Saint Thomas d’Aquin
- Somme Théologique
3a = Tertia
Pars = 3ème partie
Question
31 : De la conception du Sauveur quant à la matière dont son corps a été formé
Nous devons considérer ensuite la conception elle-même du Sauveur : 1°
quant à la matière dont son corps a été formé ; 2° quant à l’auteur de sa
conception ; 3° quant au mode et à l’ordre de sa conception. — Sur la première
de ces considérations huit questions se présentent : 1° La chair du Christ
a-t-elle été prise d’Adam ? (Cet article est une réfutation de l’erreur de
Simon le Magicien, de Cerdon, de Marcion, de Basilide, de Manès, des Priscilliens, en un mot, de tous les donatistes et de tous
les gnostiques, qui prétendaient que le corps du Christ n’était que
fantastique. Il est aussi contraire à Valentin, qui on faisait un corps céleste
; à Apollinaire, qui voulait qu’il fût consubstantiel avec le Verbe, etc.) — 2°
A-t-elle été prise de David ? (Le manichéen Fauste a
nié que le Christ fût de la race de David selon la chair. Cet article est la réfutation
de celte erreur.) — 3° De la généalogie du Christ qui se trouve dans
l’Evangile. (Les contradictions apparentes qui se trouvent entre la généalogie
de saint Matthieu et celle de saint Luc ont été pour les incrédules une
occasion d’objections qu’ils se sont plu à présenter sous toutes les formes
depuis Julien l’Apostat jusqu’aux impies du dernier siècle. On peut voir dans
tous les traités de la religion les
réponses victorieuses que leur ont faites les apologistes de la religion.) — 4°
A-t-il été convenable que le Christ naquît d’une femme ? (Cet article est une
réfutation d’Apelles, qui prétendait que le Christ
n’avait pas pris de sa mère la chair, mais des éléments. Il est aussi opposé à
tous les hérétiques qui ont attaqué la vérité de la nature humaine du Christ.)
— 5° Son corps a-t-il été formé du sang le plus pur de la Vierge ? (Les
conciles ont insinué que le Christ avait été formé du sang le plus pur de la
Vierge, en décidant que sa chair avait été formée de la sienne. Ainsi il est
dit au concile d’Ephèse (1, chap. 13) : Is
qui natus ante omnia sæcula est ex Patre, etiam ex muliere carnaliter est procreatus in
tempore. Et le concile de Latran dit (1, can. 4) : Si quis non confitetur, propriè
et verè Christi duos nativitates existere,
etc... alteram autem de Virgine Mariâ carnaliter
in ultimis sæculorum,
anathema sit.) — 6° La chair du Christ a-t-elle été dans les anciens
patriarches selon quelque chose de déterminé ? (Ce qui a donné lieu à cette
question, c’est l’erreur de ceux qui croient que le corps du Christ a été formé
avec une partie déterminée du corps, comme Eve a été formée de la côte d’Adam,
et que cette partie s’est transmise successivement d’individus en individus,
depuis Adam jusqu’à la bienheureuse Vierge, soit qu’ils aient pensé que cette
partie était commune à tous les hommes, soit qu’elle ait été propre au Christ.)
— 7° A-t-elle été en eux soumise au péché ? (Cet article est intimement lié au
précédent.) — 8° A-t-elle été décimée dans les reins d’Abraham ? (Ce qui a
donné lieu à cet article, c’est le chapitre 7 de l’Epitre de saint Paul aux
Hébreux dont saint Thomas donne ici l’interprétation.)
Article 1 : La
chair du Christ a-t-elle été prise d’Adam ?
Objection N°1. Il
semble que le Christ n’ait pas pris sa chair d’Adam. Car l’Apôtre dit (1 Cor., 15, 47) : Le
premier homme est le terrestre formé de la terre, et le second homme est le
céleste qui est venu du ciel. Or, le premier homme est Adam et le second est
le Christ. Le Christ ne vient donc pas d’Adam, mais il a une origine distincte
de lui.
Réponse à l’objection N°1 :
On dit que le second homme, c’est-à-dire le Christ, est descendu du ciel, non
quant à la matière de son corps, mais quant à sa vertu formative ou quant à sa
divinité elle-même. Mais son corps a été terrestre quant à la matière, comme le
corps d’Adam.
Réponse à l’objection N°2 : Comme nous l’avons dit (quest. 29, art. 1 ad 2), le mystère de
l’Incarnation du Christ est un miracle qui n’a pas pour but de confirmer la
foi, mais qui est lui-même un article de foi. C’est pourquoi, dans ce mystère,
on ne demande pas ce qu’il y a de plus miraculeux, comme dans les prodiges qui
se font pour prouver la foi, mais on demande ce qu’il y a de plus conforme à la
sagesse divine, et de plus avantageux pour le salut de l’homme, comme on
l’exige pour tout ce qui est de foi. Ou bien on peut dire que dans le mystère
de l’Incarnation on ne considère pas seulement le miracle de la conception
d’après la matière, mais plutôt d’après le mode de la conception et de
l’enfantement, parce que la Vierge a conçu et enfanté un Dieu.
Objection
N°3. Le péché est entré en ce monde par un seul homme, c’est-à-dire par
Adam ; parce que tous les autres hommes existant en lui originellement ont
péché, comme on le voit (Rom., chap. 5). Or, si
le corps du Christ avait été pris d’Adam, il aurait existé originellement en
lui quand il a péché. Il aurait donc contracté le péché originel ; ce qui ne
convenait pas à la pureté du Christ ; par conséquent le corps du Christ n’a pas
été formé de la matière prise d’Adam.
Réponse à l’objection
N°3 : Comme nous l’avons
dit (dans le corps de cet article et quest. 4, art. 6), le corps du Christ a
été dans Adam selon sa substance corporelle, parce que la matière de son corps
en est issue ; mais elle n’y a pas été selon sa raison génératrice, parce qu’il
n’a pas été conçu de l’homme. C’est pourquoi il n’a pas contracté le péché
originel, comme tous ceux qui sont nés d’Adam par la voie de la génération
ordinaire.
Mais c’est le
contraire. L’Apôtre dit (Héb., 2, 16)
: Le Fils de Dieu ne s’est jamais uni aux
anges, mais il s’est uni à la race d’Abraham. Or, la race d’Abraham a été
prise d’Adam. Le corps du Christ a donc été formé de la matière prise d’Adam.
Conclusion Puisque le Christ a
pris la nature humaine pour la délivrer de sa corruption, il a été convenable
qu’il prît un corps sorti d’Adam.
Article 2 :
La chair du Christ a-t-elle été prise de David ?
Objection N°1. Il
semble que le Christ n’ait pas pris sa chair du sang de David. Car saint
Matthieu dressant la généalogie du Christ la conduit à saint Joseph. Or, saint
Joseph n’a pas été le père du Christ, comme nous l’avons dit (quest. 28, art. 1,
Réponse N°2, et quest. 29, art. 2). Il ne semble donc pas que le Christ soit
descendu de la race de David.
