Saint Thomas d’Aquin
- Somme Théologique
3a = Tertia
Pars = 3ème partie
Question
36 : De la manifestation de la naissance du Christ
Article 1 :
La naissance du Christ a-t-elle dû être manifestée à tous les hommes ?
Objection N°1. Il
semble que la naissance du Christ ait dû être manifestée à tous les hommes. Car
l’accomplissement doit répondre à la promesse. Or, il est dit de la promesse de
l’avènement du Christ (Ps., 49, 3) : Dieu viendra manifestement, et il est
venu en naissant corporellement. Il semble donc que sa naissance ait dû être
manifestée au monde entier.
Réponse à l’objection N°1 :
Ce passage se rapporte à l’avènement du Christ, lorsqu’il viendra juger les
hommes, et c’est ainsi que l’entend la glose (interl. August.).
Objection N°2. Saint
Paul dit (1 Tim., 1, 15) : Le Christ est venu en ce monde sauver les
pécheurs. Or, ils ne peuvent être sauvés qu’autant que la grâce du Christ
leur est manifestée, d’après ces autres paroles du même Apôtre (Tite, 2, 11) : La grâce de Dieu, notre Sauveur, a apparu à tous les hommes, nous
apprenant qu’ayant renoncé à l’impiété et aux passions mondaines, nous devons
vivre dans le siècle présent avec tempérance, avec justice et avec piété.
Il semble donc que la naissance du Christ ait dû être manifestée à tous.
Réponse à l’objection
N°2 : La grâce du Sauveur
devait être connue des hommes pour leur salut, non pas au commencement de sa
naissance, mais dans la suite des temps, après qu’il eut opéré le salut au milieu de la terre, selon l’expression du
Psalmiste (Ps. 73, 12). D’où il
dit à ses disciples après sa passion et sa résurrection (Matth.,
28, 19) : Allez, enseignez toutes les
nations.
Objection N°3. Dieu
est en tout particulièrement porté à la miséricorde, d’après ces paroles (Ps. 146, 9) : Ses miséricordes s’étendent sur toutes ses œuvres. Or, dans le
second avènement, où il jugera les
justices, il viendra se montrer à tout le monde, d’après ce passage de
l’Evangile (Matth., 24, 27) : Comme un éclair qui sort de l’orient, paraît tout d’un coup jusqu’à
l’occident, ainsi sera l’avènement du Fils de l’homme. A plus forte raison
a-t-il dû manifester à tous son premier avènement par
lequel il est né en ce monde selon la chair.
Mais c’est le
contraire. Le prophète dit (Is., 45, 15) :
Vous êtes vraiment un Dieu caché, ô Dieu
d’Israël, notre unique Sauveur. Et ailleurs (ibid., 53, 3) : Son visage a
été caché, il nous a paru méprisable.
Conclusion Dans la crainte
d’empêcher la rédemption du genre humain, ou d’affaiblir le mérite de la foi,
ou de faire mettre eu doute la vérité de l’humanité du Christ, sa naissance n’a
pas dû être universellement manifestée à tout le monde.
Il faut répondre que la naissance
du Christ n’a pas dû être communément manifestée à tout le monde : 1° parce que
cette manifestation eût empêché la rédemption du genre humain qui s’est
accomplie par la croix, comme le dit l’Apôtre (1 Cor., 2, 8) : S’ils eussent
connu le Seigneur de la gloire, ils ne l’auraient pas crucifié. 2° Parce
qu’elle eût affaibli le mérite de la foi par laquelle le Christ était venu
justifier les hommes, suivant cette parole de saint Paul (Rom., 3, 22) : La justice de
Dieu est produite par la foi du Christ. En effet, si à sa naissance le
Christ s’était fait connaître à tout le monde par des signes évidents,
l’essence de la foi, qui est l’argument
des choses que l’on ne voit pas (Héb., 10, 1),
aurait été détruite (Bienheureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru (Jean, 20, 29).). 3° Parce que par là
on aurait douté de la vérité de l’humanité elle-même du Christ. D’où saint
Augustin dit (Epist. ad Volus., 136) : Si on ne l’avait point vu passer par
tous les degrés de l’âge, et qu’il n’eût ni mangé, ni dormi, n’aurait-il pas
confirmé l’erreur de ceux qui croient qu’il ne s’est pas fait homme véritablement,
et en produisant ainsi des merveilles, n’aurait-il pas rendu inutiles les œuvres
de sa miséricorde ?
Article 2 :
La naissance du Christ a-t-elle dû être manifestée à quelques-uns ?
Objection N°1. Il
semble que la naissance du Christ n’ait dû être manifestée à personne. Car,
comme nous l’avons dit (art. préc.), il était
convenable au salut de l’homme que le premier avènement du Christ fut caché.
Or, le Christ était venu pour sauver tout le monde, d’après ces paroles (1 Tim., 4, 10) : Il est le
Sauveur de tout le monde, surtout des fidèles. La naissance du Christ n’a
donc dû être manifestée à personne.
Réponse
à l’objection N°2 : Marie et Joseph devaient être instruits de la
naissance du Christ avant qu’il naquît, parce qu’il leur appartenait de le respecter
lorsqu’il était encore dans le sein de sa mère, et de lui marquer leur
soumission aussitôt qu’il serait né. Mais leur témoignage, parce qu’ils étaient
de la même famille, aurait paru suspect à l’égard de la magnificence du Christ.
C’est pourquoi il a fallu qu’il se manifestât à des étrangers dont le
témoignage ne pût pas être ainsi suspecté.
Objection
N°3. Aucun sage ne
manifeste ce qui doit être pour les autres une cause de trouble et de perte.
Or, dès que la naissance du Christ a été connue, il en est résulté du trouble :
car il est dit (Matth., 2, 3) que Hérode apprenant la naissance du Christ, fut troublé et tout Jérusalem avec lui. Il
s’en est suivi aussi une perte pour les autres, parce que c’est à cette
occasion qu’Hérode tua tous les enfants qui
étaient dans Bethléem et les environs, depuis l’âge de deux ans et au-dessous
(Matth., 2, 16). Il semble donc qu’il n’ait pas été
convenable que la naissance du Christ fût manifestée à quelques-uns.
Réponse à l’objection
N°3 : Le trouble qui est résulté de
la naissance du Christ devait se manifester en ce moment : 1° parce que par là
la dignité céleste du Christ s’est manifestée. D’où saint Grégoire dit (Hom. 10 in Evang.)
