Saint Thomas d’Aquin - Somme Théologique

3a = Tertia Pars = 3ème partie

Question 26 : Du Christ considéré comme médiateur de Dieu et des hommes

 

            Après avoir parlé du Christ comme l’objet de notre adoration, nous devons le considérer comme médiateur de Dieu et des hommes. — A cet égard il y a deux questions à examiner : 1° Est-il propre au Christ d’être médiateur entre Dieu et les hommes ? (Il est de foi que le Christ est médiateur entre Dieu et les hommes.) — 2° Cet attribut lui convient-il par rapport à sa nature humaine ? (Calvin a prétendu que le Christ avait été médiateur selon sa nature divine et sa nature humaine. Quelques luthériens ont soutenu qu’il ne l’était qu’en raison de son humanité seule, de manière que la personne du Verbe était tout à fait étrangère à son office de médiation. Les catholiques enseignent qu’il est médiateur comme homme, c’est-à-dire selon qu’il est uni substantiellement à Dieu.)

 

Article 1 Est-ce le propre du Christ d’être médiateur entre Dieu et les hommes ?

 

Objection N°1. Il semble qu’il ne soit pas propre au Christ d’être médiateur entre Dieu et les hommes. Car le prophète aussi bien que le prêtre paraissent être des médiateurs entre Dieu et les hommes, d’après ces paroles de Moïse (Deut., 5, 5) : Je fus dans ce temps-là l’entremetteur et le médiateur entre Dieu et les hommes. Or, il n’est pas propre au Christ d’être prophète et prêtre. Il ne lui est donc pas propre non plus d’être médiateur.

Réponse à l’objection N°1 : Les prophètes et les prêtres de l’Ancien Testament ont été appelés médiateurs entre Dieu et les hommes par manière de disposition et comme ministres de Dieu, selon qu’ils annonçaient et qu’ils figuraient à l’avance le véritable et parfait médiateur de Dieu et des hommes. Quant aux prêtres du Nouveau Testament, on peut les appeler médiateurs entre Dieu et les hommes, selon qu’ils sont les ministres du vrai médiateur, et qu’ils confèrent à sa place les sacrements qui sont un moyen de salut pour les hommes.

 

Objection N°2. Ce qui convient aux bons anges et aux mauvais ne peut être appelé une chose propre. Or, il convient aux bons anges d’être intermédiaires entre Dieu et les hommes, comme le dit saint Denis (De div. nom., chap. 4) : et cela convient aussi aux mauvais, c’est-à-dire aux démons. Car ils ont des choses communes avec Dieu, comme leur immortalité, et ils en ont de communes avec l’homme, c’est-à-dire qu’ils souffrent et que par conséquent ils sont malheureux, comme le prouve saint Augustin (De civ. Dei, liv. 8, chap. 8, 13 et 15). Il n’est donc pas propre au Christ d’être médiateur entre Dieu et les hommes.

Réponse à l’objection N°2 : Les bons anges, comme le dit saint Augustin (De civ. Dei, liv. 9, chap. 13), ne peuvent être appelés avec raison des médiateurs entre Dieu et les hommes. Car quoiqu’ils aient de commun avec Dieu la béatitude et l’immortalité, ils n’ont rien de commun avec les hommes qui sont malheureux et mortels ; ils sont même plutôt éloignés des hommes et unis à Dieu qu’ils ne tiennent le milieu entre l’un et l’autre. Cependant saint Denis dit qu’ils sont médiateurs, parce que par le rang de leur nature ils ont été établis au-dessous de Dieu et au-dessus des hommes, et qu’ils remplissent l’office de médiateur, non d’une manière principale et parfaite, mais par manière de disposition et comme ministres. D’où il est dit (Matth., 4, 11) : Que les anges s’approchèrent du Christ et qu’ils le servirent. Quant aux démons ils ont l’immortalité qui leur est commune avec Dieu, et la misère qui leur est commune avec les hommes ; car le démon immortel et malheureux s’interpose pour empêcher de parvenir à l’immortalité bienheureuse et conduire au malheur immortel. Par conséquent il est comme un mauvais intermédiaire qui sépare des amis. Au contraire le Christ a eu de commun la béatitude avec Dieu, et la mortalité avec les hommes. C’est pour cela qu’il s’est interposé comme intermédiaire pour que, la mortalité étant détruite, il rendit les morts immortels (ce qu’il a montré en se ressuscitant) et qu’il rendît bienheureux ceux qui sont misérables. C’est pour cela qu’il est le bon médiateur qui réconcilie les ennemis.