Réponse
à l’objection N°1 : Cette objection a été celle du manichéen Fauste qui voulait prouver que le Christ n’est pas le fils
de David, puisqu’il n’a pas été conçu de saint Joseph à qui saint Matthieu
s’arrête dans sa généalogie. Mais saint Augustin lui répond (Lib. cont. Faust, liv. 23, chap. 8 et 9)
que le même évangéliste disant que Joseph est l’époux de Marie et que le Christ
est de la race de David, ne doit-on pas croire que Marie n’a pas été hors de la
famille de David, et qu’elle n’a pas été en vain appelée l’épouse de Joseph à cause de l’union de leurs cœurs, quoiqu’il ne
lui ait pas été uni corporellement ; et que c’est plutôt par honneur pour la
dignité de l’homme que l’ordre des générations a été ainsi suivi jusqu’à saint
Joseph. Ainsi nous croyons donc, ajoute le même docteur, que Marie a été de la
race de David, parce que nous croyons aux Ecritures qui disent ces deux choses ;
que le Christ est né de la famille de David selon sa chair et que Marie est sa
mère, sans avoir eu de relation charnelle avec son mari, mais tout en restant
vierge. Car, comme le dit saint Jérôme (Sup.
Matth., chap. 1, super illud : Christi generatio
sic erat) : Joseph et Marie étaient de la même tribu, et, d’après la loi,
saint Joseph était obligé de l’épouser comme sa parente ; c’est pour cela que
dans le recensement ils se font inscrire ensemble à Bethléem, comme étant de la
même famille.
Objection
N°2. Aaron a été de la
tribu de Lévi, comme on le voit (Ex., chap. 6). Or, on
dit que Marie la mère du Christ est la parente d’Elisabeth qui est fille
d’Aaron, comme le dit saint Luc (Luc, chap. 1). Par conséquent, puisque David a
été de la tribu de Juda, d’après saint Matthieu (chap. 1), il semble que le
Christ ne soit pas descendu de la race de David.
Réponse à l’objection
N°2 : Saint Grégoire de Nazianze
répond à cette objection, en disant (implic. in carm. 38 de geneal. Christi et August., liv. 1 de consensu Evang.,
chap. 2, et liv. 2, chap. 3) que par un décret suprême il est arrivé que la
race royale a été unie à la race sacerdotale, afin que le Christ qui est roi et
prêtre naquît de l’un et l’autre selon la chair. Ainsi, Aaron, qui fut le
premier prêtre selon la loi, épousa de la tribu de Juda Elisabeth, la fille
d’Aminadab. Il a donc pu se faire que le père d’Elisabeth eût une épouse de la
race de David, et que par suite la bienheureuse Vierge, qui était de cette
dernière famille, fût parente d’Elisabeth ; ou bien encore il a pu se faire au
contraire que le père de la bienheureuse Vierge qui était de la race de David
eût une épouse de la famille d’Aaron ; ou, comme le dit saint Augustin (Cont. Faust., liv. 23, chap. 9) : Si
Joachim, le père de Marie, a été de la race d’Aaron (ce que Fauste
affirmait d’après des écritures apocryphes), on doit croire que la mère de
Joachim a été de la race de David, ou son épouse, de telle sorte que dans
toutes ces hypothèses Marie est de quelque manière de la race de David.
Objection N°3. Le
prophète dit de Jéchonias (Jérem., 22, 30) : Ecrivez que cet homme sera stérile et qu’il
n’y aura personne de sa race qui s’assoira sur le trône de David. Or, il
est dit du Christ (Is., 9, 7) : Il
s’assoira sur le trône de David. Le Christ n’a donc pas été de la race de
Jéchonias, et par conséquent il n’était pas non plus de la famille de David ;
puisque saint Matthieu fait venir les générations de David par Jéchonias.
Réponse à l’objection
N°3 : Ce passage du
prophète, comme le dit saint Ambroise (Sup.
Luc., chap. 3, super illud : Qui fuit
Salathiel), ne nie pas que Jéchonias doive avoir des descendants ; c’est
pourquoi le Christ est de sa race. Si le Christ a régné, la prophétie n’est pas
par là démentie ; car il n’a pas régné avec les honneurs du siècle, puisqu’il a
dit : Mon royaume n’est pas de ce monde.
Mais c’est le
contraire. Saint Paul dit (Rom. 1, 3) que le Christ est né selon la chair de la race
de David.
Conclusion Le Christ a été le
fils d’Abraham et de David selon la chair, puisqu’il est venu pour sauver et
ceux qui sont circoncis et les élus des gentils.
Il faut répondre
qu’on dit le Christ spécialement le fils de deux anciens patriarches, d’Abraham
et de David, comme on le voit (Matth., chap. 1).
On peut en donner plusieurs raisons. La première, c’est que la promesse du
Christ leur a été faite spécialement. Car il a été dit à Abraham (Gen., 22, 18) : Toutes les nations de la terre seront bénies dans votre race. Ce
que l’Apôtre entend du Christ en disant (Gal.,
3, 16) : Les promesses ont été faites à
Abraham et au Fils qui devait naître de lui. Il ne dit pas, ajoute-t-il, à ceux qui naîtront de vous, comme s’il eût
parlé de plusieurs ; mais, comme parlant d’un seul : à celui qui naîtra de vous
qui est Jésus-Christ. Il a été dit aussi à David (Ps. 131, 11) : J’établirai
sur votre trône le fruit de votre sang. C’est pourquoi les Juifs en le
recevant avec des honneurs royaux disaient (Matth.,
21, 9) : Hosanna au fils de David. —
La seconde raison c’est que le Christ devait être roi, prophète et prêtre. Or,
Abraham a été prêtre, comme on le voit d’après ces paroles que le Seigneur lui
dit (Gen., 15, 9) : Prenez une génisse de trois ans, etc. Il a été prophète d’après ces
paroles de la Genèse (20, 7) : Il est
prophète et il priera pour vous. David a été roi et prophète. — La
troisième raison c’est que la circoncision a d’abord commencé par Abraham, et
que l’élection de Dieu s’est ensuite manifestée surtout dans David, d’après ces
paroles de l’Ecriture (1 Rois, 13, 14)
: Le Seigneur s’est choisi un homme selon
son cœur. C’est pourquoi le Christ est appelé tout spécialement le fils de
l’un et de l’autre, pour montrer qu’il est le salut des Juifs et des gentils
que Dieu a choisis.
Article 3 : La
généalogie du Christ est-elle convenablement dressée par les évangélistes ?
Objection N°1. Il
semble que la généalogie du Christ ne soit pas convenablement dressée par les
évangélistes. Car le prophète dit du Christ (Is., 53, 8) : Qui
racontera sa génération ? On n’a donc pas dû raconter la génération du
Christ.
Réponse à l’objection N°1 :
Comme le dit saint Jérôme (Sup. Matth., cap. 1) : Isaïe parle de la génération de la
divinité du Christ ; au lieu que saint Matthieu raconte la génération du Christ
par rapport à son humanité, sans expliquer le mode de l’Incarnation, parce
qu’il est une chose ineffable, mais en énumérant les patriarches dont le Christ
est sorti selon la chair.
Réponse à l’objection N°2 : On répond de différentes manières à cette objection
que Julien l’Apostat a soulevée. — En effet, les uns prétendent, avec saint
Grégoire de Nazianze, que ce sont les mêmes hommes que les deux évangélistes
énumèrent, mais sous des noms différents, parce qu’ils portaient deux sortes de
noms. Mais cette supposition est insoutenable. Car saint Matthieu désigne un
des fils de David, Salomon, au lieu que saint Luc nomme Nathan, et l’histoire (Lib. leg.) nous apprend d’une manière certaine que ce sont les deux frères. — D’autres ont dit que saint Matthieu
a donné la véritable généalogie du Christ et que saint Luc a donné sa
généalogie putative ; et que c’est pour ce motif qu’il commence par ces mots
(Luc, 3, 23) : Comme on le croyait, fils
de Joseph. Car il y avait des Juifs qui pensaient qu’à cause des péchés des
rois de Juda le Christ ne naîtrait pas de David par les rois, mais par une
autre branche de simples citoyens. — D’autres ont prétendu que saint Matthieu
avait donné les ancêtres du Christ selon la chair, et saint Luc ses pères
spirituels, c’est-à-dire les justes qu’on appelle pères par analogie. Mais
saint Augustin répond (Lib. de quæst. Vet. et Nov. Testam,
part. 1, quest. 56, et part. 2, in Quæst.
