Saint Thomas d’Aquin
- Somme Théologique
3a = Tertia
Pars = 3ème partie
Question
28 : De la virginité de la bienheureuse Vierge
Après avoir parlé de la sanctification de la bienheureuse Vierge, nous
devons nous occuper de sa virginité. — A cet égard il y a quatre questions à
examiner : 1° A-t-elle été vierge dans la conception du Christ ? (Cet article
est une réfutation de l’erreur des juifs, d’Aquila, d’Ebion et
des rationalistes modernes, qui ont nié la conception miraculeuse du Christ, et
qui ont par là même attaqué la virginité de sa mère. Mais il est de foi qu’elle
est restée vierge, car cette expression se trouve dans tous les symboles.) — 2°
L’a-t-elle été dans l’enfantement ? (Tous les Pères de l’Eglise grecque et de
l’Eglise latine sont unanimes sur ce point. On peut voir leur témoignage dans
le P. Pétau (De
incarn., liv. 14, chap. 6).) — 3°
L’a-t-elle été après l’enfantement ? (Cet article est une réfutation de
l’erreur d’Helvidius, de Jovinien et de plusieurs autres hérétiques, qui ont
prétendu qu’après la naissance du Christ la sainte Vierge avait eu d’autres
enfants do saint Joseph.) — 4° A-t-elle fait vœu de virginité ? (Calvin, Bèze
et d’autres protestants ont nié, en faveur de leur système, que la sainte
Vierge eût fait vœu de virginité, mais saint Grégoire de Nysse, saint Augustin,
saint Anselme, saint Bernard, et en général tous les Pères, sont du sentiment
que saint Thomas soutient ici.
Article 1 :
La bienheureuse Marie a-t-elle été vierge en concevant le Christ ?
Objection N°1. Il
semble que la mère de Dieu n’ait pas été vierge en concevant le Christ. Car
aucun enfant qui a un père et une mère n’est conçu d’une mère vierge. Or, il
est dit non seulement que le Christ a une mère, mais encore qu’il a un père,
puisque l’évangéliste dit (Luc, 2, 33)
: Le père et la mère de Jésus étaient
dans l’admiration des choses qu’on disait de lui. Et plus loin (ibid., 48) sa mère lui dit : Voilà que nous vous cherchions, votre père et
moi, étant fort affligés. Le Christ n’a donc pas été conçu d’une mère
vierge.
Réponse à l’objection N°1 : Comme le dit Bède (Sup.
Luc., liv. 1, chap. 7), le père du Sauveur est appelé Joseph, non parce
qu’il l’a été véritablement, comme le prétendent les photiniens, mais parce que pour conserver la réputation de Marie il a été regardé
comme tel par tout le monde. Aussi l’évangéliste dit (Luc, chap. 3) : Qu’il était, comme on le croyait, fils de
Joseph. Ou bien, selon l’observation de saint Augustin (De consensu Evangelist., liv. 2, chap. 1) : On dit Joseph père du
Christ de la manière qu’on le dit époux de Marie sans l’union charnelle, par le
lien seul du mariage, et par conséquent d’une manière beaucoup plus étroite que
s’il avait adopté un étranger. On doit néanmoins l’appeler père du Christ,
quoiqu’il ne l’ait pas engendré, puisqu’il serait encore avec raison appelé le
père d’un enfant qui ne serait pas né de son épouse et qu’il aurait adopté
d’ailleurs.
Objection N°2. Saint Matthieu
prouve que le Christ a été le fils d’Abraham et de David, parce que Joseph
descend de David. Or, cette preuve serait nulle, si Joseph n’avait pas été le
père du Christ. Il semble donc que la mère du Christ l’ait conçue du sang de
Joseph, et que par conséquent elle n’ait pas été vierge en le concevant.