: A la naissance du roi du ciel, le roi de la terre a été troublé ; parce que
les grandeurs de la terre sont confondues en présence des grandeurs du ciel. 2°
Parce que la puissance judiciaire du Christ était figurée par là. C’est ce qui
fait dire à saint Augustin (Serm. Epiph. 3 De temp.) : Que sera son tribunal de juge,
quand son berceau d’enfant épouvante l’orgueil des rois ? 3° Ce trouble
figurait aussi le renversement du trône du démon. En effet, comme le dit le
pape saint Léon (in serm.
Epiph., implic. serm. 5, chap. 11, sed express. auct. op. imperf., hom. 2)
: Hérode n’était pas autant troublé en lui-même que le diable dans Hérode. Car
Hérode pensait à un homme terrestre, au lieu que le diable connaissait Dieu ;
l’un et l’autre craignait le successeur de son royaume ; le diable redoutait un
successeur céleste, Hérode un successeur temporel. Du reste c’était bien à
tort, parce que le Christ n’était pas venu sur terre chercher un royaume. D’où
le pape saint Léon dit en parlant à Hérode (Serm. 4 de Epiph., chap. 2) : Votre royauté
ne séduit pas le Christ ; le maître du monde ne peut se contenter des limites
étroites dans lesquelles se renferme votre puissance. Ce qui troublait les
Juifs, qui auraient dû cependant le plus se réjouir, c’est, comme le dit saint
Chrysostome (alius auctor, hom. 2, in op. imperf.), parce que ceux qui sont iniques ne peuvent se
réjouir de l’arrivée du juste, ou parce qu’ils voulaient plaire à Hérode qu’ils
craignaient ; car le peuple favorise plus qu’il ne convient les hommes cruels
qu’il supporte. Quant aux enfants qu’Hérode a fait périr, ce meurtre n’a pas tourné
à leur détriment, mais à leur avantage ; car saint Augustin dit (in serm. quodam de Epiph. 66,, chap.
3) : Loin de nous la pensée que le Christ, qui est venu pour sauver tous les
hommes, n’ait rien fait pour la récompense de ceux qui sont morts pour lui, lui
qui, sur la croix, a prié pour ses bourreaux (L’Eglise fait leur fête et les
considère comme les prémices des martyrs.).
Conclusion
Comme il n’a pas été convenable que le Christ après sa résurrection se
manifestât à tout le monde, mais seulement aux témoins prédestinés par Dieu ;
de même sa naissance n’a pas dû être manifestée à tout le monde, mais seulement
à quelques-uns qui l’ont ensuite fait connaître aux autres.
Il faut répondre que,
comme le dit l’apôtre (Rom., 13, 1), ce qui vient de Dieu a été ordonné. Or,
il appartient à l’ordre de la divine sagesse que les dons de Dieu et les
secrets de sa sagesse ne parviennent pas également à tout le monde, mais qu’ils
arrivent immédiatement à quelques-uns, et que par eux ils découlent sur
d’autres. D’où il est dit, par rapport au mystère de la Résurrection (Actes, 10, 40), que Dieu a voulu que le Christ ressuscité se fît voir, non à tout le
peuple, mais aux témoins qu’il avait choisis avant tous les temps. C’est
aussi ce qui a dû s’observer à l’égard de sa naissance, de manière que le
Christ ne fut pas manifesté à tout le monde, mais seulement à quelques-uns, par
lesquels il a pu ensuite parvenir à la connaissance des autres.
Objection N°1. Il
semble que ceux auxquels la naissance du Christ a été manifestée n’aient pas
été convenablement choisis. Car le Seigneur a dit à ses disciples (Matth., 10, 5) : N’allez
point vers les gentils, afin qu’il fût connu des Juifs avant de l’être des
autres nations. Il semble donc que la naissance du Christ ait dû beaucoup moins
être révélée dès le commencement aux gentils qui étaient venus de l’Orient,
comme on le voit (Matth., chap. 2).
Réponse à l’objection N°1 :
Cette manifestation de la naissance du Christ a été le signe de la pleine
manifestation qui devait avoir lieu ensuite ; et comme dans la seconde
manifestation la grâce du Christ a été annoncée d’abord par le Christ et ses
apôtres aux Juifs et ensuite aux gentils ; de même le Christ a d’abord reçu les
adorations des bergers qui étaient les prémices des Juifs, comme étant les plus
rapprochés, puis vinrent des pays éloignés les mages qui furent les prémices
des nations, comme le dit saint Augustin (Serm. 30 de temp.).
Objection N°2. C’est
principalement aux amis de Dieu que doit se faire la manifestation de la vérité
divine, d’après ces paroles de l’Ecriture (Job, 36, 33) : C’est à ses amis qu’il se révèle. Or,
les mages paraissent être les ennemis de Dieu, car il est dit (Lév., 19, 31) : Ne vous adressez pas aux mages et ne consultez pas les devins. La
naissance du Christ n’a donc pas dû être manifestée aux mages.
Réponse à l’objection
N°2 : Selon la remarque du même
docteur (loc. cit.), comme le défaut
d’habileté l’emporte dans la rusticité des bergers, de même l’impiété prédomine
dans les sacrilèges des mages. Cependant la pierre angulaire se les a appliqués
l’un et l’autre, parce qu’elle est venue choisir ce qui est insensé pour
confondre les sages, et qu’elle n’est pas venue appeler les justes, mais les
pécheurs, afin que personne ne s’enorgueillît de sa force, ni ne désespérât de
sa faiblesse. — D’ailleurs il y en a qui disent que ces mages ne furent pas
livrés aux maléfices (Ce sentiment est le plus probable, car on regarde
généralement les mages comme des savants qui se livraient à l’étude des astres,
et on croit aussi d’après leurs présents qu’ils étaient riches et puissants
dans leur pays.), que c’étaient de sages astronomes qui portent le nom de mages
chez les Perses ou chez les Chaldéens.
Objection N°3. Le
Christ était venu délivrer le monde entier de la puissance du diable. D’où il
est dit (Malach., 1, 11) : Depuis le lever du soleil jusqu’à son coucher, mon nom est grand dans
les nations. Il n’a donc pas dû se manifester seulement à ceux d’Orient,
mais encore à tout l’univers.