Novi Test., quest. 6) qu’on ne doit pas entendre d’après saint Luc que
Joseph est le fils d’Héli, mais qu’Héli et Joseph ont été les pères du Christ,
descendant de différentes manières de David. D’où il est dit du Christ qu’on le
pensait fils de Joseph et qu’il a été aussi le fils d’Héli : comme si l’on
disait que le Christ, pour la raison qui le fait appeler fils de Joseph, peut
être appelé fils d’Héli et de tous ceux qui descendaient de la race de David.
C’est ainsi que l’Apôtre dit (Rom., 9, 5) que le Christ descend des Juifs selon la
chair. — Saint Augustin donne à cette difficulté une triple solution (De quæst. Evang.,
liv. 2, quest. 5) : On peut, dit-il assigner à cela trois causes ;
l’évangéliste a suivi l’une d’elles. En effet ou un évangéliste a nommé le père
de Joseph par lequel il a été engendré, tandis que l’autre a désigné son
grand-père maternel ou quelque autre de ses aïeux ; ou l’un était le père
naturel de Joseph, tandis que l’autre était son père adoptif ; ou bien d’après
la coutume des Juifs l’un étant mort sans enfant, l’autre aurait pris son
épouse à titre de parent, et l’on aurait attribué au dernier qui serait mort le
fils qu’il aurait eu ; ce qui est une sorte d’adoption légale, d’après le mémo
docteur (De cons. Evang.,
liv. 2, chap. 3). — La cause la plus vraie est cette dernière qu’admettent
saint Jérôme (Sup. Matth.,
chap. 1, sup. illud : Jacob autem genuit Joseph), Eusèbe de Césarée, dans son histoire
ecclésiastique (liv. 1, chap. 7), d’après l’historiographe africain (Saint
Thomas désigne ainsi Jules Africain, qu’il surnomme l’historien, parce qu’il
avait composé un grand ouvrage de chronologie. Il nous reste de lui une lettre
à un nommé Aristide où il discute les deux généalogies.). Car ils disent que
Mathan et Melchi ont eu chacun des enfants, dans divers temps, d’une même femme
appelée Estha. Ainsi Mathan qui était un descendant
de Salomon l’avait le premier prise pour épouse et il
mourut ne laissant qu’un seul fils appelé Jacob. Après sa mort, la loi ne
défendant pas à un autre homme d’épouser une veuve, Melchi, qui est un
descendant de Mathan, et qui était de la même tribu, mais non de la même
famille, prit pour épouse la veuve que Mathan avait laissée et il en eut un
fils nommé Héli. C’est ainsi qu’issus de pères différents, Jacob et Héli sont
frères utérins ; dont l’un, c’est-à-dire Jacob, ayant épousé d’après l’ordre de
la loi la veuve d’Héli, son frère, mort sans enfants, engendra Joseph qui fut
son fils par nature, et qui se trouva le fils d’Héli selon le précepte de la
loi. C’est pourquoi saint Matthieu dit : Jacob
engendra Joseph ; au lieu que saint Luc, décrivant la généalogie légale, ne
se sert point du tout du mot engendrer.
Et quoique saint Jean Damascène dise (De fid. orth., liv. 4, chap. 15)
que la bienheureuse Vierge Marie tenait à saint Joseph d’après l’origine par
laquelle on le dit fils d’Héli, parce qu’il prétend qu’elle descendait de
Melchi ; néanmoins il faut croire qu’elle a encore tiré son origine de Salomon,
d’une autre manière, par les ancêtres énumérés par saint Matthieu, que l’on
regarde comme l’auteur de la génération charnelle du Christ (La meilleure
réponse que l’on puisse faire, c’est de distinguer ainsi deux sortes de
généalogie, l’une charnelle, qui est celle de saint Matthieu, qui emploie pour
ce motif le mot genuit,
et l’autre légale, qui est celle de saint Luc, qui emploie le mot fecit. D’ailleurs cette objection est
sans portée, car saint Luc connaissait la généalogie de saint Matthieu quand il
a donné la sienne, et si les deux généalogies avaient été contradictoires, les
Juifs contemporains l’auraient mieux remarqué que personne ; ce qu’ils n’ont
pas fait.) ; surtout puisque saint Ambroise dit (Sup.
illud Luc, chap. 3, Qui fuit Salathiel)
que le Christ est descendu de la race de Jéchonias.
Réponse
à l’objection N°3 : Comme le dit saint Augustin (De consens. Evang., liv. 2,
chap. 4), saint Matthieu avait établi la souche royale du Christ, au lieu que
saint Luc a décrit sa tige sacerdotale. C’est pourquoi dans la généalogie de
saint Matthieu il est dit que le Christ a pris nos péchés, c’est-à-dire que par
son origine charnelle il a pris la ressemblance de la chair du péché ; tandis que
saint Luc fait remarquer que nos péchés ont été effacés, ce qui est produit par
le sacrifice du Christ. C’est encore pour ce motif que saint Matthieu, dans
l’énumération des générations, suit l’ordre descendant, au lieu que saint Luc
suit l’ordre ascendant. D’où il suit que saint Matthieu descend de David par
Salomon, avec la mère duquel le roi-prophète a péché ; et saint Luc y remonte
par Nathan, dont le nom rappelle le prophète par lequel Dieu lui a fait expier
sa faute. Il résulte encore de là que saint Matthieu, voulant nous représenter
le Christ descendant vers notre nature mortelle, a rappelé dès le commencement
de son Evangile les générations depuis Abraham jusqu’à Joseph, et jusqu’à la
naissance du Christ lui-même en descendant. Au contraire, saint Luc n’expose
pas sa généalogie dès le commencement, mais depuis le baptême du Christ ; il ne
va pas en descendant, mais en montant ; le représentant surtout comme prêtre
venu pour l’expiation des péchés, à l’endroit où il rapporte le témoignage de
Jean en disant : Voilà celui qui efface
les péchés du monde, et selon l’ordre ascendant il va jusqu’à Abraham, puis
il arrive à Dieu avec lequel nous sommes réconciliés par la purification et
l’expiation de nos fautes. Il a pris avec raison la tige adoptive, parce que
nous devenons les enfants de Dieu par l’adoption ; au lieu que le Fils de Dieu
est devenu le fils de l’homme par la génération charnelle. D’ailleurs il a
démontré suffisamment qu’il n’avait pas appelé Joseph fils d’Héli, parce qu’il
a été engendré de lui, mais parce qu’il a été adopté, puisqu’il dit qu’Adam est
fils de Dieu, quoiqu’il ait été créé par lui. Le nombre quarante appartient au
temps de la vie présente, à cause des quatre parties du monde dans lequel nous
passons notre vie mortelle, sous le règne du Christ. Le nombre quarante
contient quatre fois le nombre dix, et le nombre dix est produit par la somme
des nombres jusqu’à quatre (C’est-à-dire eu additionnant ensemble les nombres
1, 2, 3 et 4.). On pourrait rapporter le nombre dix au Décalogue et le nombre
quatre à la vie présente, ou aux quatre Evangiles d’après lesquels le Christ
règne en nous. C’est pourquoi saint Matthieu, faisant connaître la personne
royale du Christ, a énuméré quarante personnes, sans le compter lui-même. — Du
moins c’est l’explication qu’il faut admettre, si le Jéchonias qui se trouve à
la fin du second quaternaire et au commencement du troisième, est le même,
comme le veut saint Augustin (loc. sup.