Réponse à l’objection N°2 :
Comme le remarque saint Jérôme (Sup. Matth., chap. 1), quoique Joseph ne soit pas le père du
Sauveur, l’ordre de sa génération est conduit jusqu’à lui : 1° parce que les
Ecritures n’ont pas coutume dans les générations de suivre l’ordre des femmes ;
2° parce que Joseph et Marie étant de la même tribu, il en résultait qu’il
était forcé de l’épouser comme sa parente. Et comme le dit saint Augustin (De nuptiis et concupisc., liv. 1, chap. 2), la généalogie a
dû être conduite jusqu’à Joseph, pour ne pas faire injure à l’homme dont le
sexe est le plus noble, et parce que d’ailleurs la vérité n’avait point à en
souffrir, puisque Joseph et Marie étaient tous deux de la race de David.
Objection N°3. Saint
Paul dit (Gal., 4, 4) : Dieu a envoyé son Fils formé d’une femme. Or,
dans le langage ordinaire on appelle femme celle qu’un homme a connue. Le
Christ n’a donc pas été conçu d’une mère vierge.
Réponse à l’objection
N°3 : Comme l’observe la glose (ord. Aug., liv.
23 Cont. Faust., chap. 7), le mot mulier, femme, n’est pas seulement
employé pour signifier une femme mariée, mais encore une vierge.
Objection N°4. Les
choses qui sont de même espèce ont le même mode de génération ; parce que la
génération reçoit son espèce de son terme aussi bien que les autres mouvements.
Or, le Christ a été de même espèce que les autres hommes, d’après ces paroles
de saint Paul (Phil., 2, 7), qui
dit qu’il s’est rendu semblable aux
hommes et qu’il a été reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui au
dehors. Par conséquent puisque les autres hommes sont engendrés par l’union
de l’homme et de la femme, il semble que le Christ ait été engendré de cette
manière, et par là même il ne paraît pas qu’il ait été conçu d’une mère vierge.
Réponse à l’objection
N°4 : Ce raisonnement est applicable
à ceux qui reçoivent l’être par les voies naturelles, parce que, comme la
nature est déterminée à un effet unique, de même elle est déterminée à une
seule et même manière de le produire ; au lieu que la vertu divine surnaturelle
étant infinie, comme elle n’est pas déterminée à un effet unique, de même elle
ne l’est pas pour la manière de produire un effet quel qu’il soit. C’est
pourquoi comme la vertu divine a pu faire que le premier homme fût formé du
limon de la terre, de même elle a pu faire aussi que le corps du Christ fût
formé de la Vierge sans le sperme humain.
Réponse à l’objection N°5 : D’après Aristote (De gener. anim., liv. 1, chap. 2, 19 et 20), le sperme du mâle ne tient pas
lieu de matière dans la conception de l’animal, mais il est comme l’agent ;
c’est la femelle seule qui fournit la matière dans la conception. Ainsi de ce
que le sperme n’a pas existé dans la conception du corps du Christ, il ne
s’ensuit pas qu’il n’ait pas eu la matière convenable. D’ailleurs quand même le
sperme serait la matière du fœtus dans les animaux, il est évident qu’il n’est
pas une matière qui soit permanente sous la même forme, mais que c’est une
matière qui se transforme. Et quoique la puissance naturelle ne puisse changer
en une certaine forme qu’une matière déterminée, cependant la vertu divine qui
est infinie peut changer toute matière en une forme quelconque. Par conséquent,
comme elle a changé le limon de la terre dans le corps d’Adam, de même elle a
pu changer dans le corps du Christ la matière fournie par sa mère, quand même
cette matière ne serait pas suffisante pour concevoir d’après les lois
naturelles.
Mais c’est le
contraire. Le prophète dit (Is., 7, 14) : Voilà que la Vierge concevra (Cette
prophétie a eu son retentissement dans tout le monde ancien, car le même
prodige se trouve mentionné dans les traditions des rabbins, des Indiens, des
Chinois, et l’on trouve quelque chose d’analogue dans les souvenirs
mythologiques des poètes grecs et latins.).