Réponse à l’objection
N°3 : Comme le dit saint Chrysostome
(alius auctor, hom. 2 in op. imperf.), les mages vinrent d’Orient, parce que la foi
a commencé aux lieux où le jour naît, et qu’elle est la lumière des âmes ; ou
bien parce que tous ceux qui arrivent au Christ viennent de lui et par lui.
D’où le prophète dit (Zach., 6, 12) : Voici l’homme, son nom est l’Orient. On
dit littéralement qu’ils sont venus de l’Orient, soit parce qu’ils sont venus
des régions les plus reculées de l’Orient, d’après quelques-uns ; soit parce
qu’ils sont venus de certaines contrées voisines de la Judée, mais qui sont à
l’orient de ce pays (Il est impossible de dire quel est de ces deux sentiments
le plus probable. N’est-ce pas assez, dit Bossuet, de savoir qu’ils viennent du
pays de l’ignorance, du milieu de la gentilité, où Dieu n’était pas connu, ni
le Christ attendu et promis (Elévations, 17e semaine, élévation
4) ?). Cependant il est à croire que dans les autres parties du monde, il
y a eu des marques de la naissance du Christ. Ainsi à Rome l’huile a coulé, et
en Espagne on a vu trois soleils qui se sont peu à peu réunis (En rapportant
ces faits, Eusèbe les met sous l’an 3 d’Auguste, tandis que le Christ est né
l’an 12.) (Euseb., in Chronic. et Innocent III, Serm. 2 de Nativ.).
Réponse à l’objection N°4 : Comme le dit saint Chrysostome (hab. in Cat. aur. D. Thom., sup. chap. 2 Luc.),
l’ange qui a manifesté la naissance du Christ n’est pas allé à Jérusalem, il
n’a, pas cherché les scribes et les pharisiens, parce qu’ils étaient corrompus
et dévorés par l’envie ; au lieu que les bergers étaient purs, menant la vie
antique des patriarches et de Moïse (Les bergers étaient aussi des témoins plus
sûrs. Car si c’étaient des hommes célèbres, des pharisiens ou des docteurs de
la loi qui racontassent ces merveilles, dit Bossuet, le monde croirait aisément
qu’ils voudraient se faire un nom par leurs sublimes visions. Mais qui songe à
contredire de simples bergers dans leur récit naïf et sincère (16e
semaine, élévation 11) ?). Ces bergers étaient la figure des docteurs de
l’Eglise auxquels les mystères du Christ que les Juifs ignoraient ont été
révélés.
Réponse à l’objection N°5 : Comme le dit saint
Ambroise (Sup. illud Luc, chap. 2, Et ecce homo erat, etc.), non seulement
les jeunes gens, mais encore les vieillards et les justes ont dû rendre
témoignage à la naissance du Seigneur. Leur témoignage était même plus
croyable, parce qu’ils étaient justes.
Mais c’est le
contraire. Le Seigneur dit (Jean, 13, 18)
: Je sais ceux que j’ai choisis. Or,
ce qui se fait conformément à la sagesse de Dieu se fait convenablement. Par
conséquent, ceux auxquels la naissance du Christ a été manifestée ont été
convenablement choisis.
Conclusion Puisque le salut que
le Christ devait opérer se rapportait à toutes les parties du genre humain, il
a été convenable que sa naissance fût manifestée à des hommes de toutes les
conditions, aux mages, à Siméon et à Anne et aux pasteurs.
Il faut répondre que
le salut que le Christ devait opérer se rapportait à tous les hommes, quels
qu’ils fussent ; parce que, comme le dit l’Apôtre (Col., 3, 2) : En
Jésus-Christ il n’y a ni homme, ni femme, ni gentil, ni juif, ni esclave, ni
homme libre, et il en a été ainsi du reste. Et c’était pour marquer à
l’avance ce caractère dans la naissance même du Christ qu’il s’est manifesté à
des hommes de toutes les conditions. Car, comme le dit saint Augustin (Serm. de Epiph. 32 De
tempore, chap. 1), les bergers furent des Israélites, les mages des gentils
; les premiers venaient de près, les seconds de loin ; cependant ils accoururent
l’un et l’autre vers la pierre angulaire. Il y eut encore entre eux une autre
différence ; car les mages ont été des sages et des puissants, et les bergers
des gens simples et grossiers. Il s’est manifesté à des justes dans la personne
de Siméon et d’Anne, et à des pécheurs dans celle des mages. Enfin il s’est
manifesté à des hommes et à des femmes, afin de montrer par là qu’aucune
condition humaine n’était exclue du salut.
Article 4 :
Le Christ a-t-il dû manifester par lui-même sa naissance ?
Objection N°1. Il
semble que le Christ ait dû manifester par lui-même sa naissance. Car la cause
qui existe par elle-même est toujours plus noble que celle qui existe par un
autre, comme le dit Aristote (Phys.,
liv. 8, text. 39). Or, le Christ a manifesté sa
naissance par les autres ; ainsi il l’a manifestée aux bergers par des anges et
aux mages par une étoile. Il aurait donc dû la manifester plutôt par lui-même.
Réponse
à l’objection N°1 : Dans la voie de la génération et du mouvement il faut
qu’on arrive au parfait par l’imparfait. C’est pourquoi le Christ a été
manifesté d’abord par d’autres créatures, et ensuite il s’est manifesté par
lui-même d’une manifestation parfaite.
Objection
N°2. L’Ecriture dit (Ecclésiastique, 20, 32) : Si la
sagesse demeure cachée et que le trésor ne soit pas visible, quel fruit
tirera-t-on de l’un et de l’autre ? Or, le Christ a eu pleinement dès le
commencement de sa conception un trésor de sagesse et de grâce. Par conséquent
s’il n’eût pas manifesté cette plénitude par des œuvres et des paroles, la
sagesse et la grâce lui auraient été données en vain ; ce qui répugne, parce
que Dieu et la nature ne font rien en vain, comme le dit Aristote (De cælo, liv. 1,
text. 32 ; liv. 2, text.
59).
Réponse à l’objection
N°2 : Quoique la sagesse
cachée soit inutile, cependant il n’appartient pas à la sagesse de se
manifester en tout temps, mais dans le temps convenable. Car il est dit (Ecclésiastique, 20, 6) : Il y en a
qui se taisent, parce qu’ils n’ont pas assez de sens pour parler, et il y en a
d’autres qui se taisent, parce qu’ils discernent quand il est temps de parler. Ainsi
la sagesse donnée au Christ n’a pas été inutile, parce qu’elle s’est manifestée
dans le temps convenable, et par là même qu’il s’est caché quand il était
convenable qu’il le fît, c’est une preuve de sa sagesse.
Réponse
à l’objection N°3 : Ce livre de l’enfance du Sauveur est
apocryphe (Il est compris dans le décret du pape Gélase (Decr., dist. 15, chap. Sancta romana.)),
et saint Chrysostome dit (Hom. 20 sup. Joan.)
que le Christ n’a pas fait de miracles avant de convertir l’eau en vin, d’après
ces paroles de saint Jean (2, 11) : C’est ainsi que Jésus fit à Cana dans la
Galilée le premier de ses miracles. Car, s’il eût fait des miracles dès son
enfance, les Israélites n’auraient pas eu besoin qu’un autre le leur fît
connaître. Ce fut cependant la mission de Jean Baptiste, qui dit (Jean, 1, 31) : Je
suis venu baptiser dans l’eau, afin qu’il soit connu dans Israël. Et c’est
avec raison qu’il n’a pas commencé à faire des miracles pendant son premier
âge. Car les Juifs auraient cru que son Incarnation était un fantôme, et dans
leur jalousie ils l’auraient crucifié avant qu’il n’en fût temps.
Mais c’est le
contraire. Le pape saint Léon dit (Serm. 4 de Epiph., chap. 3) que
les mages trouvèrent l’enfant Jésus, ne différant en rien des autres enfants en
général. Or, les autres enfants ne se manifestent pas eux-mêmes. Il n’eût donc
pas été convenable que le Christ manifestât sa naissance par lui-même.
Conclusion
Le Christ n’a pas dû manifester sa naissance par lui-même, mais par les autres
créatures pour ne pas déroger à la propagation de la foi.
Article 5 : La
naissance du Christ a-t-elle dû être manifestée par les anges et par l’étoile ?
Objection N°1. Il
semble que la naissance du Christ n’ait pas dû être manifestée par les anges.
Car les anges sont des substances spirituelles, d’après ces paroles (Ps. 103, 4) : Il fait de
ses anges des esprits. Or, la naissance du Christ était selon la chair,
mais non selon sa substance spirituelle. Elle n’a donc pas dû être manifestée
par les anges.
Réponse à l’objection N°1 :
C’est ce qui est caché de soi-même, et non ce qui est évident, qui a besoin
d’être manifesté. Or, la chair de celui qui naissait était manifeste, au lieu
que sa divinité était cachée ; c’est pourquoi il a été convenable que sa
naissance fût manifestée par les anges, qui sont les ministres de Dieu. Ainsi
l’ange a apparu avec clarté pour montrer que celui qui naissait était la
splendeur de la gloire du Père.
Objection N°2. Les
justes ont plus d’affinité pour les anges que pour tous les autres, d’après
cette parole du Psalmiste (Ps.
53, 8) : L’ange du Seigneur viendra
autour de ceux qui le craignent et les délivrera. Or, la naissance du
Christ n’a pas été manifestée à Siméon et à Anne, qui étaient justes, par des
anges. Elle n’a donc pas dû être manifestée aux bergers par eux.
Réponse à l’objection
N°2 : Les justes n’avaient pas besoin
de l’apparition visible des anges ; mais il leur suffisait de l’inspiration
intérieure de l’Esprit-Saint à cause de leur perfection.
Réponse à l’objection N°3 : L’étoile qui a manifesté la naissance du Christ n’a pu donner
occasion à aucune erreur. Car, comme le dit saint Augustin (Cont. Faust., liv. 2, chap. 5), il n’y a
pas d’astrologues qui aient soumis aux étoiles les destinées des hommes qui
naissent, au point de prétendre qu’à la naissance d’un individu, il y a une
étoile qui quitte sa place dans le ciel et qui s’avance vers celui qui est né ;
comme il est arrivé à l’égard de l’étoile qui a fait connaître la naissance du
Christ. C’est pourquoi cet exemple ne confirme pas l’erreur de ceux qui croient
que le sort des hommes qui naissent se conclut de l’ordre des astres ; car ils
ne croient pas que cet ordre puisse changer à la naissance des individus. De
même, comme l’observe saint Chrysostome (Hom. 4 in Matth.), l’astrologie n’a pas pour
but de savoir d’après les étoiles quels sont ceux qui naissent, mais de prédire
l’avenir des individus d’après l’heure de leur naissance. Les mages n’ont pas
connu le temps de la naissance du Christ, pour que de là ils aient commencé à
conjecturer son avenir d’après le mouvement des étoiles, mais c’est plutôt le
contraire.
Réponse à l’objection N°4 : Comme le rapporte saint Chrysostome (alius auctor, hom. 2 in op. imperf.), on lit dans certains livres apocryphes qu’il
y avait une nation à l’extrémité de l’Orient, près de l’Océan, qui possédait un
ouvrage sous le nom de Seth, où il était question de l’apparition de cette
étoile et des présents qu’on devait offrir. Cette nation observait avec soin le
lever de cette étoile au moyen de douze observateurs qui, à des heures marquées
dans la nuit, montaient sur la montagne, ou ils la virent ensuite ayant la
forme d’un petit enfant et sur elle la figure d’une croix. — Ou bien il faut
répondre que, comme on le voit (Lib. de
quæst. Vet. et Nov. Test.,
quest. 63), ces mages suivirent la tradition de Balaam (Ce sentiment est te
plus généralement admis ; on croit que la prophétie de Balaam s’était répandue
on Orient, et qu’elle était parvenue aux oreilles des mages.), qui a dit : Une étoile s’élèvera de Jacob. Ainsi, en
voyant cette étoile hors du système du monde, ils comprirent que c’était celle
que Balaam avait annoncée comme le signe qui devait indiquer le roi des Juifs.
— On peut encore répondre avec saint Augustin (alius auctor in serm. Epiph.), que les mages ont appris des anges, par
révélation, que cette étoile signifiait la naissance du Christ ; et il paraît
probable qu’ils ont été instruits par les bons anges, puisqu’en adorant le
Christ ils cherchaient leur salut. Or, comme le dit le pape saint Léon (Serm. Epiph. 4,
chap. 3) : Indépendamment du signe extérieur qui leur a servi d’indice
matériel, le rayon plus éclatant de la vérité a éclairé leur cœur ; ce qui
appartenait à l’illumination de la foi (Une étoile qui ne paraissait qu’aux
yeux, dit Bossuet, n’était pas capable d’attirer les mages au roi nouveau-né ;
il fallait que l’étoile de Jacob et la lumière du Christ se fût levée dans leur
cœur. A la présence du signe qu’il leur donnait en dehors. Dieu les toucha au
dedans par cette inspiration dont Jésus a dit : Nul ne peut venir à moi si mon Père ne le tire.).
Mais c’est le
contraire. La loi porte (Deut., 32, 4)
que les œuvres de Dieu sont parfaites.
Or, cette manifestation a été une œuvre divine. Elle a donc été produite par
des signes convenables.
Conclusion Une manifestation
devant se faire par des signes familiers, il a été convenable que la naissance
du Christ fût manifestée aux justes par l’inspiration, aux bergers par des
anges, parce qu’ils étaient Juifs, et aux mages par une étoile, comme étant
accoutumés à la contemplation des corps célestes.
Il faut répondre que
comme la manifestation logique se fait par ce qu’il y a de plus connu
relativement à l’individu auquel elle s’adresse, de même la manifestation qui
se fait par des signes doit se faire par ce qu’il y a de plus familier aux
personnes que l’on veut instruire. Or, il est évident que les justes sont
ordinairement instruits par le mouvement intérieur de l’Esprit-Saint sans avoir
recours aux signes sensibles, c’est-à-dire par l’esprit de prophétie ; au lieu
que ceux qui sont livrés aux choses corporelles sont conduits par les choses
sensibles aux choses intelligibles. Les Juifs avaient coutume de recevoir les
réponses de Dieu par les anges qui leur ont transmis la loi, d’après ces
paroles de saint Etienne (Actes, 7, 53) : Vous avez reçu la loi par le ministère des
anges. Au contraire, les gentils et les astronomes étaient habitués à
considérer le cours des astres. C’est pourquoi la naissance du Christ a été manifestée
à Siméon et à Anne, qui étaient justes, par le mouvement intérieur de
l’Esprit-Saint, d’après ces paroles (Luc, 2, 26) : Le Saint-Esprit lui répondit qu’il ne mourrait pas avant qu’il n’eût vu
le Christ du Seigneur. Les bergers et les mages s’adonnant aux choses
corporelles, la naissance du Christ leur fut manifestée par des apparitions
visibles. Et comme cette naissance n’était pas purement terrestre, mais qu’elle
était céleste d’une certaine manière, elle leur fut révélée aux uns et aux
autres par des signes célestes. Car, comme le dit saint Augustin (æquival.,
serm. 66 De diversis), les anges habitent les cieux, et les astres
les ornent ; aux uns et aux autres ce sont donc les cieux qui racontent la
gloire de Dieu. C’est avec raison que la naissance du Christ a été révélée par
les anges aux bergers, qui représentaient les Juifs chez lesquels les
apparitions des esprits célestes ont eu lieu fréquemment, au lieu qu’elle a été
manifestée par une étoile aux mages, qui étaient accoutumés à considérer les
corps célestes. Car, comme le dit saint Chrysostome (Hom. 6 in Matth.), Dieu a voulu les appeler
à lui en condescendant à eux par les moyens qui leur étaient familiers. — Saint
Grégoire en donne une autre raison (Hom. 10 in Evang.). Un être intelligent, c’est-à-dire un ange, a
dû annoncer le Christ aux Juifs, comme au peuple le plus éclairé ; au lieu que
les gentils, qui ne savaient pas faire usage de la raison, ont été conduits à
connaître le Seigneur, non par la parole, mais par des signes ; et comme des
prédicateurs éloquents leur ont annoncé le Seigneur, après que sa parole eut
retenti dans le monde, de même ce sont des éléments muets qui l’ont fait
connaître lorsqu’il ne parlait pas encore. — Enfin une troisième raison est
donnée par saint Augustin (alius auctor in serm. Epiph.), qui dit que la postérité innombrable promise à
Abraham ne devait pas être produite par la génération charnelle, mais par la
fécondité de la foi. C’est pourquoi elle a été comparée à la multitude des
étoiles, pour lui faire espérer une progéniture céleste. C’est aussi pour ce
motif que les gentils, figurés par les astres, sont excités, par la vue d’une
étoile nouvelle, à venir vers le Christ, qui les fait passer dans la famille
d’Abraham.
Article 6 :
La naissance du Christ a-t-elle été manifestée dans l’ordre convenable ?
Objection N°1. Il
semble que la naissance du Christ n’ait pas été manifestée dans un ordre
convenable. Car elle eût dû être manifestée d’abord à ceux qui ont été les plus
rapprochés du Christ et qui le désiraient davantage, d’après ces paroles de
l’Ecriture (Sag., 6, 14) : La sagesse prévient ceux qui la désirent, et
elle se montre à eux la première. Or, les justes étaient les plus près du
Christ par la foi, et c’étaient eux qui désiraient le plus vivement son
arrivée. D’où l’Evangile dit de Siméon (Luc, 2, 23) : Qu’il était un homme juste et craignant Dieu, qui attendait la
rédemption d’Israël. La naissance du Christ eût donc dû être manifestée à
Siméon avant de l’être aux mages ou aux pasteurs.
Réponse à l’objection N°1 : Comme le dit l’Apôtre (Rom.,
9, 31) : Israël qui cherchait à accomplir
la loi de la justice, n’y est point parvenu ; au lieu que les gentils qui
ne cherchaient pas la justice, ont communément prévenu les Juifs dans la
justice de la foi. Et c’est pour figurer ce mystère que Siméon, qui attendait
la consolation d’Israël, a connu le dernier la naissance du Christ, et qu’il a
été devancé par les mages et les bergers qui ne l’attendaient pas avec autant
de sollicitude.
Objection N°2.
D’après saint Augustin les mages furent les prémices des nations qui devaient
croire au Christ. Or, c’est d’abord la plénitude des nations qui reçoit la foi,
et tout Israël sera sauvé ensuite, comme le dit saint Paul (Rom., chap. 11). La naissance du Christ
eût donc dû être manifestée aux mages avant de l’être aux pasteurs.
Réponse à l’objection N°2 :
Quoique la plénitude des nations soit arrivée à la foi avant la plénitude des
Juifs ; cependant les prémices des Juifs ont devancé dans la foi les prémices
des nations. C’est pourquoi la naissance du Christ a été manifestée aux bergers
avant de l’être aux mages.
Objection N°3.
L’Evangile dit (Matth., 2, 16) : qu’Hérode
fit tuer tout ce qu’il y avait d’enfants dans Bethléem et aux environs, depuis
l’âge de deux ans et au-dessous, selon le temps dont il s’était fait exactement
informer par les mages. Il semble donc par là que les mages ne soient
arrivés vers le Christ que deux ans après sa naissance ; et il ne paraît pas
convenable que sa naissance ait été manifestée aux gentils après un si long
temps.
Réponse à l’objection N°3 : Sur l’apparition de l’étoile aux mages, il y a deux
opinions. Saint Chrysostome (alius auctor
sup. Matth., hom. 2, in op. imperf.)
et saint Augustin (in serm. Epiph. 7) disent que l’étoile a apparu aux mages deux ans avant la
naissance du Christ, qu’alors ils y ont réfléchi et qu’ils ont fait leur
préparatif de voyage, et qu’ils sont ainsi arrivés des contrées les plus
reculées de l’Orient le treizième jour après la naissance du Sauveur. C’est
pourquoi après leur départ, Hérode voyant qu’ils l’avaient trompé, commanda de
faire périr les enfants depuis deux ans et au-dessous, ne sachant pas si le
Christ ne serait pas né quand l’étoile s’est montrée, ainsi que les mages le
lui avaient raconté. D’autres disent que l’étoile s’est montrée au moment où le
Christ est né, et qu’aussitôt qu’ils l’aperçurent, les mages firent en treize
jours un immense trajet, aidés en partie par la vertu divine et en partie par
la rapidité de leurs chameaux. Dans ce sentiment on suppose qu’ils sont venus
des parties les plus reculées de l’Orient. D’autres prétendent qu’ils sont
venus du pays voisin où vivait Balaam dont ils étaient les disciples. Il est dit
qu’ils vinrent d’Orient, parce que cette contrée (Cette contrée était le pays
des Moabites ou l’Arabie.) est en effet placée à l’est de la Judée. D’après ce
sentiment Hérode n’eût pas fait tuer les enfants immédiatement après le retour
des mages, mais deux ans après ; soit parce qu’on dit qu’il alla pendant ce
temps à Rome où il était accusé ; soit qu’il ait été saisi de certaines
terreurs qui l’ont empêché de songer à faire périr l’enfant ; soit parce qu’il
a pu croire que les mages avaient été illusionnés par une étoile trompeuse et
qu’ils n’avaient pas osé revenir, n’ayant pas trouvé l’enfant qu’ils croyaient
rencontrer, comme le dit saint Augustin (Liv.
2 de consens. Evang., chap. 11). C’est pourquoi
il n’a pas seulement fait périr les enfants de deux ans, mais encore ceux qui
étaient au-dessous, parce que, d’après le même docteur (hab. in glos. ord. sup. illud Matth.,
chap. 2 : A bimatu,
etc.), il craignait que l’enfant auquel les étoiles obéissent, ne se
transformât de manière à paraître un peu au-dessus ou un peu au-dessous de son
âge.
Mais c’est le
contraire. Le prophète dit (Dan., 2, 21) :
Il change lui-même les temps et les âges
; par conséquent le temps de la manifestation de la naissance du Christ paraît
avoir été disposé dans l’ordre convenable.
Conclusion La naissance de notre
Sauveur a été manifestée dans l’ordre le plus convenable, de manière que le
jour même de sa naissance elle a été manifestée aux bergers, treize jours après
aux mages, et quarante jours plus tard à Siméon et à Anne.
Il faut répondre que
la naissance du Christ a été d’abord manifestée aux bergers le jour même où
elle est arrivée. Car, comme le raconte l’Evangile (Luc, 2, 8) : Il y
avait là aux environs des bergers, qui étaient dans les champs, veillant
pendant la nuit à la garde de leur troupeau, et après que les anges se furent
retirés dans le ciel, ils se dirent l’un à l’autre : Allons jusqu’à Bethléem,
et ils y allèrent avec empressement. 2° Les mages arrivèrent près du Christ
le treizième jour après sa naissance qui est le jour où l’on célèbre
l’Epiphanie (C’est la tradition généralement acceptée dans l’Eglise ; cependant
il n’y a rien de décidé à cet égard, et l’on peut s’arrêter à l’un ou à l’autre
des sentiments exposés dans la réponse au troisième argument.). Car s’ils
étaient venus un an ou deux après, ils ne l’auraient plus trouvé à Bethléem,
puisqu’il est dit (Luc, 2, 39) : qu’après
qu’ils eurent accompli tout ce qui est prescrit par la loi, en l’offrant,
c’est-à-dire en présentant l’enfant au temple, ils s’en retournèrent en Galilée à Nazareth, qui était la ville où ils
demeuraient. 3° Elle a été manifestée aux justes dans le temple quarante
jours après, comme l’Evangile le rapporte (Luc, chap. 2). La raison de cet
ordre, c’est que les bergers représentent les apôtres et ceux des Juifs qui
crurent. C’est à eux que la foi du Christ a été d’abord manifestée, et parmi
eux il n’y eut pas beaucoup de grands, ni
beaucoup de nobles, d’après saint Paul (1
Cor., chap. 1). En second lieu la foi du Christ est parvenue à la plénitude
des nations qui a été figurée par les mages. Enfin elle doit arriver à la
plénitude des Juifs figurée à l’avance par les justes : c’est pourquoi le
Christ leur a été manifesté dans le temple de Jérusalem.
Article 7 :
L’étoile qui apparut aux mages a-t-elle été une des étoiles célestes ?
Objection N°1. Il
semble que l’étoile qui apparut aux mages ait été une des étoiles célestes. Car
saint Augustin dit (in quod. serm. Epiph.) : Tandis qu’il
est attaché au sein de sa mère et qu’il est enveloppé dans de mauvais langes,
tout à coup une nouvelle étoile parut au ciel. Ce fut donc une étoile céleste
qui apparut aux mages.
Réponse
à l’objection N°1 : Dans l’Ecriture sainte on donne quelquefois à l’air le
nom de ciel, d’après ces paroles du Psalmiste (Ps. 8, 9) : Les oiseaux du
ciel et les poissons de la mer.
Objection
N°2. Saint Augustin dit
encore (in serm. quod Epiph.) : Les anges
montrent le Christ aux bergers et l’étoile aux mages ; de part et d’autre c’est
la langue des cieux qui parle, parce que la langue des prophètes a cessé. Or,
les anges qui ont apparu aux bergers ont été véritablement des anges célestes.
L’étoile qui a apparu aux mages a donc été aussi véritablement une des étoiles
du ciel.
Réponse à l’objection N°2 : Les anges célestes ont pour fonction de descendre vers nous,
lorsqu’ils sont envoyés pour accomplir un ministère quelconque ; au lieu que
les étoiles du ciel ne changent point leur position. Il n’y a donc pas de parité.
Objection
N°3. Les étoiles qui ne
sont pas au ciel, mais dans l’air, sont appelées des comètes qui ne se
manifestent pas à la naissance des rois, mais qui sont plutôt des marques de
leur mort. Or, cette étoile désignait la naissance d’un roi ; d’où les mages
disent (Matth., 2, 2) : Où est
celui qui est né roi des Juifs ? car nous avons vu son
étoile en Orient. Il semble donc qu’elle ait été une des étoiles célestes.
Réponse à l’objection
N°3 : Comme cette étoile
n’a pas suivi le mouvement des étoiles célestes, de même elle n’a pas non plus
suivi celui des comètes, qui ne se montrent pas de jour et qui ne changent pas
leur cours accoutumé. Cependant elle avait à peu près la même signification que
les comètes (Avant qu’on ne connût la nature des comètes, on croyait que leur
apparition annonçait dans le monde quelque grande révolution. C’est à cette
croyance que saint Thomas fait ici allusion.), puisque d’après le prophète
(Dan., 2, 44) : Le royaume céleste du
Christ abaisse et renverse tous les royaumes de la terre, et qu’il subsiste
seul éternellement.
Conclusion
L’étoile qui a conduit les mages au berceau du Christ, s’étant montrée dans
l’air, voisine de la terre, la nuit et le jour, et s’étant dirigée du nord au
midi, contrairement à la marche des autres étoiles ; il parait conforme à la
raison qu’elle n’ait pas été une des étoiles célestes, mais que Dieu l’ait
créée uniquement pour cela.
Il faut répondre que,
comme le dit saint Chrysostome (Sup. Matth., hom. 6), il est évident pour
beaucoup de raisons que l’étoile qui apparut aux mages ne fut pas une des
étoiles célestes : 1° Parce qu’aucune des autres étoiles ne suit cette
direction. Car cette étoile allait du nord au midi, puisque telle est la
position de la Judée par rapport à la Perse, d’où les mages sont venus. 2°
C’est ce que l’on voit aussi d’après le temps. Car non seulement on la voyait
de nuit, mais encore au milieu du jour ; ce qui est supérieur à la vertu d’une
étoile et même de la lune. 3° Parce que tantôt elle se montrait et tantôt elle
se cachait. Car lorsqu’ils entrèrent à Jérusalem elle se cacha ; ensuite dès
qu’ils eurent quitté Hérode, elle se montra. 4° Parce qu’elle n’avait pas un
mouvement continu ; mais elle s’avançait lorsque les mages devaient marcher, et
elle s’arrêtait quand ils devaient stationner : comme la colonne nébuleuse qui
était dans le désert. 5° Parce que pour démontrer l’enfantement de la Vierge
elle ne se tenait pas élevée, mais elle descendait en bas. Car l’Evangile dit (Matth., 2, 9) : que l’étoile
que les mages avaient vue en Orient allait devant eux, jusqu’à ce qu’étant
arrivée sur le lieu où était l’enfant elle s’y arrêta. D’où il est évident
que ces paroles des mages qui disaient : Nous
avons vu son étoile en Orient, ne doivent pas s’entendre comme s’ils
eussent vu en Orient une étoile qui se trouvait dans le pays de Juda, mais
parce qu’ils la virent en Orient et qu’elle les précéda jusqu’en Judée ;
quoique quelques-uns considèrent cette opinion comme douteuse. D’ailleurs elle
n’aurait pas pu montrer distinctement la maison, si elle n’avait été près de
terre. Et, comme le dit le même docteur (loc.
cit.), ceci ne paraît pas être propre à une étoile, mais à la vertu d’un
être raisonnable. D’où il semble que cette étoile a été animée d’une vertu
invisible, qui s’est manifestée sous cette forme. C’est pourquoi il y en a qui
disent que comme l’Esprit-Saint est descendu sur le Seigneur à son baptême sous
la forme d’une colombe, de même il a apparu aux mages sous celle d’une étoile.
— D’autres prétendent que l’ange qui apparut aux bergers sous la forme humaine,
a apparu aux mages sous la forme d’une étoile (Ces deux sentiments ne sont que
des opinions particulières. L’opinion suivante, que saint Thomas reconnaît plus
probable, est généralement adoptée.). — Cependant il paraît plus probable que
ce fût une étoile créée nouvellement, non dans le ciel, mais dans l’air voisin
de la terre, et qui était mue selon la volonté divine. D’où le pape saint Léon
dit (in serm. Epiph. 1) : Une étoile d’une clarté nouvelle apparut
aux trois mages (On croit vulgairement que les mages étaient trois, à cause des
trois présents qu’ils ont offerts ; mais, dit Bossuet, l’Eglise ne le décide
pas (Elévation sur les mystères, 17e
semaine, 5e élévation).) dans l’Orient ; elle était plus éclatante
et plus belle que les autres, et elle attirait sur elle les regards et l’esprit
de ceux qui la considéraient, afin qu’on fût immédiatement convaincu qu’un
signe aussi extraordinaire n’existait pas sans motif.
Article 8 : Est-il
convenable que les mages soient venus pour adorer le Christ ?
Objection N°1. Il
semble qu’il ne soit pas convenable que les mages soient venus pour adorer le
Christ. Car le respect est dû à tous les rois par leurs sujets. Or, les mages
n’étaient pas du royaume des Juifs. Par conséquent, puisqu’ils ont connu
d’après l’étoile qu’ils ont vu que le roi des Juifs était né, il semble
inconvenant qu’ils soient venus pour l’adorer.
Réponse
à l’objection N°1 : Comme le dit saint Augustin (in serm. Epiph.
2, 6 et 7i), quoiqu’un grand nombre de rois de Juda soient nés et qu’ils soient
morts, les mages n’ont demandé à adorer aucun d’eux. Ce n’était donc pas à un
roi des Juifs, tel qu’avaient été ces monarques, que ces étrangers venus de si
loin, et qui avaient quitté leur propre pays, pensaient devoir offrir ces
honneurs, mais c’était à celui duquel ils savaient obtenir certainement, en
l’adorant, le salut qui vient de Dieu.
Réponse à l’objection N°2 : Cette annonce des mages figurait à l’avance la constance des
nations qui confessent le Christ jusqu’à la mort. D’où saint Chrysostome dit (alius auct. sup. Matth., hom. 2, in op. imperf.)
que quand ils considéraient le roi futur, ils ne craignaient pas le roi
présent, qu’ils n’avaient pas encore vu le Christ et que déjà ils étaient prêts
à mourir pour lui.
Réponse à l’objection
N°3 : Comme le dit saint
Augustin (in serm. Epiph. ut sup.), l’étoile qui a conduit les mages au lieu où était
l’enfant avec la Vierge sa mère, pouvait les conduire dans la cité même de
Bethléem où le Christ est né, mais elle se déroba à leur vue jusqu’à ce que les
Juifs eussent rendu témoignage eux-mêmes (Jusqu’à ce moment c’était la
synagogue qui était dépositaire de la vérité. C’est pour cela que Dieu voulut
qu’elle fût consultée, afin que son témoignage servît publiquement à la
manifestation de son Fils.) sur la ville où le Christ
devait naître ; afin qu’étant confirmés par ce double témoignage, ajoute le
pape saint Léon (Serm. 4 de Epiph.,
chap. 2), ils recherchassent avec une foi plus ardente celui que la lumière de
l’étoile et l’autorité de la prophétie manifestaient. Ainsi ils annoncent la
naissance de Jésus-Christ aux Juifs, et ils leur demandent le lieu où il doit
naître ; ils croient et ils cherchent, représentant de la sorte ceux qui
marchent éclairés par la foi et qui désirent voir, comme le dit saint Augustin
(loc. sup. cit.). Les Juifs, en leur
indiquant le lieu de la naissance du Christ, ont été semblables à ceux qui ont construit
l’arche de Noé, qui ont donné aux autres le moyen
d’échapper au déluge dont ils ont été eux-mêmes victimes. Ceux qui le
cherchaient ont appris où il était et ils s’en sont allés ; les docteurs l’ont
dit, et ils sont restés semblables à ces pierres milliaires (On appelait ainsi
les bornes qui, sur les routes, marquaient la distance d’un mille à l’autre.)
qui montrent le chemin et qui ne marchent pas. La Providence a voulu que
l’étoile ayant disparu, les mages allassent à Jérusalem guidés par les lumières
humaines, cherchant dans la cité royale le roi qui était né, afin que la
naissance du Christ fût d’abord annoncée publiquement à Jérusalem, suivant ce
passage du prophète (Is. 2, 2) : La loi sortira de Sion et la parole du
Seigneur de Jérusalem ; et aussi pour que le zèle des mages qui venaient de
loin fût une condamnation de la lâcheté des Juifs qui étaient tout près.
Réponse
à l’objection N°4 : Comme le dit saint Chrysostome (alius auctor sup. Matth., hom. 2, in op. imperf.), si les mages eussent cherché un roi de la
terre, en le trouvant dans l’état où il était, ils auraient été confondus,
parce qu’ils auraient fait inutilement un aussi long voyage : par conséquent
ils ne l’auraient pas adoré et ne lui auraient pas offert de présents. Mais
comme ils cherchaient le roi du ciel, quoiqu’ils n’aient rien vu en lui de la
pompe de la royauté, le témoignage seul de l’étoile leur suffît et ils
l’adorèrent. En effet, dans l’homme qu’ils voient ils reconnaissent un Dieu, et
ils offrent au Christ les présents qui conviennent à sa dignité. Ainsi ils lui
offrent de l’or comme à un grand roi ; de l’encens dont on fait usage dans les
sacrifices comme à un Dieu ; et de la myrrhe qui sert à embaumer les corps,
afin de montrer qu’il doit mourir pour le salut de tout le genre humain (Cette
interprétation adoptée par l’Eglise est celle de tous les Pères (Voy. sur toute cette question Bossuet, Elévation sur les mystères, 17e semaine.).). Par là, dit
saint Grégoire (Hom. 10 in Evang.),
nous apprenons que nous offrons au Roi du ciel de l’or, qui est le symbole de
la sagesse, si nous sommes en sa présence tout resplendissant de l’éclat de
cette vertu ; nous offrons à Dieu de l’encens, qui est le signe de la dévotion
et de la prière, si nous pouvons par l’ardeur de nos supplications nous rendre
agréables à lui ; enfin nous lui offrons de la myrrhe, qui indique la
mortification de la chair, si nous comprimons les vices charnels par
l’abstinence.
Mais c’est le
contraire. Le prophète dit (Is., 60, 3) : Les nations marcheront à votre lumière et
les rois à la splendeur qui se lèvera sur vous. Or, ceux qui sont guidés
par la lumière divine n’errent pas. Les mages ont donc témoigné au Christ leur
respect sans commettre d’erreur.
Conclusion Il faut croire que les
mages, inspirés par l’Esprit-Saint, sont venus sagement pour adorer le Christ à
sa naissance.
Copyleft. Traduction
de l’abbé Claude-Joseph Drioux et de JesusMarie.com qui autorise toute personne à copier et à rediffuser par
tous moyens cette traduction française. La Somme Théologique de Saint Thomas
latin-français en regard avec des notes théologiques, historiques et
philologiques, par l’abbé Drioux, chanoine honoraire de Langres, docteur en
théologie, à Paris, Librairie Ecclésiastique et Classique d’Eugène Belin, 52,
rue de Vaugirard. 1853-1856, 15 vol. in-8°. Ouvrage honoré des
encouragements du père Lacordaire o.p. Si par erreur, malgré nos vérifications,
il s’était glissé dans ce fichier des phrases non issues de la traduction de
l’abbé Drioux ou de la nouvelle traduction effectuée par JesusMarie.com, et
relevant du droit d’auteur, merci de nous en informer immédiatement, avec
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puissions les retirer. JesusMarie.com accorde la plus grande importance au
respect de la propriété littéraire et au respect de la loi en général. Aucune
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la morale catholique et des lois justes.
JesusMarie.com