cit.), qui dit que l’on a fait cette répétition pour signifier que sous
Jéchonias on s’est détourné vers les nations étrangères, quand la
transmigration à Babylone a eu lieu, ce qui annonçait à l’avance que le Christ
irait des Juifs aux gentils. Mais saint Jérôme dit (Sup. illud Matth., chap. 1, Et
post transmigrationem) qu’il y a eu deux Joachim
ou deux Jéchonias, le père et le fils. L’un et l’autre sont compris dans la
généalogie du Christ, pour que les générations que l’évangéliste désigne soient
distinguées en trois catégories de quatorze chacune, ce qui s’élève à quarante-deux
personnes. Ce nombre convient aussi à la sainte Eglise ; car ce nombre est
produit par le nombre six qui signifie le travail de la vie présente, et le
nombre sept qui indique le repos de la vie future ; car six fois sept font
quarante-deux. D’ailleurs le nombre quatorze étant formé du nombre dix et du
nombre quatre par addition, peut avoir la même signification que celle qu’on
attribue au nombre quarante, qui résulte des mêmes nombres par la
multiplication. Mais le nombre dont saint Luc fait usage dans sa généalogie du
Christ signifie l’universalité des péchés. Car le nombre dix, qui est en
quelque sorte le nombre de la justice, se trouve dans les dix préceptes de la
loi. Le péché étant la transgression de la loi, le nombre onze est la
transgression du nombre dix. Le septénaire signifie l’universalité des choses ;
parce que tout le temps roule dans un nombre septénaire de jours. Sept fois
onze font soixante-dix-sept, et par conséquent ce nombre signifie
l’universalité des péchés qui sont détruits par le Christ.
Objection
N°4. L’histoire nous
apprend (4 Rois, chap. 8) que Joram
engendra Ochosias, qui eut pour successeur Joas son fils, qui fut
remplacé lui-même par son fils Amasias, après lequel a régné Azarias son fils,
qui est appelé Ozias, et qui eut pour successeur son fils Joatham. Or, saint
Matthieu dit que Joram engendra Ozias. Par conséquent il semble mal exposer la
généalogie du Christ, en omettant au milieu trois rois.
Réponse
à l’objection N°4 : Comme le dit saint Jérôme (Sup. Matth., chap. 4, super illud : Joram autem genuit, etc.), le roi Joram
s’étant uni à la race de l’impie Jézabel, sa mémoire est effacée pour ce motif
jusqu’à la troisième génération, de manière qu’il ne figure pas dans l’ordre
des générations saintes. Et ainsi, comme le dit saint Chrysostome (alius auctor, hom. 1 in Matth, in oper. imperf.), autant a été abondante la bénédiction
répandue sur Jéhu qui avait tiré vengeance de la maison d’Achab et de Jézabel,
autant la malédiction s’est appesantie sur la maison de Joram à cause de la
fille de l’impie Achab et de Jézabel, de manière que ses enfants ont été
retranchés du nombre des rois jusqu’à la quatrième génération, selon ces
paroles (Ex., chap. 20) : Je
punirai l’iniquité des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et la quatrième
génération. Il faut observer aussi que si les autres rois qui figurent dans la
généalogie du Christ ont été des pécheurs, leur impiété n’a pas été continue.
Car, comme on le voit (Lib. quæst. Vet. et Nov. Testam.,
quest. 8), Salomon est resté sur le trône par le mérite de son père, et Roboam
par le mérite d’Asa, son fils, tandis que l’impiété de ces trois autres princes
a été constante.
Objection
N°5. Tous ceux dont il est
parlé dans la génération du Christ ont eu des pères et des mères, et plusieurs
d’entre eux ont eu des frères. Or, saint Matthieu, dans la génération du
Christ, rappelle seulement les noms de trois femmes, Thamar, Ruth et l’épouse
d’Urie, et il désigne les frères de Juda et de Jéchonias ainsi que Pharès et Zaram, dont saint Luc ne parle
pas. Il semble donc que les évangélistes n’aient pas convenablement dressé la
généalogie du Christ.
Réponse
à l’objection N°5 : Comme le dit saint Jérôme (Sup. Matth., chap. 1, super illud : Judas genuit, etc.), dans la généalogie
du Sauveur il ne se trouve aucune des saintes femmes, mais l’Ecriture rappelle
celles-là, pour que celui qui était venu à cause des pécheurs, effaçât les
péchés de tous, en naissant des pécheurs eux-mêmes. Ainsi il est fait mention
de Thamar qui est blâmée pour son inceste, de Raab qui fut une femme publique,
de Ruth qui fut une étrangère, et de Bethsabée, l’épouse d’Urie,
qui fut adultère. Elle n’est pas désignée par son nom propre, mais d’après le
nom de son époux ; soit à cause de son péché qui la rendît tout à la fois complice
d’adultère et d’homicide ; soit pour qu’en nommant son mari, le péché de David
revînt à la mémoire. Et parce que saint Luc se propose de désigner le Christ
comme l’auteur de l’expiation des péchés, il ne parle nullement de ces femmes.
Mais il rappelle les frères de Juda pour montrer qu’ils appartiennent au peuple
de Dieu, au lieu qu’Ismaël, frère d’Isaac, et Esaü, frère de Jacob, ayant été
séparés du peuple de Dieu, il n’est point question d’eux dans la généalogie du
Christ ; et il le fait aussi pour détruire l’orgueil de la naissance. Car
beaucoup des frères de Juda eurent pour mères des servantes ; et cependant tous
étaient simultanément patriarches et chefs de tribus. Quant à Pharès et à Zaram ils sont nommés ensemble, comme le dit saint Ambroise
(Sup. Luc., chap. 3, super illud : Qui fuit Phares), parce qu’ils
représentent la double vie des peuples ; celle qui est selon la loi est figurée
par Zaram et celle qui est selon la foi est
représentée par Pharès. Il est parlé des frères de Jéchonias, parce qu’ils ont
tous régné en des temps divers, ce qui n’était pas arrivé aux autres rois ; ou
bien parce que leur iniquité et leur misère a été la même.
Mais l’autorité de
l’Ecriture est contraire.
Conclusion
Les évangélistes ont décrit la généalogie du Christ dans l’ordre qui convient.
Il faut répondre que,
comme le dit l’Apôtre (2 Tim., 3, 16) : Toute l’Ecriture sainte a été divinement
inspirée. Or, les choses qui viennent de Dieu se font dans l’ordre le plus
convenable, d’après ces autres paroles de saint Paul (Rom., 13, 1) : Les choses qui
viennent de Dieu ont été ordonnées. La généalogie du Christ a donc été
écrite par les évangélistes dans l’ordre qui convient.
Article 4 : A-t-il
été convenable que le Christ naquît d’une femme ?
Objection N°1. Il
semble que la matière du corps du Christ n’ait pas dû être prise d’une femme.