Conclusion Il convenait non seulement
à la dignité du Père qui envoie, mais encore à la propriété du Fils qui a été
envoyé et à la fin de l’Incarnation, que le Christ fût conçu sans que la pureté
de sa mère fût altérée.
Il faut répondre que
l’on doit reconnaître absolument que la mère du Christ a conçu étant vierge.
Car le contraire appartient à l’hérésie des ébionites et de Cérinthe qui
considéraient le Christ simplement comme un homme, et qui le croyaient le fruit
des deux sexes. — En effet, il était convenable que le Christ fût conçu d’une
vierge pour quatre raisons : 1° Pour sauvegarder la dignité du Père qui
l’envoie. Car le Christ étant le Fils véritable et naturel de Dieu, il n’eût
pas été convenable qu’il eût un autre père que Dieu, dans la crainte que la
dignité de Dieu le Père ne fût transférée à un autre. 2° C’était une chose
convenable à la propriété du Fils lui-même, qui est envoyé, et qui consiste en
ce qu’il est le Verbe de Dieu. Or, le Verbe se conçoit sans que la pureté du
cœur soit altérée ; et même la corruption du cœur ne permet pas de concevoir le
Verbe d’une manière parfaite. Par conséquent la chair ayant été prise par le
Verbe de Dieu pour être la chair du Verbe de Dieu, il a été convenable qu’elle
fût conçue sans porter aucune atteinte à la pureté de sa mère. 3° Ce privilège
a été convenable à la dignité de l’humanité du Christ, qui n’a pas dû être
atteinte par le péché, puisque c’est par elle qu’était effacé le péché du
monde, d’après ces paroles de saint Jean (Jean, 1, 29) : Voici l’agneau de Dieu, c’est-à-dire l’innocent, qui efface le péché du monde. Or, il ne
pouvait se faire qu’une chair qui devait naître sans être souillée du péché
originel, fût conçue dans une nature déjà corrompue. D’où saint Augustin dit (Lib. 1 de nuptiis et concupisc.,
chap. 12) : Il n’y a que le commerce que les personnes mariées ont ensemble qui
ne s’est point rencontré dans le mariage de Marie et de Joseph, parce qu’il ne
pouvait avoir lieu dans une chair de péché, sans cette honteuse concupiscence
charnelle qui est venue du péché, et celui qui devait être exempt de péché a
voulu être conçu sans elle. 4° Il convenait qu’il en fut ainsi à cause de la
fin même de l’Incarnation qui a eu lieu pour faire renaître les hommes enfants
de Dieu, non d’après la volonté de la
chair, ni d’après la volonté de l’homme, mais d’après Dieu, c’est-à-dire
d’après sa vertu. Or, le modèle de cette régénération a dû se manifester dans
la conception même du Christ. C’est ce qui fait dire à saint Augustin (Lib. de sanct. virg., chap. 6) : Il fallait que notre chef prît, selon
la chair, naissance d’une vierge, pour nous apprendre par cet insigne miracle
que ses membres devaient, selon l’esprit, naître d’une autre vierge qui est
l’Eglise.
Article 2 :
la mère de Dieu a-t-elle été vierge dans l’enfantement ?
Objection N°1. Il
semble que la mère du Christ n’ait pas été vierge dans l’enfantement. Car saint
Ambroise dit (Sup. Luc., chap. 1) :
Celui qui a sanctifié le sein d’une autre femme pour en faire naître un
prophète, c’est celui qui a ouvert le sein de sa mère pour en sortir sans
tache. Or, cet acte est contraire à la virginité. La mère du Christ n’a donc
pas été vierge dans son enfantement.
Réponse
à l’objection N°1 : Saint Ambroise, expliquant ce passage que
l’évangéliste (Luc, 2, 23) emprunte à la loi : Tout mâle naissant le premier sera consacré au Seigneur, dit qu’il
se conforme à la manière ordinaire de s’exprimer ; mais qu’on ne doit pas
croire que le Seigneur qui avait sanctifié le sein de sa mère en y entrant, lui
ait fait perdre sa virginité lorsqu’il en est sorti. Par conséquent il n’a donc
voulu signifier par ces mots adaperiens vulvam que la sortie de l’enfant du sein de la mère.