 

Objection N°3. Il appartient à l’office du médiateur de prier pour l’un de ceux entre lesquels il s’interpose. Or, d’après saint Paul (Rom., 8, 26) : L’Esprit-Saint prie Dieu pour nous par des gémissements inénarrables. L’Esprit-Saint est donc médiateur entre Dieu et les hommes, et par conséquent ce n’est pas une chose propre au Christ.

Réponse à l’objection N°3 : L’Esprit-Saint étant en tout égal à Dieu, ne peut pas être appelé médiateur entre Dieu et les hommes, mais il n’y a que le Christ, qui, bien qu’il soit égal au Père selon la divinité, est cependant moindre que lui sous le rapport de l’humanité, ainsi que nous l’avons dit (quest. 20, art. 1). Aussi sur ces paroles de saint Paul (Gal., 3, 20) : Or, un médiateur n’est pas le médiateur d’un seul, la glose dit : Ce n’est ni le Père, ni l’Esprit-Saint (Saint Paul dit (1 Tim., 2, 5) : Car il y a un seul Dieu et un seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme, qui s’est donné lui-même pour la rédemption de tous, parce qu’il n’y a que le Christ qui ait satisfait réellement pour nous, en payant à Dieu toute notre dette.). Mais on dit que l’Esprit-Saint prie pour nous, parce qu’il nous fait prier.

 

Mais c’est le contraire. Saint Paul dit (1 Tim., 2, 5) : Il n’y a qu’un médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme.

 

Conclusion Il ne convient qu’au Christ d’être médiateur d’une manière absolue et parfaite ; cependant rien n’empêche qu’il n’y en ait beaucoup d’autres qui soient médiateurs sous un rapport, c’est-à-dire par manière de disposition ou comme ministres de Dieu.

Il faut répondre qu’il appartient proprement à l’office du médiateur de fier et d’unir ceux entre lesquels il interpose sa médiation ; car les extrêmes s’unissent dans un milieu. Or, il convient au Christ d’unir les hommes à Dieu d’une manière parfaite, puisque c’est par lui qu’ils ont été réconciliés avec Dieu, d’après ces paroles de saint Paul (2 Cor., 5, 19) : Dieu était dans le Christ, réconciliant le monde avec lui. C’est pourquoi il n’y a que le Christ qui soit un médiateur parfait entre Dieu et les hommes, en tant que par sa mort il a réconcilié le genre humain avec Dieu. C’est pour ce motif qu’après avoir dit : Médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme, l’Apôtre ajoute : qui s’est donné lui-même pour la rédemption de tous. Mais rien n’empêche que d’autres ne soient appelés médiateurs entre Dieu et les hommes sous un rapport (Pour la différence qu’il y a entre le Christ et les autres médiateurs, on peut voir ce que dit saint Thomas, in 3 dist., quest. 19, art. 5, quest. 3, ad 2, 3, 4 et 5.), c’est-à-dire selon qu’ils coopèrent à l’union des hommes avec Dieu, par manière de disposition ou comme ses ministres (On peut conclure de là que le Christ a été médiateur selon la substance et selon l’opération : selon la substance, parce que Dieu et l’homme sont unis en lui substantiellement ; selon l’opération, parce qu’il a été arbitre entre Dieu et nous, parce qu’il est venu faire connaître aux hommes les lois établies de Dieu, parce qu’il prie pour nous, parce qu’il a éteint notre dette en satisfaisant pour nous.).

 

Article 2 Le Christ, comme homme, est-il médiateur entre Dieu et les hommes ?

 

Objection N°1. Il semble que le Christ, comme homme, ne soit pas médiateur entre Dieu et les hommes. Car saint Augustin dit (alius auctor., Lib. cont. Felic., chap. 10) : Il n’y a qu’une seule personne dans le Christ pour qu’on ne dise pas qu’il n’y a pas qu’un seul Christ, mais il n’y a pas qu’une substance, de peur qu’en éloignant l’idée de médiateur, on dise seulement qu’il est le Fils de Dieu ou le fils de l’homme. Or, il n’est pas le Fils de Dieu et de l’homme, comme homme, mais il l’est tout à la fois comme Dieu et homme. On ne doit donc pas dire qu’il est médiateur entre Dieu et les hommes, seulement comme homme.