Car le sexe masculin est plus noble que le sexe féminin. Or, il eût été surtout
convenable que le Christ prît ce qu’il y a de parfait dans la nature humaine.
Il semble donc qu’il n’ait pas dû prendre sa chair d’une femme, mais plutôt
d’un homme, comme Eve a été formée de la côte d’Adam.
Réponse
à l’objection N°1 : Le sexe masculin étant plus noble que le sexe féminin,
le Christ a pris pour ce motif la nature humaine dans le sexe masculin. Mais
pour montrer qu’il ne méprisait pas pour cela l’autre sexe, il a été convenable
qu’il prît sa chair de la femme. C’est ce qui fait dire à saint Augustin (Lib. de agon. Christ.,
chap. 11) : Hommes, ne vous méprisez pas, puisque le Fils de Dieu s’est lait
homme ; femmes, ne vous méprisez pas non plus ; car le Fils de Dieu est né
d’une femme comme vous.
Objection
N°2. Quiconque est conçu de
la femme est renfermé dans son sein. Or, il ne convient pas que Dieu qui
remplit le ciel et la terre, d’après le prophète (Jérem., chap. 23), soit renfermé
dans le sein étroit d’une femme. Il semble donc qu’il n’ait pas dû être conçu
d’une femme.
Réponse à l’objection N°2 : Comme le dit saint Augustin à Fauste
qui lui faisait cette objection (Lib.
cont. Faust., liv. 23, chap. 10) : La foi catholique qui croit que le Fils
de Dieu est né d’une vierge selon la chair, ne l’enferme d’aucune manière dans
le sein de sa mère, comme s’il n’existait pas hors de là, et comme s’il eût
abandonné le gouvernement du ciel et de la terre, et qu’il se fût éloigné de
son Père. Mais pour vous, manichéens, vous ne comprenez nullement ces choses
par suite de ces dispositions d’esprit et de cœur qui ne vous permettent de
penser qu’à des fantômes corporels. Car, comme le dit ailleurs le même docteur
(Epist. ad Volusian.,
137) : Toutes ces idées ne viennent que de ce que les hommes ne sont capables
que de concevoir des corps, qui ne peuvent être tout entiers partout et qui
répondent aux diverses parties de l’espace par autant de parties de leur
substance. Mais la nature de l’âme est bien différente de celle des corps et à
plus forte raison celle de Dieu qui est le créateur de l’âme et du corps. Il
est partout tout entier sans qu’aucun lieu le contienne ; il vient sans
s’éloigner d’où il était ; il s’en va sans abandonner le lieu d’où il vient.
Objection
N°3. Ceux qui sont conçus
d’une femme contractent une certaine impureté. D’où il est dit (Job, 25, 4) : Est-ce que l’homme comparé à Dieu peut être justifié
ou celui qui est né de la femme paraître pur devant lui ? Or, dans le
Christ il n’a pas dû y avoir d’impureté ; car il est la sagesse de Dieu, dont
il est dit (Sag., 7, 25) : Qu’elle ne peut être atteinte par la moindre
souillure. Il semble donc qu’il n’ait pas dû prendre sa chair d’une femme.
Réponse à l’objection
N°3 : Dans la conception
de l’homme qui naît de la femme il n’y a rien d’impur, selon qu’il est l’œuvre
de Dieu. D’où il est dit (Actes, 10, 15) : N’appelez, pas impur ce que Dieu a créé
(La Vulgate porte purifié.).
Cependant il y a là une impureté qui provient du péché, selon que l’homme est
conçu avec concupiscence dans l’union charnelle des deux sexes, ce qui n’a pas
eu lieu dans le Christ, comme nous l’avons montré (quest. 29, art. 2). — Et
quand même il y aurait là une souillure, le Verbe de Dieu n’en serait pas
atteint, puisqu’il n’est changeant ou altérable d’aucune manière. C’est pour
cela que saint Augustin s’écrie (De hæres., liv. 5, chap. 5) : Dieu le
créateur et le Fils de l’homme dit : Qu’y a-t-il dans ma naissance qui vous
touche ? Je n’ai pas été conçu par la concupiscence et la passion : j’ai créé
la mère de laquelle je suis né. Si le rayon du soleil sait dessécher la boue
des marais sans en être souillé, à plus forte raison la splendeur de la lumière
éternelle, de quelque manière qu’elle rayonne, peut-elle purifier sans être
souillée elle-même ?
Mais c’est le
contraire. L’Apôtre dit (Gal., 4, 4) : Dieu a envoyé son
Fils formé d’une femme.
Conclusion Quoique le Fils de
Dieu ait pu prendre la chair humaine de toute autre matière qu’il aurait voulu,
cependant il a été convenable qu’il la prît de la femme, pour ennoblir de cette
manière la nature humaine tout entière, et établir plus fermement la vérité de
l’Incarnation.
Il faut répondre que,
quoique le Fils de Dieu eût pu prendre la chair humaine de toute matière qu’il
aurait voulu ; cependant il a été très convenable qu’il la prît de la femme :
1° Parce que par là toute la nature humaine a été ennoblie. D’où saint Augustin
dit (Quæst., liv. 83, quæst. 11) : La
délivrance de l’homme a dû se manifester dans l’un et l’autre sexe. Ainsi,
parce qu’il fallait que le Christ prît le sexe de l’homme comme étant le plus
honorable, il convenait que la délivrance du sexe féminin se manifestât par là
même qu’il était né d’une femme. 2° Parce que par là la vérité de l’Incarnation
est établie. C’est ce qui fait dire à saint Ambroise (Lib. de incarn., chap. 6) : Vous trouverez dans le Christ beaucoup de
choses conformes à la nature et supérieures à elle. Ainsi selon la condition de
la nature il a été dans le sein d’une femme, mais ce qu’il y a au-dessus de la
condition de la nature, c’est qu’il a été conçu et engendré par une Vierge,
pour que l’on crût Dieu celui qui opérait des merveilles inouïes et que l’on
crût homme celui qui naissait de l’homme conformément à notre nature. Et saint
Augustin dit (Epist. ad Volusian., 137)
: Si le Tout-Puissant au lieu de faire naître d’une mère cet homme auquel son
Verbe est uni, l’avait exposé tout à coup aux regards des hommes, n’aurait-il
pas confirmé l’erreur de ceux qui prétendent qu’il ne s’est pas uni
véritablement à la nature humaine ? Et cette conduite toute miraculeuse
n’aurait-elle pas rendu inutiles les desseins de sa miséricorde ? Il
fallait donc que ce médiateur placé entre Dieu et les hommes, réunissant les
deux natures dans l’unité d’une même personne, relevât par des choses
extraordinaires ce qu’il y avait en lui d’ordinaire, et qu’il tempérât par des
choses communes ce qu’il y avait en lui de miraculeux. 3° Parce que par là se
trouvent épuisés les divers modes possibles de la génération humaine. Car le
premier homme a été produit du limon de la terre sans l’homme et la femme, Eve
a été produite de l’homme seul, les autres humains naissent de l’homme et de la
femme. Il ne restait plus qu’un quatrième mode qui a été propre au Christ,
c’était de naître de la femme sans le concours de l’homme.
Article 5 :
Le corps du Christ a-t-il été formé du sang le plus pur de la Vierge ?