Réponse à l’objection N°2 : Le Seigneur a voulu prouver la vérité de son corps tout en
laissant éclater sa divinité, et c’est pour cela qu’il a mêlé les humiliations
aux prodiges. Ainsi pour montrer que son corps est véritable, il naît d’une
femme ; mais pour montrer sa divinité il naît d’une vierge. Car cet
enfantement, comme le dit saint Ambroise dans l’hymne de la Nativité, est digne
d’un Dieu.
Objection
N°3. Selon l’observation de
saint Grégoire (Hom. 26 in Evang.), le Seigneur, après sa résurrection, en entrant près de
ses disciples les portes fermées, a montré par-là que son corps était de même
nature, mais qu’il était autre parce qu’il était glorifié ; par conséquent il
semble appartenir aux corps glorieux de passer ainsi à travers ce qui est
fermé. Or, le corps du Christ n’a pas été glorieux dans sa conception, mais
passible, ayant pris une chair semblable
à notre chair de péché, selon l’expression de saint Paul (Rom., 8, 3) : Non
ergo exivit per Virginis uterum clausum.
Réponse à l’objection
N°3 : Il y en a qui ont
dit que le Christ avait pris dans sa naissance la qualité de la subtilité,
comme ils disent que quand il marcha à pied sec sur les eaux, il prit celle de
l’agilité. Mais ce sentiment ne s’accorde pas avec ce que nous avons établi
plus haut (quest. 14). Car les qualités du corps glorieux proviennent de ce que
la gloire de l’âme rejaillît sur le corps, comme nous le dirons en traitant des
corps glorieux (Suppl., quest. 95).
Or, nous avons dit plus haut (quest. 14, art. 1 ad 2) que le Christ avant sa
passion permettait à sa chair de faire et de souffrir ce qui lui est propre ;
et que ce rejaillissement de la gloire de l’âme sur le corps n’avait pas lieu.
C’est pourquoi il faut dire que toutes ces choses ont été miraculeusement
produites par la vertu divine. C’est ce qui fait dire à saint Augustin (Sup. Joan., tract. 121) : Moli corporis, ubi Divinitas erat, ostia clausa non obstiterunt : ille quippe non eis apertis intrare potuit, quo nascente virginitas matris inviolata permansit. Et saint
Denis dit (Epist. 3, ad Caïum) que le Christ opérait d’une manière surhumaine
ce qui est de l’homme, et que c’est ce que prouvent sa naissance surnaturelle
d’une vierge et le miracle qu’il a fait en marchant sur les eaux.
Conclusion
Puisque le Christ est venu dans le monde pour détruire notre corruption, il
n’eût pas été convenable qu’il portât atteinte à la virginité de sa mère en
naissant.
Il
faut répondre qu’on doit affirmer sans aucun doute que la mère du Christ a été
vierge dans son enfantement ; car le prophète ne dit pas seulement : Voilà, que la Vierge concevra, mais il
ajoute encore : et qu’elle enfantera un
fils (Is., 7, 14). Et il a
été convenable qu’il en fût ainsi pour trois motifs : 1° Parce que cela
convenait à ce qui est propre à celui qui naissait et qui consiste en ce qu’il
est le Verbe de Dieu. Car le Verbe n’est pas seulement conçu dans le cœur sans
corruption, mais il en procède encore sans souillure. Par conséquent pour
montrer que ce corps était le corps du Verbe de Dieu, il a été convenable qu’il
naquît du sein intact d’une vierge. C’est pourquoi nous lisons dans le discours
cité plus haut (loc. cit.) : Celle
qui enfante une chair purement humaine perd sa virginité. Mais parce que le
Verbe de Dieu est né dans la chair, il conserve la virginité de sa mère,
montrant par là qu’il est le Verbe. Car notre Verbe quand il est produit ne
souille pas l’esprit ; et Dieu le Verbe substantiel, en voulant naître, n’a pas
détruit la virginité de celle qui l’a enfanté. 2° Ce fut convenable quant à
l’effet de l’incarnation du Christ. Car étant venu pour détruire notre
corruption, il n’eût pas été convenable qu’il corrompît la virginité de sa mère
en naissant. C’est ce qui fait dire à saint Augustin (in quod. serm. de nat. Dom. alius auctor) : Il n’était
pas convenable que celui qui était venu sauver ce qui était corrompu portât
atteinte à la pureté de sa mère par son avènement. 3° Enfin il a été convenable
que celui qui avait commandé d’honorer les parents ne diminuât pas l’honneur de
sa mère dans sa naissance.
Article 3 :
La mère de Dieu est-elle restée vierge après l’enfantement ?
Objection
N°1. Il semble que la mère du Christ ne soit pas restée vierge après
l’enfantement. Car l’Evangile dit (Matth., 1, 18) que
Marie fut reconnue enceinte avant qu’elle
fût avec Joseph, ayant conçu de l’Esprit-Saint. Or, l’évangéliste ne dirait
pas avant qu’ils fussent ensemble,
s’ils n’avaient pas dû y être, parce que personne ne dit de quelqu’un qui ne
doit pas dîner avant qu’il dîne. Il semble donc que la bienheureuse Vierge ait
eu des rapports charnels avec saint Joseph, et que par conséquent elle ne soit
pas restée vierge après son enfantement.
Réponse
à l’objection N°1 : Comme le dit saint Jérôme (Lib. cont. Helvidium, chap. 1), il faut
comprendre que cette proposition auparavant,
quoiqu’elle indique souvent une suite, exprime néanmoins quelquefois uniquement
ce que l’on pensait tout d’abord. Mais il n’est pas nécessaire que les choses
que l’on pense arrivent, puisqu’il survient quelquefois des causes qui
empêchent ce que l’on a pensé d’avoir lieu. Ainsi quand quelqu’un dit : avant
de dîner dans le port, j’ai navigué ; on n’entend pas qu’il a dîné après la
navigation faite, mais cela indique qu’il pensait dîner dans le port. De même
l’évangéliste dit : Avant qu’ils fussent
ensemble, elle fut trouvée enceinte, ayant conçu de l’Esprit-Saint, non
parce qu’ils se sont unis ensuite, mais parce que, quand ils paraissaient sur
le point de s’unir, la conception par l’Esprit-Saint les a prévenus, et il est
arrivé de là qu’ils n’ont plus eu de rapports charnels.
Réponse à l’objection N°2 : Comme le dit saint Augustin (De
nupt. et concept., liv. 1, chap. 11), saint Joseph
appelait la mère de Dieu sa femme en vertu de la seule foi du mariage qu’ils
s’étaient donnée, quoiqu’il ne l’ait pas connue et qu’il n’ait pas dû la
connaître. Or, comme l’observe saint Ambroise (Sup. Luc., chap. 1, super illud : Et nomen Virginis Maria) : La célébration
des noces ne prouve pas la perte de la virginité, mais elle atteste le mariage
(Pour qu’il y ait mariage, il suffit qu’il y ait eu consentement de la part des
époux ; la consommation charnelle n’est pas de l’essence de cette union.).
Réponse à l’objection N°3 : Quelques-uns ont dit que le mot connaître devrait s’entendre de la
connaissance intellectuelle. Car saint Chrysostome dit (alius auctor, hom. 1 in opusc. imperf.) que Joseph ne sut pas avant son enfantement
quelle était la dignité de Marie ; mais il le sut après, parce que par son fils
elle était devenue plus grande et plus noble que le monde entier, puisque seule
elle a reçu dans son sein celui que le monde entier ne pouvait contenir.