Réponse à l’objection N°1 : Si l’on retranchait du Christ la nature divine, on en retrancherait par conséquent la plénitude singulière de grâces qui lui convient, selon qu’il est le Fils unique du Père, d’après saint Jean (Jean, 1, 14). Et c’est cette plénitude qui fait qu’il est placé au-dessus de tous les hommes et qu’il approche plus près de Dieu.

 

Objection N°2. Comme le Christ en tant que Dieu est égal au Père et à l’Esprit-Saint, de même en tant qu’homme il a la même nature que les hommes. Or, par là même que comme Dieu il a la même nature que le Père et l’Esprit-Saint, on ne peut l’appeler médiateur en tant qu’il est Dieu. Car sur ces paroles de saint Paul (1 Tim., chap. 2) : Mediator Dei et hominum, la glose dit (ord. Aug., liv. 10 Conf., chap. 13) : qu’en tant que Verbe il n’est pas médiateur ; parce qu’il est égal à Dieu, qu’il est Dieu en Dieu, et qu’il n’est qu’un seul et même Dieu. On ne peut donc pas non plus l’appeler médiateur, en tant qu’il est homme, parce qu’il a la même nature que les hommes.

Réponse à l’objection N°2 : Le Christ, comme Dieu, est en tout égal à son Père, mais il surpasse aussi les autres hommes par sa nature humaine. C’est pourquoi, comme homme, il peut être médiateur, mais il ne l’est pas comme Dieu.

 

Objection N°3. On dit que le Christ est médiateur en tant qu’il nous a réconciliés avec Dieu ; ce qu’il a fait en détruisant le péché qui nous séparait de lui. Or, il convient au Christ d’effacer le péché, non comme homme, mais comme Dieu. Le Christ, comme homme, n’est donc pas médiateur, mais il l’est comme Dieu.

Réponse à l’objection N°3 : Quoiqu’il convienne au Christ, comme Dieu, d’effacer le péché par sa propre puissance, cependant il lui convient, comme homme, de satisfaire pour le péché du genre humain. Et c’est sous ce rapport qu’on dit qu’il est médiateur entre Dieu et les hommes.

 

Mais c’est le contraire. Saint Augustin dit (De civ. Dei, liv. 9, chap. 15) : Le Christ n’est pas médiateur parce qu’il est le Verbe, car le Verbe immortel et souverainement heureux est loin des misères des mortels, mais il l’est comme homme.

 

Conclusion Puisque le Christ, comme Dieu, n’est éloigné de Dieu d’aucune manière et qu’il ne peut rien en apporter qui ne soit à lui, il ne convient pas au Christ d’être médiateur en tant que Dieu, mais en tant qu’homme.

Il faut répondre que dans le médiateur nous pouvons considérer deux choses : 1° sa nature d’intermédiaire ; 2° l’office qu’il a d’unir ce qui est séparé. Or, il est de l’essence d’un moyen d’être séparé des deux extrêmes ; et le médiateur unit par là même qu’il porte à l’un ce qui appartient à l’autre. Aucune de ces deux conditions ne peut convenir au Christ, comme Dieu (Parmi les anciens Pères, on en trouve qui ont cru, à tort, qu’avant son incarnation le Verbe avait rempli l’office de médiateur (Voir Tertull., Cont. Marc., liv. 2, chap. 27, et Lib. contrà Praxeam, chap. 14).), mais seulement comme homme. Car, comme Dieu, il ne diffère du Père et de l’Esprit-Saint ni en nature, ni en puissance. Le Père et l’Esprit-Saint n’ont rien qui ne soit au Fils, de manière qu’il n’y a pas possibilité pour lui de transmettre à d’autres ce qui appartient au Père et à l’Esprit-Saint, comme on transmet à quelqu’un ce qui appartient à d’autres. Mais ces deux choses lui conviennent comme homme ; parce que comme homme il est éloigné de Dieu par la nature, et il l’est des hommes par la dignité de la grâce et de la gloire. Comme homme, il lui convient aussi d’unir les hommes à Dieu, en leur transmettant les préceptes et les dons de Dieu, et en satisfaisant à Dieu, en le priant pour eux. C’est pourquoi il est appelé très véritablement médiateur, comme homme (Pour nous servir des expressions de l’Ecole, l’humanité était le principe quo des opérations du médiateur, et le Verbe le principe quod, qui leur communiquait leur dignité et leur valeur.).

 

Copyleft. Traduction de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52, rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et des lois justes.

 

 

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