209 et suiv.)).

 

Mais c’est le contraire. Gennade dit (Lib. de ecclesiast. dogm., chap. 73) : Nous croyons que l’on doit honorer les corps des saints et surtout les reliques des bienheureux martyrs, comme les membres du Christ. Puis il ajoute : Si on est opposé à ce sentiment, on n’est pas un disciple du Christ, mais un disciple d’Eunome et de Vigilance.

 

Conclusion Puisque nous vénérons les saints de Dieu, il faut aussi que nous vénérions leurs corps et leurs reliques.

Il faut répondre que, comme le dit saint Augustin (De civ. Dei, liv. 1, chap. 13), si l’habit d’un père, son anneau et d’autres objets semblables, sont d’autant plus chers à ses descendants que ceux-ci ont plus d’affection pour leurs parents ; on ne doit mépriser d’aucune manière leurs corps qui nous sont plus précieux et plus étroitement unis que tous les vêtements qu’ils ont portés, puisqu’ils appartiennent à la nature de l’homme. D’où il est évident que celui qui a de l’affection pour quelqu’un, vénère ce qui reste de lui après la mort, non seulement son corps ou des parties de son corps, mais encore ses objets extérieurs, comme ses vêtements et d’autres choses semblables. Or, il est clair que nous devons avoir en vénération les saints de Dieu, comme les membres du Christ, les enfants et les amis de Dieu, et nos intercesseurs. C’est pourquoi nous devons rendre un honneur convenable à leurs reliques, en leur mémoire, et surtout à leurs corps qui ont été les temples et les organes de l’Esprit-Saint, habitant et agissant en eux, et qui doivent être rendus conformes au corps du Christ, par la résurrection glorieuse. Aussi Dieu honore-t-il convenablement, leurs reliques en faisant des miracles en leur présence.

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

 

 

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