D’autres rapportent cette expression à la connaissance de la vue. Car, comme la
face de Moïse qui s’entretenait avec Dieu a été glorifiée de manière que les
enfants d’Israël ne pouvaient porter sur lui les yeux ; ainsi Marie couverte de
la splendeur de la vertu du Très-Haut ne pouvait être vue par saint Joseph
jusqu’à son enfantement. Ce n’est qu’après qu’il l’a reconnue à la vue de son
visage, mais non en s’approchant d’elle passionnément. Saint Jérôme accorde (Lib. advers. Helvid., chap. 3) que le mot connaître s’entend de
l’union charnelle. Toutefois il observe que le mot jusqu’à ce que a dans l’Ecriture un double sens. En effet
quelquefois il désigne un temps certain. Ainsi saint Paul dit (Gal., 3, 19) : La loi a
été établie à cause des prévarications jusqu’à l’avènement de celui que la
promesse regardait. D’autres fois il désigne un temps indéfini. Ainsi le
Psalmiste dit (Ps., 122, 2) : Nos yeux sont tournés vers le Seigneur,
notre Dieu, jusqu’à ce qu’il ait pitié de nous ; ce qui ne signifie pas
qu’après avoir obtenu miséricorde nos yeux se détourneront de lui. D’après
cette manière de parler l’évangéliste exprime les choses qui auraient pu être
douteuses, si elles n’avaient pas été écrites ; tandis qu’il abandonne le reste
à notre intelligence. Ainsi il dit que la mère de Dieu n’a pas été connue par
un homme jusqu’à son enfantement, pour que nous comprenions beaucoup mieux
qu’elle ne l’a pas été après.
Objection
N°4. On ne peut appeler le
premier-né que celui qui a des frères qui sont venus après lui. Ainsi l’Apôtre
dit (Rom., 8, 29) : Ceux qu’il
a connus dans sa prescience, il les a aussi prédestinés pour être conformes à
l’image de son Fils, afin qu’il fût l’aîné entre plusieurs frères. Or,
l’Evangile appelle le Christ le premier-né de sa mère. Elle a donc eu d’autres
enfants après le Christ, et par conséquent il semble qu’elle ne soit pas restée
vierge après l’enfantement.
Réponse
à l’objection N°5 : Comme le dit saint Jérôme (Sup. Matth., chap. 12, super illud : Ecce mater ejus), il y en a qui croient
que les frères du Seigneur sont des enfants que saint Joseph avait eus d’une
autre femme (Cette opinion a été celle d’Origène (in Matth., chap. 13), de saint Epiphane (Hæres. 78), d’Eusèbe (Hist. eccl., liv. 2, chap. 1), de saint
Hilaire (in chap. 1 Matth.).). Mais pour nous,
dit-il, nous croyons que les frères du Seigneur furent non les fils de Joseph,
mais les cousins du Sauveur et les enfants de Marie sa tante. Car dans les
Ecritures on est appelé frères de quatre manières : par nature, par nation, par
parenté et par affection. Ainsi ils ont été appelés les frères du Seigneur, non
par nature, comme s’ils étaient nés de la même mère, mais par parenté, comme
étant du même sang. Quant à saint Joseph, comme le dit saint Jérôme (Cont. Helvid.,
chap. 9), on doit plutôt croire qu’il est resté vierge, parce qu’on ne voit pas
qu’il ait eu une autre épouse et qu’un saint ne tombe pas dans la fornication.
Objection
N°6. On lit dans saint
Matthieu (27, 55) : Il y avait là,
c’est-à-dire près de la croix du Christ, plusieurs
femmes qui regardaient de loin et qui avaient suivi Jésus depuis la Galilée,
ayant soin de l’assister ; entre lesquelles étaient Marie-Madeleine, et Marie,
mère de Jacques et de Joseph, et la mère des fils de Zébédée. Or, il semble
que cette Marie, qui est appelée en cet endroit la mère de Jacques et de
Joseph, était aussi la mère du Christ ; puisqu’il est dit (Jean, 19, 25) que
près de la croix de Jésus se tenait Marie, sa mère. Il semble donc que la
mère du Christ ne soit pas restée vierge après son enfantement.
Réponse à l’objection
N°6 : Marie qu’on appelle
la mère de Jacques et de Joseph n’est pas la mère du Seigneur que l’on ne nomme
ordinairement dans l’Evangile qu’avec le surnom de sa dignité, en l’appelant la
mère de Jésus. Cette Marie est l’épouse d’Alphée (Alphée ou Cléophas était le
frère de saint Joseph l’époux de la sainte Vierge.), la mère de saint Jacques
le mineur, qui est appelé le frère du Seigneur.
Mais c’est le
contraire. Le prophète dit (Ez., 44, 2) : Cette porte demeurera fermée ; on ne
l’ouvrira point ; aucun homme ne passera par elle, parce que c’est par elle que
le Seigneur Dieu d’Israël est entré. Saint Augustin expliquant ce passage
s’écrie (A la vérité, ce passage n’est pas de saint Augustin, mais telle a été
néanmoins l’opinion de ce grand docteur. Gotti, lui,
en substitue un de saint Jérôme, qui a tout particulièrement réfuté Helvidius,
et que saint Thomas a tout particulièrement suivi dans cet article.) (alius auctor in quodam sermone) : Qu’est-ce que désigne cette porte
fermée dans la maison du Seigneur, sinon que Marie sera toujours intacte ?
Pourquoi est-il dit qu’aucun homme ne passera par elle, sinon parce que Joseph
ne doit pas la connaître ? Et pourquoi ajouter : le Seigneur seul entre et sort
par elle, sinon parce qu’elle devait concevoir de l’Esprit-Saint et qu’elle
devait donner naissance au Seigneur des anges ? Enfin pourquoi le prophète
annonce-t-il qu’elle sera fermée éternellement, sinon parce que Marie est
vierge avant l’enfantement, qu’elle l’est pendant et qu’elle l’est après ?
Conclusion Pour ne pas déroger à
la perfection du Christ ou à la sainteté de sa mère, ou pour ne pas faire
injure à l’Esprit-Saint et ne pas imputer à saint Joseph la plus grande
présomption, comme il faut reconnaître que la mère de Dieu a conçu et enfanté
étant vierge, de même on doit aussi proclamer qu’elle est toujours restée
vierge après son enfantement.
Article 4 :
La mère de Dieu a-t-elle fait vœu de virginité ?
Objection N°1. Il
semble que la mère de Dieu n’ait pas fait vœu de virginité. Car il est dit (Deut., 7, 14) : Il n’y aura personne de stérile parmi vous, ni de l’un, ni de l’autre
sexe. Or, la stérilité est une conséquence de la virginité. L’observation
de cette vertu était donc contraire au précepte de la loi ancienne. Et comme la
loi ancienne était encore en vigueur, avant que le Christ ne vienne au monde,
la bienheureuse Vierge n’a donc pas pu licitement faire vœu de virginité à
cette époque.
Réponse
à l’objection N°1 : Comme il paraissait défendu par la loi de ne pas
travailler à laisser des enfants sur la terre, la mère de Dieu ne fit pas pour
ce motif vœu absolu de virginité, mais elle le fit conditionnellement,
c’est-à-dire s’il était agréable à Dieu ; et quand elle sut que Dieu l’agréait,
elle fit un vœu absolu, avant que l’ange vînt lui annoncer qu’elle serait mère
de Dieu.
Objection
N°2. L’Apôtre dit (1 Cor., 7, 25) : Pour ce
qui est des vierges, je n’ai point de commandement à proposer de la part du
Seigneur, mais je leur donne un conseil. Or, la perfection du conseil a dû
commencer par le Christ qui est la fin de loi, selon l’expression de saint Paul
(Rom., chap. 10). Il n’a donc pas été
convenable que la bienheureuse Vierge fît vœu de virginité.
Réponse à l’objection
N°2 : Comme la plénitude de la grâce
a existé parfaitement dans le Christ et que néanmoins son commencement a existé
antérieurement dans sa mère, de même l’observation des conseils qui est l’effet
de la grâce a commencé parfaitement dans le Christ, mais elle a aussi commencé
d’une certaine manière dans la Vierge sa mère.
Objection N°3. La
glose de saint Augustin dit (1 Tim.,
super illud : Habentes damnationem, etc., et hab. in Lib.
de bon. viduit., chap. 9) que
pour ceux qui ont fait vœu de chasteté, c’est une faute damnable non seulement
de se marier, mais encore de le vouloir. Or, la mère du Christ n’a commis
aucune faute de cette nature, comme nous l’avons vu (quest. 27, art. 4). Par
conséquent puisqu’elle a été mariée, comme on le voit (Luc, chap. 1), il
semble qu’elle n’ait pas fait vœu de virginité.
Réponse à l’objection
N°3 : Ce passage de
l’Apôtre doit s’entendre de ceux qui font absolument vœu de chasteté : ce que
la mère de Dieu n’a pas fait avant d’épouser saint Joseph : mais après leur
mariage, de leur commun consentement ils ont fait ensemble ce vœu.
Mais c’est le
contraire. Saint Augustin dit (Lib. de sanct. Virg., chap. 4) : que
Marie répondit à l’ange qui lui annonçait le mystère de l’Incarnation : Comment cela se fera-l-il ? Puisque je ne
connais point d’homme ? Ce que sans doute elle n’aurait pas dit, si elle
n’avait pas auparavant fait vœu à Dieu d’être vierge.
Conclusion
Avant son mariage la mère de Dieu n’a pas absolument fait vœu de virginité,
mais après il a été convenable qu’elle consacrât à Dieu perpétuellement sa
virginité par un vœu.
Il faut répondre que, comme nous l’avons vu
(2a 2æ, quest. 88, art. 6), les œuvres de perfection sont
plus louables, si on s’y engage solennellement par un vœu. Or, la virginité a
dû briller principalement dans la mère de Dieu, comme on le voit d’après ce que
nous avons dit (art. 1). C’est pourquoi il a été convenable qu’elle fût
consacrée à Dieu par un vœu. — Cependant, parce que sous la loi il fallait que
les femmes aussi bien que les hommes s’appliquassent à la génération (Sur la
fin des temps, cette loi n’était pas observée aussi strictement, car on voit
que parmi les juifs il y avait des femmes qui s’engageaient d’elles-mêmes à
rester perpétuellement vierges (Voir Phil., De
vita contemplâtivâ).),et parce que le culte de
Dieu se propageait selon l’origine de la chair, avant que le Christ ne naquît
de ce peuple ; on ne croit pas que la mère de Dieu, avant d’épouser saint
Joseph, ait fait vœu de virginité absolument ; mais quoiqu’elle en ait eu le
désir, elle a néanmoins soumis à cet égard sa volonté au bon plaisir de Dieu.
Mais ensuite, après s’être mariée comme les mœurs du temps l’exigeaient, elle a
fait vœu de virginité simultanément avec son époux (Le P. Pétau
croit qu’elle a fait ce vœu avant d’épouser saint Joseph, parce que Dieu lui
avait fait voir à l’avance qu’elle obtiendrait facilement le consentement de
son mari. Cependant l’opinion de saint Thomas est la plus généralement admise
parmi les théologiens du moyen âge.).
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des encouragements
du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications, il s’était
glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de l’abbé Drioux
ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et relevant du droit
d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec l’email figurant sur la
page d’accueil de JesusMarie.com, pour que nous puissions les retirer.
JesusMarie.com accorde la plus grande importance au respect de la propriété
littéraire et au respect de la loi en général. Aucune évangélisation catholique
ne peut être surnaturellement féconde sans respect de la morale catholique et
des lois justes.
JesusMarie.com