Objection N°1. Il
semble que la chair du Christ n’ait pas été conçue du sang le plus pur de la
Vierge. Car on lit dans une Oraison que Dieu a voulu que son Verbe prît sa chair
d’une vierge. Or, la chair diffère du sang de la Vierge. Le corps du Christ n’a
donc pas été formé du sang de la Vierge.
Réponse
à l’objection N°1 : La bienheureuse Vierge ayant été de la même nature que
les autres femmes, il en résulte que sa chair et ses os ont été aussi de la
même nature. Or, les chairs et les os sont dans les autres femmes les parties
actuelles du corps qui constituent son intégrité. C’est pourquoi on ne peut pas
les soustraire sans corrompre le corps ou sans le diminuer. Or, le Christ qui
était venu réparer ce qui est corrompu n’avait dû altérer, ni diminuer
l’intégrité de sa mère, comme nous l’avons dit (quest. 28, art. 1 et 2). C’est
pourquoi son corps n’a pas dû être formé de la chair ou des os de la Vierge,
mais du sang qui n’est pas encore partie en acte, mais qui est tout entier en
puissance, selon l’expression d’Aristote (Liv. 1 de gen. animal., chap. 18 et 19). C’est pour cette raison qu’on dit qu’il
a pris la chair de la Vierge (Cette oraison est celle de la fête de l’Annonciation
où nous disons : Deus qui de beata Maria virginis utero... carnem suscipere voluisti.), non que
la matière de son corps ait été sa chair en acte, mais parce qu’il a eu pour
matière le sang qui est la chair en puissance.
Objection
N°2. Comme la femme a été
miraculeusement formée de l’homme, de même le corps du Christ a été
miraculeusement formé de la Vierge. Or, on ne dit pas que la femme a été formée
du sang de l’homme, mais plutôt de sa chair et de ses os, d’après ces paroles
de la Genèse (2, 23) : C’est là l’os de mes os et la chair de ma
chair. Il semble donc que le corps du Christ n’ait pas dû être formé du
sang de la Vierge, mais de sa chair et de ses os.
Réponse à l’objection
N°2 : Comme nous l’avons dit (1a
pars, quest. 92, art. 3 ad 2), Adam ayant été établi comme le principe de la
nature humaine avait dans son corps une portion de chair et d’os qui
n’appartenait pas à son intégrité personnelle, mais qui était seulement en lui
selon qu’il était le principe du genre humain. La femme a été formée de cette
chair sans détriment pour l’homme. Mais il n’y a rien eu dans le corps de la
Vierge dont le corps du Christ pût être formé, sans corrompre le corps de sa
mère.
Objection N°3. Le
corps du Christ a été de la même espèce que les corps des autres hommes. Or,
les corps des autres hommes ne sont pas formés du sang le plus pur, sed ex semine et sanguine menstruo. Il semble donc que le corps du Christ n’ait
pas été non plus conçu du sang le plus pur de la Vierge.
Réponse à l’objection N°3 : La semence de la femme
n’est pas apte à la génération, mais elle est quelque chose d’imparfait dans
l’ordre séminal, qui, en raison de l’imperfection de la puissance de la femme,
n’est pas capable d’arriver à la perfection séminale. Par conséquent, cette
semence n’est pas nécessairement une matière de conception, comme le dit le
Philosophe (De gen. anim.,
chap. 19) : d’où rien n’est intervenu dans la conception du corps du
Christ ; encore plus, puisque quoiqu’elle soit imparfaite dans le l’ordre
séminal, son émission est accompagnée par une certaine concupiscence, de même
pour celle de l’homme. Alors que dans la conception virginale il n’y a pu y
avoir aucune concupiscence. D’où saint Jean Damascène dit (Orth. fid., liv. 3, chap.
2 et liv. 4, chap. 15) que le corps du Christ n’a pas été conçu séminalement. Mais le sang menstruel, le flux de ce qui est
sujet aux périodes mensuelles, a une certaine impureté naturelle de conception,
comme les autres superfluités, dont la nature ne tient pas compte, et que par
conséquent elle expulse. La conception n’est pas formée d’un tel sang menstruel
infecté par la corruption et répudié par la nature, mais d’une certaine
sécrétion de sang pur qui est préparé à la conception par un processus
d’élimination, étant plus pur et plus parfait que le reste du sang. Néanmoins,
il est souillé par l’impureté de luxure dans la conception des autres hommes,
étant donné que par les rapports sexuels ce sang est
conduit à un endroit apte à la conception. Cependant, ceci ne s’est pas produit
dans la conception du Christ, parce que ce sang a été amené dans le sein de la
Vierge et façonné en un par l’opération de l’Esprit Saint. C’est pourquoi on
dit que le corps du Christ a été formé du sang le plus chaste et le plus pur de
la Vierge.
Mais c’est le contraire.
Saint Jean Damascène dit (De orth. fid.,
liv. 3, chap. 2) que le Fils de Dieu s’est formé du sang le plus pur et le plus
chaste de la Vierge une chair animée par une âme raisonnable.
Conclusion
Selon le mode naturel de la génération, le corps du Christ a été conçu du sang
le plus pur et le plus chaste de la Vierge.
Il faut répondre que,
comme nous l’avons dit (art. préc.), dans la conception du
Christ ce qu’il y a de conforme à la condition de la nature, c’est qu’il est né
d’une femme ; ce qu’il y a eu de supérieur, c’est qu’il est né d’une vierge.
Or, d’après la condition naturelle, dans la génération d’un être animé, la
femelle fournit la matière et le mâle est le principe actif de la génération,
comme le prouve Aristote (De gen. animal.,
liv. 1, chap. 19). Mais la femme qui conçoit de l’homme n’est pas vierge. C’est
pourquoi il appartient au mode surnaturel de la génération du Christ que le
principe actif dans sa génération ait été une vertu surnaturelle divine ; mais
il appartient à son mode naturel que la matière dont son corps a été formé soit
conforme à la matière que les autres femmes fournissent pour la conception de
leur enfant. Cette matière, d’après le philosophe (loc. cit.), est le sang de la femme, pas l’intégralité de son sang,
mais amené à un état de sécrétion plus parfait par le pouvoir générateur de la
mère, afin d’être apte à la conception. C’est pourquoi le corps du Christ a été
conçu de cette matière.
Article 6 :
Le corps du Christ a-t-il été dans les anciens patriarches quelque chose de déterminé ?
Objection N°1. Il semble que le
corps du Christ ait été dans Adam et dans les autres patriarches selon quelque
chose de déterminé. Car saint Augustin dit (Sup.
Gen. ad litt., liv. 10, chap. 19) que la chair du
Christ a été dans Adam et dans Abraham selon sa substance corporelle. Or, la
substance corporelle est quelque chose de déterminé. La chair du Christ a donc
été dans Adam, dans Abraham et dans ses autres ancêtres selon quelque chose de
déterminé.
Réponse à l’objection N°1 :
Quand saint Augustin dit que le Christ a été dans Adam selon sa substance
corporelle, on ne doit pas entendre par là que le corps du Christ a été dans
Adam une substance corporelle, mais que la substance matérielle du corps du
Christ, c’est-à-dire la matière qu’il a prise de la Vierge, a été dans Adam
comme dans son principe actif, mais non comme dans un principe matériel. Ce qui
signifie que par la vertu génératrice d’Adam et de tous ceux qui en descendent
jusqu’à la bienheureuse Vierge, il est arrivé que cette matière a été préparée pour la conception du corps du Christ. Mais
cette matière n’a pas été transformée au corps du Christ parla vertu séminale
qui dérive d’Adam. C’est pour cela qu’on dit que le Christ a été originellement
dans Adam selon sa substance corporelle, mais non selon la raison séminale.
Réponse à l’objection N°2 : Quoique le corps du Christ n’ait pas été dans Adam et les autres
patriarches selon sa raison séminale ; néanmoins le corps de la bienheureuse
Vierge qui a été conçu ex semine maris a été dans Adam et dans les autres
patriarches de cette manière. C’est pourquoi, par l’intermédiaire de la
bienheureuse Vierge, on dit que le Christ est originellement du sang de David
selon la chair.
Réponse à l’objection N°3 : Le Christ a de l’affinité avec le genre humain
selon la ressemblance d’espèce. Or, la ressemblance d’espèce se considère non
selon la matière éloignée, mais selon la matière la plus prochaine et selon le
principe actif qui engendre son semblable dans l’espèce. Par conséquent
l’affinité du Christ avec le genre humain est suffisamment sauvegardée, par là
même que le corps du Christ a été formé du sang de la Vierge, qui vient
originellement d’Adam et des autres patriarches. Il importe peu d’ailleurs à cette
affinité d’où vienne la matière de ce sang, comme cela est indifférent aussi
pour la génération des autres hommes, ainsi que nous l’avons dit (1a
pars, quest. 118, art. 1).
Mais c’est le
contraire. Saint Augustin dit (Sup. Gen. ad litt., liv. 10, chap. 19 et 20) : De quelque manière que le
Christ ait été dans Adam et dans Abraham et les autres pères, les autres hommes
y ont été aussi, mais non réciproquement. Or, les autres hommes n’ont pas été
dans Adam et Abraham d’après une matière déterminée, mais seulement selon
l’origine, comme nous l’avons vu (1a pars, quest. 119 et art. 2,
Réponse N°4). Le Christ n’a donc pas été non plus de la sorte dans Adam et dans
Abraham, ni dans les autres pères.
Conclusion
Le corps du Christ ayant été mis en rapport avec Adam et les autres
patriarches, par l’intermédiaire du corps de sa mère, il n’a pas existé en eux
d’après quelque chose de particulier et de déterminé, mais selon l’origine,
comme les corps des autres hommes.
Il faut répondre que,
comme nous l’avons dit (art. préc.), la matière du corps du
Christ n’a pas été la chair et les os de la bienheureuse Vierge, ni quelque
chose qui ait été en acte une partie de son corps, mais le sang qui est la
chair en puissance. Or, tout ce que la bienheureuse Vierge a reçu de ses
parents a été en acte une partie de son corps. Par conséquent ce qu’elle a reçu
d’eux, n’a point été la matière du corps du Christ. C’est pourquoi on doit dire
que le corps du Christ n’a point été dans Adam et les autres patriarches
d’après quelque chose de déterminé, de manière qu’on puisse désigner
positivement une partie du corps d’Adam ou d’un autre patriarche, et dire que
c’est de cette partie que le corps du Christ a dû être formé. Mais il a été en
eux selon l’origine, comme le corps des autres hommes. Car le corps du Christ a
été mis en rapport avec Adam et les autres patriarches, par l’intermédiaire du
corps de sa mère. Il n’a donc pas été dans les patriarches d’une autre manière
que le corps de sa mère, qui n’y a pas existé d’une manière déterminée, pas
plus que les corps des autres hommes, ainsi que nous l’avons dit (1a
pars, quest. 119 et art. 2, Réponse N°4).
Article 7 : La
chair du Christ a-t-elle été soumise au péché dans les anciens patriarches ?
Objection N°1. Il
semble que la chair du Christ n’ait pas été souillée par le péché dans les
anciens patriarches. Car l’Ecriture dit (Sag., chap. 7) que dans la divine sagesse il n’y a rien de souillé. Or, le Christ
est la sagesse de Dieu, comme on le voit (1
Cor., chap. 1). Sa chair n’a donc jamais été souillée par le péché.
Réponse à l’objection N°1 :
Le Christ n’a pas pris la chair du genre humain soumise au péché, mais il a
pris une chair exemple de toute souillure, et c’est pour ce motif que la
sagesse de Dieu n’a nullement été atteinte dans sa pureté.
Objection N°2. Saint
Jean Damascène dit (Orth. fid., liv. 3, chap. 2 et 11) que le
Christ a pris les prémices de notre nature. Or, dans l’état primitif la chair
humaine n’avait pas été souillée par le péché. La chair du Christ n’a donc été
souillée ni dans Adam, ni dans les autres pères.
Réponse à l’objection N°2 : On dit que le Christ a pris les prémices de notre nature quant à
la ressemblance de condition, c’est-à-dire parce qu’il a pris une chair exempte
de tout péché, comme l’avait été celle de l’homme avant sa chute ; mais ces
paroles ne s’entendent pas d’une pureté ininterrompue, comme si la chair du
premier homme avait été conservée exempte de souillure jusqu’à la formation du
corps du Christ.
Objection
N°3. Saint Augustin dit (Sup. Gen., liv. 10. chap. 20) que la nature humaine a toujours
possédé le remède à côté de la plaie. Or, ce qui est souillé ne peut pas être
le remède de la blessure, mais il a plutôt besoin de remède lui-même. Il y a
donc toujours eu dans la nature humaine quelque chose qui n’a pas été souillé,
et c’est avec cela que le corps du Christ a été ensuite formé.
Réponse à l’objection N°3 : Avant le Christ il y avait dans la nature humaine
une blessure, c’est-à-dire qu’elle était souillée en acte par le péché originel
; le remède n’était pas là en acte, mais il n’existait que selon la vertu
d’origine, selon que les patriarches devaient propager la chair du Christ.
Conclusion
Quoique toute la chair des patriarches ait été soumise au péché, cependant
celle du Christ en a été exempte, parce qu’elle a été produite par l’œuvre de
l’Esprit-Saint.
Il faut répondre que,
quand nous disons que le Christ ou sa chair a existé dans Adam et dans les
autres patriarches, nous le comparons ou nous comparons sa chair avec Adam et
les autres patriarches. Mais il est évident que la condition des patriarches a
été autre que celle du Christ : car les patriarches ont été soumis au péché,
tandis que le Christ en a été absolument exempt. On peut donc se tromper de
deux manières dans cette comparaison : 1° En attribuant au Christ ou à sa chair
la condition des patriarches, comme si nous disions que le Christ a péché dans
Adam, parce qu’il a existé en lui d’une certaine manière ; ce qui est faux. Car
il n’a pas été en lui de manière que le péché d’Adam l’ait atteint, puisqu’il
n’en vient pas selon la loi de la concupiscence ou selon la raison séminale,
comme nous l’avons dit (art. préc., Réponse N°1, et quest. 15, Réponse N°2). — 2° On se trompe
sur ce point, en attribuant la condition du Christ ou de sa chair à ce qui a
été en acte dans les patriarches, comme si, par exemple, sous prétexte que la
chair du Christ, selon qu’elle a été en lui, n’a été nullement soumise au
péché, on pensait que dans Adam et dans les autres patriarches il y a eu une
partie de leur corps que le péché n’a pas souillée, et que c’est de cette
partie que le corps du Christ a été formé, comme quelques-uns l’ont supposé. Ce
qui ne peut exister : 1° Parce que la chair du Christ n’a pas existé, dans Adam
et dans les autres patriarches, selon quelque chose de particulier qu’on puisse
distinguer du reste du corps ; comme on distingue ce qui est pur douce qui est
impur, ainsi que nous l’avons dit (loc.
sup. cit.). 2° Parce que la chair humaine étant souillée par le péché par
là même qu’elle a été conçue par la concupiscence, et toute la chair de l’homme
étant conçue de cette manière, il en résulte qu’elle est tout entière souillée
par le péché (Il est vrai de dire que la chair du Christ, telle qu’elle était
dans les patriarches, a été soumise au péché, mais elle ne devait pas en sortir
souillée, puisqu’elle devait être formée par l’Esprit-Saint, dont l’opération
l’a purifiée.). — C’est pourquoi on doit dire que la chair des anciens
patriarches a été tout entière soumise au péché, et qu’il n’y a rien eu en eux
qui en ait été exempt et qui ait ensuite servi à former le corps du Christ (La
nature humaine était en eux susceptible d’être séparée, mais il n’y avait rien
en elle qui le fût complètement, et dont la vertu pût la régénérer, comme on
voit dans le corps la vertu active des parties qui sont saines rendre la santé
et la vigueur à celles qui sont malades.).
Article 8 : Le
Christ a-t-il été décimé dans les reins d’Abraham ?
Objection N°1. Il
semble que le Christ ait été décimé dans les reins d’Abraham. Car l’Apôtre dit
(Héb., chap. 7) : que
Lévi, le petit-neveu d’Abraham, a été décimé dans Abraham, parce qu’il était
encore dans ce patriarche quand celui-ci offrit la dîme de ce qu’il avait à
Melchisédech. Or, de même le Christ était dans les reins d’Abraham quand il a
offert la dîme de ses biens. Il a donc été également décimé dans ce patriarche.
Objection N°2. Le Christ est de
la race d’Abraham selon la chair qu’il a reçue de sa mère. Or, sa mère a été
décimée dans Abraham. Donc pour la même raison le Christ aussi.
Réponse à l’objection N°2 :
La bienheureuse Vierge ayant été conçue dans le péché originel (On compte
jusqu’à quinze passages dans lesquels saint Thomas revient sur cette même
pensée. Il y a cependant eu des auteurs qui ont osé avancer que tous ces
passages avaient été altérés, mais de Rubæis a montré
que ce système est insoutenable. Pour montrer que saint Thomas n’a pas été
aussi directement opposé à la croyance de l’immaculée conception, il vaut bien
mieux s’en rapporter aux explications de Cichovius et
de Jean de Saint-Thomas, que nous avons cités, elle a été dans Abraham comme
ayant besoin de guérison. C’est pourquoi elle y a été décimée, puisqu’elle en
descend selon la raison séminale. Mais il n’en est pas de même du corps du
Christ, comme nous l’avons dit (art. préc.).
Objection N°3. Ce qui
avait besoin de guérison était décimé dans Abraham, d’après saint Augustin (Sup. Gen. ad litt.,
liv. 10, chap. 20). Or, toute chair soumise au péché a besoin de guérison. Par
conséquent puisque la chair du Christ a été soumise au péché, ainsi que nous
l’avons dit (art. préc.), il semble que sa chair ait
été décimée dans Abraham.
Réponse à l’objection N°3 : On dit que la chair du Christ a été soumise au péché dans les
anciens patriarches, selon la qualité qu’elle a eue dans leurs pères qui ont
été décimés, mais non d’après la qualité qu’elle a, selon qu’elle est en acte
dans le Christ qui ne l’a pas été.
Réponse à l’objection N°4 : Le sacerdoce de Lévi était établi selon l’origine de la
chair ; par conséquent il n’a pas été moins dans Abraham que dans Lévi. Et par
là même qu’Abraham a donné la dime à Melchisédech, comme étant plus grand que
lui, il montre que le sacerdoce de Melchisédech, selon qu’il est la figure du
Christ, est plus grand que le sacerdoce de Lévi. Mais le sacerdoce du Christ ne
suit pas l’origine charnelle, il est établi selon la grâce spirituelle. C’est
pour cela qu’il peut se faire qu’un père donne la dîme à un prêtre, comme
l’inférieur au supérieur, et que néanmoins son fils, s’il est pontife, soit
plus grand que ce prêtre, non à cause de l’origine de la chair, mais à cause de
la grâce spirituelle qu’il tient du Christ.
Mais c’est le
contraire. Saint Augustin dit (Sup. Gen. ad litt., liv. 10, chap. 20) que le Christ n’a pas été décimé dans
Abraham, puisqu’il a tiré de lui une chair qui n’a pas reçu la blessure du
péché, mais qui a fourni au contraire la matière qui l’a guérie.
Conclusion
Celui qui donne la dime, attribuant la perfection à un autre et avouant qu’il a
besoin de guérison, le Christ qui est plus parfait que Melchisédech et qui n’a
pas besoin de guérison, n’a été décimé d’aucune manière dans les reins
d’Abraham.
Il faut répondre que,
d’après la pensée de l’Apôtre, il faut dire que le Christ n’a pas été décimé
dans les reins d’Abraham. Car l’Apôtre prouve que le sacerdoce qui est selon
l’ordre de Melchisédech est plus grand que celui de Lévi, parce qu’Abraham a
donné la dîme à Melchisédech, lorsqu’il portait encore en lui Lévi, à qui le
sacerdoce légal appartient. Mais si le Christ avait été aussi décimé dans
Abraham, sou sacerdoce ne serait pas selon l’ordre de Melchisédech ; il lui
serait inférieur. C’est pourquoi on doit dire que le Christ n’a pas été décimé
dans Abraham, comme Lévi. En effet, celui qui donne la dîme garde neuf parties
pour lui et il accorde à un autre la dixième, qui est le signe de la
perfection, dans le sens que le nombre dix est d’une certaine façon le terme de
tous les nombres qui vont jusqu’à dix. D’où il suit que celui qui donne
la dime avoue qu’il est imparfait et reconnaît dans un autre la perfection. Or,
l’imperfection du genre humain existe à cause du péché, qui a besoin de la
perfection de celui qui guérit ce mal. Mais il n’appartient qu’au Christ de le
guérir ; car il est l’agneau qui efface
le péché du monde, selon l’expression de saint Jean (Jean, chap. 1). Melchisédech en était la figure, comme le
prouve l’Apôtre (Héb., chap. 7). Ainsi par là même
qu’Abraham a donné la dime à Melchisédech, il a montré à l’avance qu’il avait
été conçu dans le péché, et que tous ses descendants, par là même qu’ils
devaient contracter la tache originelle, avaient besoin de la guérison qui est
produite par le Christ. Isaac, Jacob, et Lévi et tous les autres ont été dans
Abraham, de telle sorte qu’ils en sont sortis, non seulement selon la substance
corporelle, mais encore selon la raison séminale par laquelle on contracte le
péché originel. C’est pourquoi ils ont tous été décimés dans Abraham,
c’est-à-dire qu’ils ont été représentés à l’avance comme ayant besoin de la
guérison qui est produite par le Christ. Il n’y a que le Christ qui ait été
dans Abraham de manière à venir de lui, non selon la raison séminale, mais
selon la substance corporelle. C’est pour cette raison qu’il n’a pas été dans
Abraham comme ayant besoin d’être guéri, mais plutôt comme le remède à la
blessure faite au genre humain. C’est pour cela qu’il n’a pas été décimé en
lui.
La réponse à la première objection est par là
même évidente.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
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l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
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la morale catholique et des lois justes